Fragment Conclusion n° 6 / 6 – Papier original : RO 483-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Conclusion n° 371 p. 185 v°-187 / C2 : p. 218-219
Éditions de Port-Royal : Chap. VI - Foi sans raisonnement : 1669 et janvier 1670 p. 52 / 1678 n° 4 p. 54
Éditions savantes : Faugère II, 179, IV / Havet XIII.12 / Brunschvicg 287 / Tourneur p. 297 / Le Guern 362 / Lafuma 382 / Sellier 414
Avertissement : nous conservons, comme dans la plupart des éditions, les textes barrés verticalement par Pascal. Ce texte est signalé ci-dessous sur un fond bleuté plus foncé.
Ceux que nous voyons chrétiens sans la connaissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d’en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent par le cœur comme les autres en jugent par l’esprit. C’est Dieu lui‑même qui les incline à croire, et ainsi ils sont très efficacement persuadés. |
On répondra que les infidèles diront la même chose. Mais je réponds à cela que nous avons des preuves que Dieu incline véritablement ceux qu’il aime à croire la religion chrétienne et que les infidèles n’ont aucune preuve de ce qu’ils disent. Et ainsi nos propositions étant semblables dans les termes, elles diffèrent en ce que l’une est sans aucune preuve et l’autre très solidement prouvée. |
J’avoue bien qu’un de ces chrétiens qui croient sans preuve n’aura peut‑être pas de quoi convaincre un infidèle qui en dira autant de soi, mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce fidèle est véritablement inspiré de Dieu, quoiqu’il ne pût le prouver lui‑même. Car Dieu ayant dit dans ses prophètes (qui sont indubitablement prophètes) que dans le règne de Jésus-Christ il répandrait son esprit sur les nations et que les fils, les filles et les enfants de l’Église prophétiseraient, il est sans doute que l’esprit de Dieu est sur ceux‑là et qu’il n’est point sur les autres.
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Lors de sa rédaction et de sa transcription, ce fragment faisait partie, avec Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142), d’un ample ensemble qui portait sur la connaissance de Dieu. Le découpage a disjoint les deux parties, qui étaient du reste séparées par un trait. La première partie a été intégrée à Conclusion, et l’autre placée dans Grandeur.
Une fois inséré dans Conclusion, ce fragment est entré dans un autre ensemble : il fait désormais partie d’un ensemble de trois textes qui approfondissent la nature de la foi des personnes simples et de ses rapports avec la foi des personnes instruites.
Ces deux sortes de foi ne se contredisent pas ; au contraire, elles sont complémentaires et chacune est utile à l’autre.
Ce fragment est le dernier de la série, dans l’ordre logique : dans Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412), Pascal a mis son lecteur en face du fait de la foi des simples, en lui demandant de ne pas s’en étonner et surtout de ne pas la juger insuffisante. Puis dans Conclusion 5 (Laf. 381, Sel. 413) il a expliqué les différentes qualités de la foi des simples. Ici, il montre en quoi les personnes instruites peuvent être utiles à celle des humbles.
Pascal insiste dans ce fragment sur le fait que, loin de s’opposer, la foi des gens simples et la foi des personnes instruites sont toutes deux utiles et qu’elles servent chacune à l’autre. Ces trois fragments doivent être lus dans la continuité les uns des autres.
Fragments connexes
Raisons des effets 17 (Laf. 99, Sel. 132). Nous sommes bien certains que nous n’avons pas mal à la tête, et que nous ne sommes pas boiteux, mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissons le vrai. De sorte que n’en ayant d’assurance qu’à cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous étonne. Et encore plus quand mille autres se moquent de notre choix, car il faut préférer nos lumières à celles de tant d’autres. Et cela est hardi et difficile. Il n’y a jamais cette contradiction dans les sens touchant un boiteux.
Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142). Et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l’ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment du cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut.
Preuves de Jésus-Christ 4 (Laf. 301, Sel. 332). Sainteté.
Effundam spiritum meum. Tousles peuples étaient dans l’infidélité et dans la concupiscence, toute la terre fut ardente de charité : les princes quittent leur grandeur, les filles souffrent le martyre. D’où vient cette force ? C’est que le Messie est arrivé. Voilà l’effet et les marques de sa venue.
Prophéties 7 (Laf. 328, Sel. 360). Qu’alors on n’enseignera plus son prochain disant : « Voici le Seigneur », car Dieu se fera sentir à tous. Vos fils prophétiseront, Je mettrai mon esprit et ma crainte en votre cœur.
Tout cela est la même chose.
Prophétiser c’est parler de Dieu, non par preuves de dehors, mais par sentiment intérieur et immédiat.
Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Prédiction.
Qu’en la 4e monarchie, avant la destruction du 2e temple, avant que la domination des Juifs fût ôtée en la 70e semaine de Daniel, pendant la durée du 2e temple les païens seraient instruits et amenés à la connaissance du Dieu adoré par les Juifs, que ceux qui l’aiment seraient délivrés de leurs ennemis, remplis de sa crainte et de son amour.
Et il est arrivé qu’en la 4e monarchie avant la destruction du 2e temple, etc. les païens en foule adorent Dieu et mènent une vie angélique.
Les filles consacrent à Dieu leur virginité et leur vie, les hommes renoncent à tous plaisirs. Ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles.
Les riches quittent leurs biens, les enfants quittent la maison délicate de leurs pères pour aller dans l’austérité d’un désert, etc. Voyez Philon juif.
Qu’est-ce que tout cela ? c’est ce qui a été prédit si longtemps auparavant ; depuis 2.000 années aucun païen n’avait adoré le Dieu des Juifs et dans le temps prédit la foule des païens adore cet unique Dieu. Les temples sont détruits, les rois mêmes se soumettent à la croix. Qu’est-ce que tout cela ? C’est l’esprit de Dieu qui est répandu sur la terre.
Nul païen depuis Moïse jusqu’à J.-C. selon les rabbins mêmes ; la foule des païens après J.-C. croit les livres de Moïse et en observe l’essence et l’esprit et n’en rejette que l’inutile.
Conclusion 1 (Laf. 377, Sel. 409). Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer.
Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412). Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement, Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes, il incline leur cœur à croire ; on ne croira jamais d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dès qu’il l’inclinera. Et c’est ce que David connaissait bien. Inclina cor meum Deus in, etc..
Conclusion 5 (Laf. 381, Sel. 413). Ceux qui croient sans avoir lu les Testaments c’est parce qu’ils ont une disposition intérieure toute sainte et que ce qu’ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu’un Dieu les a faits. Ils ne veulent aimer que Dieu, ils ne veulent haïr qu’eux-mêmes. Ils sentent qu’ils n’en ont pas la force d’eux-mêmes, qu’ils sont incapables d’aller à Dieu et que si Dieu ne vient à eux ils sont incapables d’aucune communication avec lui et ils entendent dire dans notre religion qu’il ne faut aimer que Dieu et ne haïr que soi-même, mais qu’étant tous corrompus et incapables de Dieu, Dieu s’est fait homme pour s’unir à nous. Il n’en faut pas davantage pour persuader des hommes qui ont cette disposition dans le cœur et qui ont cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.
Pensées diverses (Laf. 697, Sel. 576). Ceux qui sont dans le dérèglement disent à ceux qui sont dans l’ordre que ce sont eux qui s’éloignent de la nature et ils la croient suivre, comme ceux qui sont dans un vaisseau croient que ceux qui sont au bord fuient. Le langage est pareil de tous côtés. Il faut avoir un point fixe pour en juger. Le port juge ceux qui sont dans un vaisseau, mais où prendrons-nous un port dans la morale ?
Pensées diverses (Laf. 821, Sel. 661). Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’ils suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus.
La raison agit avec lenteur et avec tant de vues sur tant de principes, lesquels il faut qu’ils soient toujours présents, qu’à toute heure elle s’assoupit ou s’égare manque d’avoir tous ses principes présents. Le sentiment n’agit pas ainsi ; il agit en un instant et toujours est prêt à agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante.
Mots-clés : Chrétien – Cœur – Connaissance – Convaincre – Croire – Dieu – Église – Enfant – Esprit – Incliner – Infidèle – Jésus-Christ – Jugement – Nation – Preuve – Prophétie – Religion.