Fragment Morale chrétienne n° 8 / 25  – Papier original : RO 202-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Morale n° 361 p. 177 v° / C2 : p. 210

Éditions de Port-Royal : Chap. III - Veritable Religion prouvée par les contrarietez : 1669 et janv. 1670 p. 44 / 1678 n° 22 p. 47

Éditions savantes : Faugère II, 377, XLIV / Havet XII.19 / Brunschvicg 538 / Tourneur p. 291-3 / Le Guern 339 / Lafuma 358 / Sellier 390

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

DE NADAÏ Jean-Christophe, “Le sacrifice de Jésus-Christ dans la Lettre aux Périer”, in DESCOTES Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 239-256.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

LEDUC-FAYETTE Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, Paris, Cerf, 1996.

MESNARD Jean, “La maladie, état naturel des chrétiens”, Communio, Revue catholique internationale, t. II, 1977, p. 84-94.

PASCAL Blaise, Entretien avec Monsieur de Sacy, éd. P. Mengotti et J. Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

SELLIER Philippe, “Joie et mystique chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, 2e édition, Paris, Champion, 2010, p. 627-648.

STIKER-MÉTRAL Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris Champion, 2007.

THIROUIN Laurent, “La santé du malheur. Santé et maladie dans la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies”, in DESCOTES Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 275-298.

 

 

Éclaircissements

 

Avec combien peu d’orgueil un chrétien dit-il qu’il est se croit‑il uni à Dieu !

 

La substitution de se croit-il à dit-il qu’il est est significative : on n’est jamais vraiment sûr d’être uni à Dieu, et ce serait en tout cas de l’outrecuidance de le dire.

Pascal a reproché aux stoïciens de se croire capables d’être unis à Dieu par une « superbe diabolique » : voir Pascal, Entretien avec Monsieur de Sacy, éd. P. Mengotti et J. Mesnard, p. 96-99.

« Voilà, Monsieur, dit M. Pascal à M. de Sacy, les lumières de ce grand esprit qui a si bien connu les devoirs de l’homme. J’ose dire qu’il mériterait d’être adoré, s’il avait aussi bien reconnu son impuissance, puisqu’il fallait être Dieu pour apprendre l’un et l’autre aux hommes. Aussi comme il était terre et cendre, après avoir si bien compris ce qu’on doit, voici comme il se perd dans la présomption de ce qu’on peut. Il dit :

Que Dieu a donné à l’homme les moyens de s’acquitter de toutes ces obligations ; que ces moyens sont en notre puissance ; qu’il faut chercher la félicité par les choses qui sont en notre pouvoir, puisque Dieu nous les a données à cette fin ; qu’il faut voir ce qu’il y a en nous de libre ; que les biens, la vie, l’estime ne sont pas en notre puissance, et ne mènent donc pas à Dieu ; mais que l’esprit ne peut être forcé de croire ce qu’il sait être faux, ni la volonté d’aimer ce qu’elle sait qui la rend malheureuse ; que ces deux puissances sont donc libres, et que c’est par elles que nous pouvons nous rendre parfaits ; que l’homme peut par ces puissances parfaitement connaître Dieu, l’aimer, lui obéir, lui plaire, se guérir de tous ses vices, acquérir toutes les vertus, se rendre saint, ami et compagnon de Dieu.

Ces principes d’une superbe diabolique le conduisent à d’autres erreurs, comme : que l’âme est une portion de la substance divine, que la douleur et la mort ne sont pas des maux ; qu’on peut se tuer quand on est si persécuté qu’on doit croire que Dieu appelle ; et à d’autres. »

Le chrétien se sait capable d’union avec Dieu sans que ce soit un effet de l’orgueil, parce qu’il sait que ce n’est que par l’effet de la grâce de Dieu qu’il peut y parvenir.

 

Avec combien peu d’abjection s’égale-t-il aux vers de la terre !

 

La bassesse de l’homme a été évoquée dans les liasses Vanité et Misère. L’image du ver de terre a été employée dans le fragment Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164). Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur, gloire et rebut de l’univers.

Leduc-Fayette Denise, Pascal et le mystère du mal. La clef de Job, p. 193. L’homme comme ver dans Job.

Pascal a montré dans la liasse A P. R. que l’homme ne doit pas s’estimer si abject qu’il ne soit pas digne de la communication de Dieu. Voir A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). Incroyable que Dieu s’unisse à nous. Cette considération n’est tirée que de la vue de notre bassesse, mais si vous l’avez bien sincère, suivez-la aussi loin que moi et reconnaissez que nous sommes en effet si bas que nous sommes par nous-mêmes incapables de connaître si sa miséricorde ne peut pas nous rendre capables de lui. Car je voudrais savoir d’où cet animal qui se reconnaît si faible a le droit de mesurer la miséricorde de Dieu et d’y mettre les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il sait si peu ce que c’est que Dieu qu’il ne sait pas ce qu’il est lui-même. Et tout troublé de la vue de son propre état il ose dire que Dieu ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui sinon qu’il l’aime et le connaisse, et pourquoi il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable à lui puisqu’il est naturellement capable d’amour et de connaissance. Il est sans doute qu’il connaît au moins qu’il est et qu’il aime quelque chose. Donc s’il voit quelque chose dans les ténèbres où il est et s’il trouve quelque sujet d’amour parmi les choses de la terre, pourquoi si Dieu lui découvre quelque rayon de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connaître et de l’aimer en la manière qu’il lui plaira se communiquer à nous. Il y a donc sans doute une présomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu’ils paraissent fondés sur une humilité apparente, qui n’est ni sincère, ni raisonnable si elle ne nous fait confesser que ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes nous ne pouvons l’apprendre que de Dieu.

 

La belle manière de recevoir la vie et la mort, les biens et les maux.

 

Pascal a montré dans l’Entretien avec M. de Sacy comment les stoïciens d’une part, et Montaigne de l’autre, reçoivent la vie et la mort, les biens et les maux :

Voir l’Entretien avec Monsieur de Sacy, éd. P. Mengotti et J. Mesnard, p. 93-95.

« Épictète, lui dit-il, est un des philosophes du monde qui ait mieux connu les devoirs de l’homme. Il veut, avant toutes choses, qu’il regarde Dieu comme son principal objet ; qu’il soit persuadé qu’il gouverne tout avec justice ; qu’il se soumette à lui de bon cœur, et qu’il le suive volontairement en tout, comme ne faisant rien qu’avec une très grande sagesse : qu’ainsi cette disposition arrêtera toutes les plaintes et tous les murmures, et préparera son esprit à souffrir paisiblement tous les événements les plus fâcheux.

Ne dites jamais, dit-il : « J’ai perdu cela » ; dites plutôt : « Je l’ai rendu. Mon fils est-il mort ? Je l’ai rendu. Ma femme est morte ? Je l’ai rendue. » Ainsi des biens et de tout le reste. « Mais celui qui me l’ôte est un méchant homme », dites-vous. De quoi vous mettez-vous en peine par qui celui qui vous l’a prêté vous le redemande ? Pendant qu’il vous en permet l’usage, ayez-en soin comme d’un bien qui appartient à autrui, comme un homme qui fait voyage se regarde dans une hôtellerie. Vous ne devez pas, dit-il, désirer que ces choses qui se font se fassent comme vous le voulez ; mais vous devez vouloir qu’elles se fassent comme elles se font.

Souvenez-vous, dit-il ailleurs, que vous êtes ici comme un acteur, et que vous jouez le personnage d’une comédie, tel qu’il plaît au maître de vous le donner. S’il vous le donne court, jouez-le court ; s’il vous le donne long, jouez-le long. S’il veut que vous contrefassiez le gueux, vous le devez faire avec toute la naïveté qui vous sera possible. Ainsi du reste. C’est votre fait de jouer bien le personnage qui vous est donné, mais de le choisir, c’est le fait d’un autre.

Ayez tous les jours devant les yeux la mort et les maux qui semblent les plus insupportables et jamais vous ne penserez rien de bas, et ne désirerez rien avec excès. »

Les idées de Montaigne sont abordées plus bas, Pascal, Entretien avec Monsieur de Sacy, éd. P. Mengotti et J. Mesnard, p. 118-120.

« De ce principe, dit-il, que hors de la foi tout est dans l’incertitude, et considérant combien il y a que l’on cherche le vrai et le bien sans aucun progrès vers la tranquillité, il conclut qu’on en doit laisser le soin aux autres : Quaerite quos agitat mundi labor, et demeurer cependant en repos, coulant légèrement sur les sujets de peur d’y enfoncer en appuyant ; et prendre le vrai et le bien sur la première apparence, sans les presser, parce qu’ils sont si peu solides que, quelque peu qu’on serre la main, ils s’échappent entre les doigts et la laissent vide.

C’est pourquoi il suit le rapport des sens et les notions communes, parce qu’il faudrait qu’il se fît violence pour les démentir, et qu’il ne sait s’il gagnerait, ignorant où est le vrai. Ainsi il fuit la douleur et la mort, parce que son instinct l’y pousse, et qu’il ne veut pas résister par la même raison, mais sans en conclure que ce soient de véritables maux, ne se fiant pas trop à ces mouvements naturels de crainte, vu qu’on en sent d’autres de plaisir qu’on dit être mauvais, quoique la nature parle au contraire.

Ainsi, il n’a rien d’extravagant dans sa conduite, il agit comme les autres ; et tout ce qu’ils font dans la sotte pensée qu’ils suivent le vrai bien, il le fait par un autre principe, qui est que les vraisemblances étant pareilles d’un et d’autre côté l’exemple et la commodité sont les contrepoids qui l’entraînent. »

Voir sur le même sujet Laf. 680, Sel. 559. Montaigne. Les défauts de Montaigne sont grands. Mots lascifs. Cela ne vaut rien malgré mademoiselle de Gournay. Crédule : gens sans yeux. Ignorant : quadrature du cercle, monde plus grand. Ses sentiments sur l’homicide volontaire, sur la mort. Il inspire une nonchalance du salut, sans crainte et sans repentir. Son livre n’étant pas fait pour porter à la piété il n’y était pas obligé, mais on est toujours obligé de n’en point détourner. On peut excuser ses sentiments un peu libres et voluptueux en quelques rencontres de la vie, [...] mais on ne peut excuser ses sentiments tout païens sur la mort. Car il faut renoncer à toute piété si on ne veut au moins mourir chrétiennement. Or il ne songe qu’à mourir lâchement et mollement par tout son livre.

Comment les chrétiens, selon Pascal, reçoivent-ils les biens et les maux en général, et la vie et la mort en particulier ?

Pascal a consacré à ce problème deux textes majeurs, auxquels il faut se reporter.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 84 sq. Contre la conception stoïcienne de la mort naturelle, Pascal pense que c’est l’horreur de la mort qui est naturelle p. 84-85.

La Lettre de Monsieur Pascal à Monsieur Périer, son beau-frère, au sujet de la mort de M. Pascal, son père, OC II, éd. J. Mesnard, p. 851-863. Pascal y expose comment pour examiner « la nature de la mort », il faut « recourir à la personne de Jésus-Christ », p. 854. « Sans Jésus-Christ elle est horrible, elle est détestable, et l’horreur de la nature. En Jésus-Christ, elle est tout autre ; elle est aimable, sainte, et la joie du fidèle ». La mort a consommé le sacrifice du Christ ; de même chez l’homme, « dès le moment que nous entrons dans l’Église, [...] nous sommes offerts et sanctifiés. Ce sacrifice se continue par la vie, et s’accomplit à la mort, dans laquelle, l’âme quittant tous les vices et l’amour de la terre, dont la contagion l’infecte toujours durant cette vie, elle achève son immolation et est reçue dans le sein de Dieu » : p. 856. Pascal reprend au passage des expressions qui rappellent celles qu’il a employées à propos d’Épictète : « Ne nous affligeons donc pas comme les païens qui n’ont point d’espérance. Nous n’avons point perdu mon père au moment de sa mort. Nous l’avions perdu pour ainsi dire dès qu’il entra dans l’Église par le baptême. Dès lors il était à Dieu ». Toute la lettre développe les conséquences de ce principe.

De Nadaï Jean-Christophe, “Le sacrifice de Jésus-Christ dans la Lettre aux Périer”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, p. 239-256. 

Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), p. 148 sq. La Lettre sur la mort de son père. 

Pour les biens et les maux, il faut recourir à la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, OC IV, éd. J. Mesnard, IV, p. 998-1012. Voir surtout le commentaire de J. Mesnard, p. 990 sq., sur l’originalité de cette prière, qui tient à ce qu’elle ne demande pas la guérison, comme c’est le cas pour la plupart des textes du même genre, mais le pouvoir de faire de la maladie qui afflige le corps l’objet d’un bon usage pour le salut : « souffrance et maladie entrent ainsi dans l’économie du salut, et prennent tout leur sens dans le déroulement d’une histoire providentielle » (p. 992).

OC I, éd. J. Mesnard, p. 599 et 639. La Vie de Pascal. La maladie place le chrétien dans la condition qui devrait toujours être la sienne : privation des plaisirs, affaiblissement des passions, attente de la mort.

Mesnard Jean, “La maladie, état naturel des chrétiens”, Communio, t. II, 1977, p. 84-94.

Thirouin Laurent, “La santé du malheur. Santé et maladie dans la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies”, p. 275-298.

Sellier Philippe, “Joie et mystique chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, 2e édition, 2010, p. 637. La maladie et la pénitence chez Pascal. 

Il faut remarquer que, malgré les différences profondes qui séparent l’esprit stoïcien et la spiritualité chrétienne, il existe une certaine parenté de ces idées de Pascal avec celles des stoïciens.

Long et Sedley, Les philosophies hellénistiques, II, Les stoïciens, Paris, Garnier-Flammarion, 1987, p. 440 sq. La santé et la richesse ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi, mais sont susceptibles d’être utilisées bien ou mal.