Preuves par discours II - Fragment n° 2 / 7 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 33 p. 217 à 220 / C2 : p. 429 à 431 v°
Éditions de Port-Royal :
Chap. I - Contre l’Indifférence des Athées : 1669 et janvier 1670 p. 1-18 / 1678 n° 1 p. 1-17
Chap. VIII - Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu... : 1669 et janvier 1670 p. 64-65 / 1678 n° 1 p. 66-67
Éditions savantes : Faugère II, 15 ; II, 118, X ; I, 225, CLVI / Havet IX.2, XIV.2 et XXV.18 / Michaut 899-900 / Brunschvicg 195 et 229 / Le Guern 399 et 400 / Lafuma 428 et 429 (série III) / Sellier 682
Dans l’édition de Port-Royal
Chap. I - Contre l’Indifférence des Athées : 1669 et janvier 1670 p. 1-18 / 1678 n° 1 p. 1-17 |
Différences constatées par rapport au manuscrit original
Ed. janvier 1670 1 |
Transcription du manuscrit (Copies) |
[Commencement 3 - Laf. 152, Sel. 185] et le ciel n’étant pas certainement pour ceux qui doutent si leur âme est immortelle, ils n’ont à attendre que l’enfer ou le néant. 2
[Preuves par Discours II - Laf. 427, Sel. 681] 2
C’est en vain qu’ils détournent leur pensée de cette éternité qui les attend, comme s’ils la pouvaient anéantir en n’y pensant point. Elle subsiste malgré eux, elle s’avance, et la mort qui la doit ouvrir les mettra infailliblement dans peu de temps dans l’horrible nécessité d’être éternellement ou anéantis, ou malheureux. Voilà un doute d’une terrible conséquence ; [Preuves par Discours II - Laf. 427, Sel. 681] 2
[Pensées diverses - Laf. 432 série XXX, Sel. 662] 2
Ce repos dans cette ignorance est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir l’extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie, en leur représentant ce qui se passe en eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie. Car voici comment raisonnent les hommes, quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu’ils sont, et sans en rechercher d’éclaircissement.
[Preuves par Discours II - Laf. 427, Sel. 681] 2
et que je n’ai qu’à suivre mes inclinations sans réflexion et sans inquiétude, en faisant tout ce qu’il faut pour tomber dans le malheur éternel au cas que ce qu’on en dit soit véritable.
[Preuves par Discours II - Laf. 427, Sel. 681] 2
[Commencement 13 - Laf. 163, Sel. 195] et à se divertir. C’est l’état où se trouvent ces personnes, avec cette différence que les maux dont ils sont menacés sont bien autres que la simple perte de la vie et un supplice passager que ce prisonnier appréhenderait. 2 [Commencement 16 - Laf. 166, Sel. 198] 2 [Commencement 13 - Laf. 163, Sel. 195] et qui vivent dans cette horrible négligence. 2
[Preuves par Discours II - Laf. 427, Sel. 681] et encore plus pour en faire vanité. Car quand ils auraient une certitude entière qu’ils n’auraient rien à craindre après la mort que de tomber dans le néant, ne serait-ce pas un sujet de désespoir plutôt que de vanité ? N’est-ce donc pas une folie inconcevable, n’en étant pas assurés, de faire gloire d’être dans ce doute ? 2
[Pensées diverses - Laf. 432 série XXX, Sel. 662] Ce repos brutal entre la crainte de l’enfer, et du néant semble si beau, que non seulement ceux qui sont véritablement dans ce doute malheureux s’en glorifient ; mais que ceux même qui n’y sont pas croient qu’il leur est glorieux de feindre d’y être. 2
[Preuves par Discours II - Laf. 427, Sel. 681] 2
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Avant que d’entrer dans les preuves de la religion chrétienne, je trouve nécessaire de représenter l’injustice des hommes qui vivent dans l’indifférence de chercher la vérité d’une chose qui leur est si importante, et qui les touche de si près. De tous leurs égarements, c’est sans doute celui qui les convainc le plus de folie et d’aveuglement, et dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premières vues du sens commun et par les sentiments de la nature. Car il est indubitable que le temps de cette vie n’est qu’un instant, que l’état de la mort est éternel, de quelque nature qu’il puisse être, et qu’ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l’état de cette éternité, qu’il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu’en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet. Il n’y a rien de plus visible que cela et qu’ainsi, selon les principes de la raison, la conduite des hommes est tout à fait déraisonnable, s’ils ne prennent une autre voie. Que l’on juge donc là‑dessus de ceux qui vivent sans songer à cette dernière fin de la vie, qui, se laissant conduire à leurs inclinations et à leurs plaisirs sans réflexion et sans inquiétude et comme s’ils pouvaient anéantir l’éternité en en détournant leur pensée, ne pensent à se rendre heureux que dans cet instant seulement. Cependant cette éternité subsiste, et la mort, qui la doit ouvrir et qui les menace à toute heure, les doit mettre infailliblement dans peu de temps dans l’horrible nécessité d’être éternellement ou anéantis ou malheureux, sans qu’ils sachent laquelle de ces éternités leur est à jamais préparée. Voilà un doute d’une terrible conséquence. Ils sont dans le péril de l’éternité de misères ; et sur cela, comme si la chose n’en valait pas la peine, ils négligent d’examiner si c’est de ces opinions que le peuple reçoit avec une facilité trop crédule, ou de celles qui, étant obscures d’elles‑mêmes, ont un fondement très solide, quoique caché. Ainsi ils ne savent s’il y a vérité ou fausseté dans la chose, ni s’il y a force ou faiblesse dans les preuves. Ils les ont devant les yeux ; ils refusent d’y regarder, et, dans cette ignorance, ils prennent le parti de faire tout ce qu’il faut pour tomber dans ce malheur au cas qu’il soit, d’attendre à en faire l’épreuve à la mort, d’être cependant fort satisfaits en cet état, d’en faire profession et enfin d’en faire vanité. Peut‑on penser sérieusement à l’importance de cette affaire sans avoir horreur d’une conduite si extravagante ? Ce repos dans cette ignorance est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir l’extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie, en la leur représentant à eux‑mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie. Car voici comment raisonnent les hommes, quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu’ils sont et sans en rechercher d’éclaircissement : « Je ne sais, disent‑ils... » [...]
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1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.
2 Voir Preuves par Discours II - Fragment n° 1 (Laf. 427, Sel. 681).
Commentaire
Le fragment est rejeté en grande partie au profit de sa version développée (Preuves par discours II - Laf. 427, Sel. 681) et plusieurs autres textes. Le choix s’est porté sur la version la plus parfaite. Le style des additions apportées par les éditeurs paraît bien être celui de Nicole.
Dans l’édition de Port-Royal
Chap. VIII - Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu par le seul raisonnement, et qui commence à lire l’Écriture : 1669 et janvier 1670 p. 64-65 / 1678 n° 1 p. 66-67 |
Différences constatées par rapport au manuscrit original
Ed. janvier 1670 1 |
Transcription du manuscrit (Copies) |
[Commencement 2 - Laf. 151, Sel. 184] 3
[Transition 3 - Laf. 198, Sel. 229] 4 Je regarde de toutes parts, et ne vois partout qu’obscurité. La nature ne m’offre rien qui ne soit matière de doute et d’inquiétude. Si je n’y voyais rien qui marquât une divinité, je me déterminerais à n’en rien croire. Si je voyais partout les marques d’un Créateur, je reposerais en paix dans la foi. Mais voyant trop pour nier, et trop peu pour m’assurer, je suis dans un état à plaindre, et où j’ai souhaité cent fois que si un Dieu soutient la nature, elle le marquât sans équivoque, et que si les marques qu’elle en donne sont trompeuses elle les supprimât tout à fait ; qu’elle dît tout, ou rien ; afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu’en l’état où je suis, ignorant ce que je suis, et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition, ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connaître où est le vrai bien pour le suivre. Rien ne me serait trop cher pour cela.
[Preuves par les Juifs IV - Laf. 454, Sel. 694] 5 [Preuves par les Juifs I - Laf. 451, Sel. 691] 6
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« Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et je ne vois partout qu’obscurité. La nature ne m’offre rien qui ne soit matière de doute et d’inquiétude. Si je n’y voyais rien qui marquât une divinité, je me déterminerais à la négative ; si je voyais partout les marques d’un créateur, je reposerais en paix dans la foi. Mais, voyant trop pour nier et trop peu pour m’assurer, je suis en un état à plaindre, et où j’ai souhaité cent fois que, si un Dieu la soutient, elle le marquât sans équivoque ; et que, si les marques qu’elle en donne sont trompeuses, qu’elle les supprimât tout à fait ; qu’elle dît tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu’en l’état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition, ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connaître où est le vrai bien, pour le suivre. Rien ne me serait trop cher pour l’éternité. Je porte envie à ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de négligence, et qui usent si mal d’un don duquel il me semble que je ferais un usage si différent. » |
1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.
2 « En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, et ces contrariétés étonnantes qui se découvrent dans sa nature, et regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant ; j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans avoir aucun moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire comment on n’entre pas en désespoir d’un si misérable état. Je vois d’autres personnes auprès de moi de semblable nature. Je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi, et ils me disent que non. Et sur cela ces misérables égarés ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants s’y sont donnés, et s’y sont attachés. Pour moi je n’ai pu m’y arrêter, »
3 « ni me reposer dans la société de ces personnes semblables à moi, misérables comme moi, impuissantes comme moi. Je vois qu’ils ne m’aideraient pas à mourir : je mourrai seul : il faut donc faire comme si j’étais seul : or si j’étais seul, je ne bâtirais pas des maisons, je ne m’embarrasserais point dans des occupations tumultuaires, je ne chercherais l’estime de personne, mais je tâcherais seulement de découvrir la vérité. »
4 « Ainsi considérant combien il y a d’apparence qu’il y a autre chose que ce que je vois, j’ai recherché si ce Dieu dont tout le monde parle n’aurait point laissé quelques marques de lui. »
5 « Je vois des multitudes de Religions en plusieurs endroits du monde, et dans tous les temps. Mais elles n’ont ni morale qui me puisse plaire, ni preuves capables de m’arrêter. Et ainsi j’aurais refusé également la Religion de Mahomet, et celle de la Chine, et celle des anciens Romains, et celle des Egyptiens, par cette seule raison, que l’une n’ayant pas plus de marques de vérité que l’autre, ni rien qui détermine, la raison ne peut pencher plutôt vers l’une que vers l’autre.
Mais en considérant ainsi cette inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances dans les divers temps, je trouve en une petite partie du monde un peuple particulier séparé de tous les autres peuples de la terre, et dont les histoires précèdent de plusieurs siècles les plus anciennes que nous ayons. Je trouve donc ce peuple grand et nombreux, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu’ils disent tenir de sa main. Ils soutiennent qu’ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères ; que tous les hommes sont corrompus et dans la disgrâce de Dieu ; qu’ils sont tous abandonnés à leur sens et à leur propre esprit ; et que de là viennent les étranges égarements, et les changements continuels qui arrivent entre eux, et de Religion, et de coutume ; au lieu qu’eux demeurent inébranlables dans leur conduite : mais que Dieu ne laissera pas éternellement les autres peuples dans ces ténèbres ; qu’il viendra un libérateur pour tous ; qu’ils sont au monde pour l’annoncer ; qu’ils sont formés exprès pour être les hérauts de ce grand avènement, et pour appeler tous les peuples à s’unir à eux dans l’attente de ce libérateur.
La rencontre de ce peuple m’étonne, et me semble digne d’une extrême attention ».
6 « par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent.
C’est un peuple tout composé de frères ; et au lieu que tous les autres sont formés de l’assemblage d’une infinité de familles, celui-ci, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d’un seul homme ; et étant ainsi une même chair et membres les uns des autres, ils composent une puissance extrême d’une seule famille. Cela est unique.
Ce peuple est le plus ancien qui soit dans la connaissance des hommes ; ce qui me semble lui devoir attirer une vénération particulière, et principalement dans la recherche que nous faisons ; puisque si Dieu s’est de tout temps communiqué aux hommes, c’est à ceux-ci qu’il faut recourir pour en savoir la tradition.
Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité, mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant ; car au lieu que les peuples de Grèce, d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si longtemps après ont fini il y a longtemps, ceux-ci subsistent toujours ; et malgré les entreprises de tant de puissants Rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme les historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses, pendant un si long espace d’années ils se sont toujours conservés ; et s’étendant depuis les premiers temps jusqu’aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires.
La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un Etat. C’est ce que Philon Juif montre en divers lieux, et Josèphe admirablement contre Appion, où il fait voir qu’elle est si ancienne, que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après ; en sorte qu’Homère qui a parlé de tant de peuples ne s’en est jamais servi. Et il est aisé de juger de la perfection de cette loi par sa simple lecture, où l’on voit qu’on y a pourvu à toutes choses avec tant de sagesse, tant d’équité, tant de jugement, que les plus anciens Législateurs Grecs et Romains en ayant quelque lumière en ont emprunté leurs principales lois ; ce qui paraît par celles qu’ils appellent des douze tables, et par les autres preuves que Josèphe en donne.
Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes, obligeant ce peuple pour le retenir dans son devoir à mille observations particulières et pénibles sur peine de la vie. De sorte que c’est une chose étonnante qu’elle se soit toujours conservée durant tant de siècles parmi un peuple rebelle et impatient comme celui-ci ; pendant que tous les autres Etats ont changé de temps en temps leurs lois, quoique tout autrement faciles à observer. »
Commentaire
Le rapprochement de ce discours avec les pensées sur l’état des Juifs surprend. Il s’explique par le fait que les éditeurs de Port-Royal ont rattaché les doutes de l’incrédule qui cherche avec le spectacle de la multitude des religions qui se trouvent dans le monde. Il n’est pas certain que cela corresponde aux intentions de Pascal.
L’allusion aux chrétiens tièdes est supprimée.