Fragment Misère n° 2 / 24 – Papier original : RO 67-6
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Misère n° 75 p. 15 / C2 : p. 33
Éditions de Port-Royal : Chap. XXIX - Pensées Morales : 1669 et janv. 1670 p. 290 / 1678 n° 45 p. 287
Éditions savantes : Faugère I, 191, XL / Havet VI.36 / Brunschvicg 112 / Tourneur p. 180-3 / Le Guern 50 / Maeda II p.213 / Lafuma 54 / Sellier 87
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Bibliographie ✍
ÉRASME, De la double abondance des mots et des idées, in Œuvres choisies, éd. J. Chomarat, Livre de Poche, 1991, p. 250 sq. GIOCANTI Sylvia, Penser l’irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer : trois itinéraires sceptiques, Paris, Champion, 2001. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 197 sq. PARMENTIER Bérengère, Le siècle des moralistes, Paris, Seuil, 2000, p. 101 sq. PICARD Raymond, “Les tragédies de Racine : comique ou tragique ?”, in De Racine au Parthénon. Essais sur la littérature à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1977, p. 57-70. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 33 sq. |
✧ Éclaircissements
Inconstance.
Par son titre, ce fragment semble plutôt se rattacher à la liasse Vanité qu’à Misère. Voir Vanité 5 (Laf. 17, Sel. 51), où les termes d’inconstance et de bizarrerie apparaissent dans Vanité. Mais déjà, Vanité 12 (Laf. 24, Sel. 58), rattache l’idée d’inconstance à celles d’ennui et d’inquiétude, qui appartiennent bien au champ de la misère. L’inconstance peut aisément être tirée dans le sens du tragique : chacun à sa manière, Corneille et Racine, par exemple, montrent que le malheur des hommes tient au fait qu’ils sont incapables de constance. Voir là-dessus le vers de Hermione : Ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais ?
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 197 sq. Définition : l’inconstance n’est que la diversité saisie dans le temps : p. 197. Si l’homme pouvait trouver satisfaction dans quelque objet, il s’y tiendrait sans plus en chercher d’autres ; mais comme tout le déçoit, il passe sans cesse d’objet en objet, dans l’illusion de pouvoir en trouver un qui le satisfasse.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 33 sq. Sur l’inconstance. ✍
Voir a contrario, la définition de la constance, chez les stoïciens, et chez Descartes, dans sa définition de la générosité, dans le Traité des passions, art. 153. En quoi consiste la générosité. « Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait qu’un homme s’estime au plus haut point qu’il se peut (446) légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu’il connaît qu’il n’y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu’il en use bien ou mal, et partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante résolution d’en bien user, c’est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures. Ce qui est suivre parfaitement la vertu. »
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La Rochefoucauld, Maximes, 175, éd. Truchet, p. 175. Constance et inconstance.
La Rochefoucauld, Réflexions diverses, XVIII, De l’inconstance, éd. Truchet, p. 222-223.
Érasme, De la double abondance des mots et des idées, in Œuvres choisies, éd. J. Chomarat, Livre de Poche, 1991, p. 250 sq. Variation sur l’idée d’inconstance humaine.
Sur l’inconstance des phénomènes, voir Vanité 15 (Laf. 27, Sel. 61). Le froid et le chaud. Inconstance des qualités dans le cas de la fièvre.
♦ Diversité
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 196 sq. L’attachement à de faux objets a pour corollaire la diversité. La diversité en l’homme : p. 197.
Deux diversités conjointes engendrent une inconstance. Ce qui cause l’instabilité, c’est le redoublement de la diversité : celle des choses d’une part, celle de l’âme d’autre part. Rien n’est constant, de sorte qu’aucun point fixe ne permet de régler la diversité. On est donc à un point critique où rien ne permet de savoir comment la réaction de l’un à l’autre va se faire.
Parmentier Bérengère, Le siècle des moralistes, Paris, Seuil, 2000, p. 101 sq. D’un côté, la diversité des choses exclut une totalisation du réel à connaître ; de l’autre, la diversité des points de perspective interdit au sujet de fixer son savoir de manière définitive.
Les choses ont diverses qualités et l’âme diverses inclinations, car rien n’est simple de ce qui s’offre à l’âme. Et l’âme ne s’offre jamais simple à aucun sujet.
L’âme est complexe parce qu’elle a diverses inclinations. Voir Montaigne, Essais, I, XXXVIII : en nos âmes, bien qu’il y ait divers mouvements...
Charron, De la sagesse, I, XL. « L’homme est un sujet merveilleusement divers et ondoyant, sur lequel il est très malaisé d’y asseoir un jugement assuré, jugement, dis-je, universel et entier, à cause de la grande contrariété et dissonance des pièces de notre vie. La plupart de nos actions ne sont que saillies et bouttées poussées par quelques occasions ; ce ne sont que pièces rapportées ».
De l’Esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 7-1, OC III, p. 415-417. [...] La raison de cette extrême difficulté vient de ce que les principes du plaisir ne sont pas fermes et stables. Ils sont divers en tous les hommes, et variables dans chaque particulier avec une telle diversité, qu’il n’y a point d’homme plus différent d’un autre que de soi même dans les divers temps. Un homme a d’autres plaisirs qu’une femme ; un riche et un pauvre en ont de différents ; un prince, un homme de guerre, un marchand, un bourgeois, un paysan, les vieux, les jeunes, les sains, les malades, tous varient ; les moindres accidents les changent.
Contradiction apparente avec Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), sur le fait que ce qui achève notre impuissance, c’est que les choses sont simples en elles-mêmes et que nous sommes composés.
♦ Inclination
Sens de la métaphore théologique : plaisir qui entraîne la volonté de façon irrésistible.
De là vient qu’on pleure et qu’on rit d’une même chose.
Montaigne, Essais, I, 38, Comme nous pleurons et rions d’une même chose.
Montaigne, Essais, II, 1, Pléiade, p. 315. ✍
Charron Pierre, Sagesse, I, XXXVIII, Inconstance, p. 125 : « Il rit et pleure d’une même chose ».
De là vient... : expression de la raison des effets. Technique qui consiste à recueillir un dicton courant chez les auteurs, et à en proposer la raison.
Giocanti Sylvia, Penser l’irrésolution..., p. 97. Comment Pascal réifie le caractère sceptique de l’énoncé de Montaigne, I, 38, Comme nous pleurons et rions d’une même chose, et II, 20, Nous ne goûtons rien de pur. Ce n’est plus une remarque préliminaire d’un développement sur l’inconstance des sentiments, mais la présentation d’un effet de variété comme conséquence déductible d’un ensemble de conditions considéré comme constant. Pascal utilise un lexique et une démarche étrangers au scepticisme.
Ce n’est pas seulement une vue de l’esprit. Voir Picard Raymond, “Les tragédies de Racine : comique ou tragique ?”, in De Racine au Parthénon. Essais sur la littérature à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1977, p. 57-70 (article publié aussi dans la RHLF, mai-août 1969). Voir particulièrement p. 62, où l’idée est reprise sans référence à Pascal.