Pensées - page 183
et si vains, que nous songeons
à ceux qui ne sont point, et laissons
échapper sans réflexion le seul
qui subsiste. C’est que le présent d’ordinaire
nous blesse. Nous le cachons
à notre vue, parce qu’il nous afflige ;
et s’il nous est agréable, nous regrettons
de le voir échapper. Nous
tâchons de le soutenir par l’avenir, et
pensons à disposer les choses qui ne
sont pas en notre puissance, pour un
temps où nous n’avons aucune assurance
d’arriver.
Que chacun examine sa pensée. Il
la trouvera toujours occupée au passé
et à l’avenir. Nous ne pensons presque
point au présent ; et si nous y pensons,
ce n’est que pour en prendre la
lumière pour disposer l’avenir. Le
présent n’est jamais notre but. Le
passé et le présent sont nos moyens ;
le seul avenir est notre objet. Ainsi
nous ne vivons jamais ; mais nous espérons
de vivre ; et nous disposant
toujours à être heureux, il est indubitable
que nous ne le serons jamais ;
si nous n’aspirons à une autre béatitude
qu’à celle dont on peut jouir en
cette vie. |