Fragment Figures particulières n° 1 / 2 – Papier original : RO 15-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Figures n° 360 p. 173 / C2 : p. 207
Éditions de Port-Royal : Chap. XIII - Que la loi estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 99-100
/ 1678 n° 9 p. 100-101
Éditions savantes : Faugère II, 254, XVIII / Havet XVI.8 ter / Brunschvicg 652 / Tourneur p. 289-2 / Le Guern 330 / Lafuma 349 / Sellier 381
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Bibliographie ✍
ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993. |
✧ Éclaircissements
Figures particulières.
Double loi, doubles tables de la loi, double temple, double captivité.
Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 481-482. La loi ancienne, celle de Moïse, est la figure de la loi nouvelle apportée par le Christ. Le Temple de Jérusalem est la figure du Christ, temple vivant.
La captivité à Babylone doit-elle être interprétée comme la figure de « la captivité morale qui emprisonne les hommes en raison du péché originel », comme l’indique P. Ernst ? Cette interprétation se heurte à des objections sérieuses. S’il est vrai que la double loi peut s’entendre de l’ancienne loi comme figure de la nouvelle, si le Temple de Jérusalem peut être envisagé comme figure de la personne du Christ, on ne voit pas en revanche, pourquoi ce fragment a été classé dans la liasse Figures particulières.
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 276 sq. Voir le fragment Laf. 819, Sel. 660 qui développe et explique l’idée de prophéties particulières : elles sont internes à l’Ancien Testament, sans cesser pour autant de se trouver en correspondance avec le Nouveau. En quoi ce fragment propose-t-il une figure particulière ?
Pour qu’on puisse les considérer comme des figures particulières, il faut que ces figures correspondent à des événements prophétisés qui se sont réalisés, et qui permettent de confirmer les prophéties messianiques générales.
Si l’interprétation de Pol Ernst était juste, on ne devrait pas avoir pour titre « figures particulières », car ces figures ne diffèreraient pas essentiellement des figures mentionnées dans Loi figurative. Si le Temple est directement figure du Christ, ou si la loi de Moïse est directement figure de celle du Christ, Pascal ne devait pas les considérer comme des figures particulières au sens du fragment Laf. 819, Sel. 660, mais comme des figures prophétiques ordinaires.
En fait, le rapport entre les deux lois, les deux temples, etc., n’est pas un rapport de figure à figuré. Il faut plutôt considérer que les réalités évoquées dans le fragment sont doubles en elles-mêmes, et non en tant que figures.
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, p. 277, remarque qu’il y a bien eu deux lois qui ont été données successivement par Moïse.
Voir dans la Bible de Port-Royal, Exode, Chapitre XXXII, Le peuple adore le veau d’or. Moïse brise les tables de la loi. Punition des Israélites. Moïse prie pour eux. Après quoi, le peuple s’étant humilié (ch. XXXIII), Moïse est remonté sur la montagne, où Dieu lui prescrit de faire de nouvelles tables de pierre, pour y graver ses commandements (voir le Chapitre XXXIV, Dieu lui manifeste sa gloire, et lui renouvelle les principales conditions de l’alliance qu’il fait avec son peuple.).
Il y a donc eu deux inscriptions successives de la loi sur la pierre, comme en témoigne le titre de Deutéronome. Selon le verset. 29, « Après cela Moïse descendit de la montagne de Sinaï, portant les deux tables du témoignage : et il ne savait pas que son visage jetait des rayons de lumière, qui lui étaient restés de l’entretien qu’il avait eu avec le Seigneur. »
Mais les tables de la loi sont elles-mêmes doubles. Selon le ch. XXXII, v. 15, dès la première fois que « Moïse retourna donc de dessus la montagne », il portait « en sa main les deux tables du témoignage ». Au surplus, dès leur première réception, ces deux tables étaient « écrites des deux côtés » (XXXII, 15). La loi est donc double par elle-même, et à un double titre.
Il en va de même pour le Temple. Le premier fut construit par Salomon (vers 964 avant Jésus-Christ), et le second fut consacré par Zorobabel vers 515 avant Jésus-Christ, soixante-dix ans après la destruction du premier, lors du retour de l’exil à Babylone. Voir le dossier thématique sur le Temple. La dualité est donc d’ordre historique, et non pas symbolique ni figuratif.
La captivité elle-même est également double, puisque l’exil à Babylone a précédé celui que les Juifs subissent après la destruction du Temple par les Romains, diaspora qui dure toujours à l’époque de Pascal.
La destruction des deux temples, tout comme les deux captivités, a été prophétisée. Il s’agit donc d’événements qui ont été annoncés et que l’histoire a vérifiés. Ils peuvent donc remplir la fonction de figures particulières au sens de Pascal : la réalisation des prophéties confirme les prophéties messianiques générales en accréditant la parole des prophètes.
Cela ne signifie pas que ces objets ne puissent avoir d’autre part une signification symbolique semblable à celles qu’indique Pol Ernst. Il est clair que la loi de Moïse est bien, dans l’esprit de Pascal, la figure de la loi nouvelle. De même, le Christ lui-même use du temple pour parler par figure de son corps et de sa personne (Matthieu, XXVI, 61, et surtout Jean II, 19-21 : « Jésus leur répondit : Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours. 20. Les Juifs lui repartirent : Ce temple a été quarante-six ans à bâtir, et, vous le rétablirez en trois jours ? 21. Mais il entendait parler du temple de son corps ».).
Mais ce n’est pas là la pointe du texte, qui insiste sur la dualité intrinsèque de la loi, du temple et de la captivité.
Si l’on veut assigner un sens symbolique à cette dualité, on peut renvoyer au fragment Laf. 733, Sel. 614, qui montre que c’est dans toute la religion chrétienne que « toutes choses » sont « doublées et les mêmes noms demeurant » : L’Église a toujours été combattue par des erreurs contraires. Mais peut-être jamais en même temps comme à présent, et si elle en souffre plus à cause de la multiplicité d’erreurs, elle en reçoit cet avantage qu’ils se détruisent.
[...] La foi embrasse plusieurs vérités qui semblent se contredire, temps de rire de pleurer, etc. responde ne respondeas, etc.
La source en est l’union des deux natures en J.-C.
Et aussi les deux mondes. La création d’un nouveau ciel et nouvelle terre. Nouvelle vie, nouvelle mort.
Toutes choses doublées et les mêmes noms demeurant.
Et enfin les deux hommes qui sont dans les justes. Car ils sont les deux mondes, et un membre et image de Jésus-Christ. Et ainsi tous les noms leur conviennent de justes pécheurs, mort vivant, vivant mort, élu réprouvé, etc.
Il y a donc un grand nombre de vérités, et de foi et de morale qui semblent répugnantes et qui subsistent toutes dans un ordre admirable.