Pensées diverses III – Fragment n° 36 / 85 – Papier original : RO 433-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 126 p. 373 / C2 : p. 329 v°-331

Le texte a été ajouté dans l’édition de 1678 : Chap. XXIX - Pensées morales : 1678 n° 32 p. 282-283

Éditions savantes : Faugère II, 388 / Havet VI.25 / Brunschvicg 20 / Tourneur p. 102-2 / Le Guern 577 / Lafuma 683 (série XXV) / Sellier 562

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Bibliographie

 

 

DESCOTES Dominique, “Le problème de l’ordre chez Pascal”, in Papasogli Benedetta (dir.), Le Pensées di Pascal : dal disegno all’edizione, Studi francesi, 143, Torino, Rosenberg et Sellier, mai-août 2004, p. 281-300.

JULIEN-EYMARD D’ANGERS, Pascal et ses précurseurs, Paris, Nouvelles éditions latines, 1954.

LE GUERN Michel et Marie-Rose, Les Pensées de Pascal, de l’anthropologie à la théologie, Paris, Larousse, 1972.

MARIN Louis, La critique du discours. Sur la « logique de Port-Royal » et les « Pensées » de Pascal, Paris, Minuit, 1975.

MESNARD JEAN, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010.

STIKER-MÉTRAL Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris, Champion, 2007.

THIROUIN Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015.

 

 

Éclaircissements

 

Ordre.

 

Voir la liasse Ordre.

Descotes Dominique, “Le problème de l’ordre chez Pascal”, in Papasogli Benedetta (dir.), Le Pensées di Pascal : dal disegno all’edizione, Studi francesi, 143, Torino, Rosenberg et Sellier, mai-août 2004, p. 281-300.

 

Pourquoi prendrai‑je plutôt à diviser ma morale en quatre qu’en six ? Pourquoi établirai‑je plutôt la vertu en quatre, en deux, en un ?

 

Ma morale : Pascal n’a cependant jamais voulu écrire de Morale. La liasse Morale chrétienne ne comporte pas de telles divisions, et elle ne répond pas aux définitions de la morale que propose le présent fragment. Il faut croire que Pascal exprime ici les réflexions que devrait faire un auteur qui projette d’écrire une Éthique.

L’édition de Port-Royal renvoie explicitement aux « philosophes », ce qui n’est pas le cas ici.

Le problème s’est posé aux stoïciens, qui selon Diogène Laërce, VII, 84, Vies et doctrines des philosophes illustres, éd. Goulet-Cazé, Pochothèque, 1999 : «  La partie éthique de la philosophie, ils la divisent en lieu relatif à l’impulsion, en lieu relatif aux biens et aux maux et en lieu relatif aux passions, à la vertu, à la fin et à la valeur première, aux actions, aux devoirs, aux exhortations et aux dissuasions. Voilà la sous-division que proposent les Chrysippe, Archédémos, Zénon de Tarse, Apollodore, Diogène, Antipatros et Posidonios. Car Zénon de Kition et Cléanthe, dans la mesure où ils sont plus anciens, ont conçu les choses de façon plus simple. Ceux-ci ont cependant divisé et la logique et la physique ». Voir aussi Long et Sedley, Les philosophies hellénistiques, II, Les Stoïciens, Garnier-Flammarion, p. 398, et le commentaire p. 401.

Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 78, mentionne à propos de ce fragment la division classique de la philosophie ancienne en quatre : prudence, tempérance, justice, force d’âme.

Mais la cure de scepticisme que Pascal impose à son lecteur montre qu’il n’y a qu’une illusion dans ce projet de mettre de l’ordre dans l’exposition de la morale.

La division en quatre fait peut-être allusion aux quatre règles de la morale provisoire dans le Discours de la méthode de Descartes.

 

Pourquoi en abstine et sustine

 

Maxime stoïcienne attribuée à Épictète : « Abstiens-toi et supporte ».

Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVII, 19. « Enfin ce même Épictète (je l’ai entendu de la bouche de Favorinus) avait coutume de dire que les deux vices les plus graves et les plus honteux étaient l’impatience et l’incontinence : le premier, qui consiste à ne pas savoir endurer les injustices qu’il faut supporter ; le second, à ne pas savoir s’abstenir des plaisirs qu’on doit s’interdire. Voici deux paroles, disait-il ; gardez-les dans vos cœurs, observez-les en vous maîtrisant et veillant sur vous-même ; vous serez impeccables, et vivrez tranquille. Ces deux mots sont ἀνέχου καὶ ἀπέχου, supporte et abstiens-toi » (tr. des Œuvres complètes dans la collection dirigée par D. Nisard, 1865).

Le Jugement de Lipsius touchant Épictète qui figure dans l’édition des Propos d’Épictète de J. Goulu mentionne la maxime en question : « Sa vie fut très exacte et du tout conforme à ce dire, que si souvent il avait à la bouche, ἀνέχου καὶ ἀπέχου, soutiens et abstiens ».

Charron Pierre, De la sagesse, Préface. Le suivre nature, et « celui-ci a très grande étendue et presque seul suffirait ». Voir II, VII, 4 : « ce que le grand philosophe Épictète a très bien signifié, comprenant en deux mots toute la philosophie morale, sustine et abstine, soutiens les maux, c’est l’adversité : abstiens-toi des biens, c’est-à-dire des voluptés et de la prospérité ».

Sur le stoïcisme tel que Pascal l’entend, voir l’exposé sur Épictète dans l’Entretien avec M. de Sacy.

Julien-Eymard d’Angers, Pascal et ses précurseurs, p. 152. Point de départ d’une ascension vers l’abnégation de la croix, cette maxime n’est pas refusée par François de Sales.

 

plutôt qu’en suivre nature

 

Montaigne, Essais, III, 12, De la physionomie, éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 1106. « J’ai pris, comme j’ai dit ailleurs, bien simplement et cruement pour mon regard ce précepte ancien : que nous ne saurions faillir à suivre Nature : que le souverain précepte, c’est de se conformer à elle ».

On trouve cette maxime chez de nombreux philosophes de l’Antiquité. Mais elle est susceptible d’interprétations diverses, selon que par nature on entend celle de l’univers, celle de chaque individu, ou les deux à la fois.

Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, VII, 87, éd. Goulet-Cazé, Pochothèque, 1999, p. 847. « Zénon le premier, dans son traité Sur la nature de l’homme, a dit que la fin  était de vivre en accord avec la nature, ce qui signifie vivre selon la vertu. Car la nature nous conduit vers cette fin dernière. Semblablement Cléanthe dans sur traité Sur le plaisir, Posidonios et Hécaton dans leurs livres Sur les fins. Et encore, vivre selon la vertu équivaut à vivre en conformité avec l’expérience des événements naturels, comme le dit Chrysippe au premier livre de son traité Sur les fins. Car nos natures sont des parties de celle de l’univers. C’est pourquoi la fin devient : vivre en suivant la nature, c’est-à-dire à la fois la sienne propre et celle de l’univers ». Plus bas : « Chrysippe entend sous (le mot) nature, en conformité avec laquelle il faut vivre, à la fois la nature commune et de façon particulière la nature humaine. Cléanthe cependant n’entend par nature qu’il faut suivre que la nature commune, et non plus la nature particulière ». Voir les explications de Long et Sedley, Les philosophies hellénistiques, II, Les Stoïciens, Garnier-Flammarion, p. 398, et le commentaire p. 499 sq.

On trouve aussi dans le Manuel d’Épictète, XLIX, éd. E. Cattin et L. Jaffro, Garnier-Flammarion, p. 88, la déclaration : « Moi cependant, qu’est-ce que je veux ? Comprendre la nature et la suivre ». Mais le sens n’est pas le même.

Sur la position d’Épicure, voir Lettre à Ménécée, 127 sq., in Lettres et maximes, éd. Conche, Paris, Gallimard, 1987, p. 220-223.

 

ou faire ses affaires particulières sans injustice comme Platon, ou autre chose ?

 

Montaigne, Essais, III, 9, De la vanité, éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 999. Platon « estime la plus heureuse occupation, faire à chacun, faire ses particulières affaires sans injustice ».

La formule se trouve dans la lettre à Archytas de Tarente attribuée à Platon, in Œuvres complètes, II, éd. L. Robin, Pléiade, Paris, Gallimard, 1950, p. 1232. « Sans doute n’est-il rien de plus agréable dans la vie que de faire ce qui est notre affaire, et tout particulièrement quand notre choix s’est porté sur une occupation telle que celle qui est la tienne », savoir les mathématiques. Voir le texte grec de la Lettre Θ dans Platonis opera, V, 357 b-358 b, éd. J. Burnet, Oxford, 1967.

 

Mais voilà, direz‑vous, tout renfermé en un mot. Oui, mais cela est inutile si on ne l’explique. Et quand on vient à l’expliquer, dès qu’on ouvre ce précepte qui contient tous les autres, ils en sortent en la première confusion que vous vouliez éviter.

 

Sur la technique dialogique de la formule oui, mais… chez Pascal, comme expression du droit d’autrui à n’être pas convaincu, voir Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015, p. 245 sq.

Explique : Le Guern Michel et Marie-Rose, Les Pensées de Pascal, de l’anthropologie à la théologie, p. 74-75. Il faut presque comprendre au sens étymologique de déplier. L’explication établit un ordre, mais on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un ordre naturel ; la hiérarchie établie n’est qu’un effet de l’art, un simple procédé de présentation.

L’édition de Port-Royal emploie le mot développer, qui convient en effet.

L’explication, qui devrait éclaircir la pensée et la rendre persuasive, aboutit au contraire à la confusion.

Le principe général de ce fragment se trouve dans Laf. 684, Sel. 563, qui porte sur le problème de l’ordre naturel : Ordre. La nature a mis toutes ses vérités en soi-même. Notre art les renferme les unes dans les autres, mais cela n’est pas naturel. Chacune tient sa place.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 251-268. Les divisions des traités lassent les lecteurs, leurs découpages de la réalité sont artificiels et illusoires. La portée de cette pensée touche non seulement Charron et saint Thomas, mais elle atteint aussi Descartes.

Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015, p. 49 sq. Sur la critique pascalienne de l’idée de méthode, qui n’exclut pas un souci profond de l’ordre du discours. Pascal est à la recherche d’une solution intermédiaire entre les divisions ennuyeuses de Charron et la confusion. Voir le fragment Ordre 10 (Laf. 12, Sel. 46), que Pascal a commencé par intituler Division avant de se reprendre et d’écrire Ordre : Ordre. Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison. Vénérable, en donner respect. La rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie et puis montrer qu’elle est vraie. Vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme. Aimable parce qu’elle promet le vrai bien.

La solution de Pascal est suggérée par le fragment Laf. 532, Sel. 457. Pyrr[honisme]. J’écrirai ici mes pensées sans ordre et non pas peut-être dans une confusion sans dessein. C’est le véritable ordre et qui marquera toujours mon objet par le désordre même. Je ferais trop d’honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre puisque je veux montrer qu’il en est incapable.

Selon L. Thirouin, Pascal ne croit pas à la possibilité d’une disposition réellement ordonnée du discours. Voir Laf. 694, Sel. 573. Ordre. J’aurais bien pris ce discours d’ordre comme celui-ci : pour montrer la vanité de toutes sortes de conditions, montrer la vanité des vies communes, et puis la vanité des vies philosophiques, pyrrhoniennes, stoïques ; mais l’ordre n’y serait pas gardé. Je sais un peu ce que c’est, et combien peu de gens l’entendent. Nulle science humaine ne le peut garder. Saint Thomas ne l’a pas gardé. La mathématique le garde, mais elle est inutile en sa profondeur.

Pascal préfère une disposition éclatée, conforme à l’ordre du cœur (plutôt que de la charité), qui n’exclut pas la digression.

Voir Preuves de Jésus-Christ 1 (Laf. 298, Sel. 329). L’ordre. Contre l’objection que l’Écriture n’a pas d’ordre. Le cœur a son ordre, l’esprit a le sien qui est par principe et démonstration. Le cœur en a un autre. On ne prouve pas qu’on doit être aimé en exposant d’ordre les causes de l’amour ; cela serait ridicule. Jésus-Christ, Saint Paul ont l’ordre de la charité, non de l’esprit, car ils voulaient échauffer, non instruire. Saint Augustin de même. Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qui a rapport à la fin, pour la montrer toujours.

Voir les remarques que Jean Mesnard tire de ce fragment dans Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 402 sq.

Le processus que Pascal décrit ici pour l’ordre des propositions peut être, sous certains aspects, rapproché de celui que Louis Marin analyse dans La critique du discours, p. 115 sq., pour le développement anarchique de la diversité dans les idées que désignent les termes.

Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), p. 502 sq. Les sciences de l’homme sont, selon Pascal, livrées à la dispersion des points de vue, à la multiplicité des lieux de jugement. Ne rendant pas compte de leurs fondements, les impératifs moraux n’ont pas en eux de raison supérieure d’adhésion. Autrement dit, il est difficile de formuler une morale qui soit conforme à l’ordre naturel.

 

Ainsi quand ils sont tous renfermés en un, ils y sont cachés et inutiles comme en un coffre, et ne paraissent jamais qu’en leur confusion naturelle. La nature les a tous établis sans renfermer l’un en l’autre.

 

Coffre : meuble en forme de caisse, qui se ferme avec un couvercle et une serrure, et qui sert à serrer et à enfermer de l’argent, des hardes (Furetière). L’idée d’un stockage des idées qui fait violence à leur nature est clairement suggérée par cette image.

Ne paraissent jamais : entendre que les préceptes apparaissent quand on les sort pour ainsi dire du coffre, parce que, par nature, ils ne supportent pas les classifications et les divisions artificielles.

C’est l’effet de la diversité : voir les fragments

Misère 14 (Laf. 65, Sel. 99). Diversité. La théologie est une science, mais en même temps combien est-ce de sciences ? Un homme est un suppôt, mais si on l’anatomise, que sera-ce ? la tête, le cœur, l’estomac, les veines, chaque veine, chaque portion de veine, le sang, chaque humeur du sang ?

Une ville, une campagne, de loin c’est une ville et une campagne, mais à mesure qu’on s’approche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des jambes de fourmis, à l’infini. Tout cela s’enveloppe sous le nom de campagne.

Laf. 684, Sel. 563. Ordre. La nature a mis toutes ses vérités en soi-même. Notre art les renferme les unes dans les autres, mais cela n’est pas naturel. Chacune tient sa place.

Laf. 558, Sel. 465. La diversité est si ample que tous les tons de voix, tous les marchers, toussers, mouchers, éternuements [sont différents]. On distingue des fruits les raisins, et entre ceux-là les muscats, et puis Condrieu, et puis Desargues, et puis cette ente. Est-ce tout ? En a-t-elle jamais produit deux grappes pareilles ? Et une grappe a-t-elle deux grains pareils ? etc.

Je n’ai jamais jugé d’une même chose exactement de même. Je ne puis juger d’un ouvrage en le faisant. Il faut que je fasse comme les peintres et que je m’en éloigne, mais non pas trop. De combien donc ? Devinez.

Laf. 694, Sel. 573. Ordre. J’aurais bien pris ce discours d’ordre comme celui-ci : pour montrer la vanité de toutes sortes de conditions, montrer la vanité des vies communes, et puis la vanité des vies philosophiques, pyrrhoniennes, stoïques ; mais l’ordre n’y serait pas gardé. Je sais un peu ce que c’est, et combien peu de gens l’entendent. Nulle science humaine ne le peut garder. Saint Thomas ne l’a pas gardé. La mathématique le garde, mais elle est inutile en sa profondeur.

Le fragment suggère que les préceptes dans la morale et les principes dans la connaissance enferment les conséquences sans qu’il soit possible de les discerner nettement. Pascal dit en effet dans De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 23-24, qu’il faut beaucoup d’esprit pour savoir tirer d’un principe une suite ordonnée de conséquences. C’est même à propos de l’éloge de Descartes qu’il y fait cette remarque :

« Je voudrais demander à des personnes équitables si ce principe : La matière est dans une incapacité naturelle invincible de penser, et celui-ci : Je pense, donc je suis, soient en effet une même chose dans l’esprit de Descartes et dans l’esprit de saint Augustin, qui a dit la même chose douze cents ans auparavant.

En vérité je suis bien éloigné de dire que Descartes n’en soit pas le véritable auteur, quand même il ne l’aurait appris que dans la lecture de ce grand saint. Car je sais combien il y a de différence entre écrire un mot à l’aventure, sans y faire une réflexion plus longue et plus étendue, et apercevoir dans ce mot une suite admirable de conséquences, qui prouve la distinction des natures matérielle et spirituelle, et en faire un principe ferme et soutenu d’une physique entière, comme Descartes a prétendu faire. Car, sans examiner s’il a réussi efficacement dans sa prétention, je suppose qu’il l’ait fait, et c’est dans cette supposition que je dis que ce mot est aussi différent dans ses écrits d’avec le même mot dans les autres qui l’ont dit en passant, qu’un homme mort d’avec un homme plein de vie et de force.

Tel dira une chose de soi-même sans en comprendre l’excellence, où un autre comprendra une suite merveilleuse de conséquences qui nous font dire hardiment que ce n’est plus le même mot, et qu’il ne le doit non plus à celui d’où il l’a appris, qu’un arbre admirable n’appartiendra pas à celui qui en aurait jeté la semence, sans y penser et sans la connaître, dans une terre abondante qui en aurait profité de la sorte par sa propre fertilité.

Les mêmes pensées poussent quelquefois tout autrement dans un autre que dans leur auteur : infertiles dans leur champ naturel, abondantes étant transplantées ».

La remarque de Pascal sur l’impossibilité de tirer les conséquences des principes en conservant l’ordre doit donc être considérée non pas comme absolue, mais comme relative. La mathématique fait sur ce point exception.

L’édition des Pensées de 1678 porte un complément des éditeurs ; après « La nature les a tous établis chacun en soi-même », lire « et quoiqu’on les puisse enfermer l’un dans l’autre, ils subsistent indépendamment l’un de l’autre. Ainsi toutes ces divisions et ces mots n’ont guère d’autre utilité que d’aider la mémoire, et de servir d’adresse pour trouver ce qu’ils renferment » (p. 282-283 de l’édition de 1678). Cette remarque établit un lien entre le présent fragment et la Logique ou l’art de penser. Les Discours préliminaires de la Logique soulignent pourtant que les divisions sont plus utiles que les catégories tirées d’Aristote ; voir Logique, II, XI (éd. de 1664), éd. Descotes, Paris, Champion, 2014, p. 285 sq. Voir aussi IV, IX (éd. de 1664), p. 580 sq., qui critique le défaut qui consiste à ne pas user des divisions nécessaires. La nécessité des divisions pour procéder méthodiquement est affirmée dans le Discours de la méthode, II, AT VI, p. 18, Alquié I, p. 586, qui prescrit « de diviser chacune des difficultés [...] en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre » ; et dans la Géométrie, Livre I, AT VI, p. 374, § 2 : « Se servir de toutes les divisions possibles pour trouver les plus simples termes ». Avant Descartes, Stevin insiste sur leur nécessité dans la mathématique : voir Œuvres mathématiques, tr. Girard, Le premier livre de la géographie, p. 126 sq., De la dichotomie : la dichotomie permet d’expliquer « avec grande certitude toutes les parties d’un tout, ou les espèces d’un genre que l’on veut décrire », et de suivre l’ordre des parties.