Fragment Vanité n° 2 / 38 – Papier original : RO 81-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 16 p. 5 / C2 : p. 17
Éditions savantes : Faugère II, 353, XII / Havet XXV.103 / Brunschvicg 338 / Tourneur p. 168-8 / Le Guern 12 / Maeda I p. 72 / Lafuma 14 / Sellier 48
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Bibliographie ✍
ALEXANDRESCU Vlad, Le paradoxe chez Blaise Pascal, Berne-Berlin-Francfort, Peter Lang, 1997, p. 204. ARNAULD Antoine et NICOLE Pierre, La Logique, I, X, éd. Clair et Girbal, p. 78. LHERMET J., Pascal et la Bible, p. 200. MAEDA Yoichi, Commentaire des Pensées de Pascal, I, p. 72. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES, 1993, p. 206. FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, Paris, P.U.F., 1984, p. 159. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, IIa IIae Q. LXIII, art. III. THIROUIN Laurent, Le hasard et les règles, Vrin, 1991, p. 79-84. |
✧ Éclaircissements
♦ Interprétation des termes du texte
La reconstitution de Pol Ernst permet d’interpréter le y de la version initiale Les sages néanmoins y obéissent..., comme un renvoi au tour de folie du fragment Dossier de travail (Laf. 412, Sel. 31). Cependant ce y peut renvoyer par avance au folies de cette même première version : Les sages néanmoins y obéissent néanmoins, non pas qu’ils respectent les folies...
Le terme ordre est répété dans le fragment, mais dans des sens différents. Le premier mot s’entend au sens impératif, non le second. Voir le dossier Ordre sur les différentes acceptions de ce terme.
♦ Références internes
Le mot Vanitati dans la citation de Rom. VIII, Omnis creatura subjecta est vanitati. Liberabitur (voir ci-dessous), relie explicitement le fragment à la liasse Vanité.
Voir Raisons des effets 9 (Laf. 90, Sel. 124), Gradation, qui mentionne les chrétiens parfaits. Voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES, 1993, p. 206. ✍
Un rapprochement est possible avec le deuxième Discours sur la condition des Grands, où Pascal explique au duc de Luynes quelle doit être sa conduite de prince chrétien à l’égard des hommes qui dépendent de lui.
Voir aussi la deuxième lettre de Pascal à Melle de Roannez, sur la sagesse des hommes qui est folie devant Dieu : OC III, éd. J. Mesnard, p. 1031 sq. : « Jésus-Christ est venu apporter le couteau, et non pas la paix. Mais néanmoins il faut avouer que comme l’Écriture dit que « la sagesse des hommes n’est que folie devant Dieu », aussi on peut dire que cette guerre qui parait dure aux hommes est une paix devant Dieu ; car c’est cette paix que Jésus-Christ a aussi apportée. »
Les vrais chrétiens obéissent aux folies néanmoins, non pas qu’ils respectent les folies, mais l’ordre de Dieu qui pour la punition des hommes les a asservis à ces folies.
Cette idée sera reprise dans la liasse Raisons des effets, pour caractériser la conduite des chrétiens, qui se soumettent à la nécessité de respecter les gens de grande naissance pour se conformer à l’ordre social voulu par Dieu. L’intérêt de ce fragment est de marquer nettement ce qui distingue cette soumission de celle des habiles, malgré leur ressemblance extérieure. Les habiles affectent de respecter les grands par intérêt propre, parce qu’il est utile de conserver l’ordre établi et la paix entre les hommes. Les chrétiens se soumettent à la folie universelle parce qu’ils savent que cette condition est la conséquence lointaine du péché et de la punition que Dieu a permise en conséquence.
Voir Raisons des effets 9, Raison des effets. Gradation. Le peuple honore les personnes de grande naissance, les demi‑habiles les méprisent disant que la naissance n’est pas un avantage de la personne mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple mais par la pensée de derrière. Les dévots qui ont plus de zèle que de science les méprisent malgré cette considération qui les fait honorer par les habiles, parce qu’ils en jugent par une nouvelle lumière que la piété leur donne, mais les chrétiens parfaits les honorent par une autre lumière supérieure. Ainsi se vont les opinions succédant du pour au contre selon qu’on a de lumière.
Dossier de travail (Laf. 412, Sel. 31). Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou.
Il y a lieu de chercher s’il ne se trouve pas chez Pascal une marque de l’influence de l’Éloge de la folie d’Érasme.
Omnis creatura subjecta est vanitati. Liberabitur.
Saint Paul, Rom. VIII, 20-21. « Vanitati enim creatura subiecta est non volens sed propter eum qui subiecit in spem quia et ipsa creatura liberabitur a servitute corruptionis in libertatem gloriae filiorum Dei » ; « Car elle a été assujettie à la vanité, non de son gré, mais par égard pour celui qui l’a soumise, toutefois en gardant un espoir : la créature elle aussi sera affranchie de l’esclavage de la corruption pour participer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. »
Expressions retenues : l’homme est asservi à la vanité et doit en être libéré.
Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 200. Pascal ajoute omnis pour bien marquer les effets universels de la déchéance originelle.
Ainsi saint Thomas explique le lieu de saint Jacques pour la préférence des riches, que s’ils ne le font dans la vue de Dieu ils sortent de l’ordre de la religion.
Saint Jacques est l’un des « frères du Seigneur » (Matthieu XIII, 55) qui fut chef de la première communauté chrétienne de Jérusalem (ce n’est pas l’apôtre Jacques, fils de Zébédée). Il fut martyrisé en 62. Il est d’après la tradition auteur d’une Épître catholique : voir la notice et la traduction dans la Bible de Port-Royal, éd. de Philippe Sellier, coll. Bouquins, Robert Laffont, p. 1571 sq., et l’introduction de la Bible de Jérusalem aux Épîtres catholiques, p. 1745.
Lieu : endroit d’un texte ou d’un livre.
pour : voir le papier original et sa transcription diplomatique sur la lecture pour, qui semble s’imposer.
Voir Épître II, 2-5. « Etenim si introierit in conventu vestro vir aureum annulum habens in veste candida introierit autem et pauper in sordido habitu, et intendatis in eum qui indutus est veste praeclara, et dixeritis tu sede hic bene, pauperi autem dicatis : tu sta illic aut sede sub scabillo pedum meorum : nonne iudicatis apud vosmet ipsos et facti estis iudices cogitationum iniquarum 2 :5 audite fratres mei dilectissimi nonne Deus elegit pauperes in hoc mundo divites in fide et heredes regni quod repromisit Deus diligentibus se. ».
Traduction de Lemaistre de Sacy : « Car s’il entre dans votre assemblée un homme qui ait un anneau d’or et un habit magnifique, et qu’il y entre aussi quelque pauvre avec un méchant habit,
Et qu’arrêtant votre vue sur celui qui est magnifiquement vêtu, vous lui disiez en lui présentant une place honorable : Asseyez-vous ici ; et que vous disiez au pauvre : Tenez-vous là debout, ou asseyez-vous à mes pieds ;
N’est-ce pas là faire différence en vous-même entre l’un et l’autre, et suivre des pensées injustes dans le jugement que vous en faites ? Écoutez, mes chers frères, Dieu n’a-t-il pas choisi ceux qui étaient pauvres dans ce monde pour être riches dans la foi et héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment ? »
♦ Saint Thomas sur le lieu de saint Jacques
Pontas, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 87-88. L’acception de personnes est un vice par lequel on donne ou on attribue à une personne, sans juste cause, ce qui est dû par justice à un autre.
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Voir Ferreyrolles Gérard, Pascal et la raison du politique, p. 159.
Voir l’analyse de L. Thirouin, Le hasard et les règles, Vrin, 1991, p. 79-84.
Alexandrescu Vlad, Le paradoxe chez Blaise Pascal, p. 204.
Pour approfondir...
Saint Thomas, Somme théologique, IIa IIae Q. LXIII, art. III, renvoie à la glose de saint Augustin sur les paroles de saint Jacques : « Ubi dicit Glossa Augustini : « quis ferat si quis divitem eligat ad sedem honoris Ecclesiae, contempto » paupere instructiore et sanctiore ».
Somme théologique, IIa IIae Q. LXIII, art. III, De acceptione personarum, in quatuor articulos divisa
« [...]
Articulus III. Utrum in exhibitione honoris et reverentiae locum habeat peccatum acceptionis personarum.
Ad tertium sic progreditur. Videtur quod in exhibitione honoris et reverentiae non habeat locum peccatum acceptionis personarum. Honor enim nihil aliud esse videtur quam « reverentia quaedam alicui exhibita in testimonium virtutis », ut patet per Philosophums in Ethic. (cap. 56 vel 3). Sed praelati et principes sunt honorandi etiamsi sint mali, sicut etiam parentes, de quibus mandatur Exod., XX : « Honora patrem tuum et matrem tuam » ; et etiam domini sunt à servis honorandi, etiamsi sint mali, secundum illud I ad Timoth., VI : « Quicumque sunt sub jugo servi dominos suos honore dignos arbitrentur ». Ergo videtur quod acceptio personae non sit peccatum in exhibitione honoris.
2. Praeterea, Levit. XIX, praeiptur : « Coram cano capite consurge, et honora personam senis ». Sed hoc videtur ad acceptionem personarum pertinere ; quia quandoque senes non sunt virtuosi, secundum illud Dan., XIII : « Egressa est iniquitas à senioribus populi ». Ergo acceptio personarum non est paccatum in exhibitione honoris.
3. Praeterea, super illud Jacob. II : « Nolite in peronarum acceptione habere fidem, etc. » dicit Glossa Augustini (ut supra) : « Si hoc quod Jacubus dicit » : Si introierit in conventu vestro vir habens annulum aureum, etc. « intelligatur de quotidsianis concessibus, quis hic non peccat, si tamen peccat ? » Sed haec est acceptio personarum, divites propter divitias honorare ; dicit enim Gregorius in quadam Homilia (XXVIII. in Evang.) « Superbia nostra retunditur, quia in hominibus non naturam, qua ad imaginem Dei facti sunt, sed divitias honoramus. » Et sic, cum divitiae non sint debita cause honoris, pertinebit hoc ad personarum acceptionem. Ergo personarum acceptio non est peccatum circa exhibitionem honoris.
Sed contra est, quod dicitur in Glossa Jacob. II : « Quicumque divitem propoter divitias honorat, peccat ». Et pari ratione, si aliquis honoretur propter alias causas quae non faciant dignum honore : quod pertinet ad acceptionem personarum. Ergo acceptio personarum in exhibitione honoris est peccatum.
Conclusio. Acceptionis personarum peccatum, in honoris exhibitione contingit, si non adsit virtutis ratio, quad causa est honoris.
Respondeo dicendum, quod honor est quoddam testimonium de virtute ejus qui honoratur. Et ideo sola virtus est debita causa honoris. Sciendum tamen, quod aliquis potest honorari non solum propter virtutem propriam, sed etiam propter vitrutem alterius : sicut principes et praelati honorantur, etiam si sint mali, in quantum gerunt personam Dei et communitatis, cui praeficiuntur, secundum illud Proverb. XXVI : « Sicut qui immitit lapides in acervum Mercurii, ita qui tribuit insipienti honorem. » Quia enim Gentiles ratiocinationem attribuebant Mercurio, « acervus Mercurii dicitur cumulus ratiocinii », in quo mercator quando mittit unum lapillum loco centum marcarum : ita etiam honoratur insipiens qui ponitur loco Dei, et loco totius communitatis. Et eadem ratione parentes et dimini sunt honorandi, propter participationem divinae dignitatis, qui est omnium pater et dominus. Senes autem sunt honorandi propter signum virtutis, quid est senectus, licet hoc signum quandoque deficiat. Unde, ut dicitur Sap. V, « Senectus venerabilis est, non diuturna, eque annorum numero computata. Cani autem sunt sensus hominis, et aetas senectutis vita immaculata ». Divites autem honorandi sunt propter hoc quod majorem locum in communitatibus obtinent ; si autem solum intuitu divitiarum honorentur, erit peccatum acceptionis.
Et per hoc patet responsio ad objecta. »
Ce passage est commenté dans la Logique de Port-Royal, dans un chapitre qui n’apparaît que dans la seconde édition (1664), I, 10, éd. Clair et Girbal, p. 78-79. On se demanderait presque si le fragment n’a pas été exclu de l’édition des Pensées de 1670 parce qu’il avait déjà été employé dans la Logique.
Voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La Logique, I, X, éd. Clair et Girbal, p. 78, sur le commentaire de ce passage de saint Jacques par saint Thomas. L’interprétation est moins rigoureuse, mais non apparemment très éloignée de celle de Pascal. « Comme il y a une certaine excellence dans le bonheur, (la pente de la concupiscence) ne sépare jamais ces deux idées, et elle regarde toujours comme grands tous ceux qu’elle considère comme heureux, et comme petits ceux qu’elle estime pauvres et malheureux. Et c’est la raison du mépris que l’on fait des pauvres, et de l’estime que l’on fait des riches. Ces jugements sont si injustes et faux, que saint Thomas croit que c’est ce regard d’estime et d’admiration pour les riches, qui est condamné si sévèrement par l’Apôtre saint Jacques, lorsqu’il défend de donner un siège plus élevé aux riches qu’aux pauvres dans les assemblées ecclésiastiques : car ce passage ne pouvant s’entendre à la lettre d’une défense de rendre certains devoirs extérieurs plutôt aux riches qu’aux pauvres ; puisque l’ordre du monde, que la religion ne trouble point, souffre ces préférences, et que les saints eux-mêmes les ont pratiquées, il semble qu’on le doive entendre de cette préférence intérieure, qui fait regarder les pauvres comme sous les pieds des riches, et les riches comme infiniment élevés au-dessus des pauvres ».
Arnauld Antoine, Nouvelle défense de la traduction du nouveau testament de Mons, Livre VIII, ch. XIII, Œuvres, VII, p. 605 sq. ✍ Arnauld cite le passage de saint Thomas, ainsi que le passage de saint Jacques, p. 611. Voir aussi le chapitre XIV, p. 616 sq., Que M. Mallet renouvelle une objection des Pélagiens et des Semipélagiens, en prétendant qu’il y aurait en Dieu acception des personnes, s’il prédestinait les uns et réprouvait les autres par sa seule volonté.