Dossier de travail - Fragment n° 3 / 35  – Papier original : RO 489-7

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 2 p. 191 / C2 : p. 1

Éditions savantes : Faugère II, 270, II / Michaut 871 / Brunschvicg 707 / Tourneur p. 299-3 / Le Guern 364 / Lafuma 385 / Sellier 4

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Bibliographie

 

 

COHN Lionel, “Pascal et le judaïsme”, in Pascal, Textes du tricentenaire, Paris, Fayard, 1963, p. 206-224.

GOYET Thérèse, “La méthode prophétique selon Pascal”, in Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 63-74.

JOLIVET R., “Pascal et l’argument prophétique”, Revue apologétique, 15 juillet et 1er août 1923.

SELLIER Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 461-470.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Mais ce n’était pas assez que les prophéties fussent, il fallait qu’elles fussent distribuées par tous les lieux et conservées dans tous les temps.

 

Les témoins sont présents partout sur la terre : voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 493. Pascal emprunte à saint Augustin cette idée que les Juifs répandent par toute la terre leur témoignage en faveur des Écritures. Il néglige la réalité concrète, qui a bien changé depuis saint Augustin, à une époque où en effet, il y avait des communautés juives dans tout le monde connu. Voir La Cité de Dieu, XVIII, 46 et surtout Confessions, IX, 4, n. 8. Les Juifs sont aussi toujours : p. 494 sq. ; voir sur ce point Sellier Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 462 sq.

La nécessité de cette présence universelle dans l’espace et dans le temps du témoignage de la religion chrétienne est affirmée dès la liasse Ordre.

Ordre 1 (Laf. 1, Sel. 37). La qualité de témoins fait qu’il faut qu’ils soient toujours, et partout, et misérables.

C’est à quoi Dieu a employé le peuple juif, présent sur terre depuis la plus haute Antiquité, et dispersé par le monde entier.

Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696). Ceci est effectif : pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde, déclarent que tout le monde est dans l’erreur, que Dieu leur a révélé la vérité, qu’elle sera toujours sur la terre. En effet toutes les autres sectes cessent ; celle-là dure toujours et depuis quatre mille ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu, mais qu’il a promis de les racheter, que cette doctrine serait toujours sur la terre, que leur loi a double sens.

Que durant mille six cents ans ils ont eu des gens qu’ils ont cru prophètes qui ont prédit le temps et la manière.

Que quatre cents ans après ils ont été épars partout, parce que J.-C. devait être annoncé partout.

Que J.-C. est venu en la manière et au temps prédit.

Que depuis les juifs sont épars partout en malédiction, et subsistants néanmoins.

Distribuées par tous les lieux : voir l’argument de Grotius Hugo, De la vérité de la religion chrétienne, III, 17, qui plaide pour l’intégrité des livres de l’Ancien Testament. « Qu’ils [les livres de l’Ancien Testament] aient été écrits par les Auteurs dont ils portent le nom, c’est ce qui se prouve par les mêmes raisons, sur lesquelles nous avons établi la même chose à l’égard des Livres du Nouveau Testament. Or ces Auteurs ont été ou des prophètes, ou des personnes très dignes de foi ; tel que fut par exemple Esdras, qui comme l’on croit, ramassa les Livres du vieux Testament en un seul volume, dans le temps que les prophètes Aggée, Malachie, et Zacharie vivaient encore. Je ne répéterai pas ce que j’ai dit dans le premier Livre à l’avantage de Moïse ; je dirai seulement que l’Histoire sacrée des temps suivants se confirme, aussi bien que celle de Moïse, par des témoignages tirés des auteurs païens. Les annales des Phéniciens faisaient mention de David et de Salomon et de leurs alliances avec les Tyriens. Bérose a parlé de Nabuchodonosor, et des autres Rois des Chaldéens, dont les noms se trouvent dans l’Écriture. Le Roi d’Égypte Vaphrès, est l’Apriès d’Hérodote Cyrus et ses successeurs jusqu’à Darius Codomanus, remplissent les Livres des Auteurs Grecs. Josèphe dans ce qu’il a écrit contre Apion, en cite un grand nombre sur plusieurs points de l’histoire des Juifs, et nous avons entendu sur le même sujet les témoignages de Strabon et de Trogus. Les Chrétiens n’ont pas le moindre sujet de douter de la divinité des livres du Vieux Testament, puisqu’à peine y en a-t-il un dont il n’y ait quelque passage dans ceux du Nouveau. Et comme Jésus-Christ, qui a censuré en mille choses les Docteurs de la Loi et les Pharisiens de son temps, ne les a jamais accusés d’avoir falsifié les livres de Moïse et des prophètes, ou de n’avoir que des livres supposés ou corrompus ; il est visible que ceux qui se lisaient de son temps étaient les mêmes que ceux que Moïse et les prophètes avaient composés. Mais peut-être ont-ils [les livres de l’Ancien Testament] été corrompus depuis Jésus-Christ dans des endroits importants ? C’est ce qu’on ne saurait prouver, et c’est même ce qui paraît tout à fait incroyable. Les Juifs, dépositaires de ces livres, étaient répandus presque par toute la Terre. On sait que dès le commencement des malheurs de ce peuple, dix de ses tribus furent transportées dans la Médie par les Assyriens ; que quelque temps après les deux autres furent amenées captives en Babylone ; que de ces deux il y eut quantité de personnes qui ne voulurent pas profiter de la liberté que Cyrus donna aux Juifs de retourner dans leur pays, et qui aimèrent mieux s’arrêter dans ces terres étrangères ; que les Macédoniens attirèrent un grand nombre de Juifs à Alexandrie par les grands avantages qu’ils leur y firent trouver ; que la cruauté d’Antiochus, les troubles domestiques causés par les Asmonéens, les Guerres de Pompée et de Sossius, en obligèrent plusieurs à chercher ailleurs des habitations plus tranquilles ; que cette nation remplissait la province de Cyrène, les villes de l’Asie, de la Macédoine, de la Lycaonie, les îles de Chypre, de Crète, et d’autres ; qu’enfin la ville de Rome en était pleine, comme il paraît par ce qu’en ont dit Horace, Juvénal, et Martial. Or peut-on concevoir que les Juifs étant divisés en tant de corps si éloignés les uns des autres, eussent pu se laisser surprendre par des suppositions de livres et par des changements de quelque importance, ou conspirer unanimement à falsifier l’Écriture ? »

 

Et afin qu’on ne prît point tout cela pour un effet du hasard il fallait que cela fût prédit.

 

On lit bien tout cela et non l’avènement (voir la transcription diplomatique).

Pour que l’ensemble des événements de l’histoire ne soit pas pris pour le résultat d’événements produits par le hasard, de conflits de forces inconnues au sein du chaos de l’histoire, qui auraient au bout du compte abouti à la naissance du Christ sans que l’on puisse savoir ni comment ni pourquoi Dieu y a ajouté la prédiction, qui montrait que leur enchaînement avait été ordonné d’avance, conformément à une intention directrice. Le sens du mot hasard n’est pas très éloigné de celui de Naudé, lorsqu’il remplace le destin et la providence par un enchaînement purement naturel des causes, dépourvu d’intention directrice. Mais Pascal ajoute à cette idée qu’il faut que ces prophéties aient connu une notoriété universelle, dans le temps comme dans l’espace.

Allusion à la prophétie des septante semaines de Daniel. Voir la liasse Prophéties.

Prophéties 14 (Laf. 336, Sel. 367). Il faut être hardi pour prédire une même chose en tant de manières. Il fallait que les quatre monarchies, idolâtres ou païennes, la fin du règne de Juda, et les septante semaines arrivassent en même temps, et le tout avant que le second temple fût détruit.

Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Prédictions. Qu’en la quatrième monarchie, avant la destruction du second temple, avant que la domination des Juifs fût ôtée en la soixante-dixième semaine de Daniel, pendant la durée du second temple les païens seraient instruits et amenés à la connaissance du Dieu adoré par les Juifs, que ceux qui l’aiment seraient délivrés de leurs ennemis, remplis de sa crainte et de son amour.

Et il est arrivé qu’en la quatrième monarchie avant la destruction du second temple etc. les païens en foule adorent Dieu et mènent une vie angélique.

Prophéties 18 (Laf. 339, Sel. 371). Les prophètes ayant donné diverses marques qui devaient toutes arriver à l’avènement du Messie il fallait que toutes ces marques arrivassent en même temps. Ainsi il fallait que la quatrième monarchie fût venue lorsque les septante semaines de Danielseraient accomplies et que le sceptre fût alors ôté de Juda. Et tout cela est arrivé sans aucune difficulté et qu’alors il arrivât le Messie et Jésus-Christ est arrivé alors qui s’est dit le Messie et tout cela est encore sans difficulté et cela marque bien la vérité des prophéties.

Prophéties 20 (Laf. 341, Sel. 373). Prophéties. Les septante semaines de Danielsont équivoques pour le terme du commencement à cause des termes de la prophétie. Et pour le terme de la fin à cause des diversités des chronologistes. Mais toute cette différence ne va qu’à deux cents ans.

Voir Preuves de Jésus-Christ 14 (Laf. 311, Sel. 342). C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention de voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années et de le voir toujours misérable, étant nécessaire pour la preuve de J.-C. et qu’il subsiste pour le prouver et qu’il soit misérable, puisqu’ils l’ont crucifié. Et quoiqu’il soit contraire d’être misérable et de subsister il subsiste néanmoins toujours malgré sa misère.

L’exigence d’universalité dans le temps et dans l’espace ne peut être remplie que par un événement massif, qui revêt un caractère miraculeux, étendu à l’échelle du monde et de l’histoire.

Prophéties 15 (Laf. 335, Sel. 368). La plus grande des preuves de Jésus‑Christ sont les prophéties. C’est aussi à quoi Dieu a le plus pourvu, car l’événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l’Église jusques à la fin. Aussi Dieu a suscité des prophètes durant mille six cents ans, et pendant quatre cents ans après il a dispersé toutes ces prophéties avec tous les Juifs qui les portaient dans tous les lieux du monde. Voilà quelle a été la préparation à la naissance de Jésus‑Christ, dont l’Évangile devant être cru de tout le monde il a fallu non seulement qu’il y ait eu des prophéties pour le faire croire, mais que ces prophéties fussent par tout le monde pour le faire embrasser par tout le monde.

 

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Il est bien plus glorieux au Messie qu’ils soient les spectateurs et même les instruments de sa gloire, outre que Dieu les ait réservés.

 

Cette note est nettement séparée de ce qui précède par un trait. Elle conserve par rapport à ce qui précède une certaine indépendance.

La phrase paraît incomplète : Pascal ne dit pas plus glorieux que quoi.

Le peuple est l’instrument de la gloire de Dieu, parce qu’il en a conservé les prophéties. Il est le spectateur de sa gloire, parce que les grands prodiges de Dieu forment l’essentiel de l’ancien Testament. La gloire de Jésus-Christ tient à ce que, malgré l’humilité de sa condition et sa mort sur la croix, c’est un peuple entier qui, en tout temps et en tous lieux, prépare sa venue et témoigne en sa faveur.

Ferreyrolles Gérard, “De la causalité historique chez Pascal”, in Le rayonnement de Port-Royal, p. 330-331. Cas où les actions des hommes se retournent contre les intentions de leurs promoteurs. Comme les païens ont agi sans le vouloir pour la grandeur de l’Évangile, les Juifs ont été pour le Messie des instruments de sa gloire, responsables car agissants autant qu’agis.

La gloire du Christ Messie est évoquée dans le fragment sur les trois ordres, Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339).

Outre que Dieu les ait réservés : le peuple juif a été réservé et mis à part pour conserver les Écritures malgré les persécutions et les calamités publiques.