Pensées - page 65
sans savoir qui l’y a mis, ce
qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra
en mourant ; j’entre en effroi
comme un homme qu’on aurait porté
endormi dans une île déserte et
effroyable, et qui s’éveillerait sans
connaître où il est, et sans avoir aucun
moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire
comment on n’entre pas en désespoir
d’un si misérable état. Je vois
d’autres personnes auprès de moi de
semblable nature. Je leur demande
s’ils sont mieux instruits que moi, et
ils me disent que non. Et sur cela ces
misérables égarés ayant regardé autour
d’eux, et ayant vu quelques objets
plaisants s’y sont donnés, et s’y
sont attachés. Pour moi je n’ai pu
m’y arrêter, ni me reposer dans la
société de ces personnes semblables à
moi, misérables comme moi, impuissantes
comme moi. Je vois qu’ils
ne m’aideraient pas à mourir : je
mourrai seul : il faut donc faire comme
si j’étais seul : or si j’étais seul,
je ne bâtirais pas des maisons, je ne
m’embarrasserais point dans des occupations
tumultuaires, je ne chercherais
l’estime de personne, mais je
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