Fragment Perpétuité n° 8 / 11 – Papier original : RO 277-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Perpétuité n° 327 p. 147 v° / C2 : p. 178
Éditions savantes : Faugère II, 361, XX / Havet XV.10 bis / Brunschvicg 609 / Tourneur p. 273-4 / Le Guern 269 / Lafuma 286 / Sellier 318
Deux sortes d’hommes en chaque religion.
Parmi les païens, des adorateurs de bêtes et les autres adorateurs d’un seul dieu dans la religion naturelle. Parmi les Juifs, les charnels et les spirituels qui étaient les chrétiens de la loi ancienne. Parmi les chrétiens, les grossiers qui sont les Juifs de la loi nouvelle. Les Juifs charnels attendaient un Messie charnel et les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu. Les vrais Juifs et les vrais chrétiens adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu.
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Dans ce fragment, Pascal s’appuie sur la distinction de deux sortes d’hommes, les spirituels et les charnels, pour scinder les catégories classiques des païens, des Juifs et des chrétiens. Il établit ainsi une analogie entre les païens adorateurs des bêtes, les Juifs charnels et les chrétiens grossiers, qui ont en commun de limiter leurs désirs à des fins terrestres et matérielles. Dans l’autre catégorie figurent les adorateurs d’un seul Dieu dans la religion naturelle, c’est-à-dire les philosophes déistes (notamment les stoïciens, dont le prototype est chez Pascal Épictète), les vrais Juifs (autrement dit les prophètes qui annonçant un Messie spirituel, étaient des chrétiens à l’époque de l’Ancien Testament), et les vrais chrétiens, qui adorent le Messie annoncé par les précédents.
Cette classification montre que la perpétuité qui réunit les vrais Juifs et les vrais chrétiens trouve place dans un système complexe de courants spirituels. Il soulignera des correspondances plus fines encore dans Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321). Le fragment trouve ainsi sa place dans une liasse qui tend à montrer que, selon Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693), que les vrais Juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion [...]. Que les vrais Juifs ne considéraient leur mérite que de Dieu et non d’Abraham.
Comme dans plusieurs fragments de la liasse Perpétuité, Pascal combine ici le point de vue très large de l’apologie, qui va des origines à l’époque moderne, et des idées qui touchent l’histoire immédiate, notamment la controverse contre les Jésuites.
Fragments connexes
Souverain bien 2 (Laf. 148, Sel. 181). Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide et qu’il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu même. Lui seul est son véritable bien. Et depuis qu’il l’a quitté c’est une chose étrange qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir la place, astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux , insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère , inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien tout également peut lui paraître tel jusqu’à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble.
Soumission 12 (Laf. 178, Sel. 209). Voyez les deux sortes d’hommes dans le titre : Perpétuité.
Religion aimable 2 (Laf. 222, Sel. 255). Les Juifs charnels et les païens ont des misères et les chrétiens aussi. Il n’y a point de rédempteur pour les païens, car ils n’en espèrent pas seulement. Il n’y a point de rédempteur pour les Juifs : ils l’espèrent en vain. Il n’y a de rédempteur que pour les chrétiens. Voyez Perpétuité.
Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.
Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Abraham était environné d’idolâtries quand Dieu lui a fait connaître le mystère du Messie qu’il a salué de loin ; au temps d’Isaac et de Jacob, l’abomination était répandue sur toute la terre, mais ces saints vivaient en leur foi, [...]. Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie, le peuple de Dieu même était entraîné par leur exemple. Mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparait.
Perpétuité 9 (Laf. 287, Sel. 319). Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu’ils n’entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l’Évangile, les apôtres et la tradition, mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal.
Le Messie selon les Juifs charnels doit être un grand prince temporel. J.-C. selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous ; ni l’un ni l’autre n’est la religion chrétienne, ni juive.
Les vrais juifs et les vrais chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les ferait aimer Dieu et par cet amour triompher de leurs ennemis.
Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321). Les Juifs charnels tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens. Les païens ne connaissent point Dieu et n’aiment que la terre, les Juifs connaissent le vrai Dieu et n’aiment que la terre, les chrétiens connaissent le vrai Dieu et n’aiment point la terre. Les Juifs et les païens aiment les mêmes biens. Les Juifs et les chrétiens connaissent le même Dieu.
Les Juifs étaient de deux sortes. Les uns n’avaient que les affections païennes, les autres avaient les affections chrétiennes.
Prophéties 10 (Laf. 331, Sel. 363). Au temps du Messie ce peuple se partage. Les spirituels ont embrassé le Messie, les grossiers sont demeurés pour lui servir de témoins.
Morale chrétienne 16 (Laf. 366, Sel. 398). Deux sortes d’hommes en chaque religion. Voyez Perpétuité.
Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Ils s’imaginent qu’elle consiste simplement en l’adoration d’un Dieu considéré comme grand et puissant et éternel ; ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l’athéisme, qui y est tout à fait contraire. Et de là ils concluent que cette religion n’est pas véritable, parce qu’ils ne voient pas que toutes choses concourent à l’établissement de ce point, que Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l’évidence qu’il pourrait faire.
Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais Juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion [...]. Que les vrais Juifs ne considéraient leur mérite que de Dieu et non d’Abraham.
Preuves par les Juifs VI (Laf. 480, Sel. 715). Pour les religions, il faut être sincère : vrais païens, vrais juifs, vrais chrétiens.
Pensées diverses (Laf. 593, Sel. 493). Les Juifs le refusent mais non pas tous ; les saints le reçoivent et non les charnels, et tant s’en faut que cela soit contre sa gloire que c’est le dernier trait qui l’achève.
Mots-clés : Adorateur – Aimer – Bêtes – Charnel – Dieu – Grossier – Homme – Juif – Loi – Messie – Naturel – Païen – Religion – Spirituel.