Fragment Philosophes n° 7 / 8 – Papier original : RO 275-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Philosophes n° 198 p. 61 v° / C2 : p. 87

Éditions de Port-Royal : Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janv. 1670 p. 166 / 1678 n° 1 p. 163

Éditions savantes : Faugère II, 92, III / Havet VIII.5 / Brunschvicg 461 / Tourneur p. 215-3 / Le Guern 135 / Lafuma 145 / Sellier 178

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

LAFOND Jean, “Augustinisme et épicurisme au XVIIe siècle”, XVIIe siècle, 135, p. 149 sq

MOREAU Pierre-François, Le retour des philosophies antiques à l’âge classique, t. 1, Le stoïcisme au XVIe et au XVIIe siècle, t. 2, Le scepticisme au XVIe et au XVIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1999 et 2001.

PASCAL, Traité de la prédestination, OC III, p. 792-794.

Recueil de choses diverses, BnF, nouv. Acq. Fr. ms. 4333, f° 182. Voir OC I, p. 893 et LESAULNIER Jean, Port-Royal insolite, Paris, Klincksieck, 1992, p. 411.

RODIS-LEWIS Geneviève, Épicure et son école, Paris, Gallimard, 1975.

THIROUIN Laurent et KRUMENACKER Yves (dir.), Les écoles de pensée religieuse à l’époque moderne, Chrétiens et sociétés, Documents et mémoires, n° 5, Lyon, 2006.

 

Éclaircissements

 

Les trois concupiscences ont fait trois sectes,

 

Voir le dossier Concupiscence.

La pensée de Pascal sur la concupiscence est exposée dans les Écrits sur la grâce, particulièrement dans le Traité de la prédestination, OC III, p. 792-794. Voir les analyses de J. Mesnard sur cet ouvrage dans OC III, p. 596. Dans le fragment Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313), Pascal compte un millier de sectes de philosophes. Il se contente ici des trois plus typiques.

secte : Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 963 ; Misono Keisuke, Écrire contre le jansénisme au XVIIe siècle : Léonard de Marandé polémiste vulgarisateur, Thèse, Clermont-Ferrand, 2008, p. 298. L’ensemble des hommes qui font profession de suivre une même doctrine. Le verbe suivre renvoie ici au mot secte : Furetière définit la secte comme la collectivité qui suit certaines opinions. On parle de secte a sequendo. En un sens plus spécial, et péjoratif, se dit d’un groupe d’hommes qui adhèrent strictement à une doctrine très définie, et que cette adhésion unit fortement entre eux, en même temps qu’elle les dépare des autres esprits et de l’opinion commune. Le mot est censé venir alors du verbe secare (secte a secando).

 

et les philosophes n’ont fait autre chose que suivre une des trois concupiscences.

 

Pascal reprend ici une des thèses majeures du courant hostile à la philosophie païenne de l’Antiquité. Voir sur ce point les Généralités sur la liasse Philosophes. Il y reviendra dans Souverain bien 2 (Laf. 148, Sel. 181). Les uns le cherchent dans l'autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés.

Il y a eu aux XVIe et XVIIe siècles une résurgence des philosophies antiques, notamment du stoïcisme et de l’épicurisme. Voir les recueils d’études publiés sous la direction de Pierre-François Moreau, Le retour des philosophies antiques à l’âge classique, t. 1, Le stoïcisme au XVIe et au XVIIe siècle, t. 2, Le scepticisme au XVIe et au XVIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1999 et 2001.

L’épicurisme correspond à la libido sentiendi, dans la mesure où l’on considère, au XVIIe siècle, que sa morale est fondée sur la recherche du plaisir, ou comme le dit l’édition de Port-Royal, les voluptés. D’autre part, cette philosophie suscite de graves réticences du fait que les épicuriens sont réputés athées. Pascal les mentionne au passage dans la quatrième Provinciale, § 13, éd. Cognet, p. 62.

La réhabilitation de l’épicurisme a principalement été le fait de Gassendi. Sur l’épicurisme au XVIIe siècle, voir Rodis-Lewis Geneviève, Épicure et son école, Paris, Gallimard, 1975 ; Darmon Jean-Charles, Philosophie épicurienne et littérature au XVIIe siècle, Études sur Gassendi, Cyrano de Bergerac, La Fontaine, Saint-Évremond, Paris, PUF, 1998.

L’épicurisme est généralement associé au libertinage. Mais il existe des affinités entre l’épicurisme et l’augustinisme ; voir sur ce sujet Lafond Jean, “Augustinisme et épicurisme au XVIIe siècle”, XVIIe siècle, 135, p. 149 sq., et Thirouin Laurent, “À la recherche du vrai saint Augustin”, in Thirouin Laurent et Krumenacker Yves (dir.), Les écoles de pensée religieuse à l’époque moderne, Chrétiens et sociétés, Documents et mémoires, n° 5, Lyon, 2006, p. 25-64.

Le stoïcisme était plus facile à réhabiliter, parce que sa morale était plus proche de celle du christianisme que celle des Épicuriens. Voir Busson Henri, La religion des classiques, p. 193 sq. Ch. V, p. 193-194. Voir Maurens, La tragédie sans tragique, p. 97 sq. Juste Lipse tente de réaliser la conciliation du stoïcisme avec les croyances chrétiennes : p. 101. Il écrit : « je ferai le philosophe, mais chrétien », p. 97 sq.  Sur le stoïcisme et christianisme dans la seconde partie du XVIIe siècle, voir p. 33 sq. L'aventure jésuite preuve de ce que l'adhésion au stoïcisme n'est pas jugée incompatible avec la foi. Du Vair, écrit la Philosophie morale des stoïques (éd. G. Michaut, Paris, Vrin, 1946), un ouvrage stoïcien pour chrétiens, mais qui n’apporte aucune vérité transcendante à l'homme ; le bien n'est dans cette perspective que l'être et l’agir selon la nature. Jusqu'à Pascal, Sénèque est le maître des âmes héroïques. Vers 1660, Sénèque est devenu quasi chrétien, dilué et appauvri, dans le Arie et Petus de Gabriel Gilbert (1660) et la Doctrine de la raison ou l'honnêteté des mœurs, selon les maximes de Sénèque, 1666, de l'abbé Testu. Mais l’orgueil stoïcien a fini par susciter une réaction d’hostilité : l'influence du stoïcisme cesse vers 1660. À partir de cette époque, « les âmes sont libérées du culte des grands saints du paganisme » : p. 196. La plupart des apologistes ont reculé devant cette vertu brillante, mais purement naturelle. On se retourne vigoureusement contre le sage stoïcien : riche, il prêchait la pauvreté ; il vivait près d'un tyran et condamnait la tyrannie. Les ennemis du stoïcisme ne s'attaquent guère à la métaphysique stoïcienne, et encore moins à la logique, mais ils s'en prennent surtout à sa morale. L’orgueil des stoïciens a fondé une fausse sagesse : les stoïciens sont des « fanfarons de morale » selon Guéret, Guerre des auteurs, 1671, p. 28-30. On rapproche le stoïcisme du pélagianisme : p. 397 sq.

Le stoïcisme répond, dans l’esprit de Pascal, à la libido dominandi, qui peut s’exercer sur les autres comme sur soi-même. L’orgueil des stoïciens consiste à penser que l’homme peut, sans l’aide du médiateur qu’est le Christ et sans la grâce de Dieu, atteindre la sagesse et la vertu. Voir sur ce point le dossier Généralités sur la liasse Philosophes. L’édition de Port-Royal précise que la libido propre aux stoïciens est celle de l’autorité.

Les dogmatistes ou dogmatiques représentent aussi une sorte de secte, qui répond à la libido sciendi. Selon Ph. Sellier, Pascal pense aux « physiciens » de l’Antiquité, comme Thalès et Anaximandre. Mais il semble qu’un bon représentant, parmi les modernes, serait Descartes, que Pascal appelait ironiquement le docteur de la raison. Voir Recueil de choses diverses, BnF, nouv. Acq. Fr. ms. 4333, f° 182. Voir OC I, éd. J. Mesnard, p. 893 et Lesaulnier Jean, Port-Royal insolite, Paris, Klincksieck, 1992, p. 411. C’est dans ce sens que Pascal, dans le fragment Laf. 553, Sel. 462, déclare qu’il faut écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. Descartes. L’édition de Port-Royal précise l’idée en ajoutant au mot sciences le terme curiosités, qui est l’équivalent français de la libido sciendi.