Fragment Ordre n° 5 / 10 - Papier original : RO 25-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Ordre n° 9 p. 1 v° / C2 : p. 14-15
Éditions savantes : Faugère II, 391, Ordre / Havet X.11 / Brunschvicg 248 / Tourneur p. 168-3 / Le Guern 5 / Maeda I p. 35 / Lafuma 7 / Sellier 41
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Bibliographie ✍
HARRINGTON Thomas, Vérité et méthode dans les Pensées de Pascal, Vrin, Paris, 1972, p. 118. SHIOKAWA Tetsuya, “Justus ex fide vivit et fides ex auditu : deux aspects de la foi dans l’apologétique pascalienne”, in MEURILLON Christian (dir.), Pascal, l’exercice de l’esprit, Revue des sciences Humaines, 244, 1996, p.159-178. |
✧ Éclaircissements
Lettre qui marque l’utilité des preuves, par la machine.
Sur la machine : voir Ordre 3 (Laf. 5, Sel. 39), et Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680).
Laf. 821, Sel. 313. Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus.
La foi est différente de la preuve.
La foi est la croyance fondée sur l’autorité du témoignage d’autrui. Sur la distinction entre foi divine et foi humaine, voir Pascal, Pensées, Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142), et toute la liasse Conclusion.
Il faut toutefois bien distinguer deux points de vue. On parle de foi humaine ou divine selon l’origine de ce qui est révélé : la foi divine vient de Dieu, l’autre de l’homme. Mais quand on parle de la foi divine, on entend aussi cette « foi sans raisonnement » inséparable de l’amour que le cœur porte à Dieu, dont parle le fragment Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412).
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 325. La foi don de Dieu.
Harrington Thomas, Vérité et méthode dans les Pensées de Pascal, p. 118. La foi humaine fait croire par raisonnement, elle ne transforme pas le cœur et ne modifie pas son esclavage à la concupiscence ; la foi divine fait croire les vérités chrétiennes par sentiment du cœur ; elle comporte l’humiliation ; c’est un don gratuit de Dieu qui effectue une conversion. La foi humaine est figure de la foi divine : p. 119. Elle peut en être l’instrument.
L’une est humaine, l’autre est un don de Dieu. Justus ex fide vivit.
Romains I, 17. « Le juste vit de la foi. »
Shiokawa Tetsuya, “Justus ex fide vivit et fides ex auditu : deux aspects de la foi dans l’apologétique pascalienne”, in Meurillon Christian (dir.), Pascal, l’exercice de l’esprit, Revue des sciences Humaines, 244, 1996, p.159-178. ✍
C’est de cette foi que Dieu lui‑même met dans le cœur dont la preuve est souvent l’instrument.
Harrington Thomas, Vérité et méthode dans les Pensées de Pascal, p. 118. La foi humaine fait croire par raisonnement, elle est figure et peut être l’instrument de la foi divine : p. 119.
Fides ex auditu.
Romains, X, 17. « La foi donc vient de ce qu’on a ouï ; et on a ouï, parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée » (Traduction Sacy).
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Shiokawa Tetsuya, “Justus ex fide vivit et fides ex auditu : deux aspects de la foi dans l’apologétique pascalienne”, in Meurillon Christian (dir.), Pascal, l’exercice de l’esprit, Revue des sciences Humaines, 244, 1996, p. 159-178.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 61 sq.
Mais cette foi est dans le cœur
Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142). Le cœur est en l’homme la « faculté des principes » ; il donne à l’homme des cadres fondamentaux de pensée à partir desquels la raison peut fonctionner, mais qu’elle ne peut démontrer. C’est pourquoi la foi donne à l’esprit humain une manière nouvelle de voir, de sentir et de penser qui sert de fondement à la raison : Pascal dit que c’est le cœur qui sent Dieu, mais qu’une fois que la raison s’est soumise à ce sentiment par la foi, elle peut s’exercer normalement.
et fait dire non Scio, mais Credo.
L’édition Sellier renvoie pour le commentaire à S. Thomas, Somme de Théologie, IIa IIae q. 1, a 5. Utrum ea quae sunt fidei possint esse scita : « Ad quintum sic proceditur. Videtur quod ea quae sunt fidei possint esse scita. Ea enim quae non sciuntur videntur esse ignorata, quia ignorantia scientiae opponitur. Sed ea quae sunt fidei non sunt ignorata, horum enim ignorantia ad infidelitatem pertinet, secundum illud I ad Tim. I, ignorans feci in incredulitate mea. Ergo ea quae sunt fidei possunt esse scita. »
Saint Augustin, De utilitate credendi, XI, 25, Bibliothèque augustinienne, 8, Desclée de Brouwer, 1951, p. 268-269 : « Quod intellegimus igitur, debemus rationi : quod credimus, auctoritati : quod opinamur, errori » ; tr. : « comprendre est affaire de raison, croire, d’autorité, préjuger, d’erreur ». Cette formule sera invoquée dans les Réflexions sur l’éloquence des prédicateurs, Œuvres, XLII, p. 398.
Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 408 sq. Credo.
Note de Alberto Moscato, B. Pascal, Antologia filosofica, a cura di A. Moscato, La Scuola, Brescia, 1982 : « Pour la différence entre scire et credere, on peut rappeler le tacitien sanctius ac reverentius videri de actis deorum credere, quam scire, très souvent cité. Entre autres, y fait appel, à l’appui d’une apologétique sceptique, La Mothe Le Vayer, Deux dialogues… par Orasius Tubero. I. Sur la divinité, éd. Tisserand, Paris, 1922, p. 147 ».