L’édition de Port-Royal de 1678

 

 

 

Pensées - page 65

sans savoir qui l’y a mis, ce

qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra

en mourant ; j’entre en effroi

comme un homme qu’on aurait porté

endormi dans une île déserte et

effroyable, et qui s’éveillerait sans

connaître où il est, et sans avoir aucun

moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire

comment on n’entre pas en désespoir

d’un si misérable état. Je vois

d’autres personnes auprès de moi de

semblable nature. Je leur demande

s’ils sont mieux instruits que moi, et

ils me disent que non. Et sur cela ces

misérables égarés ayant regardé autour

d’eux, et ayant vu quelques objets

plaisants s’y sont donnés, et s’y

sont attachés. Pour moi je n’ai pu

m’y arrêter, ni me reposer dans la

société de ces personnes semblables à

moi, misérables comme moi, impuissantes

comme moi. Je vois qu’ils

ne m’aideraient pas à mourir : je

mourrai seul : il faut donc faire comme

si j’étais seul : or si j’étais seul,

je ne bâtirais pas des maisons, je ne

m’embarrasserais point dans des occupations

tumultuaires, je ne chercherais

l’estime de personne, mais je

 

 

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