Fragment Fondement n° 19 / 21  – Papier original : RO 57-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 293 p. 121 / C2 : p. 147

Ce texte a aussi été copié dans C1 : A P. R. n° 214 et 215 p. 73 v°-75 / C2 : p. 102

Éditions de Port-Royal : Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janv. 1670 p. 137 / 1678 n° 1 et 2 p. 136

Édition savante : Sellier 274

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Bibliographie

 

 

BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, Mulhouse, Salvator, 1941.

GOILLIET Pierre, “Théologie de la foi et méthode apologétique dans les Pensées. Commentaire du fragment 149-430”, in Méthodes chez Pascal, Paris, P. U. F., 1979, p. 53-61.

GOYET Thérèse, “Le style en mouvement, ou genèse d’un fragment (de Pensées, 149-430) par étude visuelle et orale”, in Goyet T. (dir.), L’accès aux Pensées de Pascal, Actes du colloque scientifique et pédagogique de Clermont-Ferrand, Paris, Klincksieck, 1993, p. 183-209.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 43.

PASCAL, Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 192.

PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, 2009.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 238.

 

 

Éclaircissements

 

 

[Il a] tempéré sa connaissance en sorte qu’il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent et non à ceux qui ne le cherchent pas.

 

Ce papier a été déplacé dans la liasse Fondement, qui traite en effet du problème du mélange d’obscurité et de lumière qui découle du fait que Dieu veut éclairer les uns et aveugler les autres. Ce texte pose donc un problème d’édition, qui a été résolu de manières différentes (voir notre commentaire sur les Copies C1 et C2).

Le sens de ce passage est indiqué dans la liasse Fondement, dans le fragment Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264) : On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres. C’est en effet cette volonté qui fonde la manière dont Dieu se cache aux uns et se révèle aux autres, et par conséquent dont, selon Fondement 12 (Laf. 235, Sel. 267), J.-C. est venu aveugler ceux qui voient clair et donner la vue aux aveugles. Dieu veut abaisser la superbe qui domine en l’homme après le péché originel (Fondement 11 - Laf. 234, Sel. 266). Or, s’il n’y avait point d’obscurité, l’homme ne sentirait point sa corruption ; s’il n’y avait point de lumière, l’homme n’espérerait point de remède. Ainsi il est non seulement juste, mais utile pour nous que Dieu soit caché en partie, et découvert en partie, puisqu’il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître Dieu (Preuves par discours III - Laf. 446, Sel. 690). Voir aussi Preuves par les Juifs VI (Laf. 461, Sel. 700) : Le monde subsiste pour exercer miséricorde et jugement, non pas comme si les hommes y étaient sortant des mains de Dieu, mais comme des ennemis de Dieu auxquels il donne, par grâce, assez de lumière pour revenir, s’ils le veulent chercher et le suivre, mais pour les punir, s’ils refusent de le chercher ou de le suivre.

Par conséquent, le principe qui guide la manière dont Dieu se révèle le conduit à tempérer cette révélation, c’est-à-dire à la modérer, en fonction du cœur des hommes.

La conséquence de ce principe fondamental sera expliquée dans la liasse suivante, Loi figurative, comme l’indique Fondement 1 (Laf. 223, Sel. 256) : la nécessité de  se révéler aux une en se cachant aux autres est la cause des figures et du fait que J.-C. [...] prophétisé clairement en son premier avènement, mais prophétisé obscurément en la manière de cet avènement. Les figures prophétiques expriment en effet les choses de Dieu d’une manière qui rend le Messie connaissable aux bons et méconnaissables aux méchants (Loi figurative 11 - Laf. 255, Sel. 287) : Dieu pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants l’a fait prédire en cette sorte. Si la manière du Messie eût été prédite clairement il n’y eût point eu d’obscurité même pour les méchants. Si le temps eût été prédit obscurément il y eût eu obscurité même pour les bons. Mais la prédiction du messie a été faite de telle sorte que les méchants prenant les biens promis pour matériels s’égarent malgré le temps prédit clairement et les bons ne s’égarent pas. C’est pourquoi Pascal prévoit de mettre au chapitre des Fondements ce qui est en celui des Figuratifs touchant la cause des figures.

Ce principe fondamental et ses conséquences ne pouvaient trouver place dans A P. R., qui se borne à présenter un bilan d’étape de l’apologie, et à la présentation de la présentation de la candidature de la sagesse de Dieu comme révélation de la vérité. Mais avant d’arriver à expliquer comment Dieu a tempéré sa connaissance en sorte qu’il a donné des marques de soi visibles à ceux qui le cherchent et non à ceux qui ne le cherchent pas, d’une manière qui donne assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire, Pascal doit passer par plusieurs étapes, parmi lesquelles l’explication de la nécessité pour la raison de se soumettre avant de pouvoir comprendre, qu’il explique dans la liasse Soumission et usage de la raison, la nécessité de connaître Jésus-Christ pour parvenir à Dieu (liasse Excellence de cette manière de prouver Dieu, notamment Excellence 4 (Laf. 191, Sel. 224), et Excellence 5 (Laf. 192, Sel. 225)), et l’incapacité où sont les autres religions, notamment l’islam, de répondre aux conditions posées dans A P. R.

Du point de vue rhétorique, il est aussi nécessaire pour Pascal de montrer que les obscurités de la religion chrétienne ne sont pas ridicules, comme le pensent les esprits forts. C’est pourquoi, dans Fausseté des autres religions, il dénonce le ridicule des obscurités du Coran de Mahomet (Fausseté 17 - Laf. 218, Sel. 251).

Ce n’est en effet qu’après que ces points ont été expliqués, que Pascal peut et doit présenter le principe qui va fonder toute la suite, savoir que la religion chrétienne est assez claire pour qu’on en reconnaisse la vérité, et assez cachée pour que les cœurs mauvais ne la reconnaissent pas. Le transfert de ce papier dans la liasse Fondement répond à la logique de la démonstration de Pascal, il est quasi certainement intentionnel.

Sur le thème du Dieu qui se cache au cœur mauvais et qui se découvre aux bons, voir le dossier sur le Dieu caché.

 

Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que de voir et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire.

 

Le deuxième point que Pascal précise est que si l’on n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres (Fondement 9 - Laf. 232, Sel. 264), la manière dont il tempère sa révélation est suffisante pour que les bons puissent comprendre ce que les méchants ne comprendront pas.

Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Aveugler éclaircir. [...] Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.

Ce sera un autre thème important de la liasse Loi figurative, que de montrer que les figures sont assez claires pour que les cœurs purs ne se trompent pas sur ce que veulent dire les prophètes, et proposent un sens « charnel » auquel peuvent s’arrêter les autres.

Ce point est un cas particulier du thème général du « clair-obscur du monde », étudié par Philippe Sellier, Pascal et saint Augustin, p. 19 sq. Pascal reprend ici, sous une autre forme, l’idée formulée dans le fragment Ordre 2 (Laf. 2 à 4, Sel. 38), dans lequel la question Que dois‑je faire ? Je ne vois partout qu’obscurités, est prolongée par l’hésitation Croirai‑je que je ne suis rien ? Croirai‑je que je suis dieu ? C’est toute la condition humaine dans le monde qui est intermédiaire entre clarté et obscurité.