Pensées - page 280
En un mot le moi a deux qualités ; il
est injuste en soi, en ce qu’il se fait
centre de tout ; il est incommode aux
autres, en ce qu’il les veut asservir ;
car chaque moi est l’ennemi, et voudrait
être le tyran de tous les autres.
Vous en ôtez l’incommodité, mais
non pas l’injustice ; et ainsi vous ne
le rendez pas aimable à ceux qui en
haïssent l’injustice : vous ne le rendez
aimable qu’aux injustes, qui n’y trouvent
plus leur ennemi ; et ainsi vous
demeurez injuste, et ne pouvez plaire
qu’aux injustes.
28. Je n’admire point un homme
qui possède une vertu dans toute
sa perfection, s’il ne possède en même
temps dans un pareil degré la vertu
opposée ; tel qu’était Épaminondas,
qui avait l’extrême valeur jointe
à l’extrême bénignité : car autrement
ce n’est pas monter, c’est tomber.
On ne montre pas sa grandeur, pour
être en une extrémité ; mais bien en
touchant les deux à la fois, et remplissant
tout l’entre-deux. Mais peut-
être que ce n’est qu’un soudain mouvement
de l’âme de l’un à l’autre
de ces extrêmes, et qu’elle n’est jamais
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