Pensées - page 187
elle peut en toutes choses, a établi
dans l’homme une seconde nature.
Elle a ses heureux, et ses malheureux ;
ses sains, ses malades ; ses
riches, ses pauvres ; ses fous, et ses
sages : et rien ne nous dépite davantage,
que de voir qu’elle remplit ses
hôtes d’une satisfaction beaucoup
plus pleine et entière que la raison, les
habiles par imagination se plaisant
tout autrement en eux-mêmes que
les prudents ne se peuvent raisonnablement
plaire. Ils regardent les gens
avec empire. Ils disputent avec hardiesse
et confiance, les autres avec
crainte et défiance. Et cette gaieté
de visage leur donne souvent l’avantage
dans l’opinion des écoutants :
tant les sages imaginaires ont de faveur
auprès de leurs juges de même
nature. Elle ne peut rendre sages les
fous ; mais elle les rend contents ; à
l’envi de la raison, qui ne peut rendre
ses amis que misérables. L’une
les comble de gloire, l’autre les couvre
de honte.
Qui dispense la réputation ? Qui
donne le respect et la vénération aux
personnes, aux ouvrages, aux grands, |