Fragment Transition n° 4 / 8  – Papier original : RO 347 r/v°, 351 r/v°, 355 r/v°, 359 r/v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Transition n° 248 à 257 p. 91 à 99 v° / C2 : p. 117 à 129

Éditions de Port-Royal :

    Chap. XXII - Connoissance générale de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 171-178 / 1678 p. 168-174 (chap. complet)

    Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janv. 1670 p. 331-335 / 1678 n° 27 p. 326-330

Éditions savantes : Faugère II, 63, I ; II, 68, II ; II, 75, II / Havet I.1 / Brunschvicg 72 / Tourneur p. 236-1 / Le Guern 185 / Maeda I p. 219 / Lafuma 199 / Sellier 230

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Transcription savante (origine : Recueil des originaux)

 

RO p. 360 (359 v°) (Les parties barrées verticalement par Pascal sont présentées ci-dessous sur un fond blanc)

 

 

L’ame empeschant que le suppost entier ne

   spirituelles & ou 1 corporelles.

De la vient que tous presque tous les philosophes s’egar

confond[ent] les idées des 2 choses, & parlent des choses

corporelles spirituelement & des spirituelles corporellement

                                     que les corps

  car ils disent hardiment qu’une pierre tend[ent] en bas, qu’ils aspirent a leur centre, qu’ils fuyent leur destruction

                                                              des

  qu’elle ils craignent le vuide, qu’elle ils [ont] 3 inclinations

des simpaties des antipaties qui sont 4 toutes choses

qui n’appartiennent qu’aux esprits, & en parlant des

  esprits ils leur attribuent le mouvement local &

  les considerent comme en un lieu, & leur attribuent

                             place

   le mouvement d’unelieu a un[e] autre qui sont

    choses qui n’appartiennent qu’aux corps.

       au lieu de recevoir les idées de ces choses pures 5 nous les teignons

   on                                                de

 ils les teint de nos qualitez & peint 6 son empreignons [de] 7 nostre

propre estre son composé toutes les choses simples que nous contemplons.

   qu’il contemple, C’est ainsy qu’il borne l’univers

parce que qu’estant 8 borné il borne l’univers

&,

                            nous

     Qui ne croiroit a voir qu’il compose[r] toutes

choses d’esprit & de corps pour les comprendre que ce meslange la

nous                bien 9

luy seroit fort inc comprehensible - C’est neantmoins la chose

                                         l’homme

 qu’il on 10 comprend le moins, il est a luy mesme l[e] ch

 plus prodigieux object de la nature, car il ne

 peut concevoir ny ce que c’est que corps, & encore moins

   ce que c’est qu’esprit, & moins qu’aucune chose

comment 11 un corps peut estre uni avec un esprit. C’est

                                              & cependant

   la le comble de ses difficultez, quoy que c’est son propre estre.

   modus quo

quomodo corporibus adherent 12 spiritus comprehendi

   ab hominé 13 non potest, et hoc tamen homo est.

 

 

 

 

      +

        Voila une partie des causes qui causes qui rendent l’homme si imbecille a connoistre la nature

        Elle est infinie en deux manieres, il est finy de toutes pa & limité Elle dure & se perpetue maintient

          en son co en perpetuellement en son estre, il passe & est mortel. Les choses en particulier se corrompent

                                                                                                                            leur

          a toute a & se changent a chaque instant il ne les voit qu’en passant, Elles ont un principe & une leur

           fin, il ne concoit 14 ni l’un ny l’autre, elles sont simples & il est composé de deux natures differentes

            Toutes les sciences ont de Et pour consommer la preuve de nostre foiblesse

            je finiray par cette 15 reflexion sur l’estat de nostre nature 16

 

                    Enfin pour consommer  lapreuve de nostre foiblesse

                    je finiray par ces deux considerations. 17

Notes

 

1 C1 et C2 puis P. Faugère et E. Havet : « et ».

2 M. Le Guern : « de ces ».

3 L. Brunschvicg : « elle a ».

4 L. Lafuma omet de transcrire « qui sont ».

5 C1 et C2 : « en nous ».

6 L. Brunschvicg : « prive ».

7 Les Copies et les éditions ajoutent « de » à ce niveau (empreignons de notre être composé) sauf P. Faugère (empreignons notre être composé (en)). Lafuma et Le Guern l’ajoutent après composé (empreignons notre être composé de).

8 L. Brunschvicg : « qu’il est ».

9 L. Brunschvicg : « très ».

10 C1 et C2 : « que l’on ».

11 C1 et C2 : « comme » ; L. Brunschvicg suit les Copies.

12 C1 et C2 puis P. Faugère et E. Havet : « adhaeret ».

13 C1 et C2 : « hominibus » ; Fau : « hominibus » ; Havet : « hominibus » ; Br : « hominibus » ; T : « hominé » ; Laf : « homine » ; LG : « homine » ; M : « hominé » ; Sel : « homine ».

14 C1 et C2 : « connaît ».

15 L. Brunschvicg : « ces deux ».

16 Les Copies transcrivent ce texte barré verticalement mais sans la dernière phrase (Et pour consommer la preuve de notre faiblesse je finiray par cette réflexion sur l’état de notre nature.) P. Faugère et L. Brunschvicg le proposent en note. M. Le Guern et Ph. Sellier suivent les Copies.

17 Faugère ajoute trois points de suspension.

 

Premières éditions et copies des XVIIe - XVIIIe siècles et du début du XIXe

 

Le fragment a été en grande partie retenu dans l’édition de Port-Royal.

Voir cette étude...

La copie Périer reproduit une partie du texte non retenu par Port-Royal, p. 119 v°-120 : (en rouge : les différences avec les Copies C1 et C2)

Manque d’avoir contemplé ces Infinis, les hommes se sont portés témérairement à la recherche de la Nature, comme s’ils avoient quelque proportion avec elle.

C’est une chose étrange qu’ils ont voulu comprendre les principes des choses et d’arriver jusqu’à connoitre tout par une présomption aussi infinie que leur objet. Or il est sans doute qu’on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la Nature.

Quand on est instruit on comprend que la Nature aiant gravé son ouvrage et celle de son auteur dans toutes choses, Elles tiennent presque toutes de sa double infinité.      C’est ainsi que nous voions que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches ; Car qui doute que la Géométrie, par exemple a une infinité d’infinités de propositions à exposer ; Elle sera aussi infinie dans la multitude et la délicatesse de leurs principes ; Car qui ne voit que ceux qu’on propose pour ses derniers ne se soutiennent pas d’eux mêmes, et qu’ils sont appuiés sur d’autres, qui en aiant d’autres pour appui, ne souffrent jamais de derniers.

On voit d’une premiere vuë que l’Arithmetique seule fournit des principes sans nombre ; et chaque science de même.

Mais si l’infinité en petitesse est bien moins visible les Philosophes ont bien plutôt prétendu     y arriver ; et c’est là où tous ont choppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, des principes des choses, Des Principes de la Philosophie et autres semblables aussi fastueux - en effet quoi que non en apparence que cet autre qui creve les yeux, De omni Scibili

Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté. Notre raison est toujours décue par l’inconstance des apparences ; Rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient.

Cela étant bien compris, Je crois qu’on s’en tiendra au repos, chacun dans l’Etat où la nature l’a placé.

Ce milieu qui nous est échu, en partage étant toujours distant des extrêmes ; qu’importe qu’un Rien ait un peu plus d’intelligence des choses. S’il en a il les prend d’un peu plus           haut n’est il pas toujours infiniment éloigné du bout, et la duree de nôtre vie n’est elle pas toujours infiniment éloignee de l’éternité pour durer              davantage.

Dans la vuë de ces Infinis tous les finis sont égaux Et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur l’un que sur l’autre. La seule comparaison que nous faisons de nous au fini nous fait peine.

Le père Pierre Nicolas Desmolets (1728), p. 303-304, édite une partie de ce texte à partie du manuscrit Périer : (en rouge : les différences avec la copie Périer)

Manque d’avoir contemplé ces infinis, les hommes se sont portez témérairement à la recherche de la nature, comme s’ils avoient quelque proportion avec elle.

C’est une chose étrange qu’ils ayent voulu comprendre les principes des choses, &      arriver jusqu’à connoître tout, par une présomption aussi infinie que leur objet. Or il est sans doute qu’on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie comme la nature.

Quand on est instruit, on comprend que la nature ayant gravé son image & celle de son auteur dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de cette double infinité. C’est ainsi que nous croyons que toutes les sciences sont infinies en l’etenduë de leurs recherches.

On voit d’une premiére vûë que l’Arithmétique           fournit des principes sans nombre,     chaque science de même.

         L’infinité en petitesse est bien moins visible. Les Philosophes ont                    prétendu d’y arriver, & c’est-là où tous ont échoüé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, des principes des choses, des principes de la Philosophie, & autres semblables aussi fastueux en effet, quoique moins en apparence, que cet autre qui créve les yeux, de omni scibili.

 

Autre copie :

La copie de l’Oratoire de Troyes (p. 58) reproduit un paragraphe à partir du manuscrit Périer :

Quand on est instruit, on comprend que la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de cette double infinité. c’est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étenduë de leurs recherches.

Le copiste devait aussi disposer de l’édition Desmolets.

J.-A.-N. Condorcet (1776), article IV, n° 6, reproduit une partie de la copie Périer : (en rouge : les différences avec la copie Périer)

Quand on est instruit, on comprend que la nature ayant gravé son ouvrage, et celui de son Auteur dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de sa double infinité. C’est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches. Car qui doute que la Géométrie, par exemple, a une infinité d’infinités de propositions à exposer ? Elle sera aussi infinie dans la multitude et la délicatesse de leurs principes ; car qui ne voit que ceux qu’on propose pour ces derniers, ne se soutiennent pas d’eux mêmes, et qu’ils sont appuyés sur d’autres, qui en ayant d’autres pour appui, ne souffrent jamais de derniers.

On voit d’une premiere vue que l’arithmétique seule fournit des principes sans nombre, et chaque science de même.

Mais si l’infinité en petitesse est bien moins visible, les Philosophes ont bien plutôt prétendu y arriver ; et c’est là où tous ont choppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, des Principes des choses, Des Principes de la Philosophie, et autres semblables aussi fastueux, en effet, quoique      en apparence, que cet autre qui crêve les yeux, De omni Scibili.

Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté. Notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences ; rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient. Cela étant bien compris, Je crois qu’on s’en tiendra au repos, chacun dans l’état où la nature l’a placé.

Ce milieu qui nous est échu,                   étant toujours distant des extrêmes, qu’importe qu’un rien ait un peu plus d’intelligence des choses ? S’il en a il les prend d’un peu plus haut ; n’est-il pas toujours infiniment éloigné                                               de l’éternité pour durer davantage ?

Dans la vue de ces infinis, tous les infinis sont égaux ; et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur l’un que sur l’autre ? la seule comparaison que nous faisons de nous au fini, nous fait peine.

Le texte publié par Desmolets a été en partie reproduit par Ch. Bossut (1779) : p. 536, t. II, supplément n° 8 ; p. 87-88, t. II, partie I, article VI, n° 24 ;

et par A. Renouard (1812), p. 129, partie II, article XVII, n° LXXXVI et p. 223, partie I, article VI, n° XXIV. (en rouge : les différences avec la copie Périer)

C’est une chose étrange que les hommes aient voulu comprendre les principes des choses, et      arriver jusqu’à connaître tout                               . Car il est sans doute qu’on ne peut former ce dessein sans une présomption ou sans une capacité infinie, comme la nature.

Quand on est instruit, on comprend que la nature portant l’empreinte de son auteur gravée dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de sa double infinité : c’est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches. Car qui doute que la géométrie, par exemple, a une infinité d’infinités de propositions à exposer ? Elle sera aussi infinie dans la multitude et la délicatesse de leurs principes. Car qui ne voit que ceux qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux‑mêmes et qu’ils sont appuyés sur d’autres qui, en ayant d’autres pour appui, ne souffrent jamais de derniers ?

On voit d’une première vue que l’arithmétique seule fournit des principes sans nombre, et chaque science de même.

Mais si l’infinité en petitesse est bien moins visible. Les philosophes ont bien plutôt prétendu y arriver, et c’est là où tous ont choppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires : Des principes des choses, Des principes de la philosophie, et autres semblables, aussi fastueux en effet quoique non en apparence que cet autre qui crève les yeux : De omni scibili.

Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté. Notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences, rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient.

Cela étant bien compris, je crois qu’on se tiendra au repos, chacun dans l’état où la nature l’a placé.

Ce milieu qui nous est échu                   étant toujours distant des extrêmes, qu’importe qu’un autre ait un peu plus d’intelligence des choses ? S’il en a il les prend d’un peu plus haut, n’est‑il pas toujours infiniment éloigné des extrêmes ? Et la durée de notre plus longue vie n’est-elle pas             infiniment éloignée de l’éternité                            .

Dans la vue de ces infinis tous les infinis sont égaux, et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur l’un que sur l’autre. La seule comparaison que nous faisons de nous au fini nous fait peine.

 

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