Pensées diverses I – Fragment n° 1 / 37 – Papier original : RO 110-1 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 85 p. 325 à 327  / C2 : p. 275 à 277

Éditions de Port-Royal :

       Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janvier 1670 p. 338  / 1678 n° 34 p. 333

       Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 p. 293 (puis supprimé)

       Un § a été ajouté dans l’édition de 1678 : Chap. XXIX - Pensées morales : 1678 n° 21 p. 276

Éditions savantes : Faugère I, 250, XII ; I, 318, V ; I, 286, LXI ; II, 99, XXI ; II, 75, III ; II, 129, VI ; II, 98, XX ; II, 37 note ; I, 314, IX / Havet VII.21, XXIV.75, Prov. n° 109 p. 294, VI.14, IV.2 (note) / Brunschvicg 48, 880, 869, 378, 70, 375, 387, 140, 145, 853 / Tourneur p. 65-2 / Le Guern 468 / Lafuma 515 à 524 (série XXIII) / Sellier 452 et 453

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janvier 1670 p. 338  / 1678 n° 34 p. 333

       

 

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

 Quand dans un discours on trouve des mots répétés, et qu’essayant de les corriger on les trouve si propres qu’on gâterait le discours ; 2 il les faut laisser ; c’en est la marque ; et c’est 3 la part de l’envie qui est aveugle, et qui ne sait pas que cette répétition n’est pas faute en cet endroit ; car il n’y a point de règle générale.

 

Quand dans un discours se trouvent des mots répétés et qu’essayant de les corriger on les trouve si propres qu’on gâterait le discours, il les faut laisser, c’en est la marque. Et c’est là la part de l’envie, qui est aveugle et qui ne sait pas que cette répétition n’est pas faute en cet endroit. Car il n’y a point de règle générale.

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1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 Était une virgule dans l’édition préoriginale de 1669.

3 Ce mot a été supprimé dans l’édition de 1678.

 

 

 

 

 

A été ajouté dans l’édition de Port-Royal de 1678

 

Chapitre XXIX - Pensées morales : 1678 n° 21 p. 276

       

 

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. 1678 1

Transcription du manuscrit

 

 

 

 L’extrême esprit est accusé de folie, comme l’extrême défaut. Rien ne passe pour bon que la médiocrité. C’est la pluralité qui a établi cela, et qui mord quiconque s’en échappe par quelque bout que ce soit. Je ne m’y obstinerai pas ; je consens qu’on m’y mette : et si je refuse d’être au bas bout, ce n’est pas parce qu’il est bas, mais parce qu’il est bout ; car je refuserais de même qu’on me mît au haut. C’est sortir de l’humanité, que de sortir du milieu : la grandeur de l’âme humaine consiste à savoir s’y tenir : et tant s’en faut que sa grandeur soit d’en sortir, qu’elle est à n’en point sortir.

 

Pyrr[honisme].

 

L’extrême esprit est accusé de folie, comme l’extrême défaut. Rien que la médiocrité n’est bon : c’est la pluralité qui a établi cela, et qui mord quiconque s’en échappe par quelque bout que ce soit. Je ne m’y obstinerai pas, je consens bien qu’on m’y mette, et me refuse d’être au bas bout, non pas parce qu’il est bas, mais parce qu’il est bout, car je refuserais de même qu’on me mît au haut. C’est sortir de l’humanité que de sortir du milieu.

La grandeur de l’âme humaine consiste à savoir s’y tenir. Tant s’en faut que la grandeur soit à en sortir qu’elle est à n’en point sortir.

 

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

 

Commentaire

 

Entre rien que la médiocrité n’est bon et rien ne passe pour bon que la médiocrité, il y a la différence entre ce qu’un auteur dit en son propre nom, et ce qu’il attribue à l’opinion courante. La formule y perd de sa force. D’autre part, la suppression du titre empêche le lecteur de comprendre que Pascal se situe ici dans l’univers sceptique, et parle comme Montaigne.

 

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal de 1669

(supprimée dans l’éd. de 1670)

 

Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 p. 293

       

 

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. préoriginale 1669 1

Transcription du manuscrit (texte barré verticalement)

 

 

 J’ai passé longtemps de ma vie, en croyant qu’il y avait une justice ; et en cela je ne me trompais pas ; car il y en a selon que Dieu nous l’a voulu révéler. Mais je ne le prenais pas ainsi ; et c’est en quoi je me trompais ; car je croyais que notre justice était essentiellement juste, et que j’avais de quoi la connaître, et en juger. Mais je me suis trouvé tant de fois en faute de jugement droit, qu’enfin je suis entré en défiance de moi, et puis des autres. J’ai vu tous les pays, et tous les hommes changeants. Et ainsi après bien des changements de jugement touchant la véritable justice, j’ai connu que notre nature n’était qu’un continuel changement ; et je n’ai plus changé depuis ; et si je changeais, je confirmerais mon opinion.

 

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J’ai passé longtemps de ma vie en croyant qu’il y avait une justice et en cela je ne me trompais pas, car il y en a selon que Dieu nous l’a voulu révéler, mais je ne le prenais pas ainsi et c’est en quoi je me trompais, car je croyais que notre justice était essentiellement juste, et que j’avais de quoi la connaître et en juger, mais je me suis trouvé tant de fois en faute de jugement droit, qu’enfin je suis entré en défiance de moi et puis des autres. J’ai vu tous les pays et hommes changeants. Et ainsi après bien des changements de jugement touchant la véritable justice j’ai connu que notre nature n’était qu’un continuel changement et je n’ai plus changé depuis. Et si je changeais je confirmerais mon opinion. Le pyrrhonien Arcésilas qui redevient dogmatique.

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1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

 

Commentaire

 

Ce texte a été supprimé avant l’édition officielle de janvier 1670 à la demande d’Arnauld : [1er R. Ms Guerrier, B.N.f. fr. 12988, p. 80]

« Lettre de Mr Arnauld à Mr Périer conser à la cour des aydes à Clermont.

                                                                                Ce 20 novembre [1669]

[...]

Ainsi, monsieur, il ne faut pas vous étonner, si ayant laissé passer de certaines choses sans en être choqués, nous trouvons maintenant qu’on doit les changer, en y faisant plus d’attention après que d’autres les ont remarquées. Par exemple, l’endroit de la page 293 me paraît maintenant souffrir de grandes difficultés, et ce que vous dites pour le justifier, que, selon saint Augustin, il n’y a point en nous de justice qui soit essentiellement juste, et qu’il en est de même de toutes les autres vertus, ne me satisfait point. Car vous reconnaîtrez, si vous y prenez bien garde, que M. P. n’y parle pas de la justice, vertu qui fait dire qu’un homme est juste, mais de la justice quae jus est, qui fait dire qu’une chose est juste, comme : il est juste d’honorer son père et sa mère, de ne tuer point, de ne commettre point d’adultère, de ne point calomnier, etc. Or, en prenant le mot de justice en ce sens, il est faux et très dangereux de dire qu’il n’y ait rien parmi les hommes d’essentiellement juste ; et ce qu’en dit M. Pascal peut être venu d’une expression qui lui est restée d’une maxime de Montagne, que les lois ne sont point justes en elles-mêmes, mais seulement parce qu’elles sont lois. Ce qui est vrai, au regard de la plupart des lois humaines qui règlent des choses indifférentes d’elles-mêmes, avant qu’on les eût réglées, comme que les aînés aient une telle part dans les biens de leurs père et mère ; mais très faux, si on le prend généralement, étant par exemple, très juste de soi-même, et non seulement parce que les lois l’ont ordonné, que les enfants n’outragent pas leurs pères. C’est ce que saint Augustin dit expressément de certains désordres infâmes, qu’ils seraient mauvais et défendus, quand toutes les nations seraient convenues de les regarder comme des choses permises. Ainsi, pour vous en parler franchement, je crois que cet endroit est insoutenable, et on vous supplie de voir parmi les papiers de M. Pascal, si on n’y trouvera point quelque chose qu’on puisse mettre à la place. [...] » (reproduction du texte transcrit par L. Lafuma). Voir le commentaire.

Le suppression de la note sur Arcésilas modère aussi le caractère sceptique de ce passage. De ce fait, un argument important chez Pascal se trouve effacé, savoir que le scepticisme est malgré lui une affirmation.