Fragment Prophéties n° 20 / 27 – Papier original : RO 195-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 358 p. 171 / C2 : p. 204
Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 125 / 1678 n° 15 p. 126
Éditions savantes : Faugère II, 272, VII / Havet XVIII.22 / Brunschvicg 723 / Tourneur p. 287-3 / Le Guern 322 / Lafuma 341 / Sellier 373
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Bibliographie ✍
BOSSUET, Discours sur l’histoire universelle, in Œuvres, éd. Velat et Champailler, Pléiade, Paris, Gallimard, 1961. BOULENGER Abbé A., Manuel d’apologétique. Introduction à la doctrine catholique, Paris-Lyon, Vitte, 1923, p. 239 sq. BUSSON Henri, La religion des classiques, Paris, Vrin, 1933. CAZELLES Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, Paris, Desclée, 1973. CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les Préfaces de l’Ancien Testament (1672-1693), Paris, Champion, 2013. Dictionnaire de théologie catholique, article Daniel. ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970. GROTIUS Hugo, De veritate religionis christianae, V, § XIV-XV. IFRAH Georges, Histoire universelle des chiffres, Paris, Seghers, 1981, 2 vol. JOSÈPHE Flavius, Les Juifs. Histoire ancienne des Juifs, La guerre des Juifs contre les Romains, Autobiographie, éd. Arnauld d’Andilly, Paris, Lidis-Brepols, 1981. JOSÈPHE Flavius, Histoire des Juifs écrite par Flavius Josèphe sous le titre de Antiquités judaïques. Traduites sur l’original grec revu sur divers manuscrits par Monsieur Arnauld d’Andilly. Troisième édition, Paris, Pierre Le Petit, 1670. La Bible, tr. Sacy, éd. P. Sellier, coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1990. LAGRANGE Marie-Joseph, « Les prophéties messianiques de Daniel », Revue biblique, 13, 1904, p. 494-520. MARTIN Raymond, Pugio fidei, Pars II, ch. 3, p. 213-217. PASCAL, Pensées, II, éd. Havet, Paris, Delagrave, 1866, p. 36. PETAU Denis, Rationarium temporum in partes duas, libros tredecim distributam, editio ultima, S. Cramoisy, Paris, 1652. PETAU Denis, Opus de doctrina temporum, Paris, 1627, in-fol. |
✧ Éclaircissements
Prophéties.
L’éd. Havet, t. II, 1866, p. 36, résume les problèmes posés par ce fragment avec une certaine clarté.
La prophétie des septante semaines de Daniel s’appuie sur une autre prophétie, du livre de Jérémie.
♦ La prophétie de Jérémie
Dans le livre qui porte son nom, Daniel est représenté réfléchissant sur la prophétie de Jérémie, XXIX, 10-14, qui avait assigné à l’épreuve d’Israël une durée symbolique de 70 ans, soit 10 périodes sabbatiques de 7 ans.
Cette prophétie est datée, d’après Jérémie, XXV, 1, de « la quatrième année de Joakim [Joachim], roi de Juda, qui est la première année de Nabuchodonosor, roi de Babylone ». Voir La Bible, éd. Ph. Sellier, p. 954. L’activité prophétique de Jérémie commence sans doute dès 626. Le chapitre XXV, v. 1, indique une date pour cette prophétie : « Parole qui fut adressée à Jérémie touchant tout le peuple de Juda, la quatrième année de Joakim qui est la première année de Nabuchodonosor roi de Babylone, 2. Et que le prophète Jérémie annonça à tout le peuple de Juda, et à tous les habitants de Jérusalem [...] » (traduction de la Bible de Port-Royal). La première année du règne de Nabuchodonosor, qui correspond à la 4e année de Joachim, est 605 avant Jésus-Christ. Le texte prophétique de Jérémie est le suivant :
Jérémie, XXIX, 10-14. « Car voici ce que dit le Seigneur : lorsque soixante et dix ans se seront passés à Babylone, je vous visiterai, et je vérifierai les paroles favorables que je vous ai données, en vous faisant revenir en cette terre. 11. Car je sais les pensées que j’ai sur vous, dit le Seigneur, qui sont des pensées de paix et non d’affliction, pour vous donner la patience dans vos maux, et pour les finir au temps que j’ai marqué. 12. Vous m’invoquerez, et vous retournerez ; vous me prierez, et je vous exaucerai. 13. Vous me chercherez et vous me trouverez lorsque vous me chercherez de tout votre cœur. 14. C’est alors que vous me trouverez, dit le Seigneur : et je ramènerai vos captifs ; et je vous rassemblerai du milieu de tous les peuples et de tous le lieux où je vous avais chassés, dit le Seigneur, et je vous ferai revenir de ce même lieu où je vous avais fait transporter » (traduction de la Bible de Port-Royal).
Pour comprendre le contexte politique de cette prophétie, voir Flavius Josèphe, Histoire des Juifs, Livre X, ch. X, éd. Arnauld d’Andilly, Brepols, p. 317-318 : « Aussitôt que Nabuchodonosor en eut avis, il se mit en campagne avec une puissante armée, ravagea la Judée, se rendit maître des plus fortes places, et assiégea Jérusalem. Le roi d’Égypte vint avec de grandes forces au secours de Sédécias, et alors le roi de Babylone leva le siège pour aller au-devant de lui, le vainquit dans une grande bataille, et le chassa de toute la Syrie. Les faux prophètes ne manquèrent pas, lorsqu’il eut levé le siège, de continuer à tromper Sédécias, en lui disant qu’au lieu d’avoir sujet de craindre qu’il lui fît encore la guerre, il verrait bientôt revenir ses sujets qui étaient captifs à Babylone avec tous les vases sacrés dont on avait dépouillé le Temple de Dieu. Jérémie lui dit au contraire que ces gens le trompaient en lui donnant cette espérance ; qu’il n’en devait fonder aucune sur l’assistance des Égyptiens ; que le roi de Babylone les vaincrait ; qu’il reviendrait continuer le siège ; qu’il prendrait Jérusalem par famine ; qu’il emmènerait captifs à Babylone tout ce qui restait d’habitants, après les avoir dépouillés de tous leurs biens ; qu’il pillerait tous les trésors du Temple ; qu’il y mettrait le feu et détruirait entièrement la ville, que cette captivité durerait soixante-dix ans, mais que les Perses et les Mèdes ruineraient l’empire de Babylone, et que les Hébreux, après avoir été affranchis par eux de servitude, reviendraient à Jérusalem et rebâtiraient le Temple. Ces paroles de Jérémie en persuadèrent plusieurs ; mais les princes et ceux qui faisaient gloire comme eux d’être des impies se moquèrent de lui comme d’un homme insensé ». Jérémie est alors arrêté et jugé par un magistrat malveillant.
Pour approfondir…
Sur les aspects chronologiques de cette prophétie, voir Petau Denis, Rationarii temporum partis secundae liber II, ch. XII. « Judaeorum servituti annorum LXX spatium praefinit Hieremias ; qui tam Hebraeos, quam vicinos circum populos a Nabuchodonosoro rege Chaldaeorum opprimendos ait servitute miserrima annis septuaginta. Id autem vaticinium editum est anno 4 Ioakimi, primo Nabuchodonosori, paulo ante quam Joakimus in illius potestatem veniret, ac stipendiarius fieret. Ejusdem intervalli si et capite 29 mentio sub id tempus, quo Jechonias in Babylonem ductus est. Item post aequatam solo Hyerosolymam terra dicitur egisse sabbata sua, id est vastitate, ac solitudine damnata esse, donec implerentur anni 70. Denique Daniel c. 9. desolationis septuaginta annos ab Jeremia constitutos refert ad id tempus, quo calamitati illi modus adhiberetur. Tria sunt igitur tempora, unde duci potest septuagenarii illius intervalli principium. Nos vero ex omnibus primum jure deligimus ; atque ab anno 4 Joakimi, Nabuchodonosori primo deducimus. Quod ex Jeremiae verbis c. 25 haud obscure conficitur. Non enim spatium istud ex Hierosolymorum tantummodo, ac Templi vastitate praestituit ; neque Iudarorum exilio, ut complures existimant : sed tam horum, quam circumfusarum nationum servituti, Ammonitarum, Palaestinorum, Moabitarum, Idumaeorum aliorumque, quos omnes primo ipso in Syriam adventu suo Nabuchodonosorus dationi paternae subjecit, ut ex Beroso postea declarabitur. Ac, quod Judaeos ipsos attinet, etsi ab Assyriis, et Chaldaeis alias ante vexati populatique fuerant, nondum tamen perpetua iis erat imposita servitus, cum tributi annui pactione, ab illo vero quarto anno Joakimi, libertate penitus amissa, Babylonio regis, usque ad Cyri tempora, deinceps subjecti sunt. Ideo memorabilis epocha illa fuit Judaïcae servitutis, et libertatis Iudae regibus, ac populo ereptae, quae ut ante non acciderat, ita postea propagata, majora paulatim incrementa cepit.
Desinit autem intervallum illud in primum annum Cyri, non quo regnare coepit, sed quo, Babylonia subacta, Iudaeis, qui illic attinebantur, edicto suo redeundi potestatem tribuit, quod annus Per. Iul. 4 176 evenisse postea docebitur. Quartus annus Joakimi fuit Periodi Jlulianae 4 107. Ablatis ergo 4 106 de 4 176, reliqui sunt septuaginta. At initium Persici regni annus est Periodi Jul. 4 155. ad quem anni ab Joakimi quarto non plures sunt, quam 22. Multo minus respondebunt spatia, si ab Jechonia, vel excidio, et clade Sedeciae ducatur exordium. Quare ne aliunde quidem licet, quam ab quarto Joakimo, septuaginta istos annos evoluere ; si certam Babyloniorum, Persicorum, ac Judaïcorum temporum rationem admittimus, quam cum de prioribus duobus agetur, validissime statuemus. Quae vero contra non opponi solent ea in 12 de Doct. Temp. Cap. 24 dissoluimus. »
Les soixante-dix semaines de Daniel
♦ Daniel
Sur le héros du livre de Daniel, voir Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, p. 652-653.
Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les Préfaces de l’Ancien Testament (1672-1693), p. 586 sq.
La Préface du livre de Daniel dans la Bible de Port-Royal en présente le héros comme suit : « Daniel était un prince du sang de la maison des rois de Juda. Il fut emmené en captivité à Babylone, étant tout jeune, et comme on le croit, vers la quatrième année du règne de Joakim, lorsque ce prince fut livré entre les mains de Nabuchodonosor qui assiégeait Jérusalem. Dieu remplit Daniel de sa crainte dès son enfance ; et il dit voir en sa personne, que la plus haute naissance n’est point un obstacle à la piété dans ceux qu’il a choisis comme lui, pour fait éclater en eux la puissance de sa grâce. Voulant se servir de son ministère pour les grandes choses auxquelles il le destinait, il l’y prépare de bonne heure, et il permit qu’il fût l’un de ceux que l’on choisit par l’ordre de Nabuchodonosor entre tous les captifs d’Israël, pour leur apprendre la langue et les instruire dans la science des Chaldéens, afin qu’ils se rendissent dignes de paraître devant ce prince. » La Préface insiste sur la pureté, la sincérité et le courage de Daniel : « on verra avec admiration que ni la crainte de choquer le roi de qui il était captif, ni le désir de conserver les premières dignités où il l’avait élevé, ni la fureur des lions où la jalousie de ses ennemis le fit exposer, n’eurent point la force d’ébranler sa foi, et de le faire écarter de son devoir ». « Mais ce qui rendit Daniel très célèbre, et qui le fit plus considérer tant de Nabuchodonosor que des autres rois des Mèdes et des Perses, fut cet esprit de prophétie qui le distingua si fort de tous les mages et de tous les sages de l’Orient, qu’ils devenaient comme muets en sa présence » : p. V.
♦ Le Livre de Daniel
Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, p. 646 sq. Dans les discussions sur la datation et la nature du livre de Daniel, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les exégètes catholiques admettaient généralement que le livre de Daniel avait pour auteur le héros lui-même, familier des Achéménides : p. 649-651.
La Bible, tr. Sacy, éd. P. Sellier, coll. Bouquins, p. 1108. Le livre de Daniel est présenté comme l’œuvre d’un prophète qui aurait été déporté tout jeune en Babylonie et aurait parcouru une longue carrière jusqu’à l’avènement de Cyrus (538). En fait, le livre a été composé, peut-être à partir de documents plus anciens, au moment de la persécution d’Antiochus Épiphane entre 167 et 164 avant Jésus-Christ, peut-être à partir de documents plus anciens. La Bible hébraïque ne donne de Daniel qu’un texte court. La Bible grecque l’a rangé parmi les prophètes et offre des ajouts, comme le cantique des jeunes gens dans la fournaise et l’histoire de Suzanne et des vieillards.
Sur les différentes formes de la narration, voir Cazelles Henri, Op. cit., p. 647 sq. Les six premiers chapitres sont d’ordre narratif, les six derniers sont du genre prophétique. La section narrative raconte l’histoire d’un prophète fictif, Daniel et de ses compagnons en exil à Babylone de 606 à 53 : p. 647. La section prophétique, qui semble s’inscrire dans l’essor du genre apocalyptique, est constituée de révélations bouleversantes : p. 648-649. Les visions de Daniel sont au nombre de quatre : p. 654-655 : 1. les quatre grandes bêtes qui montent de la mer, 2. le bélier et le bouc, 3. les soixante-dix semaines et 4. une vision d’histoire entre les entreprises de Xerxès I jusqu’au règne d’Antiochus IV Épiphane persécuteur des Juifs. Voir sur ce sujet le fragment Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370).
♦ La nature de la prophétie des soixante-dix semaines de Daniel
Sur le rapport des différents chapitres de Daniel avec la prophétie de Jérémie, voir le Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 89. Daniel est représenté réfléchissant sur la prophétie de Jérémie, XXIX, 10-14, qui avait assigné à l’épreuve d’Israël une durée symbolique de soixante-dix ans, soit dix périodes sabbatiques de sept ans. D’autre part, dans son chapitre X, Daniel a annoncé son intention d’expliquer dans son chapitre XI, les obscurités voulues des chapitres VIII et IX (dans lequel, indique le titre de la Bible de Port-Royal, « l’ange Gabriel lui annonce le temps précis de la venue du Messie ») : « 1. La troisième année de Cyrus, roi des Perses, une parole fut révélée à Daniel surnommé Balthazar, une parole véritable, et une grande vertu. Il comprit ce qui lui fut dit ; car on a besoin d’intelligence dans les visions. [...] 21. Mais je vous annoncerai présentement ce qui est marqué dans l’écriture de la vérité, et nul ne m’assiste dans toutes ces choses, sinon Michel, qui est votre prince » (traduction de la Bible de Port-Royal).
L’importance de ces explications tient, selon la Préface du livre de Daniel dans la Bible de Port-Royal, au fait que « Daniel a prophétisé particulièrement touchant la venue du Christ. Mais il n’a pas seulement écrit, dit S. Jérôme, que le Christ devait venir dans le monde, ce qui lui était commun avec les autres prophètes : il a encore marqué le temps précis auquel il devait venir, la suite des rois qui précéderaient sa venue, le nombre exact des années, et les signes très évidents par lesquels on le pourrait reconnaître. » Voir Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Les Préfaces de l’Ancien Testament (1672-1693), p. 591 sq.
Traduction de Daniel, IX, 24-27, dans la Bible de Port-Royal, passage dans lequel « l’ange Gabriel » annonce à Daniel « le temps précis de la venue du Messie » : « 20. Lorsque je parlais encore et que je priais, et que je confessais mes péchés et les péchés d’Israël mon peuple, et que dans un profond abaissement j’offrais mes prières en la présence de mon Dieu pour sa montagne sainte, 21. Lors, dis-je que je n’avais pas encore achevé les paroles de ma prière, Gabriel, que j’avais vu au commencement dans la vision, vola tout à coup à moi, et me toucha au temps du sacrifice du soir. 22. Il m’instruisit, il me parla, et me dit : Daniel, je suis venu maintenant pour vous enseigner et pour vous donner l’intelligence. 23. Dès le commencement de votre prière, j’ai reçu cet ordre, et je suis venu pour vous découvrir toutes choses, parce que vous êtes un homme rempli de désirs. Soyez donc attentif à ce que je vais vous dire, et comprenez cette vision. 24. Dieu a abrégé et fixé le temps à soixante et dix semaines en faveur de votre peuple et de votre ville sainte, afin que ses prévarications soient abolies ; que le péché trouve sa fin ; que l’iniquité soit effacée ; que la justice éternelle vienne sur la terre ; que les visions et les prophéties soient accomplies ; et que le Saint des Saints soit oint de l’huile sacrée. 25. Sachez donc ceci, et gravez-le dans votre esprit : Depuis l’ordre qui sera donné pour rebâtir Jérusalem, jusqu’au Christ, chef de mon peuple, il y aura sept semaines et soixante-deux semaines ; et les places et les murailles de la ville seront bâties de nouveau parmi les temps fâcheux et difficiles. 26. Et après soixante-deux semaines le Christ sera mis à mort, et le peuple qui le doit renoncer ne sera point son peuple. Un peuple avec un chef qui doit venir détruira la ville et le sanctuaire ; elle finira par une ruine entière, et la désolation qui lui a été prédite arrivera après la fin de la guerre. 27. Il confirmera son alliance avec plusieurs dans une semaine, et à la moitié de la semaine les hosties et les sacrifices seront abolis, l’abomination de la désolation sera dans le temple, et la désolation durera jusqu’à la consommation et jusqu’à la fin. »
Dans Prophéties III (Laf. 485, Sel. 720), Pascal a établi sa propre traduction de cette prophétie de Daniel, associée à un commentaire personnel. Voir Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 29, et la note p. 36 sq. Daniel, 9. 20. Comme je priais Dieu de tout mon cœur et qu’en confessant mon péché et celui de tout mon peuple, j’étais prosterné devant mon Dieu, voici Gabriel lequel j’avais vu en vision dès le commencement vient à moi et me touchant au temps du sacrifice du vêpre et me donnant l’intelligence me dit : Daniel je suis venu à vous pour vous ouvrir la connaissance des choses dès le commencement de vos prières. Je suis venu pour vous découvrir ce que vous désirez parce que vous êtes l’homme de désirs ; entendez donc la parole et entrez dans l’intelligence de la vision, soixante-dix semaines sont prescrites et déterminées sur votre peuple et sur votre sainte cité, pour expier les crimes, pour mettre fin aux péchés et abolir l’iniquité et pour introduire la justice éternelle, pour accomplir les visions et les prophéties et pour oindre le saint des saints (Après quoi ce peuple ne sera plus votre peuple, ni cette cité la sainte Cité. Le temps de colère sera passé, les ans de grâce viendront pour jamais.)
Sachez donc et entendez depuis que la parole sortira pour rétablir et réédifier Jérusalem, jusqu’au prince Messie il y aura sept semaines et soixante-deux semaines (Les Hébreux ont accoutumé de diviser les nombres et de mettre le petit le premier ; ces sept et soixante-deux font donc soixante-neuf de ces soixante-dix. Il en restera donc la soixante-dix, c’est-à-dire les sept dernières années dont il parlera ensuite) Après que la place et les murs seront édifiés dans un temps de trouble et d’affliction. Et après ces soixante-deux semaines [qui auront suivi les sept premières] le Christ sera tué [le Christ sera donc tué après les soixante-neuf semaines, c’est-à-dire en la dernière semaine] et un peuple viendra avec son prince qui détruira la ville et le sanctuaire et inondera tout et la fin de cette guerre consommera la désolation.
Or une semaine (qui est la soixante-dixième qui reste) établira l’alliance avec plusieurs et même la moitié de la semaine (c’est-à-dire les derniers trois ans et demi) abolira le sacrifice et l’hostie et rendra étonnante l’étendue de l’abomination, qui se répandra et durera sur ceux mêmes qui s’en étonneront et jusqu’à la consommation.
♦ Signification et portée de la prophétie de Daniel
Boulenger Abbé A., Manuel d’apologétique. Introduction à la doctrine catholique, IIe partie, section II, chap. III, Réalisation en Jésus des prophéties messianiques, p. 239-240 sq. Résumé schématique de l’argument.
Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 75 sq. La prophétie des soixante-dix semaines répond au fait que Daniel, tout en implorant la pitié de Dieu pour son peuple exilé à Babylone, déclare qu’il a gravement offensé son Dieu en méprisant les avertissements des prophètes ; en constatant la misère du peuple, son esclavage et la ruine de son temple, il fait pourtant la promesse du pardon du péché et du règne à venir de la justice éternelle.
Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, p. 655 sq. La prophétie des soixante-dix semaines est d’un ordre à part parmi les parties apocalyptiques de Daniel. Selon le P. Lagrange, il ne s’agit pas d’un argument mathématique sur la naissance du Christ, mais d’un oracle qui annonce l’avènement du règne de Dieu, les événements du temps d’Antiochus et des Maccabées en étant un gage certain. De même que l’explication des visions est une opération de décryptage : les oracles du salut contenus dans l’Écriture sont relus en fonction de l’actualité pour y trouver un motif d’espérance. Cette prophétie est un exemple de pescher, c’est-à-dire une actualisation des Écritures prophétiques, selon les procédés des Midrashim. Jérémie avait assigné à l’épreuve d’Israël une durée symbolique de soixante-dix ans, soit dix périodes sabbatiques de sept ans. La captivité de Babylone avait pris fin, mais l’épreuve d’Israël n’en continuait pas moins. Réfléchissant sur cette prophétie, Daniel joue sur la symbolique des nombres et des années, et transforme les soixante-dix ans en sept fois soixante-dix, soit quatre cent quatre-vingt-dix ans, soit dix périodes jubilaires de quarante-neuf ans. Le salut promis reste ainsi à l’horizon dans son oracle.
Daniel annonce surtout l’onction du saint des saints. Les auteurs ont généralement entendu la prophétie comme devant s’appliquer au Christ : voir Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 83. Voir col. 77 : les promesses faites dans la prophétie correspondent aux biens messianiques. Une interprétation, très ancienne, pose que l’oracle de Daniel situe la réalisation des biens à l’issue de la persécution exercée, au milieu du IIe siècle après Jésus-Christ, contre les Juifs fidèles par Antiochus Épiphane.
L’accord se fait dans l’Église catholique sur l’idée que les biens messianiques seront apportés par Jésus-Christ, venu et mis à mort vers la fin des 69 premières années. Le Dictionnaire résume l’argument comme suit, art. Daniel, col. 81 : « Les biens messianiques, dont il est parlé au v. 24, ont été prédits pour une date fixe, et pour que leur venue pût être rendue facilement reconnaissable à cette date, circonstanciés d’avance relativement à de certains personnages, dont le Messie lui-même, et de certains événements, dont la ruine de la cité sainte. Or, les circonstances personnelles et réelles annoncées comme devant signaler et conditionner les biens messianiques se sont réalisées, et principalement en Jésus-Christ, telles qu’elles avaient été prédites, à la date même marquée par la prophétie, saut peut-être un écart négligeable, ladite prophétie ne comportant nullement, en dépit de ses chiffres précis, un caractère strictement mathématique ; et ces biens eux-mêmes sont acquis désormais. »
Préface du livre de Daniel dans la Bible de Port-Royal : « Si l’on fait réflexion sur le temps auquel tant d’événements ont été prédits, on verra que la destruction de l’empire des Perses y est marquée plus de deux cents ans avant le règne d’Alexandre le Grand qui devait le détruire ; que la ruine de l’empire du même Alexandre est prédite comme devant arriver aussitôt après qu’il aurait été établi, c’est-à-dire au bout de six ou sept ans ; que la cruelle persécution d’Antiochus contre les Juifs et sa mort funeste sont marquées près de quatre cents ans avant qu’elles arrivassent ; que la mort du Messie est prédite plus de cinq cents ans auparavant ; et ce qui est très singulier, sous le nombre de soixante et dix semaines d’années, comme on le verra plus particulièrement dans les explications de cet endroit important ; qu’enfin la ruine entière de Jérusalem et du peuple Juif est marquée six cents ans avant qu’elle ne s’accomplît ». Daniel prédit dans le détail « toutes les particularités » qui devaient arriver, « décrivant la suite des quatre grandes monarchies dont on a parlé, et qui devaient s’établir avant le venue de Jésus-Christ » ; il « descend jusques aux moindres circonstances pour affermir davantage la certitude des prédictions ; [...] il marque jusques aux combats que les rois et de Syrie et d’Égypte successeurs du Grand Alexandre, devaient se donner durant l’espace de près de deux siècles ; jusques aux mariages de Bérénice fille du roi d’Égypte avec un roi de Syrie, et de Cléopâtre fille d’Antiochus le Grand avec un roi d’Égypte ; et jusques aux témoignages de fidélité que cette dernière princesse devait donner au roi son mari, malgré toute la perfidie de son propre père » : p. VIII.
Martin Raymond, Pugio fidei, Pars secunda, Cap. III, p. 269. Voir Pars secunda, Cap. V, p. 341. Preuve que le Messie est venu par la prophétie de Daniel.
Pour approfondir…
♦ Semaines et semaines d’années dans la prophétie de Jérémie
Les soixante-dix semaines ne peuvent pas être interprétées au sens strictement littéral : soixante-dix semaines proprement dites, soit à peu près un an et demi, ne feraient pas sérieux pour une prophétie.
Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 77. La prophétie de Jérémie, XXIX, 10, avait assigné à l’épreuve d’Israël une durée symbolique de soixante-dix ans, soit 10 périodes sabbatiques de 7 ans. Les semaines de Daniel doivent être tenues, d’après la logique du texte, pour des semaines d’années. Cette interprétation s’appuie sur les textes scripturaires.
L’Examen des septante semaines de Jean Le Blanc cite Ézéchiel IV, 6 : « Diem pro anno, diem, inquam, pro anno dedi tibi » ; « C’est un jour que je vous donne pour chaque année ».
Voir aussi le Lévitique, XXV, 8. « « Numerabis quoque tibi septem hebdomadas annorum, id est septies septem, quae simul faciunt annos quadraginta novem » ; « Vous compterez aussi sept semaines d’années, c’est-à-dire, sept fois sept, qui font en tout quarante-neuf ».
Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Il paraît de là qu’une semaine d’années était donc une mesure, par laquelle les Juifs comptaient quelquefois les temps. L’origine en vient de ce que chaque septième année était sainte ; de la même manière à peu près, que chaque septième jour était saint. Comme donc les jours, partagés de sept en sept par chaque septième jour qui est saint, font par là des semaines de jours ; de même les années, partagées aussi de sept en sept, par chaque septième qui était sainte, faisaient des semaines d’années ; des espaces de sept ans, que l’on peut appeler des Sabbatismes, en formant ce nom de chaque Sabbat d’un an de durée, ou de chaque année de repos, qui était toujours la septième.
Il en est ici de ces semaines d’années, ou de ces sabbatismes comme des Olympiades des Grecs, ou comme des Lustres des Latins. C’est que, comme chez les Grecs, une mesure de quatre ans, qui s’appelait une Olympiade, et chez les Romains, une mesure de cinq ans, qui s’appelait un Lustre, étaient des mesures de temps par lesquelles ils comptaient : de même les Sabbatismes, ou les semaines ou les semaines d’années, étaient une mesure de temps reçue chez les Juifs, et conforme au style prophétique, qui regarde un an comme un jour. C’est pourquoi l’ange l’emploie maintenant dans cet oracle.
Il est clair, sur ce principe, que la durée de septante Sabbatismes, ou de septante semaines d’années, est une durée de 490 ans ; car chaque Sabbatisme étant de sept ans, et multipliant ces sept ans par septante, il en vient le nombre déterminé de 490 ».
La prophétie de Daniel transforme les soixante-dix ans de Jérémie en sept fois soixante-dix, soit 490 ans, soit dix périodes jubilaires de quarante-neuf ans.
Martin Raymond, Pugio fidei, Secunda pars, ch. III, p. 217, § IV.
Les difficultés commencent avec la question du moment précis de l’histoire d’Israël où les biens qui accompagneront la venue du Messie doivent se réaliser. On doit donc déterminer l’un par l’autre
1. un terminus a quo : à partir de quelle date les semaines d’années doivent-elles être comptées ?
2. un terminus ad quem : à quelle date les prophéties doivent elles être considérées comme réalisées ?
Pascal remarque que ces deux termes posent des problèmes de datation très difficiles.
L’article Daniel du Dictionnaire de théologie catholique fournit une ample synthèse des travaux des auteurs qui, depuis l’Antiquité, ont cherché à résoudre le problème.
Pour approfondir…
♦ Le commentaire de Sacy sur la prophétie de Daniel
Commentaire de la Bible de Port-Royal :
« v. 24. Dieu a abrégé et fixé le temps à soixante et dix semaines, en faveur de votre peuple, et de votre ville sainte, afin que ses prévarications soient abolies… que la justice éternelle vienne sur la terre et que le Saint des Saints soit oint de l’huile sacrée.
Les soixante et dix semaines dont il est parlé ici, ne s’entendent pas des semaines ordinaires que l’on compte par les jours, mais des semaines d’années comme dans le Lévitique [Levit. c. 25. 8]. Dieu ordonne au peuple de compter sept semaines d’années avant le temps du Jubilé, qui revenaient à quarante-neuf années, celle du Jubilé n’étant que la cinquantième. Ainsi les soixante et dix semaines, dont l’Ange parle à Daniel font le nombre de quatre cent quatre-vingt-dix ans. Il dit qu’elles ont été abrégées, c’est-à-dire que Dieu aurait pu prolonger ce temps selon les raisons de sa justice, si les soupirs et les prières de ses saints ne lui eussent fait une espèce de violence. Il a donc en leur considération abrégé le temps de la délivrance de son peuple, au même sens que le Fils de Dieu doit dans l’Évangile : Que si les jours de la désolation de Jérusalem n’avaient été abrégés, nul ne se serait sauvé [Marc. c. 13, 20].
Ainsi l’Ange fait entendre à Daniel, que la délivrance du peuple de Dieu, qui se devait accomplir selon la prédiction de Jérémie, au bout de soixante et dix années de captivité, ne serait que la figure de la délivrance générale de tous les hommes ensevelis dans le péché, qui s’opérerait par la mort de Jésus-Christ soixante et dix semaines, c’est-à-dire quatre cent quatre-vingt-dix ans après.
Ç’a été alors véritablement que les prévarications de Juda et de tous les autres peuples ont été abolies : ou selon un autre sens, qu’étant venues à leur comble par le plus énorme de tous les crimes commis en la personne du Fils de Dieu, le péché a trouvé sa fin dans la mort même de Jésus-Christ, et l’iniquité a été effacée par la vertu de sa Croix. C’est lui qui est appelé par l’Ange, la justice éternelle, ou plutôt le juste éternel, dont saint Paul a dit Qu’il est devenu notre justice, notre sanctification et notre rédemption. Et lorsqu’enfin il est venu sur la terre, on a vu toutes les prophéties et les visions accomplies ; parce que tout ce que les prophètes avaient prédit touchant le salut du monde, s’accomplit en la personne du Saint des Saints, lorsqu’il fut oint de l’huile sacrée de cette onction de la divinité qu’il reçut à son Incarnation, et qui éclata au jour de sa résurrection d’entre les morts [Rom. cap. 1. 4 ; Hebr. cap. 7. 16] : car toute la gloire de sa nature divine se répandit sur sa chair en ce jour si éclatant, comme une huile sainte, afin que comme roi et comme prêtre éternel, il nous réconciliât avec Dieu son Père.
Les saints interprètes ont remarqué que le prophète Daniel, lorsqu’il faisait sa prière à Dieu, avait nommé le peuple d’Israël, son peuple, et Jérusalem, sa ville : mais que le Seigneur lui répondant, par le ministère du saint ange Gabriel, lui dit, votre peuple, et votre ville ; comme s’il n’eût daigné reconnaître pour son peuple, celui qui avait osé le méconnaître pour son Dieu, et qu’il eût eu de l’éloignement de nommer encore sa ville, celle de Jérusalem qui s’était souillée par tant d’abominations. Et c’est ainsi, dit saint Jérôme, que Dieu en avait usé à l’égard de ce même peuple, lorsqu’il se laissa aller à adorer le veau d’or : car il ne nomma plus alors Israël, son peuple ; mais le peuple de Moïse : Descends promptement, lui dit Dieu ; ton peuple que tu as tiré d’Égypte a péché [Exod. 32, 7].
V. 25-26. Sachez donc ceci, et gravez-le dans votre esprit : Depuis l’ordre qui sera donné pour rebâtir Jérusalem, jusqu’au Christ, chef de mon peuple, il y aura sept semaines et soixante-deux semaines , etc.
L’ange distribue ces soixante et dix semaines dont nous venons de parler, en plusieurs parties, selon la coutume des hébreux, qui coupent ainsi et divisent un nombre parfait en plusieurs, comme on le peut voir dans Ézéchiel [Chronol. sa. r. vet. et nov. Test. cap. 30, 31. Ezéchiel. c. 45, 12]. Le secret qu’il annonçait à Daniel étant le plus grand de tous nos mystères, il l’avertit de bien comprendre ce qu’il lui disait. L’ordre, dont il parle ici, doit s’entendre, selon que l’a bien remarqué Théodoret, de celui que le roi Artaxerxès petit-fils de Darius Hystaspes, donne en la vingtième année de son règne pour le rétablissement de la ville de Jérusalem, l’an du monde trois mil cinq cent cinquante [Theodor. 2. Esdr. cap. 2, 1]. Depuis cette époque jusqu’au temps auquel le Christ deviendrait le chef du peuple de Dieu ; c’est-à-dire jusqu’à son baptême, qui fut proprement le temps où il commença à exercer son ministère, sept semaines et soixante deux semaines d’années devaient se passer, revenant en tout au nombre de quatre cent quatre-vingt trois années.
Ce que l’Ange ajoute, qu’après soixante et deux semaines le Christ serait mis à mort, doit s’entendre des soixante et deux semaines jointes aux sept autres dont il est parlé, qui font en tout soixante et neuf. Et ceci s’explique par ce qui est dit au verset suivant, qu’ayant confirmé son alliance avec plusieurs dans une semaine, c’est-à-dire établi par son Évangile une nouvelle alliance dans la dernière des soixante et dix semaines d’années, non plus seulement avec toutes les nations qui devaient y avoir part ; les hosties et les sacrifices seraient abolis, comme l’explique un ancien Père [Théodor.], par le grand et auguste sacrifice de sa mort, vers le milieu de cette dernière semaine, c’est-à-dire quatre cent quatre-vingt-six ou quatre-vingt-sept ans après l’ordre donné par Artaxerxès l’an du monde 3 550 pour le rétablissement de Jérusalem.
Mais l’Ange n’éclaircit pas seulement Daniel sur le temps de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, marquée par l’onction sacrée du Saint de Saints, dont on a parlé auparavant. Il l’instruit encore touchant la réprobation effroyable du peuple Juif, et la terrible punition par laquelle Dieu devait venger la mort de son Fils unique. Le peuple, dit-il, qui le doit renoncer, ne sera plus son peuple : c’est-à-dire, que ce peuple, autrefois si chéri de Dieu, tombant dans cet horrible aveuglement, de renoncer et de mettre à mort celui qui était son Fils bien-aimé, serait rejeté de lui, comme n’étant plus son peuple, et comme ayant mérité de déchoir du privilège singulier qui le séparait de toutes les autres nations, comme l’héritage du Seigneur.
Un peuple, ajoute l’Ange, avec son chef qui doit venir, détruira la ville et le sanctuaire : c’est-à-dire que les Romains sous la conduite de Tite ruineraient Jérusalem et le sanctuaire, que l’abomination de la désolation seraient dans le Temple, par l’étrange profanation qui y règnerait, selon que le Fils de Dieu le prédit depuis, en citant ce même passage de Daniel [Matth. c. 24, 19] ; et qu’enfin la désolation serait telle alors parmi ce peuple, que jamais il ne pourrait s’en relever, comme on le voit accompli depuis près de dix-sept ans : ce que l’ange exprime en disant que la désolation persévérerait jusqu’à la consommation, et jusqu’à la fin.
On ne doit pas regarder cette explication littérale des soixante et dix semaines de Daniel, comme une chose sèche et stérile. On trouve partout dans les livres des prophètes une infinité d’endroits qui regardent l’instruction et la morale ; et il est très important de s’y attacher pour régler ses mœurs sur ces saintes vérités qui sont propres pour l’édification. Mais il s’y en trouve aussi plusieurs que le Saint-Esprit a destinés principalement pour servir à l’établissement de la religion et de la foi : et il faut bien se garder de les négliger ; comme font quelques personnes trop spirituelles, sous prétexte que notre religion est établie trop fermement pour avoir besoin de ces preuves. Il y a eu en tout temps, et il y aura jusques à la fin du monde des impies et des libertins, ennemis de la piété, et par conséquent de la religion de Jésus-Christ, dont toute la joie est d’en détruire, s’ils pouvaient, les fondements. Or nous n’avons rien de plus fort dans les Écritures pour prouver la vérité de cette religion, que les prophéties, qui ont marqué si longtemps devant, et d’une manière si précise, l’incarnation du Fils de Dieu, sa mort, sa résurrection, le salut des nations, la réprobation des Juifs, la destruction de leur ville, et l’établissement de l’Église sur les ruines du paganisme. Il faut donc bien prendre garde à n’affaiblir, ou à ne négliger, pas par une fausse spiritualité des preuves si importantes, qui sont comme le fondement de notre foi, et dont a parlé l’apôtre saint Pierre, lorsqu’il ne craint pas de dire, après même qu’il eût été témoin oculaire de la majesté de Jésus-Christ sur la sainte montagne, qu’ils avaient encore une plus grande certitude dans les oracles des prophètes, et qu’on faisait bien de s’y arrêter, comme à une lampe d’une lumière éclatante [2 Petr. cap. 1, v. 16. 17. 18. 19]. »
Préface du Livre de Daniel dans la Bible de Port-Royal, p. XIV sq. « Une des choses les plus importantes qu’on peut encore inférer de la prophétie de Daniel, est la vérité de la religion chrétienne contre les vaines imaginations des Juifs. Car si cette prophétie est véritable, comme les Juifs en conviennent, il s’ensuit que la mort du Christ et du Messie doit être nécessairement arrivée sur la fin de la dernière des soixante et dix semaines prédites par le saint prophète, c’est-à-dire vers la fin des 490 ans que l’on commence à compter du jour de l’édit que le roi Artaxerxès petit-fils de Darius Histaspes donna la vingtième année de son règne, pour le rétablissement de la ville de Jérusalem, l’an du monde trois mille cinq cent cinquante. C’est donc un terrible aveuglement aux Juifs d’attendre encore la venue du Christ plus de seize cent cinquante ans après l’accomplissement des septante semaines, qui était le temps marqué clairement par Daniel, comme celui auquel il devait mourir.
Il s’ensuit encore que Jésus fils de Marie, que les Juifs ont crucifié, est ce Messie et ce véritable Christ qu’ils devaient faire mourir selon Daniel, puisqu’il est mort précisément dans le temps marqué par sa prophétie, et que la destruction de leur ville, et de leur temple, et leur entière désolation a enfin suivi cette mort du Christ, selon que l’avait aussi prédit le même prophète. »
♦ Numérotation hébraïque, comput des semaines et répartition des soixante-dix semaines
Les soixante-dix semaines, sont subdivisées en 7 + 62 + 1.
La traduction du verset 24 selon l’hébreu massorétique (voir Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 83, et pour les versets 25-27, voir col. 84 sq.) donne la ponctuation :
7 semaines depuis la sortie de la parole jusqu’à l’oint-prince ;
et dans 62 semaines elle sera rebâtie,
+ 1 semaine.
Cette ponctuation a son importance pour l’interprétation. Si l’oint prince doit apparaître après les 7 premières semaines, il ne peut plus être Jésus-Christ. Il a donc fallu trouver une interprétation tout à fait différente, qui s’explique par les passages du chap. IX, que Pascal a pris en note, qui place le prince annoncé au milieu de la dernière semaine : col. 89. Il y a plus d’une vingtaine de systèmes de computation, inventés pour faire cadrer le déclin des soixante-dix semaines avec les temps du Christ.
Dans sa traduction de la prophétie de Daniel, Prophéties III (Laf. 485, Sel. 720), Pascal a prêté attention à l’expression littérale des nombres : Sachez donc et entendez depuis que la parole sortira pour rétablir et réédifier Jérusalem, jusqu’au prince Messie il y aura sept semaines et soixante-deux semaines (Les Hébreux ont accoutumé de diviser les nombres et de mettre le petit le premier ; ces sept et soixante-deux font donc soixante-neuf de ces soixante-dix. Il en restera donc la soixante-dixième, c’est-à-dire les sept dernières années dont il parlera ensuite). La mention “7 et 62 font 69” dans les notes de Pascal, est un hébraïsme ; voir Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 89. Pascal, qui a composé un traité Des nombres multiples d’autres reconnaissables à la seule addition de leurs chiffres (De numeris multiplicibus ex sola characterum numericorum additione agnoscendis, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1272 sq.), est familier des questions d’expression des nombres par différents chiffres ou différentes bases. Il prend en compte le style de numération hébraïque, et s’appuie sur lui pour compter la succession des portions : les 70 semaines comportent 7 semaines, puis 62 semaines, qui additionnées font 69, et, dans la dernière semaine qui reste, deux demi-semaines (qui valent chacune 3 années et demie), dans cet ordre de succession nécessaire pour déterminer l’avènement du Christ. Après chaque groupe d’années commence un nouveau décompte.
Sur la numérotation hébraïque, voir Ifrah Georges, Histoire universelle des chiffres, Paris, Seghers, 1981, p. 268 sq.
sont équivoques pour le terme du commencement à cause des termes de la prophétie,
Pascal remarque que le comput des années dépend d’abord du terme que l’on choisit pour le commencement. Toute la difficulté tient à ce qu’on ne sait pas à quel événement il correspond. Ce qui obscurcit la question, c’est l’équivoque pour le commencement à cause des termes de la prophétie. Les chronologistes soulignent que le texte permet de commencer le décompte en plusieurs temps. Or la portée du choix de l’événement est considérable, car l’écart peut être très important.
Martin Raymond, Pugio fidei, Pars II, ch. III, A quo termino numero iste incipiendus sit ?, p. 217 sq.
Le texte de la Vulgate donne : « ab exitu sermonis ut iterum aedificetur Jerusalem ». Les soixante-dix semaines sont à calculer depuis que la parole sortira pour rétablir et réédifier Jérusalem (traduction de Pascal, voir Prophéties III, (Laf. 485, Sel. 720).
On s’est donc interrogé sur le sens de l’expression la parole sortira.
Un chronologiste comme Petau Denis, De doctrina temporum, Livre XII, ch. XXXII, p. 480, indique que « exitus sermonis » s’entend au sens de « prolatio ac pronuntiatio decreti », savoir « quod a Persarum rege profectum est » : il faut commencer le décompte la date d’un édit du roi des Perses autorisant la reconstruction de Jérusalem. Mais Petau pense que le mot contient une idée de plus que la simple déclaration du décret : « nempe id quod latina vox proprie significat, veram ac seriam decreti illius executionem : ita ut, mora omni, impedimentoque sublato, opus ipsum urgeri, et Hierosolyma instaurari coeperint ». Le premier problème, comme le note Petau Denis, De doctrina temporum, lib. XII, cap. XXXI, p. 473, est de savoir quel roi perse a déclaré la permission de relever la ville. Or plusieurs dates sont envisageables : « etenim quater omnino reges novum aliquod beneficium novamque potestatem Judaeis concesserunt ».
Il y a des préjugés qui orientent la recherche de cet événement en excluant certaines possibilités. Voir Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 95-96. Pour le terminus a quo, on écartait d’office l’hypothèse d’une date d’une parole prophétique antérieure au temps du retour, parce que cela rendait impossible le terminus ad quem à la mort du Christ.
Pensées, éd. Havet, II, p. 36. Selon Havet, certains placent le terme du commencement à la date de la prophétie de Jérémie, Jérémie, XXV, sur laquelle Daniel est représenté méditant au début du chapitre ; la Bible marque cette date à la quatrième année du roi Joachim. Il y a entre cette date et celle du second édit d’Artaxerxès, selon la chronologie aujourd’hui reçue, une différence de plus de 150 ans.
D’autre part, selon le Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 93. La Bible mentionne quatre décrets ou lettres royales émanant d’un roi perse :
- l’édit de Cyrus en faveur des Juifs et la restauration du Temple : I Esdras, I, 2 sq., qui date de 538 avant Jésus-Christ, première année de Cyrus à compter de la prise de Babylone ;
- un édit de Darius, fils d’Hystapse : I Esdras, VI, 1 sq., donné en l’an II de Darius, selon Esdras, IV, 24.
- deux édits de Artaxerxès Ier Longue Main :
le premier indiqué par I Esdras, VII, 11 sq., soit la 7e année du règne d’Artaxerxès Ier Longue Main à dater de la mort de Xerxès.
le second indiqué par II Esdras, II, confirmé par VI, 15, édit rendu en faveur de Néhémie, la 20e année du règne d’Artaxerxès Ier Longue Main , à première vue 445 avant J.-C. (date indiquée par la Bible de la Pléiade), selon Esdras VII, en 458,
Entre ces extrêmes, on compte plus de 150 ans. L’écart est donc considérable, et représente une durée significative sur les 490 années que représentent les soixante-dix semaines de Daniel.
Du reste, des complications supplémentaires sont dues aux noms des rois : comme le dit Petau Denis, De doctrina temporum, lib. XII, cap. XXX, p. 474, sur les trois noms de rois, Cyrus, Darius, Artaxerxès, il faut compter Artaxerxès deux fois, pour sa 7e et pour sa 20e année ; mais au surplus, il y a eu plusieurs Darius et plusieurs Artaxerxès : « quoniam Darii et Artaxerxae complures fuerunt, hinc varia rursus sentientiarum divortia propagantur ».
Le contenu même des décrets pose de plus des problèmes supplémentaires.
Pour approfondir…
♦ L’édit de Cyrus en faveur des Juifs et la restauration du Temple
Cyrus II le Perse règne de 558 à 528. Mais la première année de son règne est comptée ici à partir de sa conquête de Babylone en 539. L’édit en faveur des Juifs et la restauration du Temple a été promulgué en 538 avant Jésus-Christ. Voir Esdras I, I, 2 sq., éd. Pléiade, p. 1468.
L’édit de Cyrus en faveur des Juifs et la restauration du Temple selon I Esdras, permet aux Juifs de revenir dans leur patrie et de reconstruire leur temple. Les vases du temple du Seigneur, pris par Nabuchodonosor, leur sont rendus. Les chefs de cette migration sont Zorobabel et Josué. Arrivés en Judée et ayant commencé à reconstruire le Temple, la seconde année après leur retour, ils furent empêchés par un parti d’ennemis ; ils souffrirent des accusations calomnieuses sous le règne d’Assuérus.
Esdras I, 1 sq. « 1. La première année de Cyrus, roi de Perse, le Seigneur, pour accomplir la parole prononcée par la bouche de Jérémie, toucha le cœur de Cyrus, roi de Perse, qui fit publier dans tout son royaume cette ordonnance, même par écrit : 2. Voici ce que dit Cyrus, roi de Perse : Le Seigneur le Dieu du ciel m’a donné tous les royaumes de la terre, et m’a commandé de lui bâtir une maison dans la ville de Jérusalem qui est en Judée. 3. Qui d’entre vous est de son peuple ? Que son Dieu soit avec lui. Qu’il aille à Jérusalem qui est en Judée, et qu’il rebâtisse la maison du Seigneur le Dieu d’Israël. Ce Dieu qui est à Jérusalem est le vrai Dieu. 4. Et que tous les autres, en quelques lieux qu’ils habitent, les assistent du lieu où ils sont, soit en argent et en or, soit de tous leurs autres biens et de leurs bestiaux, outre ce qu’ils offrent volontairement au temple de Dieu, qui est à Jérusalem. 5. Alors les chefs de familles paternelles de Juda et de Benjamin, les prêtres et les lévites, et tous ceux dont Dieu toucha le cœur, se préparèrent à s’en retourner pour bâtir le temple du Seigneur, qui était dans Jérusalem » (traduction de la Bible de Port-Royal).
Josèphe Flavius, Histoire des Juifs, in Œuvres, éd. Arnauld d’Andilly, II, Livre XI, ch. I, p. 385. Donne le texte du décret-lettre de Cyrus : p. 385-387.
Lods Adolphe, Les prophètes d’Israël, p. 190 sq. Difficultés et obscurités de l’édit de Cyrus. Suspicion sur les libellés d’Esdras. Éléments qui peuvent être conservés : p. 192-193.
♦ L’édit de Darius, fils d’Hystapse
À Cambyse II, 530-522, succède Darius I, 522-486, auteur lui aussi d’un décret.
Petau Denis, De doctrina temporum, Lib. XII, cap. XXXI, p. 473. Ensuite, durant la seconde année de Darius, poussés par les prophètes Aggée et Zacharie, sous la direction de Zorobabel et de Josué, les Juifs redemandent l’autorisation de reconstruire le Temple. Darius leur en donne l’autorisation par un nouvel édit.
Voir Josèphe Flavius, Histoire des Juifs, in Œuvres, éd. Arnauld d’Andilly, II, Livre XI, ch. IV, p. 388 sq. Darius accorde à Zorobabel le rétablissement de Jérusalem et du Temple.
Esdras I, 6 sq. « 1. Alors le roi Darius commanda qu’on allât consulter les livres de la bibliothèque des livres qui était à Babylone, 2. Et il se trouva à Ecbatane, qui est un château de la province de Médi, un volume où était écrit ce qui suit : 3. La première année du règne du roi Cyrus : Le roi Cyrus a ordonné que la maison de Dieu, qui est à Jérusalem, fût rebâtie dans le lieu où elle était, pour y offrir des hosties, et qu’on en posât les fondements qui pussent porter un édifice de soixante coudées de haut et de soixante coudées de large ; 4. Qu’il y eût trois étages de pierres non polies, et que l’on mît dessus une charpente de bois tout neuf, et que l’argent pour cette dépense fût fourni de la maison du roi ; 5. Que l’on rendît aussi les vases d’or et d’argent du temple de Dieu, que Nabuchodonosor avait transportés du temple de Jérusalem à Babylone, et qu’ils fussent rapportés dans ce temple au même lieu où ils avaient été autrefois placés dans le temple de Dieu. 6. Maintenant donc, vous Thathanaï, chef du pays qui est au-delà du fleuve, Stharbuzanaï, et vous, Apharsachéens, qui êtes leurs conseillers, et qui demeurez au-delà du fleuve, retirez-vous loin des Juifs ; 7. Et n’empêchez point le chef de ces Juifs et leurs anciens de travailler au temple de Dieu, et de bâtir sa maison dans le même lieu où elle était. 8. J’ai ordonné aussi de quelle manière on doit en user envers les anciens des Juifs pour rebâtir cette maison de Dieu, et je veux que de l’épargne du roi et des tributs qui se lèvent sur le pays au-delà du fleuve, on leur fournisse avec soin tout ce qui sera nécessaire pour les frais de cet édifice, afin que rien n’empêche qu’il ne continue à se bâtir. 9. Nous voulons de plus que, s’il est nécessaire, on leur donne chaque jour les veaux, les agneaux et les chevreaux, pour les offrir en holocauste au Dieu du ciel, le froment, le sel, le vin et l’huile, selon les cérémonies des prêtres qui sont à Jérusalem, sans qu’on leur laisse aucun sujet de se plaindre ; 10. Afin qu’ils offrent des sacrifices au Dieu du ciel, et qu’ils prient pour la vie du roi et de ses enfants. 11. C’est pourquoi nous ordonnons que si quelqu’un, de quelque qualité qu’il soit, contrevient à cet édit, on tire une pièce de bois de sa maison, qu’on la plante en terre, qu’on l’y attache, et que sa maison soit confisquée. 12. Que le Dieu qui a établi son nom en ce lieu-là dissipe tous les royaumes et extermine le peuple qui étendra sa main pour lui contredire, et pour ruiner cette maison qu’il a dans Jérusalem. Moi, Darius, j’ai fait cet édit, et je veux qu’il soit exécuté très exactement. 13. Thathanaï, gouverneur des provinces au-delà du fleuve, Stharbuzanaï et leurs conseillers, exécutèrent donc avec un grand soin tout ce que le roi Darius avait ordonné. 14. Cependant les anciens des Juifs bâtissaient le temple, et tout leur succédait heureusement, selon la prophétie d’Aggée et de Zacharie, fils d’Addo. Ils travaillaient à cet édifice par le commandement du Dieu d’Israël, et par l’ordre de Cyrus, de Darius, et d’Artaxerxès, rois de Perse. 15. Et la maison de Dieu fut achevée de bâtir le troisième jour du mois d’adar, la sixième année du règne du roi Darius » (traduction de la Bible de Port-Royal).
♦ Les édits d’Artaxerxès Ier Longue Main
Vient ensuite de 464 à 424 (ou de 465 à 423), Artaxerxès Ier, dit Artaxerxès Longue Main, qui sera suivi, de 423 à 405, par Darius II. NB : il y a deux autres Artaxerxès : après Xerxès II en 423, Darius II Nothos (423-404), règnent d’abord Artaxerxès II Mnémon (404-539), puis Artaxerxès III Ochos (359-338).
L’incertitude de la chronologie des événements sur les dates respectives des missions d’Esdras et de Néhémie est signalée par Cazelles, p. 662. Certains événements sont placés par les uns sous Artaxerxès Ier, et par l’autres sous Artaxerxès II. Les différentes hypothèses chronologiques sont présentées p. 662-664.
♦ Le premier édit d’Artaxerxès Ier Longue Main
Un premier édit est placé à la septième année du règne d’Artaxerxès Ier, que l’on place en 458.
Esdras et Nehemias traduits en français. Avertissement. Esdras est fils de Saraïas, grand pontife tué par Nabuchodonosor. Il est prêtre et docteur, très pieux. Et d’une grande pureté de cœur. À Babylone, la parole de Dieu était libre dans sa bouche, quoique au milieu des infidèles. On ne sait pas pourquoi il n’était pas revenu à Jérusalem, malgré l’édit de Cyrus roi des Perses, poussant les Juifs à y revenir et à y bâtir un Temple : p. 2-3. Sous Artaxerxès, il voulut retourner à Jérusalem ; il s’adressa au prince et en obtint de pouvoir établir des juges et gouverneurs parmi son peuple : p. 3-4. Il s’appliqua, revenu en Judée, à rétablir l’observation de la Loi dans sa pureté.
Sur la personnalité d’Esdras, voir le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Cerf, 1993, article Esdras, p. 362-363. Prêtre, scribe « versé dans la loi de Moïse », et réformateur religieux qui joua un rôle important dans la reconstruction du Temple et ramena un groupe d’exilés juifs de Babylone à Jérusalem en 458 avant Jésus-Christ. La tradition rabbinique lui accorde un grand prestige, le tenant pour l’égal de Moïse dans la connaissance de la Torah. Il exerça son activité, semble-t-il, dans la septième année du règne d’Artaxerxès Ier. Pendant l’exil de Babylone, il réapprit le sens de la Torah aux Juifs de Judée qui en avaient oublié le sens. Lorsqu’il quitta Babylone pour la Judée, il réunit une grande assemblée et décréta que les hommes qui avaient épousé des étrangères devaient s’en séparer. Il réunit une assemblée du peuple et lut alors la Torah jusqu’à midi et demanda au peuple d’en suivre les commandements. Selon les rabbins, il transforma l’écriture hébraïque pet l’usage de caractères araméens, carrés. Il aurait aussi collaboré à la codification du Pentateuque en prescrivant que certains mots dont la graphie était douteuse devaient être ponctués.
Sur la mission d’Esdras, voir Briant Pierre, Histoire de l’empire perse. De Cyrus à Alexandre, p. 600. La mission d’Esdras lui confère les moyens nécessaires pour rendre au temple sa splendeur. Artaxerxès Ier va jusqu’à interdire de lever des impôts sur les desservants du temple. Esdras établit des juges et des magistrats. Il organise une cérémonie officielle de renouvellement de l’Alliance. Il se préoccupe d’organiser le régime spirituel de la communauté ; il donne lecture de la Loi, préside la fête des Tabernacles, décide de supprimer les unions mixtes et éveille chez ses compatriotes des sentiments de repentir.
Selon Esdras, VII, 1 sq. « 1. Après ces choses qui se passèrent sous le règne d’Artaxerxès roi de Perse, Esdras fils de SaraÏas, fils d’Azarias, fils d’Helcias, 2. Fils de Sellum, fils de Sadoc, fils d’Achithob, 3. Fils d’Amarias, fils d’Ozi, fils de Maraïoth, 4. Fils de Zarahias, fils d’Ozi, fils de Bocci, 5. fils d’Abisué, fils de Phinées, fils d’Eleazar, fils d’Aaron qui fut le premier pontife. 6. Esdras, dis-je, vint de Babylone : il était un docteur et fort habile dans la loi de Moïse, que le Seigneur notre Dieu avait donnée à Israël ; et le roi lui accorda tout ce qu’il avait demandé, parce que la main favorable du Seigneur son Dieu était sur lui. 7. Plusieurs des enfants d’Israël, des enfants des prêtres, des enfants des lévites, des chantres, des portiers, et des Nathinéens vinrent avec lui à Jérusalem en la septième année du roi Artaxerxès. 8. Et ils arrivèrent à Jérusalem au cinquième mois, la septième année du règne de ce roi. 9. Il partit de Babylone le premier jour du premier mois, et il arriva à Jérusalem le premier jour du cinquième mois, parce que la main favorable de son Dieu était sur lui. 10. Car Esdras avait préparé son cœur pour rechercher la loi du Seigneur, et pour exécuter et enseigner dans Israël ses préceptes et ses ordonnances. 11. Voici la copie de la lettre en forme d’édit que le roi Artaxerxès donna à Esdras, prêtre et docteur, instruit dans la parole et dans les préceptes du Seigneur, et dans les cérémonies qu’il a données à Israël. 12. Artaxerxès roi des rois, à Esdras prêtre et docteur très savant dans la loi du Dieu du ciel, salut. 13. Nous avons ordonné que quiconque se trouvera dans mon royaume du peuple d’Israël, de ses prêtres et de ses lévites, qui voudra aller à Jérusalem, y aille avec vous. 14. Car vous êtes envoyé par le roi et par ses sept conseillers pour visiter la Judée et Jérusalem selon la loi de votre Dieu, dont vous êtes très instruit. 15. Et pour porter l’argent et l’or que le roi et ses conseillers offrent volontairement au Dieu d’Israël, qui a établi son tabernacle à Jérusalem. 16. Prenez avec toute liberté l’or et l’argent que vous trouverez dans toute la province de Babylone, que le peuple aura voulu offrir, et que les prêtres auront offert d’eux-mêmes au temple de leur Dieu, qui est dans Jérusalem ; 17. Et ayez soin d’acheter de cet argent des veaux, des béliers, des agneaux et des hosties avec des oblations de liqueurs, pour les offrir sur l’autel du temple de votre Dieu, qui est à Jérusalem. 18. Que si vous trouvez bon vous et vos frères de disposer en quelque autre sorte du reste de l’argent et de l’or qui vous aura été donné, usez-en selon l’ordonnance et la volonté de votre Dieu. 19. Portez aussi à Jérusalem, et exposez devant votre Dieu les vases qui vous ont été donnés pour servir au ministère du temple de votre Dieu. 20. S’il est nécessaire de faite quelque autre dépense pour la maison de votre Dieu, quelque grande qu’elle puisse être, on vous fournira de quoi la faire du trésor et de l’épargne du roi, et de ce que je vous donnerai en particulier. 21. Moi Artaxerxès roi, j’ordonne et je commande à tous les trésoriers de mon épargne, qui sont au-delà du fleuve, qu’ils donnent sans aucune difficulté à Esdras prêtre et docteur de la loi du Dieu du ciel, tout ce qu’il leur demandera ; 22. Jusqu’à cent talents d’argent, cent muids de froment, cent tonneaux de vin, cent barils d’huile et le sel sans mesure. 23. Qu’on ait grand soin de fournir au temple du Dieu du ciel tout ce qui sert à son culte et à son ministère, de peur que sa colère ne s’allume contre le royaume du roi et de ses enfants. 24. Nous vous déclarons aussi à tous qui êtes nos officiers, que vous n’aurez aucun pouvoir d’imposer ni taille, ni tribut, ni aucune charge sur tous les prêtres, les lévites, les chantres, les portiers, les Nathinéens et les ministres du temple du Dieu d’Israël. 25. Et vous Esdras établissez des juges et des magistrats, selon la sagesse que votre Dieu vous a donnée, afin qu’ils jugent tout le peuple qui est au-delà du fleuve, c’est-à-dire tous ceux qui connaissent la loi de votre Dieu, et enseignez aussi avec liberté ceux qui auront besoin d’être instruits. 26. Quiconque n’observera pas exactement la loi de votre Dieu et cette ordonnance du roi, il sera condamné ou à la mort, ou à l’exil, ou à une amende sur son bien, ou à la prison. 27. Béni soit le Seigneur le Dieu de nos pères qui a mis au sœur du roi cette pensée, d’élever en gloire le temple du Seigneur qui est dans Jérusalem ; 28. Et qui par sa miséricorde m’a fait trouver grâce devant le roi et ses conseiller, et devant tous les plus puissants princes de sa cour. C’est pourquoi étant fortifié par cette main favorable su Seigneur mon Dieu qui était sur moi, j’ai assemblé les premiers d’Israël pour venir avec moi à Jérusalem » (Traduction de la Bible de Port-Royal). Le chapitre VIII conte l’arrivée d’Esdras à Jérusalem.
Sur Esdras, voir Contre la fable d’Esdras (Laf. 953, Sel. 417).
♦ Deuxième édit d’Artaxerxès
Un deuxième édit est placé dans la 20e année du règne d’Artaxerxès Ier Longue Main ; il date selon Havet en 435, et de 445 selon la Bible de la Pléiade et Briant Pierre, Histoire de l’empire perse. De Cyrus à Alexandre, p. 601-605.
C’est l’origine de la mission de Néhémie, d’après Néhémie II. Voir Briant Pierre, Op. cit., p. 601-605. Alerté sur la condition déplorable de la ville, Néhémie se fait envoyer à Jérusalem. Les lettres royales lui permettent de faire relever la ville et les murs. Gouverneur par ordre du roi, apparemment avec Esdras, il rend leur lustre aux cérémonies. Il a pour mission de rétablir l’ordre social : les gens du peuple se plaignent de devoir engager leurs enfants, hypothéquer leurs terres pour survivre et payer le tribut royal. Néhémie prend la mesure de ne plus exiger la taxe du gouverneur.
Néhémie II, 1 sq. « 1. La vingtième année du règne d’Artaxerxès, au mois de nisan, on apporta du vin devant le roi. Je le pris et le lui servis. Alors le roi, me trouvant le visage tout abattu, 2. Me dit : Pourquoi avez-vous le visage si triste, quoique vous ne me paraissiez pas malade ? Il faut que vous en ayez sujet, et que vous cachiez quelque mal qui vous tienne au cœur. Je fus saisi à ces paroles d’une grande crainte, 3. Et je dis au roi : O roi, que votre vie soit éternelle ! Pourquoi mon visage ne serait-il pas abattu, puisque la ville où sont les tombeaux de mes pères est toute déserte, et que ses portes ont été brûlées ? 4. Le roi me dit : Que me demandez-vous ? Je priai le Dieu du ciel, 5. Et je dis au roi : S’il ma demande ne déplaît pas au roi, et si votre serviteur vous est agréable, envoyez-moi, je vous prie, en Judée, à la ville des sépulcres de mes pères, afin que je la fasse rebâtir. 6. Le roi et la reine qui était assise auprès de lui me dirent : Combien durera votre voyage, et quand reviendrez-vous ? Je leur marquai le temps de mon retour, et le roi l’agréa, et il me permit de m’en aller. 7. Je lui dis encore : Je supplie le roi de me donner des lettres pour les gouverneurs du pays de delà du fleuve, afin qu’ils me fassent passer sûrement, jusqu’à ce que je sois arrivé en Judée ; 8. Je le supplie aussi de me donner une lettre pour Asaph, grand-maître de la forêt du roi, afin qu’il me soit permis d’y prendre du bois pour pouvoir couvrir les tours du temple, les murailles de la ville et la maison où je me retirerai. Le roi m’accorda ma demande, parce que la main favorable de mon Dieu était sur moi. » La suite du récit rapporte la mission de Néhémie. Les chapitres IV et VI insistent sur l’hostilité rencontrée par les Juifs durant la reconstruction.
Petau Denis, De doctrina temporum, Lib. XII, cap. XXXII, p. 480, explique la multiplicité de ces missions en distinguant la reconstruction du temple de celle de la ville : il rapporte la restauration du temple au décret de Darius, et estime que le décret d’Artaxerxès vise la reconstruction de la ville de Jérusalem. « Exitum sermonis de instauranda Urbe, id est inchoatam aedificationem, a sine impedimento ullu susceptam, ex illa regis authoritate, quam nulla fraus, ac vis hostium amplius elusit, convenire in annum Artaxerxis Longimani vicesimum. Nam hactenus etsi regia decreta de Templi, et Urbis instauratione essen expressa, nondum, quod ad Urbem spectat, exitum suum consequi potuerant » : p. 480. Mais sur la manière de compter les années, Petau se déclare en désaccord avec les autres auteurs.
et pour le terme de la fin à cause des diversités des chronologistes.
Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 81. Les calculs des écrivains de la tradition ont abouti à la plus grande diversité, de sorte qu’il n’y a pas eu de calcul vraiment traditionnel. R. Martin, qui cite les calculs du Talmud Tha’anith IV, qui sont différents de ceux des chrétiens ; il suit aussi celle du Sedes Olam attribué à R. José (IIe siècle après Jésus-Christ), auquel les Rabbins du Moyen Âge reconnaissaient une grande autorité : col. 80.
Pensées, éd. Havet, II, p. 36, sur la diversité des chronologistes. Selon Havet, Pascal ne vise pas l’hésitation de huit ans dans l’avènement d’Artaxerxès, selon qu’on le suppose associé à son père ou régnant seulement après sa mort (voir ce qu’en dit le P. Petau), mais doit penser aux chronologies juives, d’après lesquelles le second Temple n’a duré que 420 ans, au lieu de plus de 520 ; et la monarchie de Cyrus une cinquantaine d’années au lieu de 200. Voir le Pugio Fidei.
Dictionnaire de théologie catholique, art. Daniel, col. 91. On distingue deux catégories de chronologistes : ceux qui arrêtent les soixante-dix semaines à la ruine de Jérusalem, et ceux qui les arrêtent à la mort du Christ. Par exemple, Petau Denis, De doctrina temporum, Livre XII, ch. XXXII, p. 480, écrit que le terminus ad quem le plus convenable est la passion du Christ. Cela suppose que le Christ est mort après la 69e semaine, c’est-à-dire durant la soixante-dixième. Une fois ce terme ad quem déterminé, on peut facilement trouver le terminus a quo.
Mais toute cette différence ne va qu’à deux cents ans.
On ne doit pas interpréter la remarque de Pascal sur les 200 ans comme s’il considérait cette durée comme négligeable, ce qui tomberait sous l’objection invoquée par Havet, éd. des Pensées, II, p. 37 : « est-ce qu’une différence de 200 ans, sur un compte de 490 ans, n’est pas énorme ? ».
Lorsque Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, éd. Pléiade, p. 727 et 817 sq., présente comme une subtilité inutile les discussions sur le compte des années, disant qu’il « n’y aurait rien de fort surprenant, quand il se trouverait quelque incertitude dans les dates de ces princes, et le peu d’années dont on pourrait disputer, sur un compte de 490 ans, ne feront jamais une importante question », il ne pense qu’à la différence de 8 ans dont parle Havet pour la datation de la monarchie des perses.
Mais ce n’est certainement pas ce que Pascal veut dire.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 268. Dans les soixante-dix semaines de Daniel, Sacy entend par l’ordre de rebâtir Jérusalem est l’édit d’Artaxerxès, promulgué en 458. La fin des 69 semaines tombe donc en l’an 25 de l’ère chrétienne, et la soixante-dixième semaine voit la mort et la résurrection du Christ. Mais Pascal est plus prudent que Sacy : il sait qu’après la longue captivité à Babylone, plusieurs édits ont progressivement permis le retour des juifs et le relèvement de Jérusalem, en particulier un grand édit de Cyrus. De là le fragment Prophéties 20, qui concède des incertitudes, mais pour conclure que, quels que soient les calculs, le Messie est venu.
En fait, Pascal veut éviter de se jeter dans des discussions et des calculs qui risquent de durer indéfiniment en raison des incertitudes chronologiques. Il se débarrasse du problème au lieu de le résoudre, en montrant qu’il n’a pas lieu d’être. Il prend donc l’incertitude comme un fait et en envisage les conséquences dans leur extension maximale. Même si l’on prend la dernière date pour le terme du commencement, et même si l’on ajoute aux 490 ans une marge d’erreur due à la diversité des chronologistes, on ne peut retarder le terminus ad quem de plus de 200 ans. L’incertitude ne peut donc pas excéder 200 ans. Or, à l’époque où Pascal écrit, 1 650 ans se sont écoulés depuis la mort du Christ à l’époque moderne. Par conséquent, à suivre les termes de la prophétie, à la date actuelle le Messie est certainement venu déjà. Donc quels que soient les termes du problème, il est résolu contre les Juifs.
L’expression toute cette différence ne va qu’à deux cents ans ne traduit pas une indifférence cavalière à l’égard de la chronologie, mais la conclusion d’un raisonnement par le maximum.
On retrouve une forme antérieure de cet argument chez Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, V, XIV et XV : « Daniel, à qui le Prophète Ézéchiel a rendu le témoignage d’une piété éminente, n’a pas eu sans doute dessein de nous tromper. Et l’on ne peut pas dire non plus qu’il ait été trompé par l’Ange Gabriel. Or c’est en qualité de disciple de cet Ange, qu’il nous dit au ch. IX. de sa prophétie, que depuis l’édit en vertu duquel les Juifs rebâtiraient Jérusalem, il s’écoulerait moins de 500 ans, avant que le Messie parût. Depuis cet édit jusqu’à notre siècle plus de 2 000 ans se sont passés. Cependant le Messie que les Juifs attendent n’est pas encore venu : et ils ne peuvent nommer personne qui soit venu en cette qualité dans le temps marqué par Daniel. D’ailleurs, Jésus-Christ est venu si précisément dans ce terme, que Néhumias, docteur juif, qui vivait 50 ans avant lui, disait, qu’avant que 50 ans se fussent écoulés, on verrait l’accomplissement de cet oracle. [Note 26 : Daniel, à qui le Prophète Ezéchiel etc. Ezéch. XIV. 14. XXXVIII. 3. Josèphe liv. X sur la fin ; « Je ne trouve rien de plus admirable en ce grand Prophète, que ce bonheur tout particulier et presque incroyable qu’il a eu au-dessus de tous les autres, d’avoir durant sa vie été honoré des Rois et des Peuples, et d’avoir laissé après sa mort une mémoire immortelle. Car les Livres qu’il a écrits, et qu’on nous lit encore maintenant, font connaître que Dieu même lui a parlé.] ». La prophétie dit que 500 ans ne s’écouleront pas avant l’arrivée du messie ; mais après plus de 2 000 ans, le messie attendu par les Juifs n’est toujours pas arrivé.
Quel que soit le début du comput, le Messie est maintenant venu.