Fragment Loi figurative n° 4 / 31  – Papier original : RO 31-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 297 p. 125 / C2 : p. 151

Éditions savantes : Faugère II, 247, VIII / Havet XXV, 152 / Brunschvicg 653 / Tourneur p. 256-4 / Le Guern 232 / Lafuma 248 / Sellier 280

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Bibliographie

 

 

DUBARLE A., “Pascal et l’interprétation des Écritures”, Les Sciences philosophiques et Théologiques, vol. II, 1941-1942, p. 346-379.

FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989.

LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, dans La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 426-453.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 581 sq.

 

 

Éclaircissements

 

Figur.

 

Figur. signifie Figuratives, comme dans le fragment Loi figurative 2 (Laf. 246, Sel. 278). Le titre complet se trouve dans Loi figurative 3 (Laf. 247, Sel. 279) et Loi figurative 5 (Laf. 249, Sel. 281).

 

Les prophètes prophétisaient par figures, de ceinture, de barbe et cheveux brûlés, etc.

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 581 sq. On fait généralement la différence entre les prophéties, qui sont des révélations ou des promesses exprimées par des paroles, et les figures (prophetiae facti), qui sont des réalités. Mais Pascal, comme saint Augustin, utilise le mot figure en un sens très large, pour désigner le sens littéral du discours des prophètes, par opposition à leur sens caché.

Pascal fait ici référence à plusieurs passages précis de la Bible.

Ezéchiel, V, 1-17. « Fils de l’homme, prenez un rasoir tranchant, faites-le passer sur votre tête, et sur votre barbe pour en raser tous les poils, et prenez un poids et une balance pour les partager.

Vous en mettrez un tiers au feu et le brûlerez au milieu de la ville, jusqu’à ce que les jours du siège soient accomplis. Vous en prendrez l’autre tiers, et vous le couperez avec l’épée autour de la ville ; vous jetterez au vent les poils du dernier tiers qui restera, et je les poursuivrai l’épée nue.

Et vous prendrez de cette troisième partie un petit nombre que vous lierez au bord de votre manteau.

D’où vous en tirerez encore quelques-uns que vous jetterez au milieu du feu, et que vous brûlerez, dont il sortira une flamme qui se répandra sur toute la maison d’Israël » (trad. Sacy).

Commentaire de Sacy : « C’est ici encore un nouvel emblème dont Dieu se sert pour marquer plus précisément, et plus en détail tous les malheurs différents dont les habitants de Jérusalem seraient accablés. On ne peut point se tromper dans l’intelligence de cette figure, puisque c’est Dieu même qui en donne l’explication dans la suite, lorsqu’il déclare [v. 12] Que le tiers mourrait de peste et de famine, qu’un autre tiers tomberait et périrait par l’épée, et qu’il disperserait dans tous les climats le tiers qui serait resté. Dieu ordonne donc à Ézéchiel de prendre un rasoir bien affilé, de le passer sur sa tête et sur sa barbe, pour en couper tout le poil et tous les cheveux. Le rasoir, selon les auteurs, figurait la justice et la vengeance de Dieu. La tête qui devait être rasée, signifiait la ville de Jérusalem. Les poils et les cheveux qu’on devait couper marquaient les Juifs, et surtout ceux qui y demeuraient. Le poids et cette balance représentaient la souveraine équité de Dieu dans les châtiments qu’il exercerait sur cette ville. Et enfin cette séparation, ou ce partage en trois des cheveux coupés du prophète, était une image des différents châtiments par lesquels Dieu devait punir les Juifs. Le tiers qu’on lui ordonnait de jeter au feu, marquait, selon saint Jérôme, ceux qui mourraient par la peste et la famine. Le tiers qu’il devait couper avec l’épée figurait ceux que l’épée des ennemis ferait mourir. Et le tiers qu’on lui commandait de jeter au vent, représentait ceux qui devaient être dispersés et menés en captivité. Mais cette dispersion et cette captivité ne fut pas pour eux le dernier de leurs malheurs, puisque le Seigneur déclare qu’il les poursuivra à l’épée nue ; marquant par là aux captifs qu’ils devaient s’attendre encore à éprouver dans la suite toutes sortes de rigueurs. »

Sur les versets 3-4, Sacy propose le commentaire suivant : « On voit aisément que ce langage est tout mystérieux et prophétique. Cette petite portion que Dieu commande à Ézéchiel de tirer de la troisième partie de ses cheveux destinée à être jetée au vent, et de la lier au bord de son manteau, figurait, selon saint Jérôme, ce peu de Juifs que le Seigneur par un effet de sa bonté devait choisir au milieu de tous les captifs pour les faire un jour revenir à Jérusalem. Ils demeurèrent comme liés à son manteau, c’est-à-dire que sa divine protection figurée par ce manteau du prophète, les devait mettre à couvert, pour empêcher que leur race ne fût tout à fait éteinte, et les promesses touchant le Sauveur qui en devait naître anéanties. Mais ce qu’ii y a d’étonnant et ce qui doit faire trembler le petit nombre des justes mêmes, c’est que de cette petite portion séparée du dernier tiers et liée au manteau du saint prophète, quelques-uns en sont encore tirés et jetés au feu, d’où il sort une flamme qui se répand sur toute la maison d’Israël. »

Daniel, III, 94, use aussi de la figure des cheveux brûlés dans le récit des trois jeunes hommes, Sidrach, Misach et Abdenago, que le roi Nabuchodonosor fit jeter dans le feu : « Les princes, les premiers officiers, les juges et les grands de la cour du roi regardaient attentivement ces jeunes hommes, voyant que le feu n’avait eu aucun pouvoir sur leur corps, qu’un seul cheveu de leur tête n’en avait été brûlé, qu’il n’en paraissait aucune trace sur leurs vêtements, et que l’odeur même du feu n’était pas venue jusqu’à eux. ». Voir la note de l’éd. Brunschvicg, GEF XIV, p. 92, qui cite la Bible de Royaumont à l’appui de cette référence.

Jérémie, XIII, 1-11. « Le Seigneur me dit un jour : Allez, achetez-vous une ceinture de lin, et vous la mettrez sur vos reins, et vous ne la laverez point dans l’eau.

J’achetai donc cette ceinture, selon que le Seigneur me l’avait ordonné, et je la mis sur mes reins.

Le Seigneur me parla une seconde fois, et me dit : Prenez cette ceinture que vous avez achetée ; allez promptement au bord de l’Euphrate, et cachez-la dans le trou d’une pierre.

Je m’en allai aussitôt, et je la cachai près de l’Euphrate, comme le Seigneur m’avait commandé.

Il se passa ensuite beaucoup de jours et le Seigneur me dit : Allez promptement à l’Euphrate et tirez de là cette ceinture que je vous ai commandé d’acheter.

J’allai donc au bord de l’Euphrate, et ayant creusé dans la terre, je tirai cette ceinture du lieu où je l’avais cachée, et je la trouvai si pourrie qu’elle n’était plus propre à aucun usage.

Alors le Seigneur me dit :

Voici ce que dit le Seigneur : C’est ainsi que je ferai pourrir l’orgueil de Juda, et l’orgueil excessif de Jérusalem.

Et tout ce peuple d’hommes très méchants qui ne veulent point écouter mes paroles, qui marchent dans les égarements de leur cœur, et qui courent après les dieux étrangers pour les servir et les adorer, ils deviendront tous comme cette ceinture qui n’est plus propre à aucun usage.

Car comme une ceinture s’attache autour des reins d’un homme, ainsi j’avais uni étroitement à moi toute la maison d’Israël, et toute la maison de Juda, dit le Seigneur, afin qu’elles fussent mon peuple ; et que j’y établisse mon nom, ma louange et ma gloire ; et cependant elles ne m’ont point écouté » (tr. Sacy).

Commentaire de Sacy : « Les prophètes voulant marquer l’avenir, le faisaient, comme on l’a dit, par des actions figurées, qui en étaient des prédictions. C’est ce que Dieu nous fait voir ici à l’égard de Jérémie. Ayant dessein de lui représenter la manière dont il traiterait son peuple, afin qu’il le déclarât ensuite à ce même peuple, il se sert d’une figure extraordinaire, et l’oblige de faire une chose qui, bien que basse en apparence, exprimait parfaitement et l’union très intime qu’il avait faite avec Israël, et l’état si méprisable où Israël serait réduit en punition de son infidélité. [...] Cette ceinture de loin, que Dieu ordonne au prophète d’acheter, pour la mettre sur ses reins, figurait le peuple d’Israël, que le Seigneur avait acquis en quelque façon, en le rachetant de la servitude de l’Égypte. Il était tiré de la terre, dit saint Jérôme, comme le lin en est tiré. On ne l’avait point lavé dans l’eau, lorsque le Seigneur figuré par son prophète, le choisit pour son héritage, puisqu’il n’avait ni blancheur ni politesse, mais qu’il était un peuple rustique et grossier ; Et Dieu cependant par un effet de son infinie miséricorde se l’associe très étroitement, et le consacre à son service. Mais après que ce peuple eut été ainsi uni à Dieu par une alliance toute sainte, il pécha et s’abandonna à l’idolâtrie. Que fit alors le Seigneur ? Il fit conduire Israël vers le fleuve de l’Euphrate c’est-à-dire qu’il le fit enlever et transporter parmi les Assyriens, où il demeura comme caché et absorbé dans la multitude de ces nations infidèles, étant alors, comme ce linge pourri, inutile à tout usage, et dans le dernier mépris. C’est là l’état où l’orgueil de Juda et la fierté de Jérusalem les réduisit, pour n’avoir pas voulu écouter les paroles de son Dieu. Et ce fut dans cet état si méprisable que le Seigneur le trouva, lorsqu’il résolut de les tirer de captivité, comme il est dit que le prophète tira cette ceinture pourrie du trou de la pierre où il l’avait cachée au bord de l’Euphrate.

Que si cette comparaison peut paraître basse, elle n’en est que plus propre pour nous faire concevoir le néant d’un peuple, qui a rompu la sainte alliance qu’il avait faite avec Dieu. Car qu’est-ce que tout le peuple d’Israël était aux yeux du Seigneur, depuis qu’il eut violé ses divins préceptes, sinon comme un ligne pourri et inutile à tout usage ? » Le commentaire se poursuit en appliquant la figure de la ceinture pourrie aux chrétiens corrompus pris individuellement.