Preuves par les Juifs VI – Fragment n° 11 / 15 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 62 p. 256-257 / C2 : p. 473
Éditions de Port-Royal :
Chapitre XI - Moïse : 1669 et janv. 1670 p. 90 / 1678 n° 1 p. 90
Chapitre X - Juifs : 1669 et janv. 1670 p. 89 / 1678 n° 20 p. 89
Éditions savantes : Faugère II, 192, XI ; II, 204, XXVII / Havet XV.14 et 11 bis / Michaut 931 à 933 / Brunschvicg 622, 676 et 688 / Le Guern 439 à 441 / Lafuma 474 à 476 (série XI) / Sellier 711
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Bibliographie ✍
BERNIER Jean, La critique du Pentateuque de Hobbes à Calmet, Paris, Champion, 2010. CAZELLES Henri, Introduction critique à l’ancien testament, II, Paris, Desclée, 1973. CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Paris, Champion, 2013. DELASSAULT Geneviève, Le Maistre de Saci et son temps, Paris, Nizet, 1957. FERREYROLLES Gérard, “L’influence de la conception augustinienne de l’histoire au XVIIe siècle”, XVIIe siècle, 135, 1982, p. 216-241. FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1984. FLAVIUS JOSÈPHE, Réponse à ce qu’Appion avait écrit contre son Histoire des Juifs touchant l’Antiquité de leur race, in Œuvres, I, Traduit du grec par Monsieur Arnauld d’Andilly. Troisième édition. Paris, chez Pierre Le Petit, MDCLXX, Livre second, p. 425 sq. FRIES H. (dir.), Encyclopédie de la foi, III, article Prophète, Paris, Cerf, 1966. GIBERT Pierre, L’invention critique de la Bible, Paris, Gallimard, 2010. LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931. MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, p. 426-453. PHILON, Trois livres de Philon Juif, De la vie de Moïse, où il est traité de la théologie et de la prophétie, in Les Œuvres de Philon Juif, auteur très éloquent et philosophe très grave contenant l’exposition littérale et moral des livres sacrés de Moïse et des autres prophètes, et de plusieurs divins mystères, pour l’instruction d’un chacun en la piété et aux bonnes mœurs, translatés en français, sur l’original grec, revues et corrigées de nouveau, et augmentées d’un 2e tome, dédiées au Roi très chrétien Louis XIII par Federic Morel, doyen des professeurs et Interprètes de sa Majesté, Paris, chez Jacques Bessin, au Mont saint Hilaires, à la court d’Albret, MDCXIX. Port-Royal et le royaume d’Israël, Chroniques de Port-Royal, 53, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004. POULOUIN Claudine, Le temps des origines. L’Eden, le Déluge et les « temps reculés » de Pascal à l’Encyclopédie, Paris, Champion, 1998. SCHOLEM Gershom G., La kabbale et sa symbolique, Paris, Payot, 1975. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. |
✧ Éclaircissements
La création du monde commençant à s’éloigner,
Pascal développe l’idée de ce passage dans le fragment joint à C1 (Sel. 741). Car quoiqu’il y eût environ deux mille ans qu’elles avaient été faites, le peu de générations qui s’étaient passées faisait qu’elles étaient aussi nouvelles aux hommes qui étaient en ce temps-là que nous le sont à présent celles qui sont arrivées il y a environ trois cents ans. Cela vient de la longueur de la vie des premiers hommes. En sorte que Sem, qui a vu Lamech, etc. Cette preuve suffit pour convaincre les personnes raisonnables de la vérité du Déluge et de la Création, et cela fait voir la Providence de Dieu, lequel, voyant que la Création commençait à s’éloigner, a pourvu d’un historien qu’on peut appeler contemporain, et a commis tout un peuple pour la garde de son livre.
Sur la création du monde et le Déluge, voir Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327).
L’évaluation de la date de la création du monde a suscité d’abondantes controverses. Sur ce sujet, voir principalement les ouvrages suivants :
Ferreyrolles Gérard, “L’influence de la conception augustinienne de l’histoire...”, XVIIe siècle, 135, p. 219. Il existe un consensus grossier des chronologistes pour indiquer à peu près 4 000 avant Jésus-Christ. Il y a des divergences : en 1687, par exemple, le P. Pezron, indique 5 500 avant Jésus-Christ.
Parmi les chronologistes les plus estimés, y compris par les Messieurs de Port-Royal, figure le jésuite Denis Petau (21 août 1585-11 septembre 1652). Il est l’auteur d’un Opus de doctrina temporum, Paris, 1627, in-fol., 2 vol., et du Rationarium temporum in partes duas, libros tredecim distributam, editio ultima, S. Cramoisy, Paris, 1652.
La chronologie de la Genèse de la Bible de Port-Royal propose les dates suivantes :
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Ans du monde |
Ans avant J.C. |
Dieu crée le ciel et la terre, chapitre 1. |
1. |
4 004. |
Adam pèche et est chassé du paradis terrestre, chap. 3. |
…. |
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Caïn tue Abel, chap. 4. |
128. |
3 876. |
[...] |
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Dieu ordonne à Noé de bâtir l’arche, chap. 6. |
1 536. |
2 468. |
Noé entre dans l’arche, chap. 7. |
1 556. |
2 348. |
Noé sort de l’arche, et offre un sacrifice à Dieu, chap. 8. |
1 657. |
2 347. |
[...] |
|
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Naissance d’Abraham, chap. 11. |
2 008. |
1 996. |
Dieu commande à Abraham de sortir de son pays et d’aller en Chanaan, chap. 12. |
2 083. |
1 921. |
[...] |
|
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Naissance d’Isaac, chap. 21. |
2 108. |
1 896. |
[...] |
|
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Naissance de Jacob et d’Esaü, chap. 25. |
2 168. |
1 836. |
Mort d’Abraham, chap. 25. |
2 183. |
1 821. |
Mort d’Ismael, chap. 25. |
2 231. |
1 773. |
[...] |
|
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Isaac bénit Jacob, chap. 27. |
2 245. |
1 759. |
[...] |
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Naissance de Joseph, fils de Jacob et de Rachel, chap. 30. |
2 259. |
1 745. |
[...] |
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Joseph vendu par ses frères et mené en Égypte, chap. 37. |
2 276. |
1 728. |
[...] |
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Les frères de Joseph vont acheter du blé en Égypte, chap. 42. |
2 297. |
1 707. |
Mort de Joseph, chap. 50. |
…. |
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Moïse, selon la chronologie de la Bible de Port-Royal, est né en l’année en 2 433.
Poulouin Claudine, Le temps des origines. L’Eden, le Déluge et les « temps reculés » de Pascal à l’Encyclopédie, Paris, Champion, 1998.
Dieu a pourvu d’un historien unique
Il s’agit de Moïse, supposé auteur du Pentateuque. Voir sur ce point Preuves de Moïse.
Voir Chédozeau Bernard, L’univers biblique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, p. 276, sur la manière dont Port-Royal se représente Moïse comme auteur de la Genèse et des autres livres du Pentateuque ; le texte de Sacy est fourni p. 283-290.
Philon,Trois livres de Philon Juif, De la vie de Moïse, où il est traité de la théologie et de la prophétie, in Les Œuvres de Philon Juif, Livre II, p. 349. Excellence des histoires de Moïse. Moïse a commencé ses histoires à la création du monde pour montrer « qu’il y avait un père et créateur du monde ; et législateur de vérité ; que celui qui eût à user des lois embrasse l’ordre de la nature, par harmonie des faits et des paroles » : p. 349.
Cazelles Henri, Introduction critique à l’ancien testament, II, p. 97 sq. Les cinq premiers livres de la Bible (Torah) sont la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome.
Selon Josèphe, Contre Apion, I, 39, Moïse a écrit les cinq livres du Pentateuque, et les Prophètes ont écrit l’histoire postérieure. L’Église reçoit de la Synagogue les livres et l’explication donnée de leur composition : p. 108. Mais à l’époque moderne, un courant prend forme qui conteste l’authenticité du Pentateuque.
Sur la mise en cause de la mosaïcité du Pentateuque, voir Cazelles Henri, Introduction critique à l’ancien testament, II, p. 112 sq. ; Bernier Jean, La critique du Pentateuque de Hobbes à Calmet, p. 127 sq. La contestation de la véracité du Pentateuque a commencé par la mise en cause de l’unicité de son auteur. Certains exégètes soutenaient qu’en réalité, à l’unique personnage de Moïse, il fallait substituer une pluralité d’auteurs. La mise en cause de la propriété d’auteur du Moïse induit le caractère composite des premiers chapitres de la Genèse : voir Gibert Pierre, L’invention critique de la Bible, p. 110 sq.
Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 197 sq. Le mouvement hostile à l’authenticité du Pentateuque commence à la fin du XVIe siècle. Le rabbin Aben Ezra a attribué la composition du Pentateuque à Esdras. Masius, en 1574, Commentarium in Josuam, Préface, p. 2, a plus prudemment montré que certains passages avaient été ajoutés à l’œuvre de Moïse, par un écrivain postérieur : le Liber bellorum Domini et le Liber justi, où étaient rapportées les actions de Josué, Samuel et Saül, le style parfois élégant, étaient des signes que l’ouvrage avait été retouché dans la suite. B. Pererius, en 1594, reprend Masius et conclut que le Pentateuque a été retouché après Moïse et restauré par Esdras.
Cazelles Henri, Introduction critique à l’ancien Testament, Introduction à la Bible, t. 2, Desclée et Cie., Paris, 1973, p. 113. En 1580, Bodenstein Carlstadt, De canonicis scripturis libellus, pose nettement le problème de l’authenticité mosaïque en remarquant que Moïse n’a pas pu écrire le récit de sa propre mort. On admet aussi que Moïse n’est pas l’auteur de certains passages, par exemple de Genèse, XXII, 14, où il est fait allusion au Temple de Jérusalem, qui n’est bâti que sous Salomon. Certains auteurs Juifs avaient déjà pensé à faire d’Esdras l’auteur du Pentateuque, p. 113. Maes (Masius), Josuae imperatoris historia illustrata, Anvers, 1574, est mis à l’Index en 1586, parce qu’il rapprochait le Pentateuque des écrits qui suivent, notamment de Josué, des Juges, rédigés d’après lui par des hommes de piété comme Esdras à l’aide de matériaux préexistants et sous la direction du Saint-Esprit.
Au XVIIe siècle l’authenticité du Pentateuque commence à être sérieusement sapée, en raison d’incohérences apparentes dans les textes. Il faut en effet expliquer comment, si Moïse a composé le Pentateuque, il a pu raconter lui-même sa propre mort ; voir Antiquités, IV, VIII, 48 ; voir Philon, Vita Moysis, II, 51. Voir Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 198 : Au début du siècle le jésuite Bonfrère remarque certains passages qui n’ont été transcrits que bien après Moïse, notamment le récit de sa propre mort.
En 1651, Hobbes, Léviathan, XXXIII, fait d’autres remarques dans le même sens. Il attribue le Pentateuque à Esdras, sauf le Livre de la Loi, Deutéronome, XI-fin XXVII. La Peyrère prétend en 1655 démontrer la non-authenticité du Pentateuque, au nom d’objections variées : Moïse n’a pas prononcé de paroles au-delà du Jourdain qu’il n’a pas franchi, l’Idumée n’était pas à Israël du temps de David ; étude des textes et des passages mutilés.
Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 199. R. Simon remarque des répétitions, des chapitres mal ordonnés, des erreurs de chronologie, des disparités de style. Voir Cazelles, Introduction à la Bible, II, p. 114 sq., sur Richard Simon.
Spinoza, qui a aussi traité de l’authenticité de l’Écriture dans son Tractatus theologico-politicus (1670), a rejeté l’attribution à Moïse, parce qu’il considérait que le Pentateuque ne pouvait pas être entièrement du grand prophète ; il ne lui accorde que ce que l’Écriture lui attribue expressément. Il attribuait seulement à Esdras d’avoir principalement rassemblé des textes qu’il n’avait pas écrits. Voir Bernier Jean, La critique du Pentateuque de Hobbes à Calmet, p. 185 ; Voir Cazelles Henri, Introduction à la Bible, II, p. 116, et Zac Sylvain, Spinoza et le problème de l’interprétation, p. 54. Richard Simon a proposé l’hypothèse des « écrivains publics ». Voir Bernier Jean, La critique du Pentateuque de Hobbes à Calmet, p. 193 sq. Théorie de Richard Simon sur les écrivains publics : p. 194 sq. Dans les états d’orient ayant atteint un certain degré de civilisation, comme les Égyptiens, et par suite les Juifs après leur départ d’Égypte, des scribes étaient chargés de mettre par écrit des événements d’intérêt public contemporains. Le privilège des scribes juifs était d’avoir l’inspiration divine. Richard Simon parle de « scribes prophètes » : p. 196.
Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, p. 201. Insensiblement, les rationalistes discréditent l’autorité de Moïse, ce qui suscite un mouvement de défense du Pentateuque. Tout en affirmant que le Pentateuque est de Moïse, Jansénius reconnaît que certains faits relatés sont postérieurs à sa vie ; il émet deux hypothèses, soit que, comme le pensent les rationalistes, Esdras ou un autre aurait ajouté des détails au texte de Moïse, soit il suppose que Moïse a peut-être vu l’avenir par son don prophétique. Voir Pentateuchus, Praef. 1 et Genèse, XXXVI, 31.
Sacy, informé de ces discussions, a prévu une réponse analogue. Voir Le Deutéronome, tr. Sacy, Paris, Desprez, 1694, Avertissement. Il sait que certains soutiennent que le Deutéronome n’est pas de Moïse, parce qu’il raconte sa propre mort. Mais la difficulté ne lui semble qu’apparente : l’Église « n’a point douté que Josué ou le grand prêtre Éléazar n’aient pu ajouter cette circonstance de la mort de Moïse à la fin de ce livre. Mais on pourrait même dire, comme quelques-uns, qu’il ne serait pas fort étonnant que Moïse, qui parle dans tous ses livres comme un prophète, de ce qui doit arriver dans les siècles à venir, ait aussi lui-même parlé de sa mort par cette lumière toute divine qu’il recevait du Saint Esprit, à qui il servait d’organe pour instruite, non pas seulement les peuples de son siècle, mais encore tous les autres des siècles suivants ». Du reste, le texte porte les caractéristiques de Moïse : « génie élevé et tout plein de feu », « empressement extraordinaire pour le salut de son peuple », « zèle ardent pour la gloire de son Dieu ». Ces objections n’empêchent pas le Pentateuque d’être un ouvrage canonique de l’Écriture.
Pourquoi Pascal insiste-t-il sur le fait que Moïse a été l’unique historien des événements qu’il relate dans le Pentateuque ? Selon le fragment Preuves de Moïse 3 (Laf. 292, Sel. 324), la vérité ne s’altère que par le changement des hommes. Il s’agit de maintenir que, dans le récit des origines, une multitude d’auteurs n’est pas venue brouiller la transmission.
contemporain,
L’idée de la tradition héréditaire permet à Pascal de soutenir que Moïse était quasi contemporain des événements que relate le Pentateuque. Voir le fragment Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327) : Sem qui a vu Lamech qui a vu Adam a vu aussi Jacob qui a vu ceux qui ont vu Moïse : donc le déluge et la création sont vrais. Cela conclut entre de certaines gens qui l’entendent bien.
Preuves par discours II (Laf. 435, Sel. 687). La création et le déluge étant passés, et Dieu ne devant plus détruire le monde, non plus que le recréer, ni donner de ces grandes marques de lui, il commença d’établir un peuple sur la terre, formé exprès, qui devait durer jusqu’au peuple que le Messie formerait par son esprit.
Preuves de Moïse 3 (Laf. 292, Sel. 324). Preuves de Moïse. Pourquoi Moïse va-t-il faire la vie des hommes si longue et si peu de générations ? Car ce n’est pas la longueur des années mais la multitude des générations qui rendent les choses obscures. Car la vérité ne s’altère que par le changement des hommes. Et cependant il met deux choses les plus mémorables qui se soient jamais imaginées, savoir la création et le déluge si proches qu’on y touche.
Fragment joint à C1 (Sel. 741). Car quoiqu’il y eût environ deux mille ans qu’elles avaient été faites, le peu de générations qui s’étaient passées faisait qu’elles étaient aussi nouvelles aux hommes qui étaient en ce temps-là que nous le sont à présent celles qui sont arrivées il y a environ trois cents ans. Cela vient de la longueur de la vie des premiers hommes. En sorte que Sem, qui a vu Lamech, etc. Cette preuve suffit pour convaincre les personnes raisonnables de la vérité du Déluge et de la Création, et cela fait voir la Providence de Dieu, lequel, voyant que la Création commençait à s’éloigner, a pourvu d’un historien qu’on peut appeler contemporain, et a commis tout un peuple pour la garde de son livre.
et a commis tout un peuple pour la garde de ce livre, afin que cette histoire fût la plus authentique du monde, et que tous les hommes pussent apprendre par là une chose si nécessaire à savoir, et qu’on ne pût la savoir que par là.
Il s’agit évidemment du peuple juif. Pascal entend montrer qu’il n’y a pas d’interférence dans la transmission prophétique, de même que, sur la fable d’Esdras, Pascal entend montrer qu’elle n’a pas connu de rupture.
Les fragments Preuves par les Juifs VI (Laf. 467, Sel. 704) et Preuves par les Juifs VI (Laf. 472, Sel. 709) ont envisagé la question de savoir s’il est juste que tous les hommes, y compris ceux qui ne cherchent pas, bénéficient de la connaissance, pourtant nécessaire, des promesses spirituelles de l’Écriture.
Le voile qui est sur ces livres pour les Juifs y est aussi pour les mauvais chrétiens et pour tous ceux qui ne se haïssent pas eux‑mêmes.
Mais qu’on est bien disposé à les entendre et à connaître Jésus‑Christ, quand on se hait véritablement soi‑même !
Mais qu’on est bien disposé à les entendre et à connaître Jésus-Christ, quand on se hait véritablement soi-même : voir le fragment Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287). L’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime. Il en résulte que les hommes dont le cœur est guidé par l’amour propre charnel ne peuvent discerner le sens spirituel des prophéties, qui leur demeure caché. De ce point de vue, il n’y a pas de différence essentielle entre les Juifs charnels et les mauvais chrétiens, que Pascal a mis en parallèle dans le fragment Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318). Deux sortes d’hommes en chaque religion.
Parmi les païens des adorateurs de bêtes, et les autres adorateurs d’un seul dieu dans la religion naturelle.
Parmi les juifs les charnels et les spirituels qui étaient les chrétiens de la loi ancienne.
Parmi les chrétiens les grossiers qui sont les Juifs de la loi nouvelle.
Les juifs charnels attendaient un Messie charnel et les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu. Les vrais Juifs et les vrais chrétiens adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu.
De sorte que les chrétiens grossiers, qui sont les Juifs de la loi nouvelle ont beau connaître le Nouveau Testament, qui dévoile le sens spirituel de l’Ancien, ils n’en restent pas moins attachés à des idées qui sont charnelles aussi, quoique par un autre tour. Pascal pense peut-être, en l’occurrence, aux jésuites, dont les Provinciales stigmatisent l’esprit politique qui les pousse à chercher à imposer leur domination aux puissants du monde. Voir la Provinciale V, § 5. « Sachez donc que leur objet n’est pas de corrompre les mœurs : ce n’est pas leur dessein : Mais ils n’ont pas aussi pour unique but celui de les réformer. Ce serait une mauvaise politique. Voici quelle est leur pensée. Ils ont assez bonne opinion d’eux-mêmes pour croire qu’il est utile et comme nécessaire au bien de la Religion que leur crédit s’étende partout, et qu’ils gouvernent toutes les consciences. »
Ferreyrolles Gérard, Pascal et la raison du politique, voir surtout le chap. II, L’anomie jésuite, p. 51 sq., entièrement consacré à la politique des jésuites.
Mais il est clair que la pensée de Pascal est plus large : il y a beaucoup de manière d’avoir l’esprit charnel, et les jésuites ne sont qu’un cas parmi d’autres.
En revanche, lorsqu’il envisage le cas de qui se hait véritablement, il n’existe qu’une possibilité. Car, suivant le fragment Preuves par discours I (Laf. 423, Sel. 680), le cœur aime l’être universel naturellement et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne, et il se durcit contre l’un ou l’autre à son choix. Il n’existe que deux objets d’amour, le moi et Dieu ; qui se hait véritablement (c’est-à-dire à la manière dont Pascal l’explique dans la liasse Morale chrétienne), aime nécessairement Dieu. Le cœur est alors bien disposé à entendre les livres sacrés en leur sens figuratif et spirituel ; et comme selon Dossier de travail (Laf. 388, Sel. 7), c’est Jésus-Christ que les deux Testamentsregardent, l’anciencomme son attente le nouveaucomme son modèle, tous deux comme leur centre, cette connaissance est nécessairement associée à celle de Jésus-Christ.
Laf. 811, Sel. 658. Les deux plus anciens livres du monde sont Moïse et Job.L’un juif l’autre païen qui tous deux regardent Jésus-Christ comme leur centre commun et leur objet, Moïseen rapportant les promesses de Dieu à Abraham, Jacob etc., et ses prophéties, et Job.
Je ne dis pas que le mem est mystérieux.
Mystérieux : Mystère se dit des choses cachées, secrètes ou difficiles à comprendre. Il se dit premièrement des vérités révélées aux chrétiens par la divine bonté, et dans l’intelligence desquelles la raison humaine ne peut pénétrer, comme le mystère de la Trinité, de l’Incarnation ou de la Rédemption. La foi consiste en la croyance de ces mystères. Mystérieux signifie donc qui renferme et cache quelque mystère ; les paroles de l’Ancien Testament sont mystérieuses en ce sens (Furetière).
Loi figurative 31 (Laf. 276, Sel. 307). De deux personnes qui disent de sots contes, l’un qui voit double sens entendu dans la cabale, l’autre qui n’a que ce sens, si quelqu’un n’étant pas du secret entend discourir les deux en cette sorte il en fera même jugement. Mais si ensuite dans le reste du discours l’un dit des choses angéliques et l’autre toujours des choses plates et communes il jugera que l’un parlait avec mystère et non pas l’autre, l’un ayant assez montré qu’il est incapable de telles sottises et capable d’être mystérieux, l’autre qu’il est incapable de mystère et capable de sottise.
Le ם est la lettre correspondant au m latin, à laquelle les cabalistes attribuaient une signification symbolique. Pascal entend que cette lettre n’a pas de sens figuré qui cache une signification mystique. En d’autres termes, il récuse la gematrie de la Cabale. Sur ce problème, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 382 sq.
Pascal est revenu sur ce point dans plusieurs fragments. Voir là-dessus le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Il n’est pas permis d’attribuer à l’Écriture les sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a. Ainsi de dire que le ם d’Isaïe signifie 600 cela n’est pas révélé. Il n’est pas dit que les צ et les ח deficientes signifieraient des mystères. Il n’est donc pas permis de le dire. Et encore moins de dire que c’est la manière de la pierre philosophale. Mais nous disons que le sens littéral n’est pas le vrai parce que les prophètes l’ont dit eux-mêmes.
Cette déclaration est une conséquence du principe Il n’est pas permis d’attribuer à l’Écriture les sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a, qui interdit d’interpréter les Écritures en s’appuyant sur la fantaisie individuelle, et même sur des principes d’ordre purement rationnel. Voir sur ce point l’étude de Jean Mesnard, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., 1992, p. 445.
Le fragment Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287) permet d’établir un lien avec le paragraphe précédent : Dieu pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants l’a fait prédire en cette sorte. Si la manière du Messie eût été prédite clairement il n’y eût point eu d’obscurité même pour les méchants.
Si le temps eût été prédit obscurément il y eût eu obscurité même pour les bons (car la bonté de leur cœur) ne leur eût pas fait entendre que par exemple ם signifie 600 ans. Mais le temps été prédit clairement et la manière en figures.
Par ce moyen les méchants prenant les biens promis pour matériels s’égarent malgré le temps prédit clairement et les bons ne s’égarent pas.
Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants.
Sur le problème général de l’interprétation chez Pascal, voir Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal. ✍
Scholem Gershom G., La kabbale et sa symbolique, Payot, 1975. ✍
Voir des indications plus complètes sur ce point dans Loi figurative 27.