Preuves par discours II - Fragment n° 2 / 7 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 33 p. 217 à 220 / C2 : p. 429 à 431 v°
Éditions de Port-Royal :
Chap. I - Contre l’Indifférence des Athées : 1669 et janvier 1670 p. 1-18 / 1678 n° 1 p. 1-17
Chap. VIII - Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu... : 1669 et janvier 1670 p. 64-65 / 1678 n° 1 p. 66-67
Éditions savantes : Faugère II, 15 ; II, 118, X ; I, 225, CLVI / Havet IX.2, XIV.2 et XXV.18 / Michaut 899-900 / Brunschvicg 195 et 229 / Le Guern 399 et 400 / Lafuma 428 et 429 (série III) / Sellier 682
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Transcription savante (origine : Copies C1 et C2)
Avant que d’entrer dans les preuves de la Religion chrestienne je trouve necessaire de representer l’injustice des hommes qui vivent dans l’indiference de chercher la verité d’une chose qui leur est si importante & qui les touche de si pres.
De tous leurs 1 egaremens c’est sans doute celuy qui les convainc le plus de folie & d’aveuglement, & dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premieres veües du sens commun & par les sentimens de la nature, car il est indubitable que le temps de cette vie n’est qu’un instant, que l’estat de la mort est eternel de quelque nature qu’il puisse estre, & qu’ainsy toutes nos actions & nos penseés doivent prendre des routes si differentes selon l’estat de cette Eternité qu’il est impossible de faire une demarche avec sens & jugement qu’en la reglant par la veüe 2 de ce poinct qui doit estre nostre dernier objet.
Il n’y a rien de plus visible que cela & qu’ainsy selon les principes de la raison la conduite des hommes est tout a fait desraisonnable s’ils ne prennent une autre voye, que l’on juge donc la dessus de ceux qui vivent sans songer à cette derniere fin de la vie qui se laissant 3 conduire à leurs inclinations & à leurs plaisirs sans reflexion & sans inquietude & comme s’ils pouvoyent aneantir l’Eternité en en detournant leur pensée, ne pensent à se rendre heureux que dans cét instant seulement.
Cependant cette Eternité subsiste & la mort qui la doit ouvrir & qui les menace a toute heure les doit mettre infailliblement dans peu de temps dans l’horrible necessité d’estre eternellement ou aneantis ou malheureux sans qu’ils scachent laquelle de ces Eternitez leur est a jamais preparée.
Voila un doute d’une terrible consequence, ils sont dans le peril d’une 4 Eternité de miseres, & sur cela comme si la chose n’en valoit pas la peine ils negligent d’examiner si c’est de ces opinions que le peuple recoit avec une facilité trop credule ou de celles qui estans obscures d’elles mesmes ont un fondement tres solide quoyque caché, Ainsy ils ne scavent s’il y a verité ou fausseté dans la chose, ny s’il y a force ou foiblesse dans les preuves, ils les ont devant les yeux, 5 ils refusent d’y regarder, & dans cette ignorance ils prennent le party de faire tout ce qu’il faut pour tomber dans ce malheur au cas qu’il soit d’attendre a en faire l’Espreuve à la mort d’estre cependant fort satisfaits en cèt estat d’en faire profession & enfin d’en faire vanité ; Peut on penser serieusement à l’Importance de cette affaire sans avoir horreur d’une conduite si extravagante.
Ce repos dans cette ignorance est une chose monstrueuse & 6 dont il faut faire sentir l’extravagance & la stupidité a ceux qui y passent leur vie en la leur representant à Eux mesmes pour les confondre par la veüe de leur folie : Car voicy comme 7 raisonnent les hommes quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu’ils sont & sans en 8 rechercher d’esclaircissement : Je ne scay disent ils.... 9
Voila ce que je voy & ce qui me trouble, je regarde de toutes parts & je 10 ne voy partout qu’obscurité, la nature ne m’offre rien qui ne soit matiere de doute & d’inquietude
Je porte envie à ceux que je voy dans la foy vivre avec tant de negligence & qui usent si mal d’un don duquel il me semble que je ferois un usage si different.
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Notes
1 G. Michaut : « les ». L. Brunschvicg a corrigé.
2 L. Brunschvicg : « vérité ». L. Lafuma a corrigé.
3 L. Brunschvicg et M. Le Guern : « laissent ». L. Lafuma a corrigé.
4 C1 : « d’une » ; C2 : « de l’ » ; P. Faugère puis G. Michaut, L. Lafuma, M. Le Guern et Ph. Sellier : « de l’ » ; L. Brunschvicg : « d’une » ;
5 C1 ajoute « et ». L. Brunschvicg suit C1.
6 E. Havet a omis ce mot.
7 C1 et C2 : « comme » ; P. Faugère puis E. Havet et Ph. Sellier corrigent en « comment ». G. Michaut, L. Brunschvicg, L. Lafuma et M. Le Guern conservent le texte des Copies.
8 P. Faugère puis E. Havet, G. Michaut, L. Brunschvicg et L. Lafuma suppriment ce mot. M. Le Guern et Ph. Sellier le conservent.
9 dans C1, le réviseur a ajouté l’expression je ne scay disent ils ; disent ils a ensuite été barré au crayon (intervention plus récente ?) ; cette expression a été transcrite et non barrée par le copiste dans C2. Les éditeurs conservent l’expression. G. Michaut et M. Le Guern omettent cette expression. G. Michaut pense qu’elle a été ajoutée par le Comité de Port-Royal ; M. Le Guern dit qu’elle « marque l’intention des premiers éditeurs [de Port-Royal] d’insérer ce fragment au milieu du fragment précédent, juste avant le discours que Pascal met dans la bouche du libertin. » NDLR : ces éditeurs ont remarqué que le texte qui suit dans l’édition de Port-Royal commence par Je ne sais qui m’a mis au monde. Cependant, si cette expression avait été ajoutée par un correcteur pour l’édition de Port-Royal elle n’aurait pas été transcrite dans la Copie C2.
10 P. Faugère puis E. Havet et G. Michaut ont omis ce mot. L. Brunschvicg a corrigé.
11 G. Michaut : « ne ».
12 M. Le Guern ajoute « ne ».
13 P. Faugère puis E. Havet : « n’en rien croire ». G. Michaut a corrigé.
14 E. Havet puis G. Michaut et L. Lafuma : « dans ». L. Brunschvicg et M. Le Guern ont corrigé.
15 P. Faugère puis E. Havet, G. Michaut, L. Brunschvicg et L. Lafuma ont omis ce mot. M. Le Guern a corrigé.
Premières éditions et copies des XVIIe - XVIIIe siècles et du début du XIXe
Le fragment a été en partie retenu au début de l’édition de Port-Royal.
La copie Périer reproduit sans faute un des textes non retenus dans cette édition, p. 167 :
Je porte envie à ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de négligence, et qui usent si mal d’un don duquel il me semble que je ferois un usage si différent.
Ce texte a été publié par V. Cousin dans son Rapport (1843), p. 211 :
Je porte envie à ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de négligence, et qui usent si mal d’un don duquel il me semble que je ferois un usage si différent.
Remarques
P. Faugère intitule la première partie de ce texte Variante de la préface générale et publie le reste du texte en deux parties : Voilà ce que je vois [...] pour l’éternité dans le chapitre intitulé Préface de la seconde partie puis Je porte envie [...] un usage si différent dans le chapitre Pensées diverses.
E. Havet ne publie pas les paragraphes Avant que d’entrer dans les preuves de la religion chrétienne [...] la conduite des hommes est tout à fait déraisonnable s’ils ne prennent une autre voie et Voilà un doute d’une terrible conséquence. [...] sans avoir horreur d’une conduite si extravagante ? Il publie le texte en trois parties :
IX.2 : ... Que l’on juge donc là‑dessus [...] Je ne sais, disent‑ils...
XIV.2 : Voilà ce que je vois [...] Rien ne me serait trop cher pour l’éternité...
XXV.18 : Je porte envie [...] je ferais un usage si différent.
G. Michaut sépare le fragment en deux textes : n° 899. Avant que d’entrer [...] sans rechercher d’éclaircissement... et n° 900. « Voilà ce que je vois [...] je ferais un usage si différent ». L. Brunschvicg, L. Lafuma et M. Le Guern font de même.