Fragment Vanité n° 30 / 38 – Papier original : RO 23-9

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 50 p. 82 / C2 : p. 23

Éditions de Port-Royal : Chap. XXIV - Vanité de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 186-187 / 1678 n° 11 p. 182

Éditions savantes : Faugère I, 215, CXXI / Havet VI.22 bis / Brunschvicg 136 / Tourneur p. 173-5 / Le Guern 40 / Maeda II p. 10 / Lafuma 43 / Sellier 77

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Bibliographie

 

 

MONTAIGNE, Essais, III, 4, De la diversion. « Peu de chose nous divertit et détourne, car peu de chose nous tient ».

NICOLE, Essais de morale, t. I, I, De la faiblesse de l’homme, chap. 11, éd. L. Thirouin, p. 54.

 

 

Éclaircissements

 

Peu de chose nous console parce que peu de chose nous afflige.

 

Affliger et consoler sont, d’après la Vie de Pascal, 2e version, OC I, éd. J. Mesnard, p. 621, les deux parts que l’âme de l’homme peut prendre aux choses ; ce couple est fondamental dans l’art de persuader de Pascal.

 

Voir Vanité 9 (Laf. 21, Sel. 55) sur le thème du trop et du trop peu.

Le fragment semble marquer une proportion : peu de chose pour consoler, peu de chose pour affliger. On sent pourtant bien qu’il exprime une disproportion. Mais celle-ci se situe plutôt entre peu d’une part, et les verbes affliger et consoler d’autre part. Un rien suffit pour provoquer une grande joie ou une grande peine.

Montaigne, Essais, III, 4, De la diversion. « Peu de chose nous divertit et détourne, car peu de chose nous tient ». Pascal emprunte le terme charnière parce que, qui répond au car de Montaigne. Mais parce que ne semble pas avoir exactement le sens causal strict : il exprime plutôt un rapport de symétrie, l’existence du trop impliquant celle de son symétrique le trop peu. Le fragment semble signifier : à partir du moment où on admet que peu de chose nous afflige, on doit bien admettre qu’il est naturel que peu de chose nous console.

Voir chez Nicole, un passage éventuellement en lien avec le fragment, ou susceptible de l’éclairer, dans Essais de morale, t. I, I, De la faiblesse de l’homme, chap. 11, éd. L. Thirouin, p. 54. « Que dirait-on d’un soldat qui, étant averti que dans un spectacle où l’on représenterait un combat, les canons et les mousquets ne sont point chargés à balle, ne laisserait pas de baisser la tête et de s’enfuir au premier coup de mousquet ? Ne dirait-on pas que sa lâcheté approcherait de la folie ? Et n’est-ce pas cependant ce que nous faisons tous les jours ? On nous avertit que les discours et les jugements des hommes sont incapables de nous nuire, comme ils ne nous peuvent servir de rien, qu’ils ne peuvent nous ravir aucun de nos biens, ni soulager aucun de nos maux. Et néanmoins ces discours et ces jugements ne laissent pas de nous renverser, et de faire sortir notre âme de son assiette. Une grimace, une parole de chagrin nous mettent en colère, et nous nous préparons à les repousser comme si c’était quelque chose de bien redoutable. Il faut nous flatter et nous caresser comme des enfants, pour nous tenir en bonne humeur, autrement nous jetons des cris à notre mode comme les enfants à la leur. »

Le fragment est d’esprit anti-stoïcien, car il détruit le contentus sui, en présentant l’homme comme dépendant des moindres choses.

On peut faire le rapprochement avec les écrits sur la météorologie et l’équilibre des liqueurs, sur l’inconstance du temps et l’idée que les moindres choses peuvent avoir des effets énormes et disproportionnés (l’effet papillon ou l’effet Cléopâtre). Voir le Fragment d’un traité du vide, J. Mesnard, OC II, p. 791 sq. Sur la météorologie “intérieure”, voir Laf. 550, Sel. 461. On retrouve par ce biais des idées développées à plusieurs reprises sur le même sujet dans Vanité.