Fragment Loi figurative n° 24 / 31  – Papier original : RO 33 et 33 v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 310 p. 133-133 v° / C2 : p. 160-161

Éditions de Port-Royal : Chap. XIII - Que la Loy estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 104-106  / 1678 n° 18 et 19 p. 104-106

Éditions savantes : Faugère II, 307, XXXV / Havet XVI.15 et 16 / Brunschvicg 692 / Tourneur p. 263 / Le Guern 252 / Lafuma 269 / Sellier 300

 

 

 

Figures.

 

Quand David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis, on peut croire charnellement que ce sera des Égyptiens, et alors je ne saurais montrer que la prophétie soit accomplie. Mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités, car dans la vérité les Égyptiens ne sont point ennemis, mais les iniquités le sont.

Ce mot d’ennemis est donc équivoque. Mais, s’il dit ailleurs, comme il fait qu’il délivrera son peuple de ses péchés aussi bien qu’Isaïe et les autres, l’équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d’iniquités. Car s’il avait dans l’esprit les péchés, il les pouvait bien dénoter par ennemis, mais s’il pensait aux ennemis, il ne les pouvait pas désigner par iniquités.

Or Moïse et David et Isaïe usaient de mêmes termes. Qui dira donc qu’ils n’avaient pas même sens et que le sens de David, qui est manifestement d’iniquités lorsqu’il parlait d’ennemis, ne fût pas le même que Moïse en parlant d’ennemis.

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Daniel IX prie pour la délivrance du peuple de la captivité de leurs ennemis. Mais il pensait aux péchés, et pour le montrer, il dit que Gabriel lui vint dire qu’il était exaucé et qu’il n’y avait plus que soixante-dix semaines à attendre. Après quoi, le peuple serait délivré d’iniquité, le péché prendrait fin, et le libérateur, le saint des saints, amènerait la justice éternelle, non la légale mais l’éternelle.

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Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des [iniquités], ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse. Ceux qui croient que le bien de l’homme est en sa chair et le mal en ce qui le détourne des plaisirs des sens, qu’il[s] s’en soûle[nt] et qu’il[s] y meure[nt]. Mais ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, qui n’ont de déplaisir que d’être privés de sa vue, qui n’ont de désir que pour le posséder et d’ennemis que ceux qui les en détournent, qui s’affligent de se voir environnés et dominés de tels ennemis, qu’ils se consolent. Je leur annonce une heureuse nouvelle : il y a un libérateur pour eux ; je le leur ferai voir ; je leur montrerai qu’il y a un Dieu pour eux ; je ne le ferai pas voir aux autres. Je ferai voir qu’un Messie a été promis pour délivrer des ennemis, et qu’il en est venu un pour délivrer des iniquités, mais non des ennemis.

 

 

Comme le montre la reconstitution du mouvement génétique de ce texte, l’ordre de la rédaction a été modifié par Pascal après coup.

C’est le paragraphe Il y en a qui voient bien qui a été écrit le premier. Pascal a commencé par des considérations générales touchant la compréhension des figures de l’Ancien Testament, notamment sur le cas du sens dans lequel il faut comprendre le mot ennemi sous la plume des prophètes.

Il a ensuite abordé un problème difficile, lorsqu’il s’agit de l’Ancien Testament, qui est composé d’un nombre considérable de livres dus à des auteurs différents : ces différents prophètes parlaient-ils le même langage ? Usaient-ils des mêmes mots pris dans le même sens ? Cette question est essentielle si l’on veut, comme le veut Pascal, pouvoir interpréter ces livres les uns par les autres. C’est cependant un point qui fait l’objet de discussions de fond à l’époque. Pascal propose une solution, Spinoza en soutiendra une autre. La critique exégétique moderne est née de ce débat.

Mais au bout du compte, Pascal a fait passer en tête l’étude des textes de David et de Daniel, et réservé pour un second temps la réflexion théorique générale.

 

Analyse détaillée...

Fragments connexes

 

Grandeur 5 (Laf. 109, Sel. 141). De cette conformité d’application, on tire une puissante conjecture d’une conformité d’idée.

Commencement 12 (Laf. 162, Sel. 194). Commencer par plaindre les incrédules, ils sont assez malheureux par leur condition. Il ne les faudrait injurier qu’au cas que cela servît, mais cela leur nuit.

Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout.

Loi figurative 22 (Laf. 267, Sel. 298). La Terre promise.

Loi figurative 25 ((Laf. 270, Sel. 301). Figures.

Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres: que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu'ils s'y mêlassent, que quand ils languissaient dans l'Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu'il les nourrit de la manne dans le désert, qu'il les mena dans une terre bien grasse, qu'il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l'effusion de leur sang qu'ils seraient purifiés, et qu'il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles, J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l'éclat attendu, et ainsi ils n'ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figures, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l'esprit, que les ennemis des hommes n'étaient pas les Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu'il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.

Loi figurative 29 (Laf. 274, Sel. 305). Preuve des deux Testaments à la fois.

Pour prouver d’un coup tous les deux il ne faut que voir si les prophéties de l’un sont accomplies en l’autre. Pour examiner les prophéties il faut les entendre. Car si on croit qu’elles n’ont qu’un sens il est sûr que le Messie ne sera point venu, mais si elles ont deux sens il est sûr qu’il sera venu en J.-C.

Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). La vie ordinaire des hommes est semblable à celle des saints. Ils recherchent tous leur satisfaction et ne diffèrent qu’en l’objet où ils la placent. Ils appellent leurs ennemis ceux qui les en empêchent, etc. Dieu a donc montré le pouvoir qu’il a de donner les biens invisibles par celui qu’il a montré qu’il avait sur les visibles.

Prophéties 20 (Laf. 341, Sel. 373). Les soixante-dix semaines de Daniel.

Preuves par discours II (Laf. 433, Sel. 685). Alors Jésus-Christ vient dire aux hommes qu’ils n’ont point d’autres ennemis qu’eux-mêmes, que ce sont leurs passions qui les séparent de Dieu, qu’il vient pour les détruire, et pour leur donner sa grâce, afin de faire d’eux tous une Église sainte, qu’il vient ramener dans cette Église les païens et les Juifs, qu’il vient détruire les idoles des uns et la superstition des autres. À cela s’opposent tous les hommes, non seulement par l’opposition naturelle de la concupiscence ; mais, par-dessus tout, les rois de la terre s’unissent pour abolir cette religion naissante, comme cela avait été prédit.

Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Voilà donc quelle a été la conduite de Dieu. Ce sens est couvert d’un autre en une infinité d’endroits et découvert en quelques-uns rarement, mais en telle sorte néanmoins que les lieux où il est caché sont équivoques et peuvent convenir aux deux, au lieu que les lieux où il est découvert sont univoques et ne peuvent convenir qu’au sens spirituel.

De sorte que cela ne pouvait induire en erreur et qu’il n’y avait qu’un peuple aussi charnel qui s’y pût méprendre.

Car quand les biens sont promis en abondance qui les empêchait d’entendre les véritables biens, sinon leur cupidité qui déterminait ce sens aux biens de la terre. Mais ceux qui n’avaient de bien qu’en Dieu, les rapportaient uniquement à Dieu.

Car il y a deux principes qui partagent les volontés des hommes: la cupidité et la charité. Ce n’est pas que la cupidité ne puisse être avec la foi en Dieu et que la charité ne soit avec les biens de la terre, mais la cupidité use de Dieu et jouit du monde, et la charité au contraire.

Or la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses; tout ce qui nous empêche d’y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures, quoique bonnes, seront ennemies des justes quand elles les détournent de Dieu, et Dieu même est l’ennemi de ceux dont il trouble la convoitise.

Ainsi le mot d’ennemi dépendant de la dernière fin, les justes entendaient par là leurs passions et les charnels entendaient les Babyloniens, et ainsi ces termes n’étaient obscurs que pour les injustes.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Dans ces promesses-là chacun trouve ce qu’il a dans le fond de son cœur, les biens temporels ou les bien spirituels, Dieu ou les créatures, mais avec cette différence que ceux qui y cherchent les créatures les y trouvent, mais avec plusieurs contradictions, avec la défense de les aimer, avec l’ordre de n’adorer que Dieu et de n’aimer que lui, ce qui n’est qu’une même chose et qu’enfin il n’est point venu Messie pour eux, au lieu que ceux qui y cherchent Dieu le trouvent et sans aucune contradiction avec commandement de n’aimer que lui et qu’il est venu un Messie dans le temps prédit pour leur donner les biens qu’ils demandent.

 

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