Preuves par discours I – Papier original : RO 3-1 r° / v° et RO 7-1 r° / v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 30 à 32 p. 201 à 207 v° / C2 : p. 411 à 417 v°
Éditions de Port-Royal :
Chap. II - Marques de la véritable religion : 1669 et janv. 1670 p. 21 / 1678 n° 6 p. 19
Chap. VII - Qu’il est plus avantageux de croire que de ne pas croire : 1669 et janv. 1670 p. 53-61 / 1678 n° 1 et 2 p. 55-62
Chap. IX - Injustice et corruption de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 73-74 / 1678 n° 5 et 6 p. 74-75
Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 267 et 273-274 / 1678 n° 58 p. 259 et n° 80 p. 266
Éditions savantes : Faugère II, 163, I / Havet X.1, X.1 bis, XXV.38, XXV.91, XXIV.2, XXIV.56, XI.4 ter, XXV.39, XXV.39 bis, XXIV.5, XI.9 bis / Brunschvicg 233, 535, 89, 231, 477, 606, 542, 278, 277, 604 / Tourneur p. 307 / Le Guern 397 / Lafuma 418 à 426 (série II) / Sellier 680 (Discours de la Machine)
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✧ Éclaircissements
Sommaire
Analyse du Discours 2. Infini rien. [...] connaître l’existence d’une chose sans connaître sa nature. 3. Parlons maintenant selon les lumières naturelles. [...] l’infini à gagner. 4. Cela est démonstratif, [...] vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n’avez rien donné. Analyse du texte N’y a-t-il point une vérité substantielle... Analyse du texte On a bien de l’obligation à ceux qui avertissent des défauts... Analyse du texte La coutume est la nature. Qui s’accoutume à la foi la croit... Analyse du texte Croyez‑vous qu’il soit impossible que Dieu soit infini, sans parties ?... Analyse du texte Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment... Analyse du texte Il n’y a que la religion chrétienne qui rende l’homme aimable et heureux... Analyse du texte C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi... Analyse du texte Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point... Analyse du texte La seule science qui est contre le sens commun...
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Cela est démonstratif, et si les hommes sont capables de quelque vérité celle‑là l’est.
– Je le confesse, je l’avoue, mais encore... N’y a‑t‑il point moyen de voir le dessous du jeu ? Oui, l’Écriture et le reste, etc.
Alors que depuis le début, on a supposé que l’ignorance de l’homme à l’égard de la religion est totale, Pascal suggère ici qu’il existe des « marques » de Dieu qu’il faut savoir reconnaître.
– Oui, mais j’ai les mains liées et la bouche muette. On me force à parier, et je ne suis pas en liberté, on ne me relâche pas. Et je suis fait d’une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse ?
Fondement 21 (Laf. 244, Sel. 277). Objection des athées. Mais nous n’avons nulle lumière.
Sur la résistance au pari : pourquoi l’argument du pari ne doit-il pas porter ? Voir Shiokawa Tetsuya, “Le pari. De l’apologétique à la spiritualité”, in Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012, p. 162 sq.
Malgré son caractère quelque peu comique, cette protestation a quelque chose de beaucoup plus sérieux qu’il ne semble, à cause de l’aveu final : je suis fait de telle sorte que je ne puis croire, expression de la plus stricte vérité. La croyance en Dieu n’est pas une affaire de volonté, nul ne peut se la donner librement. On a beau voir clairement par la raison qu’il faut parier pour Dieu, la raison ne règle pas le cœur, et la croyance ne se donne pas par l’argumentation. En fait l’impuissance à croire est une pénible réalité, et d’autant plus que le chrétien sait qu’il y a là beaucoup plus qu’une incapacité accidentelle : à celui qui ne peut croire, c’est tout simplement que la grâce manque. Les Écrits sur la grâce, OC III, éd. J. Mesnard, p. 695, le disent en un tout autre style : « c’est un principe ferme dans saint Augustin que non seulement les grandes actions sont des dons de Dieu, [...] mais que la prière même et la foi, qui sont des moindres choses par lesquelles on adhère à Dieu [...] sont aussi des dons de la grâce, des effets et des ouvrages de la grâce et qu’elles ne se trouvent en personne que par l’opération expresse de la grâce ». Loin de se moquer, l’apologiste peut donc tout au plus espérer que ses faibles raisons ouvriront la voie à la grâce.
Boullier, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. Voltaire, § V, p.38 sq. Reformulation de l’objection de Voltaire, sous une forme plus raisonnable. Voltaire aurait dû écrire : « si je ne puis rien du tout par moi-même, pourquoi me reprochez-vous mon incrédulité ? Pourquoi m’exhortez-vous à sortir d’un tel état ? Car que peuvent les raisons sur un homme qui ne peut rien, et qui selon vous est prédestiné à mourir incrédule, ou à ne cesser de l’être que par une conversion dont on ne saurait ni hâter ni reculer le moment. »
Icard Simon, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, Champion, 2010, p. 414. Dans le sermon 84 sur le Cantique des cantiques, § 3, saint Bernard dépeint une âme qui veut revenir à Dieu mais qui ne le peut pas.
Il est vrai. Mais apprenez au moins que votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte et que néanmoins vous ne le pouvez, vient de vos passions. Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l’augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions.
Laf. 816, Sel. 659. J’aurais bientôt quitté les plaisirs, disent-ils, si j’avais la foi. Et moi je vous dis : vous auriez bientôt la foi si vous aviez quitté les plaisirs. Or c’est à vous à commencer. Si je pouvais je vous donnerais la foi. Je ne puis le faire ni partant éprouver la vérité de ce que vous dites, mais vous pouvez bien quitter les plaisirs et éprouver si ce que je dis est vrai.
Commencement 8 (Laf. 158, Sel. 190) : Par les partis vous devez vous mettre en peine de rechercher la vérité, car si vous mourez sans adorer le vrai principe vous êtes perdu. Mais, dites-vous, s’il avait voulu que je l’adorasse il m’aurait laissé des signes de sa volonté. Aussi a-t-il fait, mais vous les négligez. Cherchez-les donc, cela le vaut bien.
Miel Jan, Pascal and theology, p. 163. ✍
Vous voulez aller à la foi et vous n’en savez pas le chemin. Vous voulez vous guérir de l’infidélité et vous en demandez les remèdes. Apprenez de ceux qui ont été liés comme vous et qui parient maintenant tout leur bien, ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre et guéris d’un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé. C’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc.
« C’est Pascal qui parle », affirme L. Goldmann. Peut-être, mais il ne parle pas de lui-même. Il n’a jamais été pris par l’impuissance de croire au sens de l’argument du pari (savoir l’athéisme). Il fait en réalité allusion ici à d’anciens incroyants qui, ayant suivi la voie de l’abêtissement, sont arrivés à bon port. Voir ce qu’en dit Kolakowski Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, p. 221 sq.
De même par la suite, lorsque l’apologiste déclare : si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu’il est fait par un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après, pour prier cet être infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre pour votre bien et pour sa gloire, il ne parle nulle part du pari : que l’apologiste se soit mis à genoux et ait prié pour son prochain ne signifie pas qu’il ait eu à parier, bien au contraire.
Pensée n° 24Aa (Laf. 944, Sel. 767). Il faut que l’extérieur soit joint à l’intérieur pour obtenir de Dieu ; c’est-à-dire que l’on se mette à genoux, prie des lèvres, etc., afin que l’homme orgueilleux qui n’a voulu se soumettre à Dieu soit maintenant soumis à la créature. Attendre de cet extérieur le secours est être superstitieux ; ne vouloir pas le joindre à l’intérieur est être superbe.
Laplace Pierre Simon, Essais philosophique sur les probabilités, 5 éd., éd. Thom-Bru, p. 185. ✍
Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira.
Texte de l’édition de Port-Royal, p. 60 : « Suivez la manière par où ils ont commencé ; imitez leurs actions extérieures, si vous ne pouvez encore entrer dan leurs dispositions intérieures ; quittez ces vains amusements qui vous occupent tout entier. » Port-Royal supprime toute allusion aux messes et aux rites concrets.
Jungo Michel, Le vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une apologie, Paris, D’Artrey, sd., p. 46 sq. Abêtir se trouve dès le XVe siècle ; on le trouve chez Calvin, Montaigne, Amyot et Ronsard au XVIe siècle. Il devient rare au XVIIe siècle. C’est donc plutôt un mot vieilli que nouveau. Le mot a surpris, au point que B. J. Gaillard, “Une nouvelle leçon d’un mot célèbre de Pascal”, Annales de l’université de Grenoble, sect. Lettres-Droit, XXI, 13, pense qu’il faut lire alestir. Mais alestir ne se trouve que dans les lexiques datés de 1781-1832. Abêtir se trouve dans Montaigne, notamment dans l’Apologie de Raymond Sebond, « Il nous faut abêtir pour nous assagir » : p. 48.
Voir dans Francis Raymond, Les Pensées de Pascal en France de 1842 à 1942, Essai d’étude historique et critique, Paris, Nizet, 1959, p. 463-468, une série de citations d’auteurs résumant leur interprétation du terme s’abêtir.
La formule a étonné, voire scandalisé : voir Cousin Victor, Œuvres, IVe série, Littérature, Blaise Pascal, p. 29. « Nous avons le premier découvert et publié ce morceau accablant, résumé fidèle du livre entier des Pensées. Dès qu’il parut, il troubla un moment les plus hardis partisans de Pascal ; puis on s’est mis à le tordre et à le subtiliser de tant de manières qu’on a fini par y découvrir le plus beau sens du monde. Il n’en a, il ne peut en avoir qu’un seul : il faut renoncer à la raison ; il faut, suivant un précepte de Pascal, qui est très clair maintenant, se faire machine, recourir en nous, non pas à l’esprit, mais à la machine, pour arriver à croire en Dieu petit à petit, et par la pente insensible de l’habitude ». Référence à Montaigne, Essais, livre II, ch. 12 : « pour nous assagir, il nous faut abêtir ». Voir p. 187.
Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal considéré dans le livre des Pensées, p. 65. Justification de ce terme : p. 68. Cette bêtise affecte la volonté et non l’esprit : p. 69. Elle consister à agir automatiquement et comme par ressorts : p. 69. Elle laisse la capacité de raisonner intacte.
L’étude de Gilson Étienne, “Le sens du mot “abêtir” chez Pascal”, Les idées et les lettres, Vrin, Paris, 1932, p. 263-274, a montré que le verbe abêtir renvoie à l’idée de la machine, c’est-à-dire aux automatismes de l’habitude, de la coutume, qui permettent de faciliter l’acquisition des pensées et des vérités.
Belin Christian, La conversation intérieure, La méditation en France au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2002, p. 231. Utilité de l’habitude, de l’automatisme et de la répétition dans la vie spirituelle : l’homme est trop faible pour se passer de la force persuasive des répétitions. Le dialogue spirituel se passe de soi à soi, et non par l’oralité ; il faut user de répétition dans ce colloque. Bien régler chez Pascal signifie bien penser, et non obéir à des recettes : p. 232. La discipline de la répétition s’impose parce que la réitération stimule l’élan du cœur et relance le mouvement d’adhésion : p. 232.
Le conseil que donne l’apologiste de s’abêtir, de prendre de l’eau bénite et de faire dire des messes constitue bien une difficulté, mais d’ordre pratique et non plus théorique, à laquelle Pascal propose un remède tout pratique.
Laf. 821, Sel. 661. Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’ils suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus. La raison agit avec lenteur et avec tant de vues sur tant de principes, lesquels il faut qu’ils soient toujours présents, qu’à toute heure elle s’assoupit ou s’égare manque d’avoir tous ses principes présents. Le sentiment n’agit pas ainsi ; il agit en un instant et toujours est prêt à agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante.
Desgrippes G., Études sur Pascal. De l’automatisme à la foi. La tradition cartésienne de la machine : p. V. Idée centrale dans les Pensées pour l’art de persuader : « Pascal demande à la coutume, aux habitudes, aux tendances qui sont l’outil de la corruption où vit la nature déchue, de devenir l’instrument de sa libération » : p. VI. Le problème psychologique de la croyance par habitude qui agit sans violence, de manière subreptice : p. 3-4 ; elle procède sans art et sans argument : p. 6. Le cas du pari : p. 9 sq. La répétition et le corps : p. 13. Les gestes de l’abêtissement se situent dans un contexte mental formé par plusieurs séries de preuves : p. 20. Il y a deux sortes de croyances, toutes deux « sentiments », mais dont l’une est purement humaine et inefficace, et l’autre d’origine divine, persuade efficacement : p. 53.
Miel Jan, Pascal and theology, p. 163 sq. Référence aux fragments des Pensées qui traitent de la coutume comme seconde nature. Rapprochement avec le fragment selon lequel il est juste que la raison se soumette quand elle juge qu’elle doit se soumettre, pour discuter les interprétations malveillantes du passage sur l’abêtissement.
Voir l’analyse de Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995, p. 99-119, sur les rapports de la coutume et de la vie de la foi.
♦ La machine
Philippe Sellier intitule le dossier Discours de la machine, expression qu’il emprunte à Pascal. Le choix se justifie à l’aide des fragments qui sont cités un peu plus bas, qui témoignent que Pascal comptait consacrer une section à un tel discours.
Sur le mécanisme et son développement au XVIIe siècle, voir ✍
Taton René (dir.), La science moderne (de 1450 à 1800), Histoire générale des sciences, t. II, Paris, Presses Universitaires de France, 1969, p. 211 sq.
Roger Jacques, Les sciences de la vie dans la pensée française du XVIIIe siècle, Paris, Colin, 1971, p. 206 sq. Le mécanisme dans les sciences biologiques.
Roger Jacques, “Le monde vivant”, in Pour une histoire des sciences à part entière, Paris, Albin Michel, 1995, p. 192 sq.
La Machine dans l’imaginaire, Revue des sciences humaines, n° 186-187, 1982-1983. Voir l’article de Simon G., “Les machines au XVIIe siècle”, p. 10. Machine : toute invention ingénieuse produisant grâce à des moyens combinés un effet attendu. L’auteur rapproche le terme de ceux de machinerie et de machination, pour souligner que la machine, considérée comme produit de l’art, est surtout comprise comme un moyen de produire des effets merveilleux, capables de susciter l’admiration. Voir dans le même numéro, p. 33-41, l’étude sémantique de Reichler Claude, “Machines et machinations...”.
Gusdorf Georges, La révolution galiléenne, I, Paris, Payot, 1969, p. 219-235. Place de la notion de machine dans la mentalité classique.
Lenoble Robert, Mersenne ou la Naissance du Mécanisme, Vrin, Paris, 1943.
La notion de machine s’applique à l’animal, mais aussi à l’homme, pour sa structure corporelle, mais aussi pour ce que la pensée peut être soumise aux habitudes et à la coutume. Le cartésianisme en physique est une forme particulièrement rigoureuse du mécanisme ; voir Rodis-Lewis Geneviève, L’anthropologie cartésienne, Paris, Presses Universitaires de France, 1990, p. 21 sq. L’homme décrit comme automate, dans un mécanisme intégral, dépourvu de principe d’animation autre que des éléments matériels. Le processus est entièrement corporel : p. 23. L’homme peut être considéré comme une machine hydraulique. Sur la machine humaine comme automate corporel, voir Descartes, Le Monde, éd. Alquié, I, Garnier, p. 379.
De nombreux fragments témoignent de l’importance que l’usage de la machine a dans la formation et l’entretien des croyances en général et de la foi en particulier.
Ordre 3 (Laf. 5, Sel. 39). Ordre. Une lettre d’exhortation à un ami pour le porter à chercher. Et il répondra : mais à quoi me servira de chercher, rien ne paraît. Et lui répondre : ne désespérez pas. Et il répondrait qu’il serait heureux de trouver quelque lumière. Mais que selon cette religion même quand il croirait ainsi cela ne lui servirait de rien. Et qu’ainsi il aime autant ne point chercher. Et à cela lui répondre : La Machine.
Ordre 5 (Laf. 7, Sel. 41). Lettre qui marque l’utilité des preuves, par la machine. La foi est différente de la preuve. L’une est humaine l’autre est un don de Dieu. Justus ex fide vivit. C’est de cette foi que Dieu lui-même met dans le cœur, dont la preuve est souvent l’instrument. Fides ex auditu. Mais cette foi est dans le cœur et fait dire nonScio mais Credo.
Pensée n° 19T (Laf. 936, Sel. 751). Les pénitences extérieures disposent à l’intérieure, comme les humiliations à l’humilité, ainsi les...
Laf. 821, Sel. 661. Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit, et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement.
Voir dans Francis Raymond, Les Pensées de Pascal en France de 1842 à 1942, Essai d’étude historique et critique, Paris, Nizet, 1959, p. 477-479, une série de citations d’auteurs résumant leur interprétation du terme machine.
Rabourdin David, Pascal. Foi et conversion, p. 15 sq. Les exigences formelles de la machine. Voir aussi p. 45 sq., sur la genèse de la foi par le corps.
– Mais c’est ce que je crains. Et pourquoi ? Qu’avez‑vous à perdre ? Mais pour vous montrer que cela y mène, c’est que cela diminue les passions qui sont vos grands obstacles, etc.
Effet comique : on craint toujours de passer pour une bête.
– Ô ce discours me transporte, me ravit, etc.
Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 104. L’apologiste cherche à montrer que la religion est « aimable ». Sens de ce « ravissement » considéré dans la perspective du travail de l’apologiste pour rendre la religion aimable.
Si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu’il est fait par un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après, pour prier cet Être infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre, pour votre propre bien et pour sa gloire, et qu’ainsi la force s’accorde avec cette bassesse.
L’identification du personnage qui parle ici avec Pascal n’a aucun fondement. Dire que Pascal s’est agenouillé n’est possible qu’au prix d’une suite d’assimilations abusives. Primo, on ne peut conclure de ces lignes que le je s’identifie avec Pascal, et que celui-ci, dans sa vie réelle, s’est agenouillé pour s’abêtir, comme il est dit plus haut. Secundo, l’agenouillement dont il est question ici n’est pas celui de l’abêtissement, mais celui de la prière, non pour soi, mais pour autrui. Il n’a de sens que la foi acquise et non lorsque la foi est à acquérir. Et c’est une prière pour qu’un autre acquière la foi qu’on a déjà soi-même. En d’autres termes, il ne s’agit pas de dire à l’incroyant je suis passé par les mêmes doutes, hésitations et étapes que vous, mais de lui indiquer que le chrétien s’agenouille pour prier aussi, car la conversion est un perpétuel recommencement, et surtout que les prières des uns sont une aide pour les autres. Il ne faut pas confondre les cérémonies auxquelles on se plie pour s’entraîner avant, et les prières que l’on fait pour la conversion des autres après.
Shiokawa Tetsuya, “Le pari. De l’apologétique à la spiritualité”, in Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, p. 165 sq.
L’être infini et sans parties : voir plus bas l’image de cet être donnée par le point en mouvement à vitesse infinie.
Bassesse de l’homme, force de Dieu et de la grâce. Voir Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal considéré dans le livre des Pensées, p. 70 sq.
Fin de ce discours.
Or quel mal vous arrivera‑t‑il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami, sincère, veritable... À la vérité vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices. Mais n’en aurez‑vous point d’autres ?
Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie, et qu’à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude de gain et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n’avez rien donné.
Lacombe Roger, L’apologétique de Pascal, p. 76. Pascal considère-t-il la vie présente comme équivalente au néant ? Voir p. 77 : Lacombe rapporte l’idée que l’on ne perd rien à la suite, au passage où il est dit qu’en progressant, l’incrédule s’apercevra qu’il n’a rien misé. Mais donner et miser ne sont ni synonymes ni équivalents. Donner signifie quitter gratis et sans contrepartie. Miser suppose qu’on a reçu le droit de jouer et de tenter sa chance.
Pascal peut dire qu’il n’a rien donné au sens où l’on ne sacrifie rien. Cela est vrai a posteriori, mais pas au même sens qu’a priori. A priori, c’est parce que l’enjeu est perdu d’avance. A posteriori, c’est parce qu’on s’aperçoit que ce qu’on avait cru perdre n’a pas de vraie valeur. Mais il faut distinguer les deux moments.