Pensées diverses III – Fragment n° 73 / 85 – Papier original : RO 427-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 144 p. 381 v° / C2 : p. 341 v°
Éditions savantes : Faugère I, 321, IX / Brunschvicg 896 / Tourneur p. 109-3 / Le Guern 751 / Lafuma 970 / Sellier 599
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Bibliographie ✍
Voir le dossier thématique Schisme, hérésie, apostasie. Voir la Provinciale XVII. |
✧ Éclaircissements
C’est en vain que l’Église a établi ces mots d’anathème, hérésies, etc. On s’en sert contre elle.
Anathème : voir Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 54. Dans l’usage juif puis chrétien, le mot désigne tout ce qui est l’objet d’une malédiction, et enfin la malédiction elle-même. Dans l’usage des conciles, l’anathème est la condamnation d’une proposition jugée hérétique ou malsonnante. Pascal donne quelques exemples de déclarations d’anathème prononcées par l’Église contre le pélagianisme dans les Écrits sur la grâce, Lettre sur la possibilité des commandements, OC III, éd. J. Mesnard, p. 642 sq.
Sur le mot hérésie, voir le dossier thématique Schisme, hérésie, apostasie.
En quel sens se sert-on contre l’Église du mot d’anathème ?
Les auteurs de Port-Royal ont dû s’opposer au bruit que faisaient courir les jésuites que Jansénius avait subi l’anathème de Rome. Ainsi par exemple, dans un texte composé avant le mois de mars 1654, et édité en 1654, par Antoine Arnauld, Mémoire sur le dessein qu’ont les jésuites de faire retomber la censure des cinq propositions sur la véritable doctrine de saint Augustin, sous le nom de Jansénius, Œuvres, XIX, p. 196-207. Selon Arnauld les adversaires de saint Augustin ont fabriqué les propositions « pour les exposer à la censure » et « faire retomber ensuite cette censure sur tous les sentiments de saint Augustin, qui sont contraires à leurs nouvelles opinions ». Cependant, écrit-il dans le § II, « Non seulement le pape ne dit point qu’il condamne les propositions dans le sens de Jansénius, mais la censure de la première, qui est la seule dont les termes sont pris dans Jansénius, quoique tronqués et altérés, fait voir clairement qu’il l’a condamnée dans le sens de Luther et de Calvin, tout différent de celui de Jansénius : car il dit que cette proposition a été condamnée d’anathème, anathemate damnatam : ce qui ne peut avoir de rapport qu’au concile de Trente, qui a rejeté, comme digne d’anathème, ce qu’ont enseigné Luther et Calvin touchant l’impossibilité des commandements de Dieu ; savoir qu’ils sont impossibles à tous les justes, quelque volonté qu’ils aient de les accomplir, et dans toute l’étendue des forces que la grâce de Dieu leur donne en cette vie : ce qui est tout à fait contraire à la doctrine de saint Augustin, que rapporte M. d’Ypres, qui ne reconnaît qu’en quelques justes, comme saint Pierre, et non en tous, comme disent ces deux hérétiques, quelque impuissance d’observer quelques commandements en quelques rencontres particulières et passagères, comme fut le renoncement de saint Pierre, et non en toute leur vie, et lorsqu’ils ne le veulent que faiblement, et non point lorsque la grâce leur en donne une volonté pleine et forte, comme elle fait tous les jours en une infinité de justes. »
En quel sens l’Église est-elle taxée d’hérésie ?
Voir la Provinciale XVII, à laquelle l’édition de Wendrock attribue le titre On fait voir, en levant l’équivoque du sens de Jansénius, qu’il n’y a aucune hérésie dans l’Église. On montre, par les consentements unanimes de tous les théologiens, et principalement des jésuites, que l’autorité des papes, des conciles œcuméniques n’est point infaillible dans les questions de fait.
En répandant le bruit que les jansénistes introduisent une hérésie dans l’Église, alors qu’ils ne font que suivre la tradition et la doctrine des Pères, les jésuites se servent d’une notion formée par l’Église pour semer en elle la discorde et la division.
Le reproche de complicité avec les hérétiques calvinistes de Genève a surtout été proféré de manière publique et bruyante par le jésuite Bernard Meynier, dans un livre intitulé Port-Royal et Genève d’intelligence contre le très Saint Sacrement de l’Autel dans leurs livres, et particulièrement dans les équivoques de l’article XV de la seconde partie de la Seconde Lettre de M. Arnauld, Poitiers, J. F. Fleuriau, 1656.
Contre Pascal, encore auteur anonyme des Provinciales, c’est le P. Nouët qui a ouvert le feu dans la Lettre à une personne de condition sur la conformité des reproches et des calomnies que les jansénistes publient contre les Pères de la Compagnie de Jésus avec celles que le ministre Du Moulin a publiées devant eux, juillet 1656, qui l’accuse d’avoir puisé dans le Dénombrement des traditions romaines du pasteur Du Moulin.
Provinciale XVII, § 9. « Car n’est-il pas vrai que, si l’on demande en quoi consiste l’hérésie de ceux que vous appelez jansénistes, on répondra incontinent que c’est en ce que ces gens-là disent que les commandements de Dieu sont impossibles ; qu’on ne peut résister à la grâce, et qu’on n’a pas la liberté de faire le bien et le mal ; que Jésus-Christ n’est pas mort pour tous les hommes, mais seulement pour les prédestinés et enfin, qu’ils soutiennent les cinq propositions condamnées par le Pape ? ».
N’importe quelle accusation tient lieu d’arme contre les disciples de saint Augustin et les taxer d’hérésie :
Miracles III (Laf. 877, Sel. 441). S’ils disent qu’ils sont soumis au pape c’est une hypocrisie.
S’ils sont prêts à souscrire toutes ses constitutions cela ne suffit pas.
S’ils disent que notre salut dépend de Dieu ce sont des hérétiques.
S’ils disent qu’il ne faut pas tuer pour une pomme ils combattent la morale des catholiques.
S’il se fait des miracles parmi eux ce n’est point une marque de sainteté et c’est au contraire un soupçon d’hérésie.
C’est pourquoi, dans cette XVIIe Provinciale, Pascal entreprend de « détruire ce reproche ordinaire d’hérésie » que les jésuites répandent partout. Voir la Provinciale XVII, § 8. « J’apprendrai par là à tout le monde la fausseté de ce bruit scandaleux que vous semez de tous côtés, que l’Église est divisée par une nouvelle hérésie. Et comme vous abusez une infinité de personnes en leur faisant accroire que les points sur lesquels vous essayez d’exciter un si grand orage sont essentiels à la foi, je trouve d’une extrême importance de détruire ces fausses impressions, et d’expliquer ici nettement en quoi ils consistent, pour montrer qu’en effet il n’y a point d’hérétiques dans l’Église. »
Les amis de Pascal reprennent le même thème, par exemple dans Arnauld Antoine et Nicole Pierre, Défense des Professeurs en théologie de la Faculté de Bordeaux, 1660, p. 4. Il n’y a pas d’hérésie dans l’Église.
Il faut aussi rappeler que les invectives d’hérésie et d’anathème portées contre Arnauld ont donné matière à son procès en Sorbonne. Pascal le rappelle, non sans ironie, dans la IIIe Provinciale, « cette censure si célèbre et si attendue a enfin paru après tant d’assemblées. Mais, hélas ! elle a bien frustré notre attente. Soit que les docteurs molinistes n’aient pas daigné s’abaisser jusqu’à nous en instruire, soit pour quelque autre raison secrète, ils n’ont fait autre chose que prononcer ces paroles : Cette proposition est téméraire, impie, blasphématoire, frappée d’anathème et hérétique ». Pascal rappelle du reste que ces termes n’ont pas été les seuls prononcés à ce propos par les ennemis d’Arnauld, mais que l’on entendait outre hérésie et anathème, ceux « de poison, de peste, d’horreur, de témérité, d’impiété, de blasphème, d’abomination, d’exécration, [...] qui sont les plus horribles expressions qu’on pourrait former contre Arius, et contre l’Antéchrist même ».