Fragment Preuves de Jésus-Christ n° 9 / 24 – Papier original : RO 61-6
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Preuves de J.-C. n° 339 p. 157 v° / C2 : p. 188
Éditions savantes : Faugère II, 324, XXII / Havet XXV.175 / Brunschvicg 763 / Tourneur p. 277-4 / Le Guern 288 / Lafuma 306 / Sellier 337
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Bibliographie ✍
Voir la bibliographie de Preuves de Jésus-Christ 10 (Laf. 307, Sel. 338).
NADAÏ Jean-Christophe de, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008. SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010 p. 485-510. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. |
✧ Éclaircissements
Les Juifs, en éprouvant s’il était Dieu, ont montré qu’il était homme.
Sur les controverses relatives à la double nature, humaine et divine, du Christ, voir Preuves de Jésus-Christ 10 (Laf. 307, Sel. 338).
Laf. 733, Sel. 614. J.-C. est Dieu et homme. Les Ariens ne pouvant allier ces choses qu’ils croient incompatibles, disent qu’il est homme, en cela ils sont catholiques ; mais ils nient qu’il soit Dieu, en cela ils sont hérétiques. Ils prétendent que nous nions son humanité, en cela ils sont ignorants.
Mais Pascal aborde ici le cas des Juifs, qui diffère de celui des hérétiques ariens, eutychiens, ou nestoriens qui ont troublé l’histoire de l’Église, dans la mesure où ils ont connu le Christ vivant.
Lors de la Passion, les Juifs ont mis à l’épreuve la divinité du Christ en montrant qu’il était mortel.
Matthieu XXVII, 37-43.
« Ils mirent aussi au-dessus de sa tête le sujet de sa condamnation, écrit en ces termes : C’est Jésus, le roi des Juifs. [...]
39. Et ceux qui passaient par là le blasphémaient en branlant la tête,
40. Et lui disant : Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours, que ne te sauves-tu toi-même ? Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix.
41. Les princes des prêtres se moquaient aussi de lui, avec les scribes et les sénateurs, en disant :
42. Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même. S’il est le Roi d’Israël, qu’il descende présentement de la croix, et nous le croirons.
43. Il met sa confiance en Dieu ; si donc Dieu l’aime, qu’il le délivre maintenant, puisqu’il a dit : Je suis le Fils le Dieu. »
Marc, XV, 29-32.
« Ceux qui passaient par là le blasphémaient en branlant la tête, et lui disant : Toi qui détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois jours,
30. Sauve-toi toi-même, en descendant de la croix.
31. Et les princes des prêtres avec les scribes se moquant aussi de lui entre eux, disaient : Il en a sauvé d’autres, et il ne saurait se sauver lui-même.
32. Que le Christ, le Roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions. Et ceux qui avaient été crucifiés avec lui l’outrageaient aussi de paroles. »
Luc, XXIII, 35-43.
« Cependant le peuple se tenait là, et le regardait, et les sénateurs aussi bien que le peuple se moquaient de lui, en disant : Il a sauvé les autres, qu’il se sauve maintenant lui-même, s’il est le Christ, l’élu de Dieu.
36. Les soldats même l’insultaient, s’approchant de lui, et lui présentaient du vinaigre,
37. En lui disant : Si tu es le Roi des Juifs, sauve-toi toi-même.
38. Il y avait aussi au-dessus de lui une inscription en grec, en latin et en hébreu où était écrit : Celui-ci est le roi des Juifs.
39. Or l’un de ces deux voleurs qui étaient crucifiés avec lui, le blasphémait, en disant : Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même, et nous avec toi.
40. Mais l’autre le reprenant, lui disait : N’avez-vous donc point de crainte de Dieu, non plus que les autres, vous qui vous trouvez condamné au même supplice ?
41. Encore pour nous, c’est avec justice, puisque nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée ; mais celui-ci n’a fait aucun mal.
42. Et il disait à Jésus : Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé en votre royaume.
43. Et Jésus lui répondit : Je vous dis en vérité que vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis. »
La preuve de l’humanité du Christ est évidemment sa mort : en réclamant qu’il soit crucifié, les Juifs ont administré la preuve la plus sûre du fait que Jésus était homme.
Il ne faut cependant pas en conclure que, puisqu’il était homme, Jésus-Christ n’était pas Dieu. Voir ci-dessus Laf. 733, Sel. 614.
Mais, quoique les Romains aient plutôt voulu montrer par dérision que le Christ était un roi des Juifs purement homme, c’est un romain qui a reconnu que Jésus était fils de Dieu. Voir Matthieu XXVII, 54 : « Le centenier et ceux qui étaient avec lui pour garder Jésus, ayant vu le tremblement de terre et tout ce qui se passait, furent saisis d’une extrême crainte, et dirent : Cet homme était vraiment Fils de Dieu. »
La résurrection est la marque de la divinité du Christ.
La signification du fragment n’est cependant pas limitée à la question de la double nature du Christ. Il a une portée ironique. Pascal cherche plutôt à souligner ici que les Juifs, lorsqu’ils ont voulu éprouver le Christ, ne se sont pas rendus compte de ce qu’ils démontraient. L’idée n’est qu’une forme particulière de ce que Pascal dit ailleurs, que les Juifs se sont montrés témoins irréprochables, mais sans s’en rendre compte, témoins de tout autre chose qu’ils ne l’ont cru. De même que le peuple Juif, en conservant scrupuleusement les prophéties et les Écritures, toujours et partout, ont montré sans s’en rendre compte la vérité du Christ Messie, de même dans le cas présent, croyant montrer par sa mort que le Christ n’était pas Dieu, ils ont établi une autre vérité de la religion chrétienne, qu’il était véritablement Dieu.
Prophéties V (Laf. 488, Sel. 734). Les Juifs en le tuant pour ne le point recevoir pour Messie, lui ont donné la dernière marque du Messie.
Et en continuant à le méconnaître ils se sont rendus témoins irréprochables.
Et en le tuant et continuant à le renier ils ont accompli les prophéties.
Pour reprendre une formule du fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681), ils n’ont fait qu’établir une des choses qu’elle soutient, sans toucher à l’autre, et ont établi sa doctrine, bien loin de la ruiner. On reconnaît là un procédé argumentatif familier à Pascal.