Fragment Grandeur n° 2 / 14 – Papier original : RO 419-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Grandeur n° 143 p. 37 bis / C2 : p. 57
Éditions savantes : Faugère I, 220, CXXXVI / Havet XXIV.80 bis / Brunschvicg 403 / Tourneur p. 194-3 / Le Guern 97 / Lafuma 106 / Sellier 138
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Bibliographie ✍
CHEVALIER Jacques, Pascal, Paris, Plon, 1922. DAVIDSON Hugh, The origins of certainty. Means and meanings in Pascal’s Pensées, hicago and London, The University of Chicago Press, 1979. DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993. ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993. RUSSIER Jeanne, La foi selon Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1949. SELLIER Philippe, “La Rochefoucauld, Pascal, Saint Augustin”, in Port-Royal et la littérature, II, Paris, Champion, 2000. |
✧ Éclaircissements
Grandeur.
Les raisons des effets marquent la grandeur de l’homme, d’avoir tiré de la concupiscence un si bel ordre.
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 207-208. Pascal souligne que le chapitre Raisons des effets contredit et confirme à la fois les précédents, et tire de l’affirmation de la misère de l’homme celle de sa grandeur. Il confirme que le fondement de la société humaine, que ce soit dans la vie sociale ou dans la vie mondaine, réside dans la concupiscence, mais il affirme que cette dernière engendre un véritable ordre, sans lequel le monde, livré aux égoïsmes individuels, serait en proie à la loi de la jungle.
L’idée trouve sa racine chez Saint Augustin, La cité de Dieu, XIX, Bibliothèque augustinienne, p. 101 et 105. Argument selon lequel la concupiscence tire un ordre de son désordre. La guerre tend vers la paix.
Sellier Philippe, « La Rochefoucauld, Pascal, Saint Augustin », in Port-Royal et la littérature, II, p. 155 sq. Comment s’expliquent le règne d’une paix relative, la durée des institutions, alors que l’humanité est profondément pervertie ? L’ordre établi par la société humaine est une figure de celui de la charité.
L’idée se trouvera explicitée dans le fragment Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306) : la nature est une image de la grâce.
Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 123 sq. Le fragment souligne la continuité avec la liasse précédente.
Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 428 sq. Ce renversement du pour au contre achève et résume le passage de la misère à la grandeur. Pascal y ajoutera le mouvement complémentaire inverse dans la liasse suivante.
Davidson Hugh, The origins of certainty, p. 20. Implication mutuelle des contraires dans le renversement du pour au contre.
Russier Jeanne, La foi selon Pascal, I, p. 86 sq., souligne l’intérêt du verbe marquer. La grandeur est marquée par la misère. « Il y a donc, entre la grandeur et la misère, un rapport complexe de cause à effet dans un sens, de signe à chose signifiée dans l’autre : la grandeur est source de misère, et la misère est signe de grandeur » : p. 88. Donc la grandeur se conclut de la misère, parce qu’elle est signifiée par elle.
L’idée est exploitée par Chevalier Jacques, Pascal, Paris, Plon, 1922, p. 251 sq., et particulièrement p. 255 sq., sur la misère de l’homme comme signe de sa grandeur.
Le fragment Grandeur 14 (Laf. 118, Sel. 150), souligne que la réalité de cet ordre, que l’homme a su créer à partir de sa misère, tient au fait qu’il constitue une représentation dégradée, ou comme dit Pascal une figure, de l’ordre parfait de la charité : Grandeur de l’homme dans sa concupiscence même, d’en avoir su tirer un règlement admirable et en avoir fait un tableau de charité.
L’idée que la concupiscence seule peut engendrer un ordre social harmonieux est appelée à un avenir qui n’était sans doute pas dans les perspectives de Pascal.
Déjà Pierre Nicole, dans ses Essais de morale, soutient l’idée qu’une société entièrement fondée sur la concupiscence fonctionnerait à peu près comme si elle était gouvernée par la charité.
Voir aussi les réflexions de Leibniz dans la Préface des Novissima sinica, in Discours sur la théologie naturelle des Chinois, éd. C. Frémont, L’Herne, 1987, p. 60-61. La Chine représente pour Leibniz un monde qui, mieux que l’Occident, a su donner à la société des règlements civils qui touchent la perfection de la mesure humaine. Les Chinois ne sont pas exempts de vices plus que les autres, mais sans avoir la vraie vertu, qui ne peut venir que de la vraie religion, « ils ont cependant adouci les fruits amers des vices, et, sans avoir pu arracher de la nature humaine les racines des péchés, montré qu’on pouvait en grande partie couper les foisonnants surgeons des maux ».
Bayle défendra l’idée dans les Pensées diverses sur la comète qu’une société d’athées peut être viable et juste.
Bernard Mandeville écrit dans La fable des abeilles (1714) que « les vices privés font le bien public ».