Fragment Loi figurative n° 20 / 31 – Papier original : RO 35-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 306 p. 131 / C2 : p. 158
Éditions savantes : Faugère II, 254 (note) / Brunschvicg 677 / Tourneur p. 261-4 / Le Guern 248 / Lafuma 265 / Sellier 296
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Bibliographie ✍
ARNAULD Antoine et NICOLE Pierre, La logique ou l’art de penser, I, IV (1683), éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2011. DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 231-265. DUBARLE A., “Pascal et l’interprétation des Écritures”, Les Sciences philosophiques et Théologiques, vol. II, 1941-1942, p. 346-379. FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989. LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993. MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 426-453. SHIOKAWA Tetsuya, “L’arc-en-ciel et les sacrements ; de la sémiologie de la Logique de Port-Royal à la théorie pascalienne des figures”, Revue internationale de philosophie, 199, 1997, p. 77-99. |
✧ Éclaircissements
Figure porte absence et présence, plaisir et déplaisir.
L’idée de figure est ici directement mise en rapport avec celle du portrait, telle que la présente le fragment Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Un portrait porte absence et présence, plaisir et déplaisir. La réalité exclut absence et déplaisir.
Le portrait donne le plaisir de voir la personne que l’on désire voir sous des traits qui ressemblent aux siens, mais il fait aussi sentir d’autant plus cruellement l’absence de son objet, puisque, si la personne était là, on n’aurait pas besoin de regarder son portrait. Pascal fait ici de la théorie rhétorique de la métaphore un cas particulier de la théorie de la représentation picturale. Cette assimilation, toute audacieuse qu’elle soit, paraît toute naturelle du fait que Pascal présente la figure comme une manière pour les prophètes de porter leur regard sur quelque chose.
Appliquée aux prophètes, cette définition permet à Pascal de souligner le caractère figuratif des textes de la Bible ; puisque les sacrifices de la loi de Moïse sont présentés parfois sous forme plaisante, et parfois sous forme déplaisante, il faut conclure qu’ils ne sont que figures, et que les prophètes n’arrêtaient pas leur vue aux cérémonies charnelles que prescrivait la loi de Moïse, mais à des préceptes spirituels, qui seront ceux de la Loi nouvelle.
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Chiffre a double sens. Un clair et où il est dit que le sens est caché.
Loi figurative 5 (Laf. 249, Sel. 281). Figuratives. Clé du chiffre.
Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Le chiffre a deux sens. Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé et obscurci, qu’il est caché en sorte qu’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens.
Pascal entend la notion de chiffre en un sens très général, qui couvre aussi bien les langues, l’herméneutique et la cryptographie. Sur la notion de chiffre, voir Loi figurative 31 (Laf. 276, Sel. 307). Le vieux testament est un chiffre.
Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures. La lettre tue. Tout arrivait en figures. Il fallait que le Christ souffrît. Un Dieu humilié. Voilà le chiffre que saint Paul nous donne.
Laf. 557, Sel. 465. Les langues sont des chiffres où, non les lettres sont changées en lettres, mais les mots en mots. De sorte qu’une langue inconnue est déchiffrable.
Pascal considère le vieux Testament comme un texte chiffré. La première difficulté que pose un tel chiffre consiste dans la reconnaissance même du fait qu’il est codé, particulièrement lorsqu’il présente un sens obvie apparemment acceptable, comme c’est le cas pour l’Ancien Testament, si, comme le faisaient les Juifs charnels, on néglige les contradictions qui s’y trouvent.
Mais Pascal veut montrer que le déchiffrement de l’Écriture, toute codée qu’elle soit, est à la portée d’un lecteur attentif et de bonne volonté. Il pose donc que si le message de l’Ancien Testament est chiffré, il contient aussi des passages clairs, dans lesquels il est dit clairement que le texte est obscur.
Loi figurative 15 (Laf. 260 Sel. 291). Figures.
Pour savoir si la loi et les sacrifices sont réalité ou figure il faut voir si les prophètes en parlant de ces choses y arrêtaient leur vue et leur pensée, en sorte qu’ils n’y vissent que cette ancienne alliance, ou s’ils y voient quelque autre chose dont elle fût la peinture. Car dans un portrait on voit la chose figurée. Il ne faut pour cela qu’examiner ce qu’ils en disent.
Quand ils disent qu’elle sera éternelle entendent-ils parler de l’alliance de laquelle ils disent qu’elle sera changée et de même des sacrifices, etc.
Le chiffre a deux sens. Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé et obscurci, qu’il est caché en sorte qu’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens.
Les prophètes ont dit clairement qu’Israël serait toujours aimé de Dieu et que la loi serait éternelle et ils ont dit que l’on n’entendrait point leur sens et qu’il était voilé.
Ce sont donc les prophètes eux-mêmes qui indiquent qu’ils parlent un langage à double sens.
Pascal applique en l’occurrence le principe selon lequel Scriptura Scripturam explicat ; l’Écriture s’explique elle-même, et donne son propre sens. Si bien qu’il n’est besoin que de la lire avec un esprit attentif pour en saisir le sens, sans qu’il soit besoin d’aller en chercher d’autres sources. Cet avertissement a pour conséquence que les Juifs charnels, qui n’ont pas suivi cette indication claire, sont inexcusables, dans la mesure où il leur suffisait de lire de près les Écritures pour ne pas se tromper sur leur sens spirituel.
L’avertissement en clair tient donc le même rôle que, dans la prophétie messianique, l’annonce du temps, qui est claire, par opposition à celle de la manière, qui est figurative. Les Juifs charnels se sont montrés inexcusables de ne pas reconnaître le Messie en Jésus, parce que le temps de son avènement, prédit en clair, devait dissiper les équivoques et ôter les doutes.