Pensées diverses I – Fragment n° 34 / 37 – Papier original : RO 142-8

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 101 p. 345  / C2 : p. 299

Éditions savantes : Faugère II, 178, IV / Havet XXV.40 / Brunschvicg 279  / Tourneur p. 82-2 / Le Guern 501 / Lafuma 588 (série XXIII) / Sellier 487

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

HARRINGTON Thomas, Vérité et méthode dans les Pensées de Pascal, Paris, Vrin, 1972.

LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La doctrine de la grâce chez Arnauld, Paris, 1922.

MESNARD Jean, Pascal, Les écrivains devant Dieu, Desclée de Brouwer, Paris, 1965.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

SHIOKAWA Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, Paris, Champion, 2012.

TAVARD Georges, La tradition au XVIIe siècle, Paris, Cerf, 1969.

 

 

Éclaircissements

 

La foi est un don de Dieu.

 

Voir le dossier thématique sur La foi selon Pascal.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd.,1993, p. 167 sq. Foi et raison.

Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412). Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement. Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes. Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais, d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dès qu’il l’inclinera. Et c’est ce que David connaissait bien. Inclina cor meum Deus in, etc.

 

Ne croyez pas que nous disions que c’est un don de raisonnement.

 

À qui s’adresse cette explication ? L’expression suppose qu’elle vise à prévenir une erreur sur la religion chrétienne, qui pourrait être commise par une personne qui risque de la mettre dans le même sac que les religions païennes.

La foi ne provient pas du raisonnement. Pascal pousse loin ce paradoxe dans le fragment Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680). S’il y a un Dieu il est infiniment incompréhensible, puisque n’ayant ni parties ni bornes, il n’a nul rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu’il est, ni s’il est. Cela étant qui osera entreprendre de résoudre cette question ? ce n’est pas nous qui n’avons aucun rapport à lui. Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ; ils déclarent en l’exposant au monde que c’est une sottise, stultitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu’ils ne la prouvent pas. S’ils la prouvaient ils ne tiendraient pas parole. C’est en manquant de preuve qu’ils ne manquent pas de sens.

Pascal insiste sur la double origine de la connaissance de la vérité, dans le fragment Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142). Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, dont la foi fait partie, comme le montre la liasse Soumission et usage de la raison.

Dieu est sensible au cœur, et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l’ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment du cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut.

Harrington Thomas, Vérité et méthode dans les Pensées de Pascal, p. 118. La foi humaine fait croire par raisonnement, elle ne transforme pas le cœur et ne modifie pas son esclavage à la concupiscence ; la foi divine fait croire les vérités chrétiennes par sentiment du cœur ; elle comporte l’humiliation ; c’est un don gratuit de Dieu qui effectue une conversion. La foi humaine est figure de la foi divine : p. 119. Elle peut en être l’instrument.

Shiokawa Tetsuya, Entre foi et raison : l’autorité. Études pascaliennes, p. 215-226, sur la foi divine et la foi humaine selon Arnauld et Pascal.

 

Les autres religions ne disent pas cela de leur foi.

 

Pascal procède ici à une comparaison entre la religion chrétienne et les autres religions. Si l’on met à part la religion juive, qui à ses yeux est étroitement associée à la religion chrétienne, il n’a poussé l’étude de détail que pour l’islam, procédant à une mise en opposition point par point dans le fragment Fausseté 7 (Laf. 209, Sel. 241), Différence entre Jésus-Christ et Mahomet.

Mais dans le présent fragment, c’est à toutes les autres religions que Pascal oppose le christianisme, et sur le problème fondamental de la nature de la foi.

En quel sens Pascal dit-il que les autres religions ne donnent que le raisonnement pour arriver à la foi ? Les fausses religions qu’il cite dans les Pensées ne paraissent pas précisément s’appuyer sur le raisonnement, et encore moins sur le raisonnement géométrique. Dans Fausseté des autres religions, il souligne le peu que valent les raisons de Mahomet :

Fausseté 1 (Laf. 203, Sel. 235). Fausseté des autres religions. Mahomet sans autorité. Il faudrait donc que ses raisons fussent bien puissantes, n’ayant que leur propre force. Que dit-il donc ? qu’il faut le croire.

Pascal dit aussi que l’islam s’impose par la force et la guerre, ce qui constitue à ses yeux une tyrannie.

Fausseté 16 (Laf. 218, Sel. 251). Ce n’est pas par ce qu’il y a d’obscur dans Mahomet et qu’on peut faire passer pour un sens mystérieux que je veux qu’on en juge, mais par ce qu’il y a de clair, par son paradis et par le reste. C’est en cela qu’il est ridicule. Et c’est pourquoi il n’est pas juste de prendre ses obscurités pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules. Il n’en est pas de même de l’écriture. Je veux bien qu’il y ait des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet, mais il y a des clartés admirables et des prophéties manifestes et accomplies. La partie n’est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l’obscurité et non pas par la clarté qui mérite qu’on révère les obscurités.

Il ne s’agit pas ici des preuves métaphysiques mentionnées dans le fragment Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222), qui ne concerne que les philosophies : Préface. Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes et si impliquées, qu’elles frappent peu et quand cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais une heure après ils craignent de s’être trompés. Il est question dans le présent fragment des religions, et non des philosophies.

Il faut entendre que les religions n’apportent en général que des arguments d’ordre naturel, et conçoivent la foi comme un effet purement humain, et non comme l’effet de la grâce de Dieu.

Cela signifie-t-il que la foi chrétienne exclut le raisonnement ? Pascal fait dire expressément le contraire à la Sagesse de Dieu dans le fragment A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). Je n’entends pas que vous soumettiez votre créance à moi sans raison, et ne prétends point vous assujettir avec tyrannie. Je ne prétends point aussi vous rendre raison de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés j’entends vous faire voir clairement par des preuves convaincantes des marques divines en moi qui vous convainquent de ce que je suis et m’attirer autorité par des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser et qu’ensuite vous croyiez les choses que je vous enseigne quand vous n’y trouverez autre sujet de les refuser, sinon que vous ne pouvez par vous-même connaître si elles sont ou non.

Il en résulte que cette conception de la foi n’en fait pas le privilège des personnes qui pensent savoir raisonner, par opposition au peuple ignorant.

Conclusion 6 (Laf. 382, Sel. 414). Ceux que nous voyons chrétiens sans la connaissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d’en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent par le cœur comme les autres en jugent par l’esprit. C’est Dieu lui-même qui les incline à croire et ainsi ils sont très efficacement persuadés.

On répondra que les infidèles diront la même chose ; mais je réponds à cela que nous avons des preuves que Dieu incline véritablement ceux qu’il aime à croire la religion chrétienne et que les infidèles n’ont aucune preuve de ce qu’ils disent et ainsi nos propositions étant semblables dans les termes elles diffèrent en ce que l’une est sans aucune preuve et l’autre très solidement prouvée. (texte barré verticalement)

J’avoue bien qu’un de ces chrétiens qui croient sans preuves n’aura peut-être pas de quoi convaincre un infidèle, qui en dira autant de soi, mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce fidèle est véritablement inspiré de Dieu, quoiqu’il ne peut le prouver lui-même.

Car Dieu ayant dit dans ses prophètes, (qui sont indubitablement prophètes) que dans le règne de Jésus-Christ il répandrait son esprit sur les nations et que les fils, les filles et les enfants de l’église prophétiseraient il est sans doute que l’esprit de Dieu est sur ceux-là et qu’il n’est point sur les autres.

 

Elles ne donnaient que le raisonner pour y arriver, qui n’y mène pas néanmoins.

 

Le raisonner : Pascal emploie parfois l’infinitif substantivé précédé de l’article : voir Règle de la créance 1 (Laf. 505, Sel. 672) : Le croire est si important.

Le raisonnement ne mène pas à la foi pour plusieurs raisons.

Primo, comme l’explique le fragment Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222), les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes et si impliquées, qu’elles frappent peu et quand cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais une heure après ils craignent de s’être trompés. Ces preuves sont donc inefficaces.

Secundo, la foi consiste en Dieu sensible au cœur, ce qui signifie qu’elle fait partie des principes qui fondent la pensée ; or on sait par Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142) que c’est en vain que le raisonnement prétend démontrer les principes du cœur.

Laf. 530, Sel. 455. Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment.

Preuves par discours I (Laf. 423, Sel. 680). Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses. Je dis que le cœur aime l’être universel naturellement et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne, et il se durcit contre l’un ou l’autre à son choix. Vous avez rejeté l’un et conservé l’autre ; est-ce par raison que vous vous aimez ?

Tertio, si le raisonnement menait à la foi, l’homme pourrait croire que la connaissance de la vérité et la foi dépendent de ses facultés propres, ce qui engendrerait la présomption. C’est le vice que Pascal dénonce particulièrement chez les stoïciens. Voir dans l’Entretien avec M. de Sacy, le reproche de « superbe diabolique » adressé à Épictète.