Pensées diverses II – Fragment n° 27 / 37 – Papier original : RO 4-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 112 p. 359  / C2 : p. 315 v°

Éditions savantes : Faugère II, 274, XV / Havet XXV.97 / Brunschvicg 731 / Le Guern 531 / Lafuma 624 (série XXIV) / Sellier 517

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Bibliographie

 

 

DE NADAÏ Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008.

 

 

Éclaircissements

 

 

Prophéties.

Que Jésus-Christ sera à la droite pendant que Dieu lui assujettira ses ennemis.

Donc il ne les assujettira pas lui‑même.

 

Référence fournie par l’éd. Sellier : Psaumes CIX, 1-2 (ou CX, 1). « Dixit Dominus Domino meo : Sede a dextris meis : 2. Donec ponam inimicos tuos, scabellum pedum tuorum ». Tr. de Port-Royal : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite ; 2. Jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied ».

La Bible de Jérusalem renvoie sur ces mots à Josué, X, 24.

Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Figures. Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement. En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter.

Havet, éd. des Pensées, II, 1866, p. 170, interprète ces lignes comme suit : « donc le Messie ne sera pas un roi temporel ». Brunschvicg minor, p. 676, va dans un sens analogue : « Pascal vise toujours les objections des Juifs qui ne reconnaissent pas le Christ comme Messie, qui soutiennent en particulier que le Messie doit être un grand roi et un grand conquérant ».

Le rapport avec le texte de Pascal n’est pas immédiatement évident. Peut-être faut-il voir dans ce fragment une réponse à l’objection que, malgré l’annonce du Psaume de David, l’avènement du Christ et son passage parmi les hommes n’a pas conduit à la conversion (en particulier les Juifs) ou à la destruction des ennemis de Dieu, et que par conséquent, on ne peut pas dire qu’il ait réellement été le Messie.

On peut rattacher ces idées à une suite de notes prises par Pascal sur les prophéties :

Prophéties V (Laf. 487, Sel. 734). Qu’il ressusciterait. Ps., 15 ; le troisième jour. Os., 6, 3.

Qu’il monterait au ciel pour s’asseoir à la droite. Ps., 110.

Que les rois s’armeraient contre lui. Ps., al. 2.

Qu’étant à la droite du Père il serait victorieux de ses ennemis.

Que les rois de la terre et tous les peuples l’adoreraient. Is., 60.

Que les Juifs subsisteront en nation. Jér.

Qu’ils seront errants, sans rois, etc. Os., 3.

Sans prophètes, Amos.

Attendant le salut et ne le trouvant point. Is.

Les Juifs avaient pu objecter que ces prédictions n’ont pas été toutes réalisées : les rois ne se sont pas tous soumis au Christ, et Jésus crucifié n’est pas apparu à la droite du Père et victorieux de ses ennemis. On pouvait en conclure que Jésus-Christ n’était pas le Messie annoncé.

Pascal répondrait alors que la soumission des ennemis de Dieu n’aura lieu que dans les temps du jugement dernier, et sera accomplie par le Père, et non par le Fils. Ce dernier n’en est pas moins le juge des derniers temps.

Un passage de l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ permet de préciser les idées de Pascal sur la présence du Fils à droite du Père : voir § 347, OC III, éd. J. Mesnard, p. 316 :

« Et il monta au-dessus de tous les cieux, afin qu’il remplît tout (Ephes., 4), et fut reçu au ciel et sied maintenant à la droite du Père -, dans une égalité parfaite au Père, et dans une plénitude de puissance. Car cette session à la droite est opposée au ministère des anges comme inférieur, Hébr., 1, 13, 15, Philipp., 2, 9 ; Ephes., 1, 20 ; [1] Corinth., 15, 25, etc., où l’Apôtre entend par la session à la droite la pleine puissance qu’il n’a jamais manqué d’avoir, mais qu’il a paru avoir reçue en ce jour. Et quoique le Fils soit à la droite du Père, ce n’est pas à dire que le Père soit à la senestre du Fils. Car dans le Ps. Dixit Dominus, où il est dit que le Fils est à la droite du Père, il est dit aussi que le Père est à la droite du Fils. Mais c’est que parlant de chaque personne il faut lui donner tout et quasi plus, de peur qu’on ne lui donne moins. Ambr. Et de là il régit et conduit son Église avec pleine puissance et providence. »

Et un peu plus bas :

« 351. Et [le Seigneur] demeure avec l’Église jusqu’à la consommation du siècle, suivant sa promesse.

352. Alors il reviendra, au même état où il est monté,

353. Juger les vivants et les morts, et séparer les méchants d’avec les bons. Et envoyer les injustes au feu éternel. Et les bons en son Royaume, suivant la forme qu’il en a prédite, et demeurera dans le sein.

354. Et ce Royaume sera sans fin, où Dieu sera tout en tous,

Et où il demeurera uni à Dieu dans le sein de Dieu et ses élus en lui, en l’éternité. Amen. »

La session du Fils à la droite du Père ne signifie donc pas qu’il soit de moindre puissance.

Le commentaire de Port-Royal rejoint sur certains points ces idées, à partir d’un commentaire de saint Jean Chrysostome :

« Jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à être sous vos pieds ne doit pas s’entendre comme si le règne de Jésus-Christ ne devait durer que jusqu’à ce temps-là, puisque son empire, selon l’Écriture, doit être éternel : mais c’est que ce royaume de Jésus-Christ, qui s’établit tous les jours, ne recevra sa consommation que lorsqu’il aura réduit sous ses pieds tous ses ennemis. Et il ne le fait durant tout le cours des siècles que peu à peu, pour donner le temps à ces mêmes ennemis de devenir ses serviteurs, et pour accomplir le nombre de ses élus dans la suite de toutes les races jusques à la fin du monde. »

Le commentateur a soin de souligner qu’il ne faut pas croire que la session à droite du Père implique une moindre puissance du Fils, ce qui est aussi un souci de Pascal :

« Or il ne faut pas, dit saint Chrysostome, nous troubler, quand nous entendons David dire ici Que le Seigneur, c’est-à-dire Dieu le Père, mettra sous les pieds du Seigneur son Fils tous ses ennemis, comme si le Fils était lui-même trop faible pour se les assujettir. Car ce que David attribue au Père, saint Paul l’attribue au Fils, en disant qu’il met lui-même ses ennemis sous ses pieds. Ainsi le Père et le Fils font conjointement ce que l’Écriture attribue tantôt au Père, et tantôt au Fils, quoique la puissance soit toujours particulièrement attribuée au Père, comme au principe des deux autres Personnes divines. Que notre dévotion soit donc de considérer souvent des yeux de la foi notre Chef assis dans le ciel à la droite de son Père, c’est-à-dire dans une parfaite égalité avec lui, travaillant à l’établissement du royaume de ses élus, et à l’assujettissement de ses ennemis ».

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, p. 177 sq., sur la session à droite du Père.