Fragment Prophéties n° 6 / 27 – Papier original : RO 232-7
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 352 p. 165 v° / C2 : p. 198
Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 119-121 / 1678 n° 7 p. 119-120
Éditions savantes : Faugère II, 314, IV / Havet XXV.172 / Brunschvicg 770 / Tourneur p. 283-5 / Le Guern 308 / Lafuma 327 / Sellier 359
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Bibliographie ✍
CELSE, Contre les chrétiens, éd. L. Rougier, Paris, Pauvert, 1965. ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 464-466. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 276. PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (16570-1678), Paris, Champion, 2009. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. |
✧ Éclaircissements
Après que bien des gens sont venus devant,
Il s’agit de la tradition prophétique de l’Ancien Testament, dont Pascal souligne l’ampleur de 1 600 années dans d’autres fragments (voir Preuves par les Juifs V - Laf. 456, Sel. 696).
il est venu enfin Jésus-Christ dire : Me voici et voici le temps. Ce que les prophètes ont dit devoir advenir dans la suite des temps, je vous dis que mes apôtres le vont faire.
Ce passage ne renvoie pas à un texte précis des Évangiles ; Pascal propose plutôt une reconstitution synthétique de l’enseignement prophétique du Christ. L’essentiel est dans la forme, plus peut-être que dans le fond : il s’agit de montrer que Jésus-Christ aussi a prophétisé, et que ses prédictions ont été reprises par ses apôtres, qui les ont réalisées.
M. Le Guern, éd. des Œuvres complètes, II, Pléiade, p. 1433, remarque que Pascal invoque ici des points qui correspondent à ceux que mentionne Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, III, § VIII (IX dans la traduction de Le Clerc) : « Multa enim in illis praedicta apparent de rebus, quas homines suapte vi nosse non quirent, quae ipso eventu mire sunt confirmata : ut de subita atque ingenti hujus religionies propagatione, de duratione ejus perpetua, de ea rejicienda a Judaeis plerisque, amplectenda vero ab extraneis, de odio Judaeorum in profitentes hanc religionem, de suppliciis gravissimis ob eam subeundis, de obsidione et excidio Hierosolymorum ac templi, sullisque Judaeorum calamitatibus ». Tr. : « Il y a dans ces livres quantités de prédictions auxquelles l’événement a admirablement répondu, et qui ne pouvaient être l’effet d’une prévoyance humaine. Telles sont celles des grands et des rapides progrès de la religion chrétienne, de sa durée non interrompue, du refus que devaient faire les Juifs de la recevoir ; de l’entrée des Nations étrangères dans l’Église, de la haine des Juifs contre ceux qui feraient profession de cette religion, des supplices très cruels que ceux-ci souffriraient pour sa défense , du siège et de la ruine de Jérusalem et du Temple, et des malheurs effroyables qui devaient tomber sur les Juifs ».
La référence à Grotius fournit quelques références utiles. Le rapprochement n’est cependant pas vraiment éclairant. Grotius invoque le rejet du Christ par les Juifs, et non le fait que les Juifs seront rebutés. D’autre part, Pascal omet plusieurs points : ni la propagation extraordinaire de la religion chrétienne, ni la haine des Juifs à l’égard des chrétiens ne figurent dans le fragment. Les calamités qui se sont abattues sur les Juifs, invoquées par Grotius, sont chez Pascal réduites à la ruine de Jérusalem. En fait, Pascal se tient ici à deux points essentiels : le rejet des Juifs et la conversion des païens.
Les Juifs vont être rebutés.
Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Que les Juifs, manque de cet amour, seraient réprouvés pour leurs crimes et les païens élus en leur place :
[...] Que les sacrifices des païens seront reçus de Dieu. Et que Dieu retirera sa volonté des sacrifices des Juifs.
[...] Que Jérusalem serait réprouvée et Rome admise.
Matth., VIII, 11-12. « Aussi je vous déclare, que plusieurs viendront d’orient et d’occident, et auront place au festin dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, 12. mais que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures : c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
Matth., XXI, 43. « C’est pourquoi je vous déclare que le royaume de Dieu vous sera ôté, et qu’il sera donné à un peuple qui en produira les fruits ».
Jérusalem sera bientôt détruite
Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Que Jérusalem serait réprouvée et Rome admise.
Matth., XXIII, 37-38. « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui sont envoyés vers toi, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ? 38. Le temps s’approche que votre maison demeurera déserte. »
Luc, XIII, 34. « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui sont envoyés vers toi, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ? »
Luc, XIX, 41-44. « Étant ensuite arrivé proche de Jérusalem, et regardant la ville, il pleura sur elle, en disant : 42. Ah ! si tu reconnaissais, au moins en ce jour qui t’est encore donné, ce qui peut te procurer la paix. Mais maintenant tout cela est caché à tes yeux. 43. Aussi viendra-t-il un temps malheureux pour toi, où tes ennemis t’environneront de tranchées ; ils t’enfermeront, et te serreront de toutes parts ; 44. ils te renverseront par terre, toi et tes enfants qui sont au milieu de toi, et ils ne te laisseront pas pierre sur pierre : parce que tu n’as pas connu le temps auquel Dieu t’a visitée. »
Luc, XXI, 24. « Ils passeront par le fil de l’épée ; ils seront emmenés captifs dans toutes les nations ; et Jérusalem sera foulée aux pieds par les Gentils, jusqu’à ce que le temps des nations soit accompli ».
Poznanski Lucien, La chute du temple de Jérusalem, Paris, Éditions Complexe, 1991.
et les païens vont entrer dans la connaissance de Dieu.
Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Que les Juifs, manque de cet amour, seraient réprouvés pour leurs crimes et les païens élus en leur place :
[...] Que les sacrifices des païens seront reçus de Dieu. Et que Dieu retirera sa volonté des sacrifices des Juifs.
[...] Que Jérusalem serait réprouvée et Rome admise.
Prophéties 1 (Laf. 323, Sel. 354). Ruine des Juifs et des païens par Jésus-Christ : omnes gentes venient et adorabunt eum. [...] Adorabunt eum omnes reges.
Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, III, 8, renvoie à Matth. VIII, 11-12. « Aussi je vous déclare, que plusieurs viendront d’orient et d’occident, et auront place au festin dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, 12. mais que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures : c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
Matth., XII, 21. « Les nations espéreront en son nom ».
Matth., XXI, 43. « C’est pourquoi je vous déclare que le royaume de Dieu vous sera ôté, et qu’il sera donné à un peuple qui en produira les fruits ».
Mes apôtres le vont faire après que vous aurez tué l’héritier de la vigne.
Après que vous aurez tué l’héritier de la vigne : voir Marc, XII, 6-8. « Enfin, ayant un fils unique qu’il aimait tendrement, il le leur envoya encore après tous les autres, en disant : Ils auront quelque respect pour mon fils. 7. Mais ces vignerons dirent entre eux : Voici l’héritier ; allons, tuons-le, et l’héritage sera à nous. 8. Ainsi s’étant saisis de lui, ils le tuèrent, et le jetèrent hors de la vigne » (Tr. du Nouveau Testament de Mons). Le fils de la parabole est la figure du Christ.
Et puis les apôtres ont dit aux Juifs : Vous allez être maudits.
Saint Paul, Épître aux Romains, XI, 1-8. « Que dirai-je donc ? Est-ce que Dieu a rejeté son peuple ? Non, certes. Car je suis moi-même Israélite, de la race d’Abraham, et de la tribu de Benjamin. 2. Dieu n’a point rejeté son peuple qu’il a connu dans sa prescience. Ne savez-vous pas ce qui est rapporté d’Élie dans l’Écriture ? de quelle sorte il demande justice à Dieu contre Israël, en disant : 3. Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont renversé vos autels ; je suis demeuré tout seul, et ils me cherchent pour m’ôter la vie. 4. Mais qu’est-ce que Dieu lui répond ? Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. 5. Ainsi Dieu a sauvé en ce temps, selon l’élection de sa grâce, un petit nombre qu’il s’est réservé. 6. Si c’est par grâce, ce n’est donc point par les œuvres : autrement la grâce ne serait plus grâce. 7. Après cela que dirons-nous ? Israël n’a-t-il donc point trouvé ce qu’il cherchait ? Ceux qui ont été choisis de Dieu, l’ont trouvé ; mais les autres ont été aveuglés, 8. selon qu’il est écrit : Dieu leur a donné un esprit d’assoupissement et d’insensibilité, des yeux qui ne voient point, et des oreilles qui n’entendent point : tel est leur état jusqu’à ce jour. »
Et aux païens : Vous allez entrer dans la connaissance de Dieu.
Saint Paul, Deuxième épître à Timothée, IV, 17. « Mais le Seigneur m’a assisté et m’a fortifié, afin que j’achevasse la prédication del’Évangile, et que toutes les nations l’entendissent ».
Saint Paul, Épître aux Éphésiens, III, 6. « Les Gentils sont appelés au même héritage que les Juifs ; qu’ils sont les membres d’un même corps, et qu’ils participent à la même promesse de Dieu en Jésus-Christ par l’Évangile. »
Saint Paul, Épître aux Romains, XI, 30. « Les Juifs sont-ils tombés de telle sorte que leur chute soit sans ressource ? À Dieu ne plaise ; mais leur chute est devenue une occasion de salut aux Gentils, afin que l’exemple des Gentils leur donnât de l’émulation pour les suivre ». Et Ibid., XV, 27. « Les Gentils ont été rendus participants des richesses spirituelles des Juifs ».
Et cela est arrivé alors.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 448. Pascal considère que l’avènement du Messie fut marqué par un accroissement soudain du nombre des élus. Il ne lie pas ce changement à la réussite d’une pédagogie de Dieu, mais à la seule réalisation des prophéties annonçant la conversion de l’univers.
Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Prédictions.
Qu’en la 4e monarchie, avant la destruction du 2e temple, avant que la domination des Juifs fût ôtée en la 70e semaine de Daniel, pendant la durée du 2e temple les païens seraient instruits et amenés à la connaissance du Dieu adoré par les Juifs, que ceux qui l’aiment seraient délivrés de leurs ennemis, remplis de sa crainte et de son amour.
Et il est arrivé qu’en la 4e monarchie avant la destruction du 2e temple, etc. les païens en foule adorent Dieu et mènent une vie angélique.
Les filles consacrent à Dieu leur virginité et leur vie, les hommes renoncent à tous plaisirs. Ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles.
Les riches quittent leurs biens, les enfants quittent la maison délicate de leurs pères pour aller dans l’austérité d’un désert, etc. Voyez Philon juif.
Qu’est-ce que tout cela ? c’est ce qui a été prédit si longtemps auparavant ; depuis 2 000 années aucun païen n’avait adoré le Dieu des Juifs et dans le temps prédit la foule des païens adore cet unique Dieu. Les temples sont détruits, les rois mêmes se soumettent à la croix. Qu’est-ce que tout cela ? C’est l’esprit de Dieu qui est répandu sur la terre.
Nul païen depuis Moïse jusqu’à J.-C. selon les rabbins mêmes ; la foule des païens après J.-C. croit les livres de Moïse et en observe l’essence et l’esprit et n’en rejette que l’inutile.
Celsus s’en moquait.
Celse (Celsus) est un philosophe du IIe siècle, rendu célèbre par un ouvrage contre les chrétiens composé vers 170. Voir les articles Celse de la Biographie Michaud et de L’encyclopédie théologique de Migne. Son livre n’est connu que par le Contre Celse composé par Origène en vue de le réfuter. Celse considère comme une folie le projet des chrétiens de convertir toute l’humanité et de la ranger sous une même loi ; il pense que chaque peuple doit conserver sa religion. Il use plus contre les chrétiens de la raillerie et de la moquerie que du raisonnement. La question est de savoir de quoi, selon Pascal, se moquait Celse. Faugère en revanche, a évité de prendre parti, en signalant que la phrase Celsus s’en moquait est inscrite en marge du manuscrit ; c’est aussi la solution adoptée par Lafuma. Havet et Brunschvicg placent cette phrase entre parenthèse, après Vous allez être maudits, ce qui suppose que c’est sur ce point particulier que portait l’attaque. Le Guern rejette la phrase en note de bas de page, à l’aide d’un signe qui la rattache aux mots les païens vont entrer dans la connaissance de Dieu. Cette diversité suggère que les éditeurs n’ont pas trouvé de référence précise qui permettrait d’établir un lien entre le livre de Celse et le présent fragment, et d’assigner la place de la remarque sur Celse. En fait, le livre de Celse ne contient presque rien sur la tradition prophétique, en dehors d’un passage du livre III, § 87, éd. Rougier, p. 131-132, qui n’aborde pas cet aspect de la question prophétique. Il n’est donc pas possible d’associer l’allusion à Celse d’une partie précise du fragment. Il est probable que Pascal invoque son nom pour représenter les païens qui raillent l’ensemble de la doctrine chrétienne.