Preuves par discours I  – Papier original : RO 3-1 r° / v° et RO 7-1 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 30 à 32 p. 201 à 207 v° / C2 : p. 411 à 417 v°

Éditions de Port-Royal :

     Chap. II - Marques de la véritable religion : 1669 et janv. 1670 p. 21 / 1678 n° 6 p. 19

     Chap. VII - Qu’il est plus avantageux de croire que de ne pas croire : 1669 et janv. 1670 p. 53-61 / 1678 n° 1 et 2 p. 55-62

     Chap. IX - Injustice et corruption de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 73-74 / 1678 n° 5 et 6 p. 74-75

     Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 267 et 273-274 / 1678 n° 58 p. 259 et n° 80 p. 266

Éditions savantes : Faugère II, 163, I / Havet X.1, X.1 bis, XXV.38, XXV.91, XXIV.2, XXIV.56, XI.4 ter, XXV.39, XXV.39 bis, XXIV.5, XI.9 bis / Brunschvicg 233, 535, 89, 231, 477, 606, 542, 278, 277, 604 / Tourneur p. 307 / Le Guern 397 / Lafuma 418 à 426 (série II) / Sellier 680 (Discours de la Machine)

______________________________________________________________________________________

 

 

Éclaircissements

 

 

 

Sommaire

 

Bibliographie

Analyse du Discours

1. Généralités.

2. Infini rien. [...] connaître l’existence d’une chose sans connaître sa nature.

3. Parlons maintenant selon les lumières naturelles. [...] l’infini à gagner.

4. Cela est démonstratif, [...] vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n’avez rien donné.

Analyse du texte N’y a-t-il point une vérité substantielle...

Analyse du texte On a bien de l’obligation à ceux qui avertissent des défauts...

Analyse du texte La coutume est la nature. Qui s’accoutume à la foi la croit...

Analyse du texte Croyez‑vous qu’il soit impossible que Dieu soit infini, sans parties ?...

Analyse du texte Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment...

Analyse du texte Il n’y a que la religion chrétienne qui rende l’homme aimable et heureux...

Analyse du texte C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi...

Analyse du texte Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point...

Analyse du texte La seule science qui est contre le sens commun...

 

 

Infini rien.

 

Brunschvicg, GEF XIII, p. 141, présente cette expression comme le titre du fragment. J. Levillain, p 127, le suit. La disposition indique que ce n’est pas un titre. Quand Pascal écrit un titre, il le place au milieu de la ligne et ne le fait pas suivre d’un trait de séparation. On dirait plutôt un des mots-vedettes qu’on emploie dans les recherches documentaires. On en trouve dans les notes pour le Discours sur la possibilité des commandements. Voir le recueil d’excerpta, OC III, éd. J. Mesnard, p. 737 sq.

L’édition Sellier intitule le texte Discours de la machine. Voir plus bas sur la notion de machine.

 

-------

Notre âme est jetée dans le corps où elle trouve nombre, temps, dimensions, elle raisonne là‑dessus et appelle cela nature, nécessité, et ne peut croire autre chose.

 

Brunet Georges, Le pari de Pascal, p. 132. Ce paragraphe se situe dans l’ordre des connaissances naturelles.

Selon Pascal, il semble que l’âme trouve le nombre par sa jonction avec le corps. Ce verbe semble exclure que ces nombres soient une création de l’esprit, comme le dirait Caramuel, Mathesis biceps, Syntagma primum, Arithmetica, Meditatio prooemialis, Num. I, p. XLIV, qui, du fait que « non esse idem quater unum, ac quatuor », pour conclure : « Haec differentia non est in rebus, a mentis operatione independens : ergo pendet a mentis numerantis. Intellectus igitur, non reperit, sed facit numeros, plura ut discreta in seipsis, et ut intentionaliter unita cogitando ». Cela rapproche l’arithmétique de la métaphysique, mais elles diffèrent en ce que la métaphysique ne crée pas ses objets, alors que l’arithmétique, à partir des objets concrets, crée l’unité, le binaire, le ternaire, etc. Il y revient Num. XXX, p. LXVI : « Stat tertio, ante mentis operationem, nec numeros esse, nec arithmeticam : adeoque numeros esse entia ab intellectu fabricata ; et eorumdem numerorum revolutiones a libera hominum volontate pendere ; et has per tot, et non per plures, aut pauciores unitates ad initium redire, quia sic, et non aliter arithmeticae Conformitatori placuit. Sane ante intellectus operationem nullos numeros esse, sub initium probavi ».

Bongo Pietro, Numerorum mysteria ex abditis plurimarum disciplinarum fontibus hausta, Opus maximarum rerum doctrina et copia refertum. In quo mirus imprimis, idemque perpetuus arithmeticae Pythagoricae cum divinae paginae numeris consensus multiplici ratione probatur, Bergame, 1591, p. 1. « Numerus est rationalis fabricae naturale quoddam pullulans. Mente siquidem carentes, uti bruta, non numerant ».

Plus près de nous, Dedekind pensait aussi que le nombre est une création de l’esprit. Voir Dedekind Richard, La création des nombres, Paris, Vrin, 2008, p. 30. L’esprit crée les nombres. L’exigence d’exécuter des opérations inverses, indirectes, de soustraction, de division, conduit à la nécessité de créer de nouvelles classes de nombres. Par création, Dedekind n’entend pas un processus psychologique, mais l’exécution d’une méthode mathématique nouvelle de définition. Dedekind pose construits les nombres relatifs et les fractions à partir des entiers positifs. Il construit les réels à partir des rationnels : on peut créer les irrationnels sans sortir du domaine des nombres. Hilbert appellera génétique ce genre de définition par engendrement de nombres nouveaux : p. 31. Mais la caractérisation de chaque domaine séparé est de type axiomatique. Voir là-dessus Belna Jean-Pierre, La notion de nombre chez Dedekind, Cantor, Frege, p. 88. Les nombres entiers, en tant qu’ils sont obtenus par un acte d’abstraction à partir des ensembles simplement infinis, sont des créations de l’esprit humain. Il en va de même des nombres irrationnels en tant qu’ils sont obtenus à partir de deux classes de rationnels.

Que signifie l’idée que l’âme trouve dans le corps nombre, temps, dimension, qui ne sont pas des réalités matérielles ?

On peut rapprocher cette doctrine de celle de Gassendi, qui développe en plusieurs endroits une forme d’épicurisme, qui veut que les notions viennent dans l’esprit par les sens, et que rien ne se trouve dans l’esprit qui ne passe par eux. Voir Gassendi Pierre, Opera, I, Institutiones logicae, Pars prima, De simplici rerum imaginatione, Canon I, Simplex rei imaginatio talis est, qualis est idea, quae de re habetur, p. 92. Canon II : Omnis quae in mente habetur idea ortum ducit a sensibus. Argument du sourd qui n’a pas l’idée du son. Principe : Nihil in intellectu est, quod prius non fuerit in sensu : p. 92. Canon III : Omnis idea aut per sensum transit, aut ex iis, quae transeunt per sensum, formatur.

Pascal semble, sur ce point, proche de Descartes. Voir Descartes, Principes, I, 13, éd. Alquié, p. 99. Les notions communes composent les démonstrations qui persuadent l’âme « si absolument qu’elle ne saurait douter de leur vérité ». Mais il n’attribue aux notions et aux principes premiers ni la même nature, ni la même origine, ni le même type de certitude que Descartes.

Il existe bien pour Pascal des notions premières dont la simplicité empêche de les définir comme on définit les termes du langage ordinaire. Voir De l’esprit géométrique, I, § 11-19, OC II, éd. J. Mesnard, p. 396-400. La connaissance des notions premières trouve son origine dans le cœur. Voir Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142). Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur, c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison ; cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. » Pascal insiste fortement sur la certitude qui s’attache à ces notions : « la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours [...] Il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir.

L’homme ne peut croire autre chose que ces principes, et les considère comme attachés à la nature. Mais les notions que produit le cœur dépendent de la constitution de l’homme, et sont aussi inculquées par l’habitude et la coutume. Voir plus bas : La coutume est la nature. Qui s’accoutume à la foi la croit, et ne peut plus ne pas craindre l’enfer, et ne croit autre chose. Qui s’accoutume à croire que le roi est terrible, etc. Qui doute donc que notre âme, étant accoutumée à voir nombre, espace, mouvement, croie cela et rien que cela ?

Ne peut croire autre chose : voir le commentaire de Levillain Jean, “Exégèse du fragment…”, p. 127-128, sur la rédaction initiale veut, corrigée en peut.

McKenna Antony, “Les Pensées de Pascal : une ébauche d’apologie sceptique”, in P.-F. Moreau, Le scepticisme au XVIe et au XVIIe siècle, Paris, Albin Michel, 2001, p. 353 sq. Étude de la formule.

A. McKenna est ainsi conduit à insister fortement sur le rôle du corps dans la formation des notions premières et la perception des principes : voir sont étude “Pascal et le cœur”, in Treize études sur Baise Pascal, p. 43-52 ; et Entre Descartes et Gassendi. La première édition des Pensées de Pascal, p. 27 sq.

Nombre, temps, dimension : voir le fragment Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142) qui renvoie aussi à la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombres. Voir aussi De l’esprit géométrique, I, § 11, OC III, éd. J. Mesnard, p. 396 : « C’est ce que la géométrie enseigne parfaitement. Elle ne définit aucune de ces choses, espace, temps, mouvement, nombre, égalité, ni les semblables qui sont en grand nombre, parce que ces termes-là désignent si naturellement les choses qu’ils signifient, à ceux qui entendent la langue, que l’éclaircissement qu’on en voudrait faire apporterait plus d’obscurité que d’instruction. » Le même opuscule De l’Esprit géométrique, § 22-25, OC III, p. 401, emprunte à la Sagesse, XI, 21, un autre groupe de notions. « Ces trois choses, qui comprennent tout l’univers, selon ces paroles : Deus fecit omnia in pondere, in numero, et mensura ont une liaison réciproque et nécessaire. » Voir l’Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 962 sq.

 

-------

L’unité jointe à l’infini ne l’augmente de rien, non plus qu’un pied à une mesure infinie, le fini s’anéantit en présence de l’infini et devient un pur néant.

 

Sur l’infini et la propriété de réflexivité du nombre infini, voir le dossier thématique sur l’infini.

 

Ainsi notre esprit devant Dieu. Ainsi notre justice devant la justice divine.

 

Cette addition est nécessairement antérieure à la rédaction de la suite du développement sur la connaissance que l’homme a de l’infini, puisque les lignes du corps de texte s’arrêtent de manière à lui ménager une place. Cependant elle a été conçue comme une sorte de développement à part, comme en témoigne la manière dont Pascal l’a séparée par des traits successifs. Cette addition témoigne que les réflexions que Pascal a entamées sur l’infini et le fini n’ont pas empêché qu’il note au passage des idées qui ne leur étaient pas directement liées. Elle paraît très suggestive à l’égard de la manière dont Pascal poursuit sa pensée sur des plans et dans des directions différents.

La transition entre les remarques initiales et cette addition repose sur l’application de l’idée de l’infinité à la justice et à la miséricorde de Dieu. Apparemment, ce nouveau développement ne sert de rien pour la suite de l’argumentation. Il implique toutefois que Pascal envisage bien ici le Dieu de l’Écriture, car si, à la rigueur la justice peut être considérée comme un attribut du Dieu des philosophes, la miséricorde en revanche appartient au seul Dieu chrétien.

Il n’est pas surprenant que Pascal ait séparé ces additions du reste, car à prendre les choses à la rigueur, elles paraissent contredire ce qu’il va écrire un peu plus bas, que l’homme ne connaît ni l’existence ni la nature de Dieu. En fait, ces additions se situent dans une perspective religieuse : justice et miséricorde de Dieu font l’objet de la Révélation, et non d’une déduction rationnelle.

 

Il n’y a pas si grande disproportion entre notre justice et celle de Dieu qu’entre l’unité et l’infini.

-------

Il faut que la justice de Dieu soit énorme comme sa miséricorde. Or la justice envers les réprouvés est moins énorme et doit moins choquer que la miséricorde envers les élus.

 

Ces lignes sont en addition marginale, qui implique un changement de perspective.

Dès lors qu’il est question de justice, on n’a plus affaire au Dieu caractérisé uniquement par l’infini et l’absence de borne. La justice de Dieu est sans proportion avec celle de l’homme, mais la justice relève de l’ordre de l’esprit. Cependant, on a affaire ici à un Dieu qui peut encore être celui des déistes, qui est supposé juste. En revanche, avec la notion de miséricorde, on a affaire vraiment au Dieu chrétien. Mais dans la suite immédiate du raisonnement, on n’aura pas besoin de cette idée de miséricorde, qui n’interviendra nulle part dans le raisonnement. On n’aura pas non plus besoin de la notion de justice, qui n’occupe aucune place dans le raisonnement.

Cette addition constitue donc une sorte de parasitage dans le raisonnement. Cela ne compromet pas le raisonnement, parce que les attributs d’infinité, d’absence d’étendue, de justice, etc., sont attribués au Dieu chrétien comme au Dieu des philosophes. Ce sont des caractères nécessaires, quoique non suffisants, pour former la notion du vrai Dieu. Il en résulte que les conclusions négatives tirées sur ces concepts du Dieu des philosophes valent pour le Dieu chrétien. Le Dieu des philosophes est inconnaissable parce qu’il est infini ; a fortiori le Dieu chrétien l’est aussi.

Morot-Sir Édouard, La Raison et la Grâce selon Pascal, P. U. F., Paris, 1996, p. 35-59, l’étude sur « la justice de Dieu selon Pascal », notamment p. 41 sq.

Sur la miséricorde de Dieu, voir le fragment Laf. 774, Sel. 638, Contre ceux qui sur la confiance de la miséricorde de Dieu demeurent dans la nonchalance sans faire de bonnes œuvres.

Voir dans les Écrits sur la grâce, le Traité de la prédestination, 3, § 11-12, OC III, éd. J. Mesnard, p. 794.

« Tous les hommes étant dans cette masse corrompue également dignes de la mort éternelle et de la colère de Dieu, Dieu pouvait avec justice les abandonner tous sans miséricorde à la damnation.

Et néanmoins il plaît à Dieu de choisir, élire et discerner de cette masse également corrompue, et où il ne voyait que de mauvais mérites, un nombre d’hommes de tout sexe, âges, conditions, complexions, de tous les pays, de tous les temps, et enfin de toutes sortes.

Que Dieu a discerné ses élus d’avec les autres par des raisons inconnues aux hommes et aux anges et par une pure miséricorde sans aucun mérite. »

Le caractère mystérieux de la miséricorde de Dieu envers l’homme pécheur est encore souligné dans la Lettre sur la possibilité des commandements, 7, § 12, OC III, éd. J. Mesnard, p. 712 :

« pour le regarder dans toute sa profondeur, vous concevez bien que si Dieu avait voulu damner tous les hommes, il aurait exercé sa justice, mais sans mystère. S’il avait voulu sauver effectivement tous les hommes, il aurait exercé sa miséricorde, mais sans mystère. Et en ce qu’il a voulu en sauver les uns, et non pas les autres, il a exercé sa miséricorde et sa justice ; et en cela il n’y a point encore de mystère. Mais en ce que, tous étant également coupables, il a voulu sauver ceux-ci et non pas ceux-là, c’est en cela proprement qu’est la grandeur du mystère. Et partant, si le mystère est grand en ce que de deux également coupables, il sauve celui-ci, et non pas celui-là, sans aucune vue de leurs œuvres, certainement saint Augustin a raison de dire que le mystère est encore plus étonnant pourquoi de deux justes il donne la persévérance à l’un et non pas à l’autre. »

Voir la note 1 de GEF XIII, p. 143, sur la miséricorde divine, à laquelle on ne peut assigner de cause.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 268 sq. La miséricorde de Dieu et le discernement. Dieu discerne dans la masse ceux qu’il veut sauver : p. 269.

Voir le commentaire de Sacy au chapitre III de la Genèse.

« Il est aisé de comprendre, selon que saint Augustin le marque en divers endroits, que la bonté de Dieu, sa justice, sa sagesse et sa puissance éclatent tout autrement après le péché, que si toutes ses créatures étaient demeurées dans le premier ordre. Premièrement, La bonté de Dieu a paru jusques dans son comble, et presque jusques dans un excès incompréhensible à l’esprit humain, lorsque le Verbe de Dieu, sans craindre de faire injure à sa propre grandeur, a rabaissé sa divinité jusqu’à se faire homme, et jusqu’à mourir d’une mort cruelle et honteuse pour sauver les hommes. Et cette bonté de Jésus-Christ a paru d’autant plus grande, qu’elle s’est trouvée jointe à un souverain pouvoir, puisqu’étant Dieu comme il était, il n’a souffert que lorsqu’il lui a plu, et en la manière qu’il lui a plu : avec des circonstances qui ont fait voir clairement, comme il a été dit ailleurs, qu’il est mort par la même puissance par laquelle il s’est ressuscité après sa mort. Ainsi quoiqu’il soit vrai que Dieu étant l’Être souverain, ne peut rien ajouter à sa grandeur qui est infinie, on peut dire néanmoins que lorsqu’il s’est abaissé si profondément pour sauver les hommes, il s’est relevé en quelque sorte au-dessus de lui-même, parce que sa puissance étant demeurée la même, sa bonté a paru ensuite sans comparaison plus grande. »

Sur la miséricorde de Dieu, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, p. 186 sq., qui souligne l’unité éminente de la miséricorde et de la justice : p. 186.

Une note de l’édition de la Pochothèque, p. 1208, relève une contradiction apparente dans ce passage : notre justice finie est d’abord présentée comme un néant devant l’infinie justice de Dieu, mais Pascal écrit qu’il n’y a pas si grande disproportion entre notre justice et celle de Dieu qu’entre l’unité et l’infini.

En fait, Pascal entend que, quoique la justice de Dieu soit sans proportion avec celle de l’homme, elle n’est cependant pas absolue dans la mesure où elle paraît compréhensible, après que l’homme a rompu par le péché les conditions dans lesquelles Adam recevait une grâce suffisante pour ne pas pécher, de sorte que, comme l’indique Pascal dans le Traité de la prédestination, loc. cit., « Dieu pouvait avec justice les abandonner tous sans miséricorde à la damnation ». En revanche, la miséricorde par laquelle Dieu accorde la grâce efficace aux justes et en général le discernement des élus, sont vraiment incompréhensibles à l’homme. Voir le commentaire de J. Mesnard dans OC III, p. 610 sq.

Pascal ne dit pas que la miséricorde de Dieu ou sa justice sont infinies. Énorme signifie d’une taille qui excède tout ce qui est d’une mesure pour ainsi dire normée, prodigieux, excessif.

Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 237. À la page 239-240, Droz greffe ce passage sur le caractère incroyable de la transmission du péché originel, comme si c’était un même texte ; la note de la p. 240 indique pourtant que ce sont deux fragments différents (dans l’édition Havet).

 

-------

Nous connaissons qu’il y a un infini et ignorons sa nature, comme nous savons qu’il est faux que les nombres soient finis, donc il est vrai qu’il y a un infini en nombre, mais nous ne savons ce qu’il est.

 

Voir le dossier thématique sur l’infini.

Pascal distingue ici la connaissance de l’existence et la compréhension de l’essence (ou de la nature) de l’infini. Cette proposition est générale, par opposition à la suivante, qui traite spécialement du nombre et de l’infini en nombre.

Qu’il y a un infini correspond à la question de l’existence (an sit). Nous ignorons sa nature correspond à la question de l’essence (quid sit).

Pascal pense que les deux questions, qui sont liées dans le fini, cessent de l’être dès lors qu’il s’agit de l’infini.

Quel est le sens du mot comme ? Faut-il l’interpréter au sens d’une analogie ? On peut entendre nous savons qu’il y a un infini au même titre, ou de la même façon que nous savons qu’il est faux que les nombres soient finis… Il faut sans doute entendre comme au sens de puisque, ou étant admis que : comme nous savons qu’il est faux que les nombres soient finis, nous connaissons qu’il y a un infini et ignorons sa nature. La suite va de soi, comme conséquences synthétique de ce qui précède : donc il est vrai qu’il y a un infini en nombre, mais nous ne savons ce qu’il est. L’ensemble du raisonnement peut donc être restitué comme suit :

1. nous savons qu’il est faux que les nombres soient finis ;

2. donc nous connaissons qu’il y a un infini ;

3. mais nous ignorons sa nature ;

4. donc il est vrai qu’il y a un infini en nombre, mais nous ne savons ce qu’il est.

Ce raisonnement répond exactement à ce que l’on peut attendre d’un raisonnement de type apagogique : comme le disent Arnauld Antoine et Nicole Pierre, Logique, IV, IX, éd. Descotes, p  569, Troisième défaut. Démonstrations par l’impossible : les démonstrations par l’impossible peuvent convaincre l’esprit, mais elles ne l’éclairent pas : elle ne disent pas pourquoi la chose est, mais seulement qu’elle est. Le raisonnement par l’absurde ou l’impossible démontre invinciblement un fait, il établit une existence, mais il ne renseigne pas sur la cause ni sur la nature de ce dont l’existence est démontrée. Et comme le précise la Logique, une telle démonstration par l’absurde ne prouve guère que des propositions négatives, ce qui est bien le cas ici.

Sur la clause nous savons qu’il est faux que les nombres soient finis et les axiomes ajoutés à Euclide VII, à titre de postulats, comme qu’on peut prendre un nombre plus grand que tout nombre donné, et que la suite des nombres peut se poursuivre à l’infini, voir le dossier thématique sur l’infini.

 

Il est faux qu’il soit pair, il est faux qu’il soit impair, car en ajoutant l’unité il ne change point de nature. Cependant c’est un nombre, et tout nombre est pair ou impair. Il est vrai que cela s’entend de tout nombre fini.

 

Euclide, Éléments, VII, éd. Henrion, Définition 6, p. 247 sq. « 6. Nombre pair est celui qui peut être divisé en deux également. Comme tous ces nombres, 2, 4, 8, 20, 50, sont appelés nombres pairs, pource que chacun d’iceux peut être divisé en deux également, c’est-à-dire en deux parties égales, car leurs moitiés sont 1, 2, 4, 10, 25 etc. 7. Mais l’impair est celui qui ne peut être divisé en deux également : ou bien celui qui est différent du nombre pair de l’unité. Comme tous ces nombres-ci, 3, 5, 7, 9, 11, 13, 51, sont nommés impairs, pource qu’ils ne peuvent être divisés en deux également. Ou bien d’autant qu’ils sont différents de l’unité des nombres pairs, 2, 4, 6, 8, 10, 12, 50. etc. »

Les propriétés que Pascal attribue au nombre infini sont différentes de celles du nombre fini, et purement négatives. Il reprend ici une idée d’Aristote : voir Aristote, Métaphysique, M, 8, éd. Tricot, II, p. 769 sq. : « le nombre, en tant qu’infini, n’est ni pair, ni impair, alors que la génération des nombres est toujours celle, soit d’un nombre pair, soit d’un nombre impair ». Mais la manière dont il énonce cette conséquence est originale. Pascal invoque ici la propriété qui sera par la suite désignée sous le nom de réflexivité des nombres infinis, c’est-à-dire l’indifférence de l’infini à l’addition ou à la soustraction d’une grandeur finie (voir sur ce point le dossier thématique  sur l’infini). Il ne définit pas le nombre infini en disant qu’il est très grand, ni comme ce qui est plus grand que toute grandeur ou tout nombre donné, mais par son indifférence à l’addition ou au retranchement de ce qui est fini. Cette définition distingue nettement le nombre infini en question de tout nombre infiniment grand, car l’infini virtuel change si l’on lui ajoute une grandeur finie.

Cantor voudra montrer en plus que le nombre infini est à la fois pair et impair. Voir Belna Jean-Pierre, La notion de nombre chez Dedekind, Cantor, Frege, p. 113 et 188 : Cantor considère que les contradictions liées à l’infini naissent de l’extension incontrôlée de propriétés des nombres finis aux nombres infinis ; il dit que ω, le plus petit ordinal transfini, est à la fois pair et impair, ce qui en fait un nombre très spécial en comparaison des nombres usuels. Voir aussi sur ce point Gardies Jean-Louis, Pascal entre Eudoxe et Cantor, p. 123-124. Voir le dossier thématique sur l’infini.

 

Ainsi on peut bien connaître qu’il y a un Dieu sans savoir ce qu’il est.

 

L’idée de cette addition sera reprise dans la suite du texte en ces termes : J’ai déjà montré qu’on peut bien connaître l’existence d’une chose sans connaître sa nature.

Les scolastiques pensent qu’il est possible et nécessaire de connaître l’existence d’une chose avant de connaître sa nature.

Gilson Étienne. Le thomisme. Introduction à la philosophie de saint Thomas d’Aquin, 6e éd., Paris, Vrin, 1997, p. 103. Méthode de saint Thomas à l’égard de la connaissance de Dieu : sachant qu’une chose est, il reste à se demander de quelle manière elle est, afin de savoir ce qu’elle est. Du reste, nous ne savons pas ce que Dieu est, mais seulement ce qu’il n’est pas. La seule manière acceptable d’en circonscrire la nature est pour nous d’écarter successivement de sa notion toutes les manières d’exister qui ne peuvent être la sienne : p. 103. Voir p. 99 : savoir ce qu’est l’être divin, c’est accepter de l’ignorer.

Gueroult Martial, Descartes selon l’ordre des raisons, I, Paris, Aubier, 1968, p. 124-125 et n. 2. Descartes s’oppose à la thèse scolastique qu’il faut connaître l’existence d’une chose pour connaître la nature de la chose. Voir p. 79 : dans l’ordre de la connaissance rationnelle, je peux savoir que la chose est sans comprendre ce qu’elle est, selon les scolastiques. Il pense au contraire que je ne peux savoir qu’elle est sans comprendre que c’est bien elle, et savoir d’abord ce qu’elle est. Application au cogito : p. 126. Application à Dieu : p. 182. Ce n’est qu’en apparence qu’on part de l’existence de Dieu ; c’est la connaissance de la nature de Dieu (perfection de la réalité objective de l’idée) qui conduit à la certitude que l’objet existe. Voir Principes, I, 18, éd. Alquié, III, p. 102.

Pascal semble tenir dans ce texte pour une position différente de Descartes ; voir Brunet, Le pari de Pascal, p. 62. Il note qu’on peut connaître qu’il y a un Dieu, mais par la foi ; et ce qu’il est, mais par la gloire. Rien ne reste à la connaissance naturelle. Les deux énoncés sont des additions : dans le premier jet, Pascal écrit qu’on connaît l’existence de l’infini sans connaître sa nature, mais qu’on ne sait rien de Dieu.

Pascal semblerait ici plus proche de ce qu’écrit Gassendi Pierre, Disquisitio, éd. Rochot, p. 184, qui refuse que la connaissance de l’existence ne se démontre pas sans la connaissance de l’essence. L’existence se prouve par simple présentation ; mais l’essence a besoin d’un examen intérieur parfait, et n’est pas reconnaissable si on n’en connaît pas tous les replis : p. 184.

Cependant cette position paraît incompatible avec ce qu’il écrit lui-même dans sa correspondance avec le P. Noël et Le Pailleur sur la définition : la définition dit ce qu’on entend par un mot, mais elle n’assure pas de l’existence de la chose définie. Suivant le modèle euclidien,

C’est l’idée de Pascal dans sa théorie de la définition telle qu’il l’expose dans la Lettre à Le Pailleur, OC II, éd. J. Mesnard, p. 562-563, on définit d’abord, on prouve l’existence ensuite : « l’on doit toujours définir les choses avant que de chercher si elles sont possibles ou non, et [...] les degrés qui nous mènent à la connaissance des vérités sont la définition, l’axiome et la preuve ; car d’abord nous concevons l’idée d’une chose ; ensuite nous donnons un nom à cette chose, c’est-à-dire que nous la définissons ; enfin nous cherchons si cette chose est véritable ou fausse. [...] Ainsi Euclide définit d’abord les parallèles, et montre après qu’il y en peut avoir ; et la définition du cercle précède le postulat qui en propose la possibilité ».

Cependant ces principes, qui sont valables dans la mathématique, trouvent leur limite dans le cas de l’infini d’une part, et de Dieu d’autre part, dont la définition est purement négative : la nature de l’infini étant incompréhensible, il n’est pas possible que la connaissance de sa nature précède celle de son existence. La question de savoir comment cette existence est connue sans que la nature le soit est résolue par le fait qu’elle se résout par un raisonnement apagogique, à partir du fini.

Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique, IV, éd. Descotes, 1, p. 511 sq. Choses qui sont incompréhensibles dans leur manière, mais qui sont certaines dans leur existence. Exemple de l’éternité.

Ce principe est ici nécessaire à Pascal, pour montrer, comme il le fera plus tard, que les chrétiens ne sont pas incohérents lorsqu’ils affirment une foi qui ne leur révèle pas la nature de Dieu, mais seulement son existence.

 

-------

Nous connaissons donc l’existence et la nature du fini parce que nous sommes finis et étendus comme lui.

Nous connaissons l’existence de l’infini, et ignorons sa nature, parce qu’il a étendue comme nous, mais non pas des bornes comme nous.

Mais nous ne connaissons ni l’existence ni la nature de Dieu, parce qu’il n’a ni étendue, ni bornes.

 

Le postulat de la mise au point qui suit, c’est que du connaissant au connu, il doit y avoir proportion. Voir Mersenne Marin, La vérité des sciences, II, p. 354, éd. D. Descotes, Champion, qui cite le principe scolastique « Tout ce qui est reçu dans quelque sujet, est reçu selon la proportion du sujet, suivant cet axiome, quidquid recipitur, ad modum recipientis recipitur ». C’est une maxime scolastique : voir Gilson Étienne, Le thomisme, p. 267. Quod recipitur in aliquo recipitur in eo secundum modum recipientis. Voir aussi p. 287. Dès lors que l’acte de connaissance est entièrement immanent à la pensée, il faudra que l’objet s’accommode de la manière d’être de la pensée, pour que cette pensée même puisse le devenir. L’objet prend en elle un être du même ordre que le sien. Pour que l’arbre soit dans la pensée en tant que connu, il doit y être sans sa matière, par sa forme seule, c’est-à-dire selon un mode d’être spirituel. Ce mode d’existence qu’ont les choses dans la pensée qui les assimile est ce qu’on appelle un être intentionnel : p. 287. Ce que l’expérience fournit, c’est un objet particulier, forme et matière ; ce que le sens, puis l’intellect en reçoivent, c’est de la forme de plus en plus délestée de toute marque matérielle, c’est-à-dire son intelligibilité : p. 287. De plus, l’acte de connaissance se libère de l’objet plus nettement encore en produisant le verbe intérieur, ou concept (ce que l’intellect conçoit en soi-même et exprime par un mot).

Thomas d’Aquin, Somme théologique, III, LIV, art. III, t. VI, p. 965.

La Mothe Le Vayer, Discours sceptique de la musique, cité in Mersenne Marin, Questions harmoniques, Q. 2, éd. Pessel, Fayard, p. 154.

L’homme ne peut connaître que ce qui lui est proportionné, ce qui explique que l’infini lui échappe. Voir Saint Thomas, Somme théologique, Dieu, II, p. 10 : « cognoscentis ad cognitum oportet esse aliquam proportionel, cum cognitum est perfectio cognoscentis. Sed nulla est proportio intellectus cerati ad Deum, quia in infinitum distant. Ergo intellectus creatus non potest videre essentiam Dei ». Voir le Ad quartum, p. 13, pour les réserves à faire sur ce principe.

Saint Augustin, Cité de Dieu, XXII, Œuvres, 37, p. 853, n. 66. Dernier état de la pensée de saint Augustin sur la vision de Dieu. En 408, il disait : « nous verrons Dieu d’autant plus que nous serons semblables à lui, comme nous le voyons d’autant moins ici-bas que nous sommes éloignés de cette divine ressemblance. Ce sera donc par ce que nous aurons de semblable à lui que nous le verrons ». Donc pas par le corps : c’est la règle d’analogie et de proportion.

 

-------

Mais par la foi nous connaissons son existence. Par la gloire nous connaîtrons sa nature.

Or j’ai déjà montré qu’on peut bien connaître l’existence d’une chose sans connaître sa nature.

 

Laf. 809, Sel. 656. Incompréhensible que Dieu soit et incompréhensible qu’il ne soit pas, que l’âme soit avec le corps, que nous n’ayons point d’âme, que le monde soit créé, qu’il ne soit pas, etc., que le péché originel soit et qu’il ne soit pas.

Busson Henri, La pensée religieuse..., p. 50. La formule Dieu est incompréhensible revient constamment chez les apologistes.

Pascal s’oppose visiblement, sur l’existence de Dieu par la raison naturelle, à Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, ch. 3, éd. Michon, p. 143. Certaines vérités sur Dieu dépassent la raison humaine ; d’autres peuvent être atteintes par la raison naturelle : que Dieu est, qu’il est un, etc.

Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, Q. 1-11, éd. Sertillanges, Dieu, p. 7-78, Question 12, De quelle manière nous connaissons Dieu. Un intellect créé peut-il voir l’essence divine ?, p. 9 sq.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, p. 100. Dieu peut être connu par les lumières naturelles de la raison. Saint Paul reprochant aux païens une connaissance insuffisante de Dieu dont ils sont eux-mêmes responsables : p. 101. Opinion de saint Thomas : p. 102. Caractères de la connaissance naturelle de Dieu : p. 107 sq.

Pascal s’opposerait aussi à Descartes : voir Chevalley Catherine, Pascal. Contingence et probabilité, p. 44-45. Opposition de cette idée à Descartes : p. 45. Voir p. 100 sur ce passage.

Descartes, Principes, I, 14, éd. Alquié, III, p. 99. On ne peut comprendre la nature de Dieu ; lettre à Mersenne, éd. Alquié, I, p. 267 et Principes, I, 19, III, p. 103. Mais on peut connaître les attributs de Dieu : Principes, I, 22, in III, p. 104-105. Voir Gueroult Martial, Descartes, I, p. 75 et 195.

Russier Jeanne, La foi selon Pascal, I, p. 76 sq. Analyse et résolution des contradictions apparentes de ce passage ; voir surtout p. 78, sur la distinction entre raison et foi.

Quel Dieu prouve le pari ? Il semble que, tant qu’il est question de l’infinité, il soit toujours question du Dieu des philosophes. L’infinité, l’absence d’étendue et de borne sont des caractères qui ne sont pas spécifiques du Dieu chrétien. Par conséquent, on se trouve toujours dans l’ordre du raisonnement naturel, fondé sur des concepts qui relèvent de la philosophie. C’est par la raison naturelle qu’est exclue de la connaissance non seulement l’existence, mais la nature de Dieu. Mais à partir du moment où il est question de la foi et de la gloire, il s’agit évidemment du Dieu des Écritures, des Évangiles et de la Bible.

Voir Shiokawa Tetsuya, “Le pari. De l’apologétique à la spiritualité”, in Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, p. 153-166. Le Dieu d’Abraham ou le Dieu des philosophes ?

Orcibal Jean, “Le fragment Infini rien et ses sources”, in Blaise Pascal. L’homme et l’œuvre, p. 159-195. Voir p. 164 sq. Contre les commentateurs qui estiment que Pascal ne refuse pas à la raison de prouver l’existence de Dieu, notamment le P. Julien-Eymard d’Angers, qui pense que Pascal interdit seulement à la raison de prouver Dieu à partir de son essence (argument ontologique), mais non à partir des créatures (preuves a posteriori). En fait, la seule connaissance de l’existence de Dieu que Pascal admet est celle qui vient de la foi : p. 165.

 

La gloire

 

Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 298 sq. Par gloire, Pascal entend l’état et la vision béatifique dont les élus, contemplant la face de Dieu dans le ciel, jouissent avec un bonheur éternel et parfait. Havet avait déjà précisé ce sens dans son édition des Pensées, I, Delagrave, 1866, p. 149.

Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 278 sq. Le sens du mot, quand il s’agit de la gloire de dieu, est différent de celui d’opinion flatteuse ou d’honneur. Le terme vient du mot hébreu kavôd, qui signifie poids. La manifestation de la puissance divine avant l’écrasement des Égyptiens dans la mer Rouge est précédée de la formule « Vous verrez la gloire du Seigneur ». Dans le Nouveau Testament, gloire signifie l’irradiation de la puissance et de la sainteté de Dieu. La gloire divine apparaît comme une communication de ce qui fait la transcendance absolue de Dieu. On parle de la glorification des élus pour parler de l’état de communication qu’ils auront en paradis avec la personne de Dieu.

Fries H. (dir.), Encyclopédie de la foi, art. Gloire, t. II, Paris, Cerf, 1967, p. 167 sq. Le thème de la gloire de Dieu remonte à l’Ancien Testament. Le mot hébreu évoque quelque chose de pesant, de grave, qui s’impose à l’homme. La gloire est inséparable de la sainteté, chose étrangère sans équivalent dans l’expérience humaine. Il est essentiel à la gloire d’appartenir à Dieu : elle exprime que Dieu est caché dans sa transcendance et présent par sa révélation. L’expression gloire de Dieu a pris le sens technique de manifestation extérieure de la sainteté de Yahvé. La notion de la gloire de Dieu enferme un caractère lumineux et la plénitude de la puissance : p. 168. Parmi les prophètes, c’est surtout Ézéchiel que se fait son chantre. D’autres mettent l’accent sur la sainteté. Le second Isaïe, XLV, 15, maintient l’équilibre dans l’idée du Dieu caché. La gloire vient appuyer l’annonce de la Parole : p. 169. La gloire dans le Nouveau Testament : p. 170 sq. Jésus-Christ devient le porteur de la gloire. Théologie de la gloire de saint Jean : p. 170. Gloire au sens eschatologique : lors de la parousie, le Seigneur apparaîtra avec gloire et puissance, entouré de ses anges, pour s’asseoir sur son trône de gloire : p. 170-171.

Cet état de gloire rétablit la proportion qui manquait entre la raison humaine et la connaissance de Dieu. Voir saint Augustin, Cité de Dieu, XXII, Œuvres, 37, p. 853, n. 66. La vision de Dieu. Dernier état de la pensée de saint Augustin sur ce point. En 408, il disait : « nous verrons Dieu d’autant plus que nous serons semblables à lui, comme nous le voyons d’autant moins ici-bas que nous sommes éloignés de cette divine ressemblance. Ce sera donc par ce que nous aurons de semblable à lui que nous le verrons ». Donc pas par le corps : c’est la règle d’analogie et de proportion.

Il ne faut pas confondre ce sens du mot gloire avec celui de la fin du texte, où Pascal écrit que la soumission enlève l’homme à la gloire et aux plaisirs empestés ; gloire a alors le sens d’amour propre.