Fragment Loi figurative n° 15 / 31 – Papier original : RO 15-4 et 15-4 v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 302 p. 129-129 v° / C2 : p. 156-157
Éditions de Port-Royal : Chap. XIII - Que la loy estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 97-99 / 1678
n° 5, 6 et 7 p. 98-99
Éditions savantes : Faugère II, 254, XX / Havet XVI.7 / Michaut 30 / Brunschvicg 678 / Tourneur p. 259-2 / Le Guern 243 / Lafuma 260 / Sellier 291
Un portrait porte absence et présence, plaisir et déplaisir. La réalité exclut absence et déplaisir. ------- Figures.
Pour savoir si la loi et les sacrifices sont réalité ou figure il faut voir si les prophètes en parlant de ces choses y arrêtaient leur vue et leur pensée, en sorte qu’ils n’y vissent que cette ancienne alliance, ou s’ils y voient quelque autre chose dont elle fût la peinture. Car dans un portrait on voit la chose figurée. Il ne faut pour cela qu’examiner ce qu’ils en disent. Quand ils disent qu’elle sera éternelle entendent-ils parler de l’alliance de laquelle ils disent qu’elle sera changée et de même des sacrifices, etc. ------- Le chiffre a deux sens. Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé et obscurci, qu’il est caché en sorte qu’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens.
Les prophètes ont dit clairement qu’Israël serait toujours aimé de Dieu et que la loi serait éternelle et ils ont dit que l’on n’entendrait point leur sens et qu’il était voilé.
Et d’autant plus qu’on y trouve des contrariétés manifestes dans le sens littéral. Combien doit‑on donc estimer ceux qui nous découvrent le chiffre et nous apprennent à connaître le sens caché, et principalement quand les principes qu’ils en prennent sont tout à fait naturels et clairs ? C’est ce qu’a fait Jésus-Christ et les apôtres. Ils ont levé le sceau. Il a rompu le voile et a découvert l’esprit. Ils nous ont appris pour cela que les ennemis de l’homme sont ses passions, que le rédempteur serait spirituel et son règne spirituel, qu’il y aurait deux avènements, l’un de misère pour abaisser l’homme superbe, l’autre de gloire pour élever l’homme humilié, que Jésus-Christ serait Dieu et homme.
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Pascal poursuit dans ce texte la mise au point progressive des étapes de sa méthode d’interprétation des Écritures.
La question qui est traitée dans ce fragment est nettement restreinte, comme c’est le cas dans presque toute la liasse Loi figurative. Il ne s’agit pas encore de savoir quel est le sens des figures, car ce point ne peut être abordé et résolu qu’en seconde instance, mais la question préalable de savoir si les Écritures sont ou non figuratives, ou, comme dit Pascal, si elles sont réalité ou figures.
En d’autres termes, pour employer le langage de la Logique de Port-Royal, il s’agit de faire naître dans l’esprit du lecteur des Écritures prophétiques une idée de signe à l’égard des mots « alliance », « sacrifice » ou « ennemi », c’est-à-dire l’amener à comprendre que ces termes ne doivent pas être entendus à la lettre, mais en un sens métaphorique. On ne sait pas encore pour autant de quoi les idées que ces mots désignent ordinairement sont les signes. Le lecteur ne dispose pas encore de la règle formulée dans le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303) : Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis ; cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement. En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes.
En fin de fragment seulement, Pascal résume rapidement quelques éléments essentiels de la Révélation.
Fragments connexes
A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). Ce n’est pas en cette sorte qu’il a voulu paraître dans son avènement de douceur, parce que tant d’hommes se rendant indignes de sa clémence il a voulu les laisser dans la privation du bien qu’ils ne veulent pas. Il n’était donc pas juste qu’il parût d’une manière manifestement divine et absolument capable de convaincre tous les hommes. Mais il n’était pas juste aussi qu’il vînt d’une manière si cachée qu’il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connaissable à ceux-là. Et ainsi voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il a tempéré...
Fausseté 15 (Laf. 217, Sel. 250). C’est comme ceux entre lesquels il y a un certain langage obscur ; ceux qui n’entendraient pas cela n’y comprendraient qu’un sot sens. (texte barré verticalement)
Fondement 1 (Laf. 223, Sel. 256). Il faut mettre au chapitre des fondements ce qui est en celui des figuratifs touchant la cause des figures. Pourquoi Jésus-Christ prophétisé en son premier avènement, pourquoi prophétisé obscurément en la manière.
Fondement 18 (Laf. 241, Sel. 273). Un Dieu humilié, et jusqu’à la mort de la croix. Deux natures en Jésus-Christ. Deux avènements. Deux états de la nature de l’homme. Un Messie triomphant de la mort par sa mort.
Loi figurative 3 (Laf. 247, Sel. 279). Fais toutes choses selon le patron qui t’a été montré en la montagne, sur quoi saint Paul dit que les Juifs ont peint les choses célestes.
Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Figures.
J.-C. leur ouvrit l’esprit pour entendre les Écritures.
Deux grandes ouvertures sont celles-là ; 1. Toutes choses leur arrivaient en figures - Vere Israelita, Vere liberi, Vrai pain du ciel.
2. - Un Dieu humilié jusqu’à la croix. Il a fallu que le Christ ait souffert pour entrer en sa gloire, qu’il vaincrait la mort par sa mort - Deux avènements.
Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Si on prend la loi, les sacrifices et le royaume pour réalités on ne peut accorder tous les passages ; il faut donc par nécessité qu’ils ne soient que figures. On ne saurait pas même accorder les passages d’un même auteur, ni d’un même livre, ni quelquefois d’un même chapitre, ce qui marque trop quel était le sens de l’auteur.
Loi figurative 14 (Laf. 259, Sel. 290). Figure [...]. Or dans toute l’Écriture ils plaisent et déplaisent. Il est dit que la loi sera changée, que le sacrifice sera changé, qu’ils seront sans roi, sans princes et sans sacrifices, qu’il sera fait une nouvelle alliance, que la loi sera renouvelée, que les préceptes qu’ils ont reçus ne sont pas bons, que leurs sacrifices sont abominables, que Dieu n’en a point demandé. Il est dit au contraire que la loi durera éternellement, que cette alliance sera éternelle, que le sacrifice sera éternel, que le sceptre ne sortira jamais d’avec eux, puisqu’il n’en doit point sortir que le roi éternel n’arrive.
Loi figurative 16 (Laf. 261, Sel. 292). Le temps du premier avènement est prédit, le temps du second ne l’est point, parce que le premier devait être caché, le second devait être éclatant, et tellement manifeste que ses ennemis mêmes le devaient reconnaître, mais comme il ne devait venir qu’obscurément et que pour être connu de ceux qui sonderaient les Écritures...
Loi figurative 18 (Laf. 263, Sel. 294). Contrariétés.
Le sceptre jusqu’au Messie sans roi - ni prince.
Loi éternelle, changée.
Alliance éternelle, alliance nouvelle.
Loi bonne, préceptes mauvais. Éze. 20.
Loi figurative 20 (Laf. 265, Sel. 296). Figure porte absence et présence, plaisir et déplaisir. Chiffre à double sens. Un clair et où il est dit que le sens est caché.
Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures. Voilà le chiffre que saint Paul nous donne.
La lettre tue. / Tout arrivait en figures. / Il fallait que le Christ souffrît. / Un Dieu humilié.
Circoncision du cœur, vrai jeûne, vrai sacrifice, vrai temple, les prophètes ont indiqué qu’il fallait que tout cela fût spirituel.
Non la viande qui périt, mais celle qui ne périt point.
Vous serez vraiment libre ; donc l’autre liberté n’est qu’une figure de liberté.
Je suis le vrai pain du ciel.
Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Quand David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis on peut croire charnellement que ce sera des Égyptiens. Et alors je ne saurais montrer que la prophétie soit accomplie, mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités. Car dans la vérité les Égyptiens ne sont point ennemis, mais les iniquités le sont.
Ce mot d’ennemis est donc équivoque, mais, s’il dit ailleurs comme il fait qu’il délivrera son peuple de ses péchés, aussi bien qu’Isaïe et les autres, l’équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d’iniquités. Car s’il avait dans l’esprit les péchés il les pouvait bien dénoter par ennemis mais s’il pensait aux ennemis il ne les pouvait pas désigner par iniquités.
Or Moïse et David et Isaïe usaient de mêmes termes. Qui dira donc qu’ils n’avaient pas même sens et que le sens de David qui est manifestement d’iniquités lorsqu’il parlait d’ennemis, ne fût pas le même que Moïse en parlant d’ennemis. [...]
Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des [ennemis], ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse. [...] Je ferai voir qu’un Messie a été promis pour délivrer des ennemis, et qu’il en est venu un pour délivrer des iniquités, mais non des ennemis.
Loi figurative 31 (Laf. 276, Sel. 307). De deux personnes qui disent de sots contes, l’un qui voit double sens entendu dans la cabale, l’autre qui n’a que ce sens, si quelqu’un n’étant pas du secret entend discourir les deux en cette sorte il en fera même jugement. Mais si ensuite dans le reste du discours l’un dit des choses angéliques et l’autre toujours des choses plates et communes il jugera que l’un parlait avec mystère et non pas l’autre, l’un ayant assez montré qu’il est incapable de telles sottises et capable d’être mystérieux, l’autre qu’il est incapable de mystère et capable de sottise.
Preuves de Jésus-Christ 9 (Laf. 306, Sel. 337). Les Juifs en éprouvant s’il était Dieu ont montré qu’il était homme.
Preuves de Jésus-Christ 10 (Laf. 307, Sel. 338). L’Église a eu autant de peine à montrer que J.-C. était homme, contre ceux qui le niaient qu’à montrer qu’il était Dieu, et les apparences étaient aussi grandes.
Prophéties 23 (Laf. 344, Sel. 376). Que peut-on avoir sinon de la vénération d’un homme qui prédit clairement des choses qui arrivent et qui déclare son dessein et d’aveugler et d’éclaircir et qui mêle des obscurités parmi des choses claires qui arrivent.
Pensées diverses (Laf. 557, Sel. 465). Les langues sont des chiffres où, non les lettres sont changées en lettres, mais les mots en mots. De sorte qu’une langue inconnue est déchiffrable.
Pensées diverses (Laf. 578, Sel. 481). L’éloquence est une peinture de la pensée, et ainsi ceux qui après avoir peint ajoutent encore font un tableau au lieu d’un portrait.
Mots-clés : Abaisser – Absence – Aimer – Alliance – Avènement – Cacher – Chiffre – Chose – Clair – Contrariété – Dieu – Ennemi – Entendre – Éternel – Figure – Homme – Humilier – Israël – Jésus-Christ – Lettre – Littéral – Loi – Naturel – Obscur – Passion – Peinture – Plaisir – Portrait – Présence – Principe – Réalité – Rédempteur – Règne – Sacrifice – Sens – Spirituel – Voile – Vue.