Fragment Divertissement n° 6 / 7 – Papier original : RO 142-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Divertissement n° 191 p. 59 / C2 : p. 83
Éditions de Port-Royal : Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janv. 1670 p. 323 / 1678 n° 3 p. 318
Éditions savantes : Faugère II, 40, V / Havet VI.58 / Brunschvicg 166 / Tourneur p. 205-3 (voir p. 213) / Le Guern 128 / Lafuma 138 / Sellier 170
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Bibliographie ✍
SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 26 sq. THIROUIN Laurent, “Le cycle du divertissement”, in Le Pensées di Pascal : dal disegno all’edizione, Studi francesi, Rosenberg e Sellier,143, anno XVIII, fasc. II, mai-août 2004, Rosenberg e Sellier, p. 260-272. |
✧ Éclaircissements
Divertissement.
La mort est plus aisée à supporter sans y penser que la pensée de la mort sans péril.
Montaigne, Essais, III, 4, De la diversion, éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 875. « Celui qui meurt en la mêlée, les armes à la main, il n’étudie pas lors la mort, il ne la sent, ni ne la considère : l’ardeur du combat l’emporte. »
Méré, Maximes, 76. « La crainte de la mort est plus sensible que la mort même ». Selon Brunschvicg minor, c’est une traduction de Publius Syrus : « mortem timere crudelius est quam mori. » Voir Œuvres complètes d’Horace, de Juvénal…, éd. D. Nisard (dir.), Paris, F. Didot, 1869, p. 789.
La Rochefoucauld, Maximes, 21, éd. Truchet, Garnier, 1967. « Ceux qu’on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris de la mort qui n’est en effet que la crainte de l’envisager. De sorte qu’on peut dire que cette constance et ce mépris sont à leur esprit ce que le bandeau est à leurs yeux. » Voir le Manuscrit Liancourt, 150, éd. Truchet, p. 427, dont le texte est différent : diverses attitudes des condamnés ; idée qu’ils cherchent à s’étourdir, et à ne pas penser à la mort. L’analogie est donnée : la froideur fait à l’esprit ce que le mouchoir fait aux yeux. Il semble que l’expression est plus concrète que la définitive.
La Rochefoucauld, Maximes, 26, p. 13, éd. Truchet, Garnier, 1967. « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. »
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 26 sq., sur la pensée de la mort.
La remarque de Pascal constitue une justification du divertissement qui montre bien que cette attitude de suite n’est pas incohérente. À partir du moment où l’on considère que la peur de la mort est plus insupportable que le comble de malheur qu’est la mort même, et qu’a fortiori cette pensée est encore plus irrémédiable que la mort qui l’est déjà par elle-même, la seule chose que l’on puisse faire est de chercher à s’ôter cette pensée : le divertissement apporte précisément cet oubli. Pascal montre ainsi, non sans ironie, que cette imprévoyance, que les philosophes jugent absurde, a sa logique propre, et apporte une solution cohérente au problème de la peur de la mort.
À un stade plus profond de l’analyse, Pascal pense évidemment que, toute effrayante qu’elle soit, cette peur de la mort a au moins cela de bon que, si elle ne se résout pas par le divertissement, elle peut conduire l’homme de la connaissance de sa condition misérable à la recherche.
La Fontaine a traité ce problème dans une fable célèbre. Voir La Fontaine, Fables, VIII, 12. Le Cochon, la Chèvre et le Mouton :
Une Chèvre, un Mouton, avec un Cochon gras,
Montés sur même char s'en allaient à la foire :
Leur divertissement ne les y portait pas ;
On s'en allait les vendre, à ce que dit l'histoire :
Le Charton n'avait pas dessein
De les mener voir Tabarin,
Dom Pourceau criait en chemin
Comme s'il avait eu cent Bouchers à ses trousses.
C'était une clameur à rendre les gens sourds :
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s'étonnaient qu'il criât au secours ;
Ils ne voyaient nul mal à craindre.
Le Charton dit au Porc : Qu'as-tu tant à te plaindre ?
Tu nous étourdis tous, que ne te tiens-tu coi ?
Ces deux personnes-ci plus honnêtes que toi,
Devraient t'apprendre à vivre, ou du moins à te taire.
Regarde ce Mouton ; a-t-il dit un seul mot ?
Il est sage. - Il est un sot,
Repartit le Cochon : s'il savait son affaire,
Il crierait comme moi, du haut de son gosier,
Et cette autre personne honnête
Crierait tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu'on les veut seulement décharger,
La Chèvre de son lait, le Mouton de sa laine.
Je ne sais pas s'ils ont raison ;
Mais quant à moi, qui ne suis bon
Qu'à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit et ma maison.
Dom Pourceau raisonnait en subtil personnage :
Mais que lui servait-il ? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin ;
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.