Preuves par les Juifs VI – Fragment n° 7 / 15 – Papier original : RO 442-10
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 59 p. 255 / C2 : p. 471
Éditions savantes : Faugère II, 389 / Havet XXIV.10 ter / Brunschvicg 449 / Tourneur p. 325-1 / Le Guern 433 / Lafuma 467 (série XI) / Sellier 704
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Bibliographie ✍
DESCOTES Dominique, “Le problème de l’ordre chez Pascal”, in PAPASOGLI Benedetta (dir.), Le Pensées di Pascal : dal disegno all’edizione, Studi francesi, 143, Torino, Rosenberg et Sellier, mai-août 2004, p. 281-300. MESNARD Jean, “L’ordre dans les Pensées”, XVIIe siècle, octobre 2013, n° 261, p. 573-600. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. THIROUIN Laurent, “À la recherche du vrai saint Augustin”, in Les écoles de pensée religieuse à l’époque moderne, éd. Y. Krumenacker et L. Thirouin, Chrétiens et sociétés, Documents et mémoires n° 5, Lyon, 2006, p. 25-64. |
✧ Éclaircissements
Ordre.
Après la corruption, dire :
Mesnard Jean, “L’ordre dans les Pensées”, XVIIe siècle, octobre 2013, n° 261, p. 573-600. ✍
Descotes Dominique, “Le problème de l’ordre chez Pascal”, in Papasogli Benedetta (dir.), Le Pensées di Pascal : dal disegno all’edizione, Studi francesi, 143, Torino, Rosenberg et Sellier, mai-août 2004, p. 281-300. ✍
Pascal met ici au point un enchaînement. Voir les fragments dans lesquels il annonce son ordre dans la liasse Ordre. Il prévoit de montrer d’abord le fait de la corruption, puis d’en justifier les conséquences : il prend un certain recul par rapport à la doctrine du péché et de la rédemption, pour réfléchir sur son bien fondé et montrer qu’elle n’enferme aucune injustice. Sous cet aspect, ce fragment s’apparente à ce que l’on appelle la théodicée, savoir la défense de la justice de Dieu sur certains points sensibles de la doctrine chrétienne. Si l’on se rapporte à la table des matières, ce mouvement d’argumentation doit prendre place après la liasse A P. R. Il est en revanche difficile de préciser exactement à laquelle des liasses suivantes il pensait lorsqu’il a noté cette indication.
il est juste que tous ceux qui sont en cet état le connaissent,
Quel état ? L’état de corruption postlapsaire. En d’autres termes, il est juste que les hommes dont la nature a été corrompue par le péché originel connaissent l’état de corruption auquel ils sont réduits par la transmission de la faute.
Le fragment comporte donc une classification en arbre :
Ceux qui ne sont pas corrompus
Catégorie vide : il n’y a pas de personnes non corrompues.
Ceux qui sont corrompus
Ceux qui ne connaissent pas leur état
Ceux qui connaissent leur état
Ceux qui s’y plaisent
Ceux qui ne s’y plaisent pas
D’autre part, peut-on connaître la corruption et s’y plaire ?
Se trouver en état de corruption
Traité de la prédestination, 3, rédaction plus élaborée de la partie centrale, OC III, éd. J. Mesnard, p. 792 sq. Doctrine de saint Augustin. Après le péché d’Adam.
« Adam, ayant péché et s’étant rendu digne de mort éternelle,
pour punition de sa rébellion,
Dieu l’a laissé dans l’amour de la créature.
Et sa volonté, laquelle auparavant n’était en aucune sorte attirée vers la créature par aucune concupiscence, s’est trouvée remplie de concupiscence que le Diable y a semée, et non pas Dieu. [...]
Tous les hommes étant dans cette masse corrompue également dignes de la mort éternelle et de la colère de Dieu, Dieu pouvait avec justice les abandonner tous sans miséricorde à la damnation.
Et néanmoins il plaît à Dieu de choisir, élire et discerner de cette masse également corrompue, et où il ne voyait que de mauvais mérites, un nombre d’hommes de tout sexe, âges, conditions, complexions, de tous les pays, de tous les temps, et enfin de toutes sortes. »
Pourquoi est-il juste qu’on ait la connaissance de cet état ?
Misère 21 (Laf. 72, Sel. 106). Il faut se connaître soi-même. Quand cela ne servirait pas à trouver le vrai cela au moins sert à régler sa vie, et il n’y a rien de plus juste.
L’ignorance de soi est pourtant une habitude ordinaire de l’homme. Voir ce que Pascal écrit de l’amour propre (Laf. 978, Sel. 743).
et ceux qui s’y plaisent, et ceux qui s’y déplaisent,
Cette distinction se trouve exprimée sous une forme un peu différente dans le fragment Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des iniquités, ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse. Ceux qui croient que le bien de l’homme est en sa chair et le mal en ce qui le détourne des plaisirs des sens, qu’ils s’en soûlent et qu’ils y meurent. Mais ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, qui n’ont de déplaisir que d’être privés de sa vue, qui n’ont de désir que pour le posséder et d’ennemis que ceux qui les en détournent, qui s’affligent de se voir environnés et dominés de tels ennemis, qu’ils se consolent, je leur annonce une heureuse nouvelle ; il y a un libérateur pour eux ; je le leur ferai voir ; je leur montrerai qu’il y a un Dieu pour eux ; je ne le ferai pas voir aux autres. Je ferai voir qu’un Messie a été promis pour délivrer des ennemis, et qu’il en est venu un pour délivrer des iniquités, mais non des ennemis.
Voir sur ce sujet le dossier thématique sur les deux délectations.
Sur la notion de plaisir exprimée par les verbes plaire et déplaire, voir ce que L. Thirouin écrit sur la délectation dans “A la recherche du vrai saint Augustin”, in Les écoles de pensée religieuse à l’époque moderne, p. 25-64, notamment p. 39 sq. La référence fondamentale est la formule de saint Augustin dans son Expositio Epistulae ad Galatos, V, 49 : « Quod enim amplius nos delectat, secundum id operemus necesse est », « Il est nécessaire que nous agissions conformément à ce qui nous charme le plus » : p. 40. Principe : toute action volontaire de l’homme, quelles que soient les formes qu’elle prenne, est la résultante d’un plaisir. On ne peut se déterminer qu’en fonction d’un bien convoité. Augustin intègre dans sa conception de l’homme la puissance du plaisir, non pas l’équivalence de tous les plaisirs, mais leur indissociable parenté : p. 44.
Pascal précise la manière dont, après le péché originel, la volonté humaine est soumise à la délectation, soit dans le bien, soit dans le mal. Voir Traité de la prédestination, 3, § 8-10, OC III, éd. J. Mesnard, p. 793-794. Après le péché d’Adam..., « la concupiscence s’est donc élevée dans ses membres et a chatouillé et délecté sa volonté dans le mal, et les ténèbres ont rempli son esprit de telle sorte que sa volonté, auparavant indifférente pour le bien et le mal, sans délectation ni chatouillement ni dans l’un ni dans l’autre, mais suivant, sans aucun appétit prévenant de sa part, ce qu’il connaissait de plus convenable à sa félicité, se trouve maintenant charmée par la concupiscence qui s’est élevée dans ses membres. Et son esprit très fort, très juste, très éclairé, est obscurci et dans l’ignorance. [...]
Le libre arbitre est demeuré flexible au bien et au mal ; mais avec cette différence, qu’au lieu qu’en Adam il n’avait aucun chatouillement au mal, et qu’il lui suffisait de connaître le bien pour s’y pouvoir porter, maintenant il a une suavité et une délectation si puissante dans le mal par la concupiscence qu’infailliblement il s’y porte de lui-même comme à son bien, et qu’il le choisit volontairement et très librement et avec joie comme l’objet où il sent sa béatitude. »
mais il n’est pas juste que tous voient la rédemption.
Alors que Pascal a parlé de connaître la corruption, il emploie le mot voir pour la rédemption. La corruption est un effet que l’homme peut constater, comprendre et approfondir. La rédemption en revanche est un mystère dont on ne peut que voir les effets, sans en comprendre la source.
Sur la doctrine chrétienne de la rédemption, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Livre III, p. 339 sq. ✍
Voir aussi l’article Rédemption de l’Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 1224-1228. ✍
Cela semblerait utile que tous connaissent la possibilité de la rédemption. Pourquoi n’est-il pas juste que tous voient la rédemption ?
Si l’on pouvait voir la rédemption, c’est-à-dire en avoir une connaissance intuitive et immédiate, elle ne serait plus objet de foi, mais de savoir. Ce que Pascal dit de la foi dans sa Lettre à Melle de Roannez du 29 octobre 1656, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1005 sq., serait aussi vrai de la rédemption : « Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu’il veut engager dans son service. »
Pour que la rédemption soit objet de foi, il faut qu’elle ne soit pas accessible aux cœurs mauvais.
Cette idée est liée au problème qui a suscité toutes les querelles autour du jansénisme : savoir si Dieu veut sauver tous les hommes et si le Christ est mort pour tous les hommes.
Pour approfondir...
♦ Rédemption
Le mot rédemption vient du latin redimere, qui signifie payer la rançon, ou libérer.
Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Livre III, p. 339 sq. La rédemption, dans la religion chrétienne, est la délivrance du péché engendré par la faute d’Adam, qui rétablit l’union de l’homme avec Dieu. La rédemption est un mystère qui s’effectue par la personne de Jésus-Christ : p. 340-341. Elle est cependant l’effet d’un décret éternel de Dieu, avant la constitution du monde (saint Paul). La rédemption était nécessaire à l’homme pour éviter la damnation éternelle. Mais du côté de Dieu, elle est l’effet de sa pure miséricorde, acte libre de l’amour de Dieu. Comme dit Pascal dans les Écrits sur la grâce, Traité de la prédestination, 3, § 11 et 13, OC III, éd. J. Mesnard, p. 794, « Tous les hommes étant dans cette masse corrompue également dignes de la mort éternelle et de la colère de Dieu, Dieu pouvait avec justice les abandonner tous sans miséricorde à la damnation. Et néanmoins il plaît à Dieu de choisir, élire et discerner de cette masse également corrompue, et où il ne voyait que de mauvais mérites, un nombre d’hommes de tout sexe, âges, conditions, complexions, de tous les pays, de tous les temps, et enfin de toutes sortes » ; « Pour sauver ses élus, Dieu a envoyé Jésus-Christ pour satisfaire à sa justice, et pour mériter de sa miséricorde la grâce de Rédemption, la grâce médicinale, la grâce de Jésus-Christ, qui n’est autre chose qu’une suavité et une délectation dans la loi de Dieu, répandue dans le cœur par le Saint-Esprit, qui non seulement égalant, mais surpassant encore la concupiscence de la chair, remplit la volonté d’une plus grande délectation dans le bien, que la concupiscence ne lui en offre dans le mal, et qu’ainsi le libre arbitre, charmé par les douceurs et par les plaisirs que le Saint-Esprit lui inspire, plus que par les attraits du péché, choisit infailliblement lui-même la loi de Dieu par cette seule raison qu’il y trouve plus de satisfaction et qu’il y sent sa béatitude et sa félicité. » Sur la personne du Christ rédempteur, voir Preuves de Jésus-Christ. Le sacrifice du Christ a obtenu la rémission des péchés : le concile de Trente a défini que le péché originel n’a été effacé que « par le mérite du seul médiateur, Notre Seigneur Jésus-Christ » (Session 5, ch. 3) : p. 441. De la mort du Christ dérive le pardon des péchés et la réconciliation de l’homme avec Dieu : p. 442.
Encyclopédie de la foi, IV, article Rédemption, dir. H. Fries, Paris, Cerf, 1976, p. 9-25. Histoire du dogme, p. 14 sq. Le pélagianisme soutenait que la vie du Christ n’avait qu’une valeur d’exemple ; Augustin s’y opposa. Le concile de Trente a eu affaire au socinianisme qui niait que la rédemption fût nécessaire. Sur l’action rédemptrice du Christ dans ses différents aspects, voir p. 21 sq.
♦ Dieu veut que tous les hommes soient sauvés
Miracles III (Laf. 911, Sel. 451). Jésus-Christ rédempteur de tous. Oui, car il a offert comme un homme qui a racheté tous ceux qui voudront venir à lui. Ceux qui mourront en chemin c’est leur malheur, mais quant à lui il leur offrait rédemption. Cela est bon en cet exemple où celui qui rachète et celui qui empêche de mourir font deux, mais non pas en J.-C. qui fait l’un et l’autre. Non car Jésus-Christ en qualité de rédempteur n’est pas peut-être maître de tous, et ainsi en tant qu’il est en lui il est rédempteur de tous.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 270 sq. La volonté de salut en Dieu. Voir p. 289 sq.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, p. 61. On peut soutenir dans un sens très large que le Christ est mort pour tous, dans la mesure où il est mort à cause du péché de l’humanité, ou parce que sa rédemption eût suffi à sauver tous les hommes, s’il l’eût décidé, ou, ce qui revient au même, s’ils l’eussent voulu. Saint Augustin se heurte à la déclaration nette de saint Paul : p. 61. Arnauld consacre le livre III de son Apologie pour les saints Pères de 1651 à ce problème “de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes”. Voir Prosper d’Aquitaine, Pro Augustino responsiones. Voir p. 61, n. 27, les différentes réponses envisagées par saint Augustin.
La donnée de base est le texte de saint Paul, Première lettre à Timothée, 2. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés.
On trouve aussi plusieurs références sur ce sujet dans saint Augustin.
Saint Augustin, De correptione et gratia, XIV, 44, Œuvres, Bibliothèque augustinienne, t. 24, p. 369.
Saint Augustin, De praedestinatione sanctorum, ch. VIII.
Saint Augustin, Liv. IV contre Julien, ch. VIII.
Saint Augustin, Enchiridion, CIII, n. 27.
Manuel, ch. XCVII et CII.
Arnauld Antoine, Apologie pour les saints pères, Livre II, Œuvres, XVIII, ch. IV sq., p. 92 sq. Voir ch. V, p. 93 sq. Sur le sens que le traducteur donne à la formule “Dieu veut que tous les hommes soient sauvés”, savoir “qu’il a une volonté efficace de sa part de les sauver tous, et qu’il ne demande sinon qu’ils le veuillent aussi de leur part, pour les sauver” : p. 93-94. C’est le sens des pélagiens et des semi-pélagiens, que Dieu veut sauver tous généralement, sans en excepter aucun : p. 94. Voir ch. VII, p. 98. Sur saint Augustin, Lib. I de Gen., ch. III : « que cette lumière céleste n’est pas pour les yeux des animaux déraisonnables ; mais pour les cœurs épurés de ceux qui ont la foi ; qui se dégagent de l’amour des choses visibles, et sont résolus de garder les commandements de Dieu : ce que tous peuvent faire s’ils veulent, d’autant que cette lumière éclaire tout homme en ce monde, et qu’il ne tient qu’à ceux qui ne la voient pas d’ouvrir les yeux pour la voir ». Mais, répond Arnauld, Augustin avait prévu l’abus possible de ce texte ; voir Rétractations, ch. X : « de ce que j’ai dit, parlant de la lumière invisible, qu’elle ne repaît pas les yeux des animaux irraisonnables ; mais les cœurs purs de ceux qui croient en Dieu... Ce que nous n’avions pas dit en cet endroit parce qu’il n’était pas nécessaire en la question que nous traitions. » Voir p. 99 : les molinistes détournent le sens du texte : « car tant s’en faut qu’il s’ensuive de là que tous les hommes puissent accomplir les commandements de Dieu, qui est la prétention de cet écrivain, qu’il s’ensuit au contraire, que tous ne le peuvent pas, puisqu’il est vrai d’une part, que tous le peuvent s’ils le veulent, mais qu’il est vrai aussi de l’autre, comme l’assure S. Augustin, que ceux-là seuls le veulent, à qui Dieu donne cette volonté par la grâce ; et en qui même il fortifie cette volonté qui, étant faible, ne suffirait pas pour accomplir ses commandements, par le don d’un amour et d’une charité assez forte pour les pouvoir accomplir. Ce qu’on ne peut dire sans extravagance, que Dieu fasse dans tous les hommes, puisqu’autrement il faudrait dire que tous les hommes, que les schismatiques, les hérétiques, les Juifs, les Turcs, les païens, les infidèles et les athées, auraient la charité et l’amour de Dieu » : p. 99.
♦ Le Christ est-il mort pour tous les hommes ?
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 270 sq. La volonté de salut en Dieu. Voir p. 289 sq.
Mort du Christ pour tous les hommes : voir Traité de la prédestination, 2, § 30. « Que c’est seulement pour leur salut que Jésus-Christ est mort et que les autres, pour le salut desquels il n’est pas mort, n’ont pas été délivrés de cette perdition universelle et juste. »
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, p. 61. On peut soutenir dans un sens très large que le Christ est mort pour tous, dans la mesure où il est mort à cause du péché de l’humanité, ou parce que sa rédemption eût suffi à sauver tous les hommes, s’il l’eût décidé, ou, ce qui revient au même, s’ils l’eussent voulu. Saint Augustin se heurte à la déclaration nette de saint Paul : p. 61. Arnauld consacre le livre III de son Apologie pour les saints Pères de 1651 à ce problème “de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes”. Voir Prosper d’Aquitaine, Pro Augustino responsiones. Voir p. 61, n. 27, les différentes réponses envisagées par saint Augustin.
Arnauld, Apologie pour les saints Pères, Livre III, Second point, Œuvres, XVIII, p. 162 sq. Etat de la question. Les molinistes disent que « Jésus-Christ est mort pour le salut de tous les hommes, non seulement quant à la suffisance du prix, qui pouvait être appliqué à tous ; mais encore avec une volonté sincère et efficace de sa part, de les faire tous jouir du fruit de sa passion » : p. 162. Les augustiniens disent « qu’on peut dire que Jésus-Christ est mort généralement pour tous les hommes à ne considérer que la suffisance du prix de sa mort, et la dette dont il s’est chargé en prenant la nature humaine, qui est commune à tous les hommes. Mais qu’à proprement parler, et selon l’application du prix de son sang, il est mort pour tous les fidèles qui, par le baptême et les autres sacrements, ont part aux grâces qu’il a méritées par sa mort ; qui sont appelés du nom de tous les hommes, et de tout le monde, parce qu’ils sont répandus par tout le monde, selon l’Écriture (Joan, 11. 52), et non pas généralement pour tous les hommes, en y comprenant tous les impies, et les idolâtres, qui étaient déjà dans l’enfer, avant qu’il vint au monde (ce que les conciles ont condamné comme une erreur insupportable) (Conc. Val. C. 4) e ceux qui, depuis son incarnation, ne l’ont point reconnu pour leur Sauveur. Et qu’il est mort encore plus particulièrement pour tous les élus ; parce que c’est sur eux qu’il répand ses plus grandes grâces, et qu’il a voulu que sa mort leur servit pour les rendre éternellement heureux, comme étant ces enfants de Dieu dispersés par toute la terre, pour lesquels il devait mourir, selon l’Évangile (Joan, 11, 52 ; Joan, 17,6 ; 17,9 ; 10, 11 ; 10, 28), afin de les rallier dans son Église : comme étant ceux que son Père lui a donnés, pour être particulièrement à lui, et pour lesquels il témoigne, qu’il le prie, et non pour le monde : et comme étant ses brebis chéries et bien aimées, pour lesquelles il déclare qu’il voulait donner sa vie, en assurant en même temps que nulle d’elles ne périrait » : p. 162-163.
Arnauld Antoine, Apologie de M. Jansénius, IIIe sermon, article XVII, p. 172 sq. En quel sens selon saint Augustin et les pères Jésus-Christ est mort pour tout le monde. Concordance de Jansénius et de saint Paul. Tous s’entend de toute l’Église, et non des païens : p. 173. En quel sens le Christ n’est pas mort pour les seuls prédestinés : p. 175. En quels termes la maxime que Jésus est mort pour tous les hommes se trouve dans Jansénius : p. 177. Voir article XXI, p. 215 sq., En quelle sorte Jésus-Christ est le rédempteur de tout le monde. Voir article XXVI, p. 227 sq., Explication de ce que dit le concile touchant la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes. Et particulièrement article XXXI, p. 242, Que le mot de tous ne se prend pas toujours si universellement dans l’Écriture, qu’il comprenne tous les hommes en général, sans en excepter aucun. Le problème rhétorique est traité dans le même article XXXI, p. 244 sq., Que les explications que saint Augustin donne aux passages de saint Paul, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et Jésus-Christ s’est donné pour la rédemption de tous, sont très raisonnables, et très conformes au langage de l’Écriture. Arnauld relève plusieurs procédés connus des logiciens, notamment la distributio commoda (distribution accommodée au sujet dont on parle, p. 245) et la distributio pro generibus singulorum, et non pro singulis generum (l’acception d’un terme universel pour les divers genres d’une chose, et non pas pour chaque chose en particulier de ces divers genres, p. 247).
Nicole, F. Nicolaï molinisticae theses, p. 21 sq. Saint Thomas : Christus pro omnibus sufficienter mortuum esse ; sed pro multis tantum efficienter.
Delassault Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, Nizet, Paris, 1957, p. 50. La rédemption peut être dite universelle en ce sens que le Christ s’est revêtu de la nature commune à tous les hommes ; ou que le sang versé était un prix suffisant pour la rachat du monde. Hors de cela, il n’est plus question d’universalité, puisque le Christ n’a effectivement racheté que les élus. Sacy, dans les Heures de Port-Royal, Office de l’Église et de la Vierge, pouvait donc traduite les expressions de saint Prosper, Pro Augustino responsiones ad capitula Gallorum, et pouvait dire que le Christ était rédempteur de tous les hommes, ou que le prix de son sang était suffisant pour le rachat du monde, ou que Jésus s’était revêtu de la nature humaine commune à tous les hommes. Il utilise ces formules équivalentes selon les besoins du vers. Lorsqu’une expression du latin, traduite, en laisse par aucun détail entrevoir que Redemptor omnium doit être interprété selon l’une des intentions du saint, et risquait donc d’être équivoque, laissant entende une universalité étendue au salut de tous les hommes, elle n’est jamais traduite, et Saci adapte le vers au sens général de la strophe : p. 51.
Chédozeau Bernard, Port-Royal et la Bible. Un siècle d’or de la Bible en France (1650-1708), Paris, Nolin, 2007, p. 112. L’expression Christe redemptor omnium dans les Heures de Port-Royal a suscité la critique du P. Labbe dans le Calendrier des Heures surnommées à la janséniste, suivie par celle du P. Adam et du P. Brisacier. Port-Royal répond surtout aux attaques doctrinales des jésuites : p. 113. Le conflit romain sur l’expression Christe redemptor omnium : p. 115 sq.
Arnauld Antoine, Réponse au P. Annat, provincial des jésuites, touchant les cinq propositions attribuées à M. l’évêque d’Ypres, 1654, in Arnauld Antoine, Œuvres, XIX, p. 193 sq., où Arnauld remarque que le P. Petau est d’accord avec les augustiniens pour admettre que Jésus n’est pas mort pour tous les hommes. Pour les autres, il n’est pas mort pour qu’ils soient sauvés, mais seulement afin que cette grâce leur fût donnée.