L’édition de Port-Royal de 1678

 

 

 

Pensées - page 183

et si vains, que nous songeons

à ceux qui ne sont point, et laissons

échapper sans réflexion le seul

qui subsiste. C’est que le présent d’ordinaire

nous blesse. Nous le cachons

à notre vue, parce qu’il nous afflige ;

et s’il nous est agréable, nous regrettons

de le voir échapper. Nous

tâchons de le soutenir par l’avenir, et

pensons à disposer les choses qui ne

sont pas en notre puissance, pour un

temps où nous n’avons aucune assurance

d’arriver.

Que chacun examine sa pensée. Il

la trouvera toujours occupée au passé

et à l’avenir. Nous ne pensons presque

point au présent ; et si nous y pensons,

ce n’est que pour en prendre la

lumière pour disposer l’avenir. Le

présent n’est jamais notre but. Le

passé et le présent sont nos moyens ;

le seul avenir est notre objet. Ainsi

nous ne vivons jamais ; mais nous espérons

de vivre ; et nous disposant

toujours à être heureux, il est indubitable

que nous ne le serons jamais ;

si nous n’aspirons à une autre béatitude

qu’à celle dont on peut jouir en

cette vie.

 

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