Fragment Contrariétés n° 5 / 14 – Papier original : RO 161-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Contrariétés n° 167 p. 45 v° / C2 : p. 66
Éditions de Port-Royal : Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janv. 1670 p. 170 / 1678 n° 4 p. 166-167
Éditions savantes : Faugère II, 83, X / Havet VIII.13 / Michaut 387 / Brunschvicg 416 / Tourneur p. 197-4 / Le Guern 113 / Lafuma 122 / Sellier 155
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Bibliographie ✍
ALEXANDRESCU Vlad, Le paradoxe chez Blaise Pascal, Berne-Berlin-Francfort, Peter Lang, 1997. CHEVALIER Jacques, Pascal, Paris, Plon, 1922, p. 251 sq. DAVIDSON Hugh, The origins of certainty, University of Chicago Press, 1979, p. 20. DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, P. U. F., 1993, p. 428 sq. DESCOTES Dominique, “Piège et paradoxe chez Pascal”, in Méthodes chez Pascal, Paris, P. U. F., 1979, p. 509-520. MAGNARD Pierre, “Pascal dialecticien”, in Pascal présent, Clermont-Ferrand, De Bussac, 1963, p. 257-289. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 212 sq. MESNARD Jean, “Pascal ou la maîtrise de l’esprit”, Bulletin de la Société française de philosophie, n° 3, 2008, p. 1-38. Voir p. 25 sq. RUSSIER Jeanne, La foi selon Pascal, I, Paris, P. U. F., 1949, p. 86 sq. SUEMATSU Hisashi, “Développement formel de la dialectique pascalienne”, in Méthodes chez Pascal, Paris, P. U. F., 1979, p. 463-474. SUSINI Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, p. 505. |
✧ Éclaircissements
A P. R.
Voir la liasse qui porte ce titre. La présence de ce fragment dans une autre liasse que A P. R. suggère que Pascal a séparé les éléments d’un ensemble qui a peut-être été un dossier destiné à la conférence tenue à Port-Royal. Mais Contrariétés 5 est directement lié à la liasse A P. R., qui s’ouvre sur l’indication Après avoir expliqué l’incompréhensibilité : c’est précisément ce que fait Pascal ici.
La misère se concluant de la grandeur et la grandeur de la misère, les uns ont conclu la misère d’autant plus qu’ils en ont pris pour preuve la grandeur et les autres concluant la grandeur avec d’autant plus de force qu’ils l’ont conclue de la misère même, tout ce que les uns ont pu dire pour montrer la grandeur n’a servi que d’un argument aux autres pour conclure la misère, puisque c’est être d’autant plus misérable qu’on est tombé de plus haut. Et les autres au contraire.
Les uns ont conclu la misère d’autant plus qu’ils en ont pris pour preuve la grandeur : ce sont les philosophes sceptiques comme Montaigne. Cet argument paradoxal est expliqué immédiatement : C’est être d’autant plus misérable qu’on est tombé de plus haut : les prétentions de l’homme sont tellement disproportionnées par rapport à ce qu’il parvient à effectuer réellement que l’on en conclut directement que c’est un être plein de misère. Cette indication renvoie directement aux liasses Vanité et Misère, qui montrent à quel point les réalisations des hommes en matière de justice, de science, de politique sont ridicules.
En revanche, Pascal n’explique pas comment on peut conclure la grandeur à partir de la misère. Il faut remonter à la liasse Grandeur pour en trouver l’esquisse : voir ce que Pascal dit dans Grandeur 12 (Laf. 116, Sel. 148) : Toutes ces misères-là même prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d’un roi dépossédé. Le roi représente la plus haute position du monde ; il est le plus malheureux quand il perd sa condition. Voir dans le même sens Grandeur 13 (Laf. 117, Sel. 149) : Qui se trouve malheureux de n’être pas roi, sinon un roi dépossédé ? Trouvait‑on Paul Émile malheureux de n’être pas consul ? Au contraire tout le monde trouvait qu’il était heureux de l’avoir été, parce que sa condition n’était pas de l’être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n’être plus roi, parce que sa condition était de l’être toujours, qu’on trouvait étrange de ce qu’il supportait la vie.
Pour approfondir…
♦ Implication mutuelle de la grandeur et de la misère
Le renversement du pour au contre consiste ici dans une double implication paradoxale d’une thèse par la thèse contraire. Des propositions qui devraient s’annuler et qui en effet s’entredétruisent sont ici liées par une implication qui conduit infailliblement à l’une quand on a une fois adoptée l’autre.
Cette situation, dans laquelle deux propositions contraires s’opposent, a été envisagée par Pascal à plusieurs reprises, et elle a reçu des solutions différentes selon les cas.
Trois cas différents se présentent.
Dans le premier cas, l’une des deux propositions, tout incompréhensible qu’elle soit, peut être considérée comme fausse ; on peut dès lors affirmer la proposition contraire, quoiqu’elle paraisse toujours obscure. C’est cette situation que Pascal évoque dans L’esprit géométrique, OC III, éd. J. Mesnard, p. 404-405 :
26 […] « C’est une maladie naturelle à l’homme, de croire qu’il possède la vérité directement ; et de là vient qu’il est toujours disposé à nier tout ce qui lui est incompréhensible ; au lieu qu’en effet il ne connaît naturellement que le mensonge, et qu’il ne doit prendre pour véritables que les choses dont le contraire lui paraît faux.
Et c’est pourquoi, toutes les fois qu’une proposition est inconcevable, il faut en suspendre le jugement et ne pas la nier à cette marque, mais en examiner le contraire ; et si on le trouve manifestement faux, on peut hardiment affirmer la première, tout incompréhensible qu’elle est. Appliquons cette règle à notre sujet.
27. Il n’y a point de géomètre qui ne croie l’espace divisible à l’infini. On ne peut non plus l’être sans ce principe qu’être homme sans âme. Et néanmoins il n’y en a point qui comprenne une division infinie ; et l’on ne s’assure de cette vérité que par cette seule raison, mais qui est certainement suffisante, qu’on comprend parfaitement qu’il est faux qu’en divisant un espace on puisse arriver à une partie indivisible, c’est à dire qui n’ait aucune étendue.
Car qu’y a-t-il de plus absurde que de prétendre qu’en divisant toujours un espace, on arrive enfin à une division, telle qu’en la divisant en deux, chacune des moitiés reste indivisible et sans aucune étendue, et qu’ainsi ces deux néants d’étendue fissent ensemble une étendue? Car je voudrais demander à ceux qui ont cette idée, s’ils conçoivent nettement que deux indivisibles se touchent : si c’est partout, ils ne sont qu’une même chose, et partant les deux ensemble sont indivisibles ; et si ce n’est pas partout, ce n’est donc qu’en une partie : donc ils ont des parties, donc ils ne sont pas indivisibles. Que s’ils confessent, comme en effet ils l’avouent quand on les presse, que leur proposition est aussi inconcevable que l’autre, qu’ils reconnaissent que ce n’est pas par notre capacité à concevoir ces choses que nous devons juger de leur vérité, puisque ces deux contraires étant tous deux inconcevables, il est néanmoins nécessairement certain que l’un des deux est véritable. »
Dans le deuxième cas, aucune des deux propositions ne peut être considérée comme fausse, mais il existe une troisième proposition qui permet d’échapper au dilemme, et que la négation des deux premières permet d’affirmer.
C’est le cas dans les méthodes de démonstration des quadratures et des cubatures en géométrie, que l’on trouve dans les Éléments d’Euclide ou les traités d’Archimède sur la parabole ou la mesure du cercle. Pascal connaît bien ces méthodes, parce qu’il a présenté, dans ses Lettres de A. Dettonville, une méthode nouvelle qui l’abrège et en accroît la portée, la méthode des indivisibles. Les démonstrations classiques que l’on trouve chez les anciens, Euclide et Archimède principalement, lorsqu’ils cherchent à mesurer certaines surfaces (quadratures) ou certains solides (cubatures), consistent à montrer qu’une grandeur à mesurer A n’est ni plus grande, ni plus petite qu’une autre grandeur B donnée au départ. On en conclut naturellement que A et B sont égales, troisième possibilité à laquelle il n’est pas possible d’échapper. Pascal en donne un exemple particulièrement brillant et complexe dans la Lettre à M. ADDS, où il montre que la supposition qu’il existe une quelconque différence entre la ligne de la spirale et celle de la parabole conduit toujours à une absurdité, ce qui conduit nécessairement à la conclusion qu’elles sont égales.
Dans Contrariétés 5, on se trouve dans un cas encore différent, où aucune des deux propositions contraires ne parvient à supprimer l’autre, et où il n’existe pas de troisième proposition qui permette de résoudre l’alternative. De sorte que l’on se trouve dans une impasse qui ne peut être dépassée par les voies précédentes.
Aucune conciliation n’est possible, parce que les deux propositions affirment d’une même chose deux attributs contraires, mais dans des conditions très différentes.
En premier lieu, les deux attributs de la grandeur et de la misère sont contraires, mais d’une manière qui n’admet pas de troisième terme : comme entre la misère et la grandeur, il n’y a pas de milieu, on se trouve dans un système où l’affirmation d’un terme contraire est strictement équivalent de la négation de l’autre. L’affirmation de la grandeur de l’homme implique la négation de sa misère : dire que l’homme est grand implique directement qu’il n’est pas misérable. L’affirmation de la misère de l’homme implique la négation de sa grandeur : dire que l’homme est misérable implique qu’il n’est pas grand.
Comme il n’y a pas de milieu entre affirmation de la grandeur et affirmation de la misère, la double implication coupe la possibilité de conclure, comme dans le raisonnement à l’ancienne, sur une proposition qui permette de maintenir conjointement l’affirmation de la grandeur et celle de la misère (ou leur équivalent négatif, la négation de la misère et la négation de la grandeur). On a donc affaire à des propositions contradictoires, dont, en bonne logique, la vérité de l’une entraîne nécessairement la fausseté de l’autre, et la fausseté de l’une entraîne non moins nécessairement la vérité de l’autre. Voir sur ce point Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique ou l’art de penser (1664), II, ch. II, éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2011, p. 264.
Toutefois, cette situation est rendue plus complexe par le fait que, quoique chaque proposition est contraire à l’autre et incompatible avec elle, Pascal montre que c’est précisément cette contraire qui lui sert de preuve et qui la confirme. On se trouve donc dans une situation impossible, où deux propositions contradictoires, qui s’entredétruisent, se confirment aussi en même temps.
D’une part, l’affirmation de la grandeur détruit celle de la misère, mais elle la prouve en même temps. Et inversement l’affirmation de la misère détruit celle de la grandeur, mais elle la prouve aussi en même temps. Sur cette situation paradoxale, voir Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 424 sq.
Alors que dans la méthode géométrique des anciens, les preuves des deux propositions envisagées sont établies de manières tout à fait indépendantes l’une de l’autre, de sorte que les deux preuves par l’impossible sont indépendantes l’une l’autre (l’une établit qu’il est faux que la grandeur A soit plus grande que la grandeur B, l’autre établit que la grandeur A ne peut être plus petite que B) et se complètent harmonieusement, celles du fragment Contrariétés 5 sont pour ainsi dire branchées l’une sur l’autre, de sorte que l’on ne peut affirmer l’une, sans affirmer en même temps celle qui la détruit.
Ce cercle vicieux est résumé par Pascal dans le fragment Contrariétés 13 (Laf. 130, Sel. 163) :
S’il se vante je l’abaisse.
S’il s’abaisse je le vante.
Et le contredis toujours.
Jusqu’à ce qu’il comprenne
Qu’il est un monstre incompréhensible.
Il faut remarquer que, sur cette argumentation, les Pensées marquent un progrès considérable par rapport à l’Entretien de Pascal avec M. de Sacy : dans l’exposé que Pascal y présente des doctrines d’Épictète et de Montaigne, il se contente de montrer que ces deux philosophes s’opposent et s’entredétruisent, mais nulle part n’y apparaît l’idée qu’elles s’impliquent mutuellement, de sorte que l’on n’y trouve aucune trace de renversement du pour au contre.
Comment Pascal construit-il ce cercle ? Voir sur ce point Davidson Hugh, The origins of certainty, p. 20, qui analyse l’implication mutuelle dans le renversement du pour au contre.
La preuve de la grandeur de l’homme se tire de l’affirmation de sa misère. On a vu dans les liasses Raisons des effets et Grandeur qu’à la racine des tentatives malheureuses de l’homme pour établir la justice ou découvrir le vrai, on découvre une volonté de vérité et de justice qui ne pourrait pas exister si l’homme n’avait été que misérable, et qu’il n’avait été que misérable. La grandeur de l’homme est visible dans sa misère même, considérée comme misère de grand seigneur.
La preuve de la misère de l’homme se tire de l’affirmation de sa grandeur. On a vu en effet que les prétentions de l’homme en matière de vérité et de justice sont ridiculement disproportionnées à ses capacités réelles.
On peut donc passer indéfiniment d’une thèse à l’autre sans discontinuer, et sans possibilité d’échapper à ce renversement continuel.
Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 428 sq. Dans le mécanisme du renversement du pour au contre qui va d’un point de vue à un autre et vice versa, les deux opinions contraires, l’une affirmant la grandeur de l’homme, l’autre affirmant sa misère, correspondent à deux points de vue : celui des stoïciens et dogmatiques d’une part, celui des sceptiques et des épicuriens d’autre part, qui engendrent des thèses rigoureusement contraires. Il faut donc ajouter que, dans l’esprit de Pascal, c’est le fait même de soutenir soit la doctrine stoïcienne, qui affirme la grandeur de l’homme, qui est preuve de la misère, puisqu’il n’y a pas de pire aveuglement que de ne pas voir qu’on est misérable. Et que d’autre part, il n’y a pas de meilleure preuve de la grandeur de l’homme que l’attitude d’un Montaigne, qui reconnaît sa propre misère et montre par là qu’il la dépasse par cette reconnaissance même. De sorte que Pascal peut prendre la personne même des philosophes comme preuve du contraire de ce qu’ils soutiennent : ce ne sont pas seulement les doctrines qui prouvent chacune la doctrine contraire, mais ceux-là même qui les tiennent : c’est une position difficile et passablement ridicule pour un philosophe que d’être en sa propre personne le meilleur argument en faveur de la thèse contraire à la sienne.
Mesnard Jean, “Pascal ou la maîtrise de l’esprit”, Bulletin de la Société française de philosophie, n° 3, 2008, p. 1-38. Voir p. 25 sq. ✍
Ils se sont portés les uns sur les autres par un cercle sans fin,
Le Dictionnaire de Furetière ne donne aucun sens qui convienne ici au verbe porter. Il semble que Pascal ait employé une expression inhabituelle, proche de se porter contre, qui désigne l’attitude d’un homme ou d’une armée qui attaque un ennemi. Mais au lieu de contre, Pascal écrit sur, pour donner une impression de mêlée confuse où les adversaires se jettent en tas les uns sur les autres. Port-Royal, gêné par portés, a préféré élevés, qui donne une idée analogue, mais dans un style plus soutenu.
Étant certain qu’à mesure que les hommes ont de lumière ils trouvent et grandeur et misère en l’homme.
L’expression à mesure que les hommes ont de lumière suppose un progrès dans l’intelligence de la nature des hommes.
On trouve dans d’autres fragments l’idée que les idées changent du pour au contre selon le degré de lumière qui est imparti aux hommes : voir Raisons des effets 9 (Laf. 90, Sel. 124) : Ainsi se vont les opinions succédant du pour au contre selon qu’on a de lumière.
En un mot l’homme connaît qu’il est misérable. Il est donc misérable puisqu’il l’est, mais il est bien grand puisqu’il le connaît.
Le manuscrit montre que cette partie du texte est une addition tardive. Ces phrases pourraient figurer en tête du fragment : elles en résument l’idée et le procédé argumentatif. Pascal a mis au point sa méthode, et il la cristallise « en un mot ». Toutefois, elles montrent que c’est après coup que Pascal a découvert l’une des pièces principales de son raisonnement, qu’il résume brièvement dans cette formule finale.
Descotes Dominique, “Piège et paradoxe chez Pascal”, in Méthodes chez Pascal, Paris, P. U. F., 1979, p. 509-520.
La structure mise au point par Pascal est la suivante :
Le premier énoncé est une inférence qui peut, au premier abord, passer pour une tautologie : la proposition composée l’homme connaît qu’il est misérable, permet de conclure à la proposition simple constituée par le dictum, il est donc misérable. La seconde partie est une tautologie qui insiste sur la réalité de cette conclusion : il est donc misérable puisqu’il l’est.
Le second énoncé fait succéder à cette inférence une interprétation : le fait de connaître sa misère n’est pas en soi une grandeur, mais c’est la marque de la grandeur de l’homme : il est bien grand puisqu’il le connaît. Dans ce cas, le rapport qui soutient l’argument est un rapport de signification. Ce point a été remarqué par Chevalier Jacques, Pascal, Paris, Plon, 1922, p. 255 sq., qui écrit que la misère ne permet pas seulement de conclure à la grandeur, ni de sentir la grandeur par contraste ; elle en est, en quelque manière, le signe. La misère, qui n’a été d’abord considérée qu’avec ce que la Logique de Port-Royal appelle l’idée de chose, est à présent considérée avec l’idée de signe : on se demande non plus ce qu’est la misère, mais ce dont elle est la marque.
Russier Jeanne, La foi selon Pascal, I, p. 86 sq. La grandeur est marquée par la misère : « Il y a donc, entre la grandeur et la misère, un rapport complexe de cause à effet dans un sens, de signe à chose signifiée dans l’autre : la grandeur est source de misère, et la misère est signe de grandeur » : p. 88.
Pascal ne fournit pas le modèle du mouvement inverse, dans lequel la grandeur serait d’abord considérée en elle-même, puis dans sa signification, mais il est aisé de la reconstituer à partir de ce premier exemple.
Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, p. 505. Analyse de ce paradoxe. Il faut distinguer dans ce passage deux énonciateurs, dont l’un déclare que l’homme est grand, donc l’homme est grand, et l’autre que l’homme est misérable, mais ayant conscience de sa misère, il est grand. En jouant de la réversibilité du premier énoncé, il est possible de construire un second dilemme : ou bien l’homme est misérable, et il est donc misérable, ou bien l’homme est grand, mais c’est en ce qu’il aspire à la grandeur, et ne pouvant qu’y aspirer, il est donc misérable. Dès lors, en enchaînant le paradoxe construit par Pascal et celui qui vient d’être reconstitué, on obtient un enchaînement de paradoxes qui enferment le lecteur dans un cercle parfait, qui est précisément celui de ce fragment, où la grandeur prouve la misère, qui prouve la grandeur, qui prouve la misère, et ainsi de suite. C’est ce qui permet à Pascal de ne pas laisser de repos à son lecteur, quelque position qu’il adopte.