Pensées diverses III – Fragment n° 78 / 85 – Papier original : RO 435-5
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 146 p. 383 / C2 : p. 343
Éditions savantes : Faugère I, 270, XV / Brunschvicg 922 / Tourneur p. 110-1 / Le Guern 614 / Lafuma 722 (série XXV) / Sellier 604
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Bibliographie ✍
BLUCHE François (dir.), Dictionnaire du grand siècle, art. Prêt à intérêt, Duel, Sodomie, Paris, Fayard, 1990. CARIOU Pierre, Pascal et la casuistique, Presses Universitaires de France, Paris, 1993. DANIEL Gabriel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, Amsterdam, Donato Donati, 1697. Dictionnaire de théologie catholique, article Usure. DOMAT Jean, Les lois civiles dans leur ordre naturel, t. I, 2e éd., Paris, Coignard, 1695. GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011. GAY Jean-Pascal, “La théologie morale dans le pré : la casuistique du duel dans l’affrontement entre laxisme et rigorisme en France au XVIIe siècle”, Histoire, économie, société, 24, 2005, p. 171-194. JOUSLIN Olivier, « Rien ne nous plaît que le combat ». La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, 2 vol. LE GUERN Michel, “Sur la bataille des Provinciales, documents inédits”, Revue d’histoire littéraire de la France, avril-juin 1967, p. 606-608. LESAULNIER Jean, Port-Royal insolite, Paris, Klincksieck, 1992. Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, Paris, Didot, 1851. PIROT Georges, Apologie pour les casuistes contre les calomnies des Jansénistes, Cologne, P. de La Vallée, 1658. PONTAS Jean, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847. QUERAS, Lettre à Périer, in PASCAL, Œuvres complètes, éd. J. Mesnard, II, p. 904 sq. TAVENEAUX René, Jansénisme et prêt à intérêt, Paris, Vrin, 1977. THOMASSIN Louis, Traité du négoce et de l’usure, Roulland, Paris, 1697. |
✧ Éclaircissements
Que l’Église a bien défendu le duel, mais non pas de se promener.
Noter l’ironie et l’humour de la formule. On imagine mal que l’Église ait pensé à interdire la promenade.
Voir Laf. 722, Sel. 602, qui donne des informations essentielles sur le duel. Nous ne mentionnons ici que les textes qui intéressent les méthodes permettant aux casuistes de l’autoriser en paraissant en approuver l’interdiction.
Sur le duel, voir le commentaire du fragment Laf. 644, Sel. 529 bis. Peut-ce être autre chose que la complaisance du monde qui vous fasse trouver les choses probables ? Nous ferez-vous accroire que ce soit la vérité et que si la mode du duel n’était point, vous trouveriez probable qu’on se peut battre en regardant la chose en elle-même ?
Gay Jean-Pascal, “La théologie morale dans le pré : la casuistique du duel dans l’affrontement entre laxisme et rigorisme en France au XVIIe siècle”, Histoire, économie, société, 24, 2005, p. 171-194. ✍
Pontas Jean, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 705 sq. Le duel est un combat prémédité de deux ou de plusieurs personnes qui conviennent d’un lieu et d’un temps pour se battre, avec danger de se tuer ou de se blesser.
La manière dont les casuistes s’y prennent pour l’autoriser consiste à diviser l’acte du duel en plusieurs actions qui semblent par elles-mêmes innocentes, mais dont la somme compose bel et bien le combat singulier : « Car quel mal y a-t-il d’aller dans un champ, de s’y promener en attendant un homme, et de se défendre si on l’y vient attaquer ? » (Provinciale VII, éd. Sellier-Ferreyrolles, Garnier, p. 120).
Voir Escobar, Liber theologiae moralis, Lyon, 1659. Voir Tract. I, Examen VII, De legibus in particulari circa materiam quinti mandati Decalogi de occisione, p. 111 sq. ; notamment le Caput II, De variis homicidis speciebus, p. 112 sq. ✍
Pascal traite de problème du duel dans plusieurs Provinciales :
Provinciale VII, éd. cit., p. 119-120.
« Montrez-moi, lui dis-je, avec toute cette direction d’intention, qu’il soit permis de se battre en duel. Notre grand Hurtado de Mendoza, dit le Père, vous y satisfera sur l’heure, dans ce passage que Diana rapporte p. 5 tr. 14, r. 99. Si un gentilhomme qui est appelé en duel, est connu pour n’être pas dévot, et que les péchés qu’on lui voit commettre à toute heure sans scrupule, fassent aisément juger, que s’il refuse le duel, ce n’est pas par la crainte de Dieu, mais par timidité ; et qu’ainsi on dise de lui que c’est une poule, et non pas un homme, gallina et non vir ; il peut pour conserver son honneur, se trouver au lieu assigné, non pas véritablement avec l’intention expresse de se battre en duel, mais seulement avec celle de se défendre, si celui qui l’a appelé l’y vient attaquer injustement. Et son action sera tout indifférente d’elle-même. Car quel mal y a-t-il d’aller dans un champ, de s’y promener en attendant un homme, et de se défendre si on l’y vient attaquer. Et ainsi il ne pèche en aucune manière, puisque ce n’est point du tout accepter un duel, ayant l’intention dirigée à d’autres circonstances. Car l’acceptation du duel consiste en l’intention expresse de se battre, laquelle celui-ci n’a pas.
Vous ne m’avez pas tenu parole, mon père. Ce n’est pas là proprement permettre le duel. Au contraire il évite de dire que c’en soit un pour rendre la chose permise ; tant il la croit défendue. Ho, ho, dit le père, vous commencez à pénétrer, j’en suis ravi. Je pourrais dire néanmoins qu’il permet en cela tout ce que demandent ceux qui se battent en duel. Mais puisqu’il faut vous répondre juste, notre père Layman le fera pour moi, en permettant le duel en mots propres, pourvu qu’on dirige son intention à l’accepter seulement pour conserver son honneur, ou sa fortune. C’est au l. 3, p. 3, c. 3, n. 2 et 3. Si un soldat à l’armée, ou un gentilhomme à la cour, se trouve en état de perdre son honneur, ou sa fortune s’il n’accepte un duel, je ne vois pas que l’on puisse condamner celui qui le reçoit pour se défendre. Petrus Hurtado dit la même chose au rapport de notre célèbre Escobar, au tr. I, ex. 7, n. 96, et au n. 98. Il ajoute ces paroles de Hurtado : Qu’on peut se battre en duel pour défendre même son bien, s’il n’y a que ce moyen de le conserver, parce que chacun a le droit de défendre son bien, et même par la mort de ses ennemis. J’admirai sur ces passages de voir que la piété du Roi emploie sa puissance à défendre et à abolir le duel dans ses États ; et que la piété des jésuites occupe leur subtilité à le permettre et à l’autoriser dans l’Église. Mais le bon père était si en train, qu’on lui eût fait tort de l’arrêter, de sorte qu’il poursuivit ainsi. Enfin, dit-il, Sanchez, voyez un peu quels gens je vous cite, fait plus. Car il permet non seulement de recevoir, mais encore d’offrir le duel, en dirigeant bien son intention. Et notre Escobar le suit en cela au même lieu n. 97. Mon père, lui dis-je, je le quitte si cela est ; mais je ne croirai jamais qu’il l’ait écrit, si je ne le vois. Lisez-le donc vous-même, me dit-il ; et je lus en effet ces mots dans la Théologie morale de Sanchez, l. 2, c. 39, n. 7. « Il est bien raisonnable de dire, qu’un homme peut se battre en duel pour sauver sa vie, son honneur, ou son bien en une quantité considérable, lorsqu’il est constant qu’on les lui veut ravir injustement, par des procès et des chicaneries, et qu’il n’y a que ce seul moyen de les conserver. Et Navarrus dit fort bien, qu’en cette occasion il est permis d’accepter, et d’offrir le duel ; Licet acceptare, et offerre duellum. Et aussi qu’on peut tuer en cachette son ennemi : Et même, en ces rencontres-là on ne doit point user de la voie du duel, si on peut tuer en cachette son homme, et sortir par là d’affaire. Car par ce moyen on évitera tout ensemble, et d’exposer sa vie dans un combat, et de participer au péché que notre ennemi commettrait par un duel ».
Voilà, mon père, lui dis-je, un pieux guet-apens : mais, quoique pieux, il demeure toujours guet-apens, puisqu’il est permis de tuer son ennemi en trahison. Vous ai-je dit, répliqua le Père, qu’on tuer en trahison ? Dieu m’en garde. Je vous dis qu’on peut tuer en cachette ; et de là vous concluez qu’on peut tuer en trahison, comme si c’était la même chose. Apprenez d’Escobar, tr. 6, exa. 4, n. 26, ce que c’est que tuer en trahison, et puis vous parlerez. On appelle tuer en trahison, quand on tue celui qui ne s’en défie en aucune manière. Et c’est pourquoi celui qui tue son ennemi n’est pas dit le tuer en trahison, quoique ce soit par derrière, ou dans une embûche ; licet per insidias, aut a tergo percutiat. Et au même traité, n. 56. Celui qui tue son ennemi avec lequel il s’était réconcilié sous promesse de ne plus attenter à sa vie, n’est pas absolument dit le tuer en trahison, à moins qu’il n’y eût entre eux une amitié bien étroite, arctior amicitia. »
Provinciale XIV, éd. cit. p. 263-264.
« Aussi, mes Pères, il est constant que vos auteurs permettent de tuer pour la défense de son bien et de son honneur, sans qu’on soit en aucun péril de sa vie. Et c’est par ce même principe qu’ils autorisent les duels, comme je l’ai fait voir par tant de passages sur lesquels vous n’avez rien répondu. Vous n’attaquez dans vos écrits qu’un seul passage de votre P. Layman, qui le permet, lorsque autrement on serait en péril de perdre sa fortune ou son honneur : et vous dites que j’ai supprimé ce qu’il ajoute, que ce cas-là est fort rare. Je vous admire, mes Pères ; voilà de plaisantes impostures que vous me reprochez ! Il est bien question de savoir si ce cas-là est rare ! il s’agit de savoir si le duel y est permis. Ce sont deux questions séparées. Layman, en qualité de casuiste, doit juger si le duel y est permis, et il déclare que oui. Nous jugerons bien sans lui si ce cas-là est rare, et nous lui déclarerons qu’il est fort ordinaire. Et si vous aimez [mieux] en croire votre bon ami Diana, il vous dira qu’il est fort commun, part. 5, tract. 14, misc. 2, resol. 99. Mais qu’il soit rare ou non, et que Layman suive en cela Navarre, comme vous le faites tant valoir, n’est-ce pas une chose abominable qu’il consente à cette opinion : Que, pour conserver un faux honneur, il soit permis en conscience d’accepter un duel, contre les édits de tous les Etats chrétiens, et contre tous les Canons de l’Eglise, sans que vous ayez encore ici pour autoriser toutes ces maximes diaboliques, ni lois, ni Canons, ni autorités de l’Écriture ou des Pères, ni exemple d’aucun saint, mais seulement ce raisonnement impie : L’honneur est plus cher que la vie ; or, il est permis de tuer pour défendre sa vie : donc il est permis de tuer pour défendre son honneur ? Quoi ! mes Pères, parce que le dérèglement des hommes leur a fait aimer ce faux honneur plus que la vie que Dieu leur a donnée pour le servir, il leur sera permis de tuer pour le conserver ? C’est cela même qui est un mal horrible, d’aimer cet honneur-là plus que la vie. Et cependant cette attache vicieuse, qui serait capable de souiller les actions les plus saintes, si on les rapportait à cette fin, sera capable de justifier les plus criminelles, parce qu’on les rapporte à cette fin ! »
Il peut être utile de lire la Note de Wendrock de la XIVe Provinciale, ou Dissertation théologique sur l’homicide, quoiqu’elle traite de l’homicide en général, et non pas seulement du duel.
Et aussi l’usure, mais non...
Usure est un « faux ami ». Voir Provinciales, éd. Cognet, p. 137. Par usure, il faut entendre le simple prêt à intérêt, même à un taux modéré. En majorité, les moralistes catholiques le condamnent, mais il s’introduit progressivement sous la contrainte des nécessités commerciales et économiques. Voir Bluche François (dir.), Dictionnaire du grand siècle, p. 766, art. Prêt à intérêt.
Deutéronome, XXIII, 19-20, tr. Lemaistre de Sacy, p. 322-324. Explication historique. L’usure était permise aux Juifs, mais envers les étrangers et non entre eux. Pour les chrétiens, il y a une usure sainte : « pour un peu d’or et un peu d’argent qu’il donne à son frère, il acquiert et devant Dieu, et devant les hommes, le mérite d’une douceur, d’une bonté et d’une générosité vraiment chrétienne. C’est là l’usure permise aux enfants de Dieu, qui se procurent des biens éternels par le commerce passager d’un bien périssable, et qui en donnant un peu de terre, se rendent dignes du ciel ; d’après Clément d’Alexandrie, Strom., lib. 2, p. 397 ». Selon saint Jean Chrysostome, « l’usure qui est criminelle ruine le débiteur et perd devant Dieu le créancier ».
Dictionnaire de théologie catholique, article Usure. Dans l’antiquité biblique, le prêt, comme service que l’on rend à ses voisins, doit être gratuit : col. 2316. Il ne faut pas exiger d’intérêt : col. 2317. Le prêt à intérêt est permis vis à vis des gens des autres nations : col. 2317. Au Moyen Âge c’est un principe que nummus non parit nummos : col. 2319. L’argent, qui est non frugifère, ne peut engendrer un gain, col. 2350. Clément d’Alexandrie et d’autres Pères de l’Église dénoncent les pratiques du prêt à intérêt : col. 2324. Celui qui prête augmente l’indigence de son emprunteur au lieu de la diminuer : col. 2325. Danger social de l’usure, mais aussi spirituel pour le salut éternel, comme l’indique saint Jean Chrysostome : col. 2326. La prohibition de l’usure s’étend à tous les chrétiens par le Concile de Clichy en 626 : col. 2332. À la fin de l’âge carolingien, l’Église a en main les armes nécessaires pour lutter contre l’usure : col. 2335. La condamnation de l’usure s’appuie à la fois sur l’autorité sacrée, la morale naturelle, l’ordre social et les droits positifs : col. 2349.
Mais les transformations économiques ouvrent à tous (et non seulement aux usuriers professionnels) de vastes perspectives de spéculation et de gain. Naissance du crédit public : col. 2340. Théorie générale : col. 2347. À partir du XVIe siècle on voit apparaître de nouvelles formes de contrats et d’associations : col. 2373. Le damnum emergens est depuis longtemps reconnu valable et justifie la stipulation d’un bénéfice compensatoire : col. 2347. Contre le lucrum cessans, le manque à gagner, les préventions tombent peu à peu. Quoique sur le periculum sortis les résistances aient été plus fermes, il a été admis tout de même : col. 2374-2375. Calvin nie le principe de stérilité de l’argent ; l’intérêt du prêt n’est interdit en morale que s’il excède un tarif modéré ou s’il est exigé des pauvres : col. 2375. Casuistes et jansénistes : col. 2376. En France se pose le problème des prêts de commerce : col. 2376. La doctrine catholique a refusé d’entrer dans la perspective du prêt comme service rendu à l’emprunteur ; la justification doit être établie du côté du prêteur, qui doit montrer qu’il subit une gêne en prêtant pour justifier l’intérêt : col. 2377.
La meilleure référence pour connaître les idées du milieu janséniste sur l’usure est le juriste Jean Domat, ami et exécuteur testamentaire de Pascal.
Domat Jean, Les lois civiles, I, 2e éd., p. 239 sq. On appelle usure tout ce que le créancier qui a prêté de l’argent ou des denrées peut recevoir de plus que la valeur de ce qu’il a prêté. L’usure est naturellement illicite et criminelle : p. 243. Les seuls fondements de l’usure sont la cupidité du prêteur et l’indigence de l’emprunteur. L’obligation du prêt ne peut excéder la chose prêtée : le créancier peut stipuler moins qu’il n’a prêté, mais non davantage : p. 263, § VII ; p. 266, § IV.
Dans le prêt à intérêt, celui qui prête ne répond d’aucun profit à celui qui emprunte, et ne laisse pas de s’assurer un profit certain : p. 247. Il prend un profit sûr, d’une chose qui n’est pas à lui, qui par nature ne produit pas de fruit, mais peut seulement être mise en usage par l’industrie de l’emprunteur, quand l’autre ne peut avoir que de la perte : p. 247. Les usuriers soutiennent qu’ils font plaisir, et se privent du gain qu’ils pourraient tirer de leur argent ; c’est vrai, mais c’est le caractère naturel du prêt ; « il serait bien étrange que par un contrat dont l’usage essentiel est de faire un bienfait, on pût mettre en commerce ce bienfait même » : p. 248. Cela contredirait la loi de bienfaisance qui est le fondement des lois. « Le prêt n’est pas inventé pour le profit de ceux qui prêtent, mais pour l’usage de ceux qui empruntent » : p. 250. Le seul titre de l’usure est la cupidité de celui qui prête et l’indigence de celui qui emprunte, combinaison qui a donné lieu au commerce des usuriers : p. 251. L’usure est un piège tendu par l’usurier « pour faire sa proie de ceux qui y tombent », voir Psaumes, IX, 30. Sur la fainéantise où l’usure entraîne l’usurier : p. 252. Avec la facilité d’un « profit sans industrie, sans risque et sans peine », l’usurier réduit le débiteur, réduit à l’esclavage de payer toujours inutilement : p. 252. L’intérêt est légitime dans le cas où celui qui a emprunté ne payant pas au terme, le créancier demande son paiement en justice, avec les intérêts pour le retardement : p. 259 ; voir p. 267, § III. Les contrats de rentes sont aussi exceptés : p. 260.
Pour approfondir, lire Taveneaux René, Jansénisme et prêt à intérêt, Paris, Vrin, 1977, et Taveneaux René, Jansénisme et politique, Paris, Colin, 1966, p. 164.
Wendrock, Provinciales, tr. Joncoux, I, éd. de 1700, p. 433 sq. Références des canons contre l’usure depuis le premier concile de Carthage (348) : p. 435.
Queras, Lettre à Florin Périer, in Pascal, Œuvres complètes, éd. Mesnard, II, p. 904 sq., contient la réponse à une consultation juridique demandée par le beau-frère de Pascal, ainsi qu’une condamnation rigoureuse de l’usure, conforme à la tradition de l’Église.
Comme c’est souvent le cas, Pascal a eu des idées originales dans son milieu : il a écrit un petit ouvrage perdu sur l’usure : OC I, éd. J. Mesnard, p. 892 et 256. Le Recueil de choses diverses indique qu’ « on a brûlé un petit traité de l’usure de M. Pascal où il semble la permettre en de certaines rencontres. M. Dirois était de son avis ». La perte de ce document ne permet pas de préciser en quelles circonstances Pascal jugeait le prêt à intérêt permis. Voir la note de Lesaulnier Jean, Port-Royal insolite, Paris, Klincksieck, 1992, p. 348.
Pascal aborde la question de l’usure dans plusieurs passages des Provinciales.
Voir Provinciale VIII, § 5.
« Parlons maintenant des gens d’affaires. Vous savez que la plus grande peine qu’on ait avec eux, est de les détourner de l’usure ; et c’est aussi à quoi nos Pères ont pris un soin particulier ; car ils détestent si fort ce vice, qu’Escobar dit au tr. 3. ex. 5. n. 1. que de dire que l’usure n’est pas péché, ce serait une hérésie. Et notre Père Bauny, dans sa Somme des péchés, ch. 14. remplit plusieurs pages des peines dues aux usuriers. Il les déclare infâmes durant leur vie, et indignes de sépulture après leur mort. Ô mon Père, je ne le croyais pas si sévère ! Il l’est quand il le faut, me dit-il ; mais aussi ce savant casuiste ayant remarqué qu’on n’est attiré à l’usure que par le désir du gain, il dit au même lieu. L’on n’obligerait donc pas peu le monde, si le garantissant des mauvais effets de l’usure, et tout ensemble du péché qui en est la cause, l’on lui donnait le moyen de tirer autant et plus de profit de son argent par quelque bon et légitime emploi, que l’on n’en tire des usures. Sans doute, mon Père, il n’y aurait plus d’usuriers après cela. Et c’est pourquoi, dit-il, il en a fourni une méthode générale pour toutes sortes de personnes ; Gentilshommes, Présidents, Conseillers, etc. et si facile, qu’elle ne consiste qu’en l’usage de certaines paroles qu’il faut prononcer en prêtant son argent ; ensuite desquelles on peut en prendre du profit, sans craindre qu’il soit usuraire, comme il est sans doute qu’il l’aurait été autrement. Et quels sont donc ces termes mystérieux, mon Père ? Les voici, me dit-il, et en mots propres ; car vous savez qu’il a fait son livre de la Somme des péchés en français, pour être entendu de tout le monde, comme il le dit dans la préface. Celui à qui on demande de l’argent répondra donc en cette sorte : Je n’ai point d’argent à prêter ; si ai bien à mettre à profit honnête et licite. Si désirez la somme que demandez pour la faire valoir par votre industrie à moitié gain, moitié perte, peut-être m’y résoudrai-je. Bien est vrai qu’à cause qu’il y a trop de peine à s’accommoder pour le profit, si vous m’en voulez assurer un certain, et quant et quant aussi mon sort principal, qu’il ne coure fortune, nous tomberions bien plus tôt d’accord ; et vous ferai toucher argent dans cette heure. N’est-ce pas là un moyen bien aisé de gagner de l’argent sans pécher ? Et le P. Bauny n’a-t-il pas raison de dire ces paroles, par lesquelles il conclut cette méthode. Voilà à mon avis, le moyen par lequel quantité de personnes dans le monde, qui, par leurs usures, extorsions, et contrats illicites, se provoquent la juste indignation de Dieu, se peuvent sauver en faisant de beaux, honnêtes et licites profits.
Ô mon Père, lui dis-je, voilà des paroles bien puissantes ! Je vous proteste que si je ne savais qu’elles viennent de bonne part, je les prendrais pour quelques-uns de ces mots enchantés qui ont le pouvoir de rompe un charme. Sans doute elles ont quelque vertu occulte pour chasser l’usure, que je n’entends pas ; car j’ai toujours pensé que ce péché consistait à retirer plus d’argent qu’on n’en a prêté. Vous l’entendez bien peu, me dit-il : L’usure ne consiste presque selon nos Pères qu’en l’intention de prendre ce profit comme usuraire. Et c’est pourquoi notre Père Escobar fait éviter l’usure par un simple détour d’intention. C’est au tr. 3. ex. 5. n. 4. 33. 44. Ce serait usure, dit-il, de prendre du profit de ceux à qui on prête, si on l’exigeait comme dû par justice ; mais, si on l’exige comme dû par reconnaissance, ce n’est point usure. Et n. 3. Il n’est pas permis d’avoir l’intention de profiter de l’argent prêté immédiatement, mais de le prétendre par l’entremise de la bienveillance, media benevolentia, ce n’est point usure. »
♦ Un casuiste sur l’usure
Bauny Étienne, Somme des péchés qui se commettent en tous états, 6e éd., Paris, Soly, 1641, voir le ch. XIV, sur l’usure, p. 309 sq. Définition de l’usure : « quand en vertu du prêt, l’on reçoit plus que l’on a baillé, non en argent tant seulement, mais en toute autre chose qui l’équipolle, et le vaut ». Quand la somme qu’on reçoit sur le sort principal est notable, quand l’excès est considérable en quantité, l’usure est infailliblement mortelle, « car c’est contre justice d’exiger du légitime possesseur quelque chose, afin qu’il ait l’usage libre de ce qui est à lui [...]. Or par le prêt se fait un si parfait transport de la chose prêtée en celui qui la reçoit, qu’il en devient le maître [...] ; c’est donc lui faire tort que de l’astreindre à quelque chose, distincte et différente dudit tort » : p. 309-310.
La première cause permettant de recevoir plus qu’on n’a prêté est le dam émargeant, damnum emergens, un dommage évident qui résulte du prêt, comme si pour secourir un homme on devait recourir à un prêt, avec obligation de payer l’intérêt : p. 310-311. La raison, c’est « qu’il n’y a loi qui oblige personne d’assister son prochain, avec quelque dommage notable de soi » : p. 311. Il en va de même si l’emprunteur rendant avec retard, le prêteur pâtit de quelque incommodité.
Deuxième cause de permission : le lucrum cessans, lorsque « à raison du prêt, le créditeur ne peut point employer ses deniers en quelque honnête trafic, duquel il eût reçu quelque sorte de gain », dans la mesure où il est légitime de préférer l’avancement de ses propres affaires à celles du prochain : p. 312.
Troisième cause : ratione periculi, à cause du danger de la personne qui risque de perdre son argent en le remettant aux mains d’un inconnu qui dissipe et dilapide tout : p. 315.
« Il n’est point toutefois défendu au créancier de recevoir tout ce que le débiteur ou mutuataire lui offre en reconnaissance de la grâce qu’il a reçue de lui, quand il l’a secouru d’argent, l’écrivent P. de Navar. Li. 3. de restitutione. C. 2. Lopez. 2. part. de son instruc. Chap. 55. qu. I. car pour avoir bien fait, il ne doit, ni peut être injustement privé de son pouvoir, que tous ont, d’accepter les bonnes volontés des autres envers eux. Jusques-là qu’il s’en trouve qui avancent, qu’il est licite autant que de prêter, d’accorder, et pactiser avec son débiteur, ou mutuataire, qu’il reconnaîtra le bienfait de quelque gratification [...] pour ce qu’il semble n’y avoir point de mal à pactiser tout ce qu’il est permis d’espérer, de donner, d’accepter. Or n’y a-t-il eu la nature, en la grâce, ni en l’écriture, aucune loi, qui nous empêche de reconnaître le bienfait, ou d’agréer, qu’on le fasse à notre utilité : le pacte donc qu’on en ferait n’est prohibé ». « Non plus, que de recevoir parole de celui qui emprunte, qu’en cas qu’il ne satisfasse au créancier » en lui rendant à temps prévu, « il augmentera de certaine somme d’argent le capital [...], car toutes fautes, notamment celles qui tournent à dommage d’un tiers, peuvent être punies ». Condition : il faut que le débiteur ait de quoi satisfaire le créancier, car « l’impuissance les excusant de péché, elle les exempte aussi de la peine y adjointe » : p. 319. Il y a d’autres causes selon les juristes (feuda, fideiussor, pro dotte, stipendia cleri, venditio, etc.), qui se confondent avec les précédentes : p. 323.
« Les confesseurs, ou autres, pour déterminer ce qu’on peut prendre, auront égard aux personnes, à la somme qu’on prête, et au danger : car plus icelui danger sera grand, plus la somme notable ; les personnes moins solvables, plus sujettes à fausser leur foi, violer leur promesse, tromper le monde, et plus pourra-t-on exiger d’elles » : p. 325.
Parmi les peines canoniques et civiles figure la restitution : « cette peine est raisonnable, car l’usurier n’acquiert pas le domaine du plus, qu’il exige avec injustice par-dessus le principal », selon saint Thomas. Car toute acquisition nouvelle doit être fondée sur juste titre, « la seule tradition, n’étant de soi bastante, à faire le transport irrévocable d’une chose, des mains et du pouvoir d’une personne, en celui de quelque autre » : p. 326 sq. Le prêt doit être gratuit. Puisque seul le capital est dû, tout surcroît doit être rendu au propriétaire et non aux pauvres « qui en ceci ne sont considérables qu’au défaut de celui qui a été lésé, ou de ses héritiers ».
Si les usuriers mêmes sont pauvres, quid juris ? : p. 328. « S’ils sont banqueroutiers, s’ils ont fait faillite par leurs mauvais ménages, suffit qu’ils soient marris de leurs péchés passés, car qui n’a rien cogi non potest ad solutionem, dit Grégoire IX », à moins qu’ils ne deviennent de nouveau riches.
Une deuxième peine des usuriers est d’être tenus pour infâmes : p. 329. Ils ne peuvent devenir ecclésiastiques.
Troisième peine des usuriers : ne pouvoir être reçus aux sacrements de pénitence et de communion : p. 330.
Quatrième peine des usuriers : être privés de sépulture ecclésiastique.
« L’on n’obligerait donc pas peu le monde, si le garantissant de ces mauvais effets, et tout ensemble du péché qui en est causé, l’on lui donnait le moyen de tirer autant, et à l’aventure plus de profit de son argent, par quelque bon et légitime emploi que l’on ne fait des usures. C’est cela même avec quoi nous mettons fin à ce chapitre, la forme avec laquelle l’estime, que tous le peuvent faire sans péché... » : p. 331-332.
Que ceux qui donnent, requis par ceux qui prennent de leur prêter leur argent, fassent trois contrats, « l’un de compagnie, l’autre d’assurance du principal, et du profit qu’on s’en promet, et le troisième, d’achat d’un gain certain, pour un incertain et indéterminé ». Suivent des citations de casuistes qui approuvent cette méthode, notamment Molina, De justit. Tr. 3. disp. 417 : on peut, traduit Bauny, « donner son argent pour être employé à quelque trafic honnête et juste pour en tirer profit, et puis transiger à certain prix avec celui qui le reçoit, ou autre, qu’ils l’assureront de son dit principal, sans qu’il en courre risque, auquel contrat on peut en ajouter un autre, qui est d’achat d’un gain certain, à prix non certain, et déterminé » : p. 332-333. « Celui qui a donc besoin d’argent, venant à expliquer le désir qu’il a d’en recouvrer en telle ou telle quantité, le créancier futur lui pourra répondre, je n’ai point d’argent à prêter, si bien à mettre à profit honnête, et licite, si vous désirez la somme que demandez, pour la faire valoir par votre industrie, à moitié perte, moitié gain peut-être m’y résoudrai-je : bien est vrai qu’à cause qu’il y a trop de peine à s’accorder pour le profit, si vous m’en voulez assurer un certain, et quant et quant aussi mon fort principal, qu’il ne courre fortune, nous tomberons bientôt d’accord, et vous ferai toucher argent dès cette heure » : p. 333-334. Il est bon que le créancier dise au débiteur que son intention n’est pas usuraire : par cela il se déclare porté au bien : p. 335-336.
Bauny donne ensuite la forme du contrat : p. 336 sq.
« Voilà à mon avis, le moyen par lequel dans le monde, quantité de personnes qui par leurs usures, extorsions, et contrats illicites, se provoquent la juste indignation de Dieu, se peuvent sauver, si, au lieu de prêter le leur, ils le baillent en la façon dessus dite, qui n’est de mon invention, mais de quantité de grands hommes », des casuistes dont il cite les paroles : p. 338. Et p. 342 : « notre opinion n’est donc pas si nouvelle, ni si peu vraisemblable, qu’on la crie, puisqu’elle est défendue par tant de personnages, dont le moindre est capables de lui donner créance, et nous tirer de blâme, d’autoriser ce, dont tous ces auteurs nous ont baillé l’exemple, et que la Cour confirme par ses arrêts ».
Pascal a exploité ces pages dans les Provinciales.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 356 sq.
Et la simonie, mais non...
Le trafic des choses spirituelles et religieuses s’appelle la simonie.
Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 609. Du nom de Simon le Mage et de l’épisode narré en Actes des Apôtres, VIII, 9 sq., le mot simonie est traditionnellement attaché à tout achat ou vente de réalités spirituelles, ou de réalités temporelles inséparables des réalités spirituelles. Considérée comme un péché d’une particulière gravité, équivalent à l’hérésie ; voir Saint Thomas, in Somme théologique, IIa, IIae, q. 100. Voir Actes des Apôtres, VIII, 18 : « Lorsque Simon vit que le Saint Esprit était donné par l’imposition des mains des apôtres, il leur offrit de l’argent, 19. en disant : Accordez-moi aussi ce pouvoir, afin que celui à qui j’imposerai les mains reçoive le Saint Esprit. 20. Mais Pierre lui dit : Que ton argent périsse avec toi, puisque tu as cru que le don de Dieu s’acquérait à prix d’argent ! 21. Il n’y a pour toi ni part ni lot dans cette affaire, car ton cœur n’est pas droit devant Dieu. 22. Repens-toi donc de ta méchanceté, et prie le Seigneur pour que la pensée de ton cœur te soit pardonnée, s’il est possible ; 23. car je vois que tu es dans un fiel amer et dans les liens de l’iniquité. 24. Simon répondit : Priez vous-mêmes le Seigneur pour moi, afin qu’il ne m’arrive rien de ce que vous avez dit. » La simonie entraîne la nullité de la collation de quelque bénéfice ou fonction ecclésiastique que ce soit.
Sur le Breviarium theologicum de Polman, 1655, qui définit la simonie, voir Provinciales, éd. Cognet, p. 224 : « c’est un vice contraire à la religion et une sorte de sacrilège ; sa malice consiste en ce que les choses spirituelles et sacrées y sont méprisées et indignement traitées, par le fait qu’elles sont mises sur le même pied que les choses profanes, qu’elles font l’objet de contrats et qu’elles sont estimées à un prix temporel. » À l’époque de Pascal, la simonie se manifeste surtout dans le trafic des bénéfices ecclésiastiques.
Jombart Émile, Manuel de droit canon, Paris, Beauchesne, 1949, p. 225-226. La simonie est un sacrilège réel qui consiste à échanger un bien spirituel contre un bien temporel. Il est gravement injurieux à Dieu de prétendre donner ou se procurer à prix d’or ses grâces surnaturelles : p. 225. La simonie de droit divin (interdite par la loi divine) est la volonté d’acheter ou de vendre (cela s’entend au sens large de tout contrat onéreux) moyennant une compensation d’ordre temporel (pro pretio temporali) une chose intrinsèquement spirituelle (sacrement, juridiction ecclésiastique, consécration, indulgence) ou une chose étroitement attachée à une chose spirituelle. La simonie de droit ecclésiastique consiste à donner du temporel attaché à du spirituel pour du temporel attaché à du spirituel, ou du spirituel pour du spirituel, ou même du temporel pour du temporel, si c’est interdit par l’Église à cause du danger d’irrévérence envers les choses spirituelles : p. 225-226. Sanctions canoniques de la simonie : Tout contrat simoniaque est nul de plein droit. Avant toute sentence judiciaire, la chose obtenue par simonie doit être abandonnée ou restituée ; on ne peut toucher les fruits d’un bénéfice acquis par simonie : p. 226.
Les Provinciales abordent le problème de la simonie.
Provinciale VI, éd. Cognet, p. 104-107.
« Commençons, dit le père, par les bénéficiers. Vous savez quel trafic on fait aujourd’hui des bénéfices ; et que s’il fallait s’en rapporter à ce que saint Thomas et les anciens en ont écrit, il y aurait bien des simoniaques dans l’Église. Et c’est pourquoi il a été fort nécessaire, que nos pères aient tempéré les choses par leur prudence, comme ces paroles de Valentia, qui est l’un des quatre animaux d’Escobar, vous l’apprendront. C’est la conclusion d’un long discours, où il en donne plusieurs expédients, dont voici le meilleur à mon avis. C’est en la pag. 2042 du tome 3. Si l’on donne un bien temporel pour un bien spirituel. C’est-à-dire de l’argent pour un bénéfice ; Et qu’on donne l’argent comme le prix du bénéfice, c’est une simonie visible. Mais si on le donne comme le motif qui porte la volonté du bénéficier à le résigner, non tanquam pretium beneficii, sed tanquam motivum ad resignandum, ce n’est point simonie, encore que celui qui résigne, considère et attende l’argent comme sa fin principale. Tannerus, qui est encore de notre Société, dit la même chose dans son tom. 3, p. 1519, quoiqu’il avoue que s. Thomas y est contraire, en ce qu’il enseigne absolument que c’est toujours simonie de donner un bien spirituel pour un temporel, si le temporel en est la fin. Par ce moyen nous empêchons une infinité de simonies. Car qui serait assez méchant pour refuser en donnant de l’argent pour un bénéfice, de porter son intention à le donner comme un motif qui porte le bénéficier à le résigner, au lieu de le donner comme le prix du bénéfice : personne n’est assez abandonné de Dieu pour cela. Je demeure d’accord, lui dis-je, que tout le monde a des grâces suffisantes pour faire un tel marché. Cela est assuré, repartit le père.
Voilà comment nous avons adouci les choses à l’égard des bénéficiers. Quant aux prêtres, nous avons plusieurs maximes qui leur sont assez favorables. Par exemple celle-ci de nos 24, p. 143. Un prêtre qui a reçu de l’argent pour dire une messe, peut-il recevoir de nouvel argent sur la même messe ? Oui, dit Filliutius, en appliquant la partie du sacrifice qui lui appartient comme prêtre, à celui qui le paie de nouveau, pourvu qu’il n’en reçoive pas autant que pour une messe entière ; mais seulement pour une partie, comme pour un tiers de messe.
Certes, mon père, voici une de ces rencontres où le pour et le contre sont bien probables. Car ce que vous dites ne peut manquer de l’être après l’autorité de Filliutius et d’Escobar. Mais en le laissant dans la sphère de probabilité, on pourrait bien, ce me semble dire aussi le contraire, et l’appuyer par ces raisons. Lorsque l’Église permet aux prêtres qui sont pauvres de recevoir de l’argent pour leurs messes, parce qu’il est bien juste que ceux qui servent à l’autel vivent de l’autel ; elle n’entend pas pour cela qu’ils échangent le sacrifice pour de l’argent, et encore moins qu’ils se privent eux-mêmes de toutes les grâces qu’ils en doivent tirer les premiers. Et je dirais encore que les prêtres, selon saint Paul, sont obligés d’offrir le sacrifice premièrement pour eux-mêmes, et puis pour le peuple ; et qu’ainsi il leur est bien permis d’en associer d’autres au fruit du sacrifice, mais non pas de renoncer eux-mêmes volontairement à tout le fruit du sacrifice, et de le donner à un autre pour un tiers de messe ; c’est-à-dire pour 4 ou 5 sols. En vérité, mon Père, pour peu que je fusse grave, je rendrais cette opinion probable. Vous n’y auriez pas grand peine, me dit-il, celle-là l’est visiblement. La difficulté était de trouver de la probabilité dans le contraire. Et c’est ce qui n’appartient qu’aux grands hommes. Le p. Bauny y excelle. Il y a du plaisir de voir ce savant casuiste pénétrer dans le pour et le contre d’une même question qui regarde encore les prêtres, et trouver raison partout, tant il est ingénieux et subtil.
Il dit en un endroit c’est dans le traité 10, page 474. On ne peut pas faire une loi qui obligeât les curés à dire la messe tous les jours, parce qu’une telle loi les exposerait indubitablement, haud dubie, au péril de la dire quelquefois en péché mortel. Et néanmoins dans le même traité 10, p. 441, il dit : Que les prêtres qui ont reçu de l’argent pour dire la messe tous les jours, la doivent dire tous les jours, et qu’ils ne peuvent pas s’excuser sur ce qu’ils ne sont pas toujours assez bien préparés pour la dire, parce qu’on peut toujours faire l’acte de contrition ; et que s’ils y manquent, c’est leur faute et non pas celle de celui qui leur fait dire la messe. Et pour lever les plus grandes difficultés qui pourraient les en empêcher, il résout ainsi cette question dans le même traité, qu. 32, p. 457. Un prêtre peut-il dire la messe le même jour qu’il a commis un péché mortel, et des plus criminels en se confessant auparavant ? Non, dit Villalobos, à cause de son impureté ; mais Sancius dit que oui : et sans aucun péché, et je tiens son opinion sûre, et qu’elle doit être suivie dans la pratique ; et tuta et sequenda in praxi. »
Saint Thomas, Somme théologique, IIa IIae, q. 100. « Considerandum est de simonia [...]. 1o. Quid sit simonia. 2°. Utrum liceat pro sacramentis pecuniam accipere. 3°. Utrum liceat accipere pecuniam pro spiritualibus actibus. 4°. Utrum liceat vendere ea quae sunt spiritualibus annexa. 5°. Utrum solum munus a manu faciat simoniacum, an etiam munus a lingua et ab obsequio. 6°. De poena simoniaci. »
Bauny Étienne, Somme des péchés, ch. XX, p. 567. Simonies recelées ès renonciations, collations, permutations, présentations. Devoir d’abandon du bénéfice obtenu par simonie : p. 567. Devoir de restitution des biens acquis par simonie : p. 569. Les simoniaques sont inhabiles au bénéfice qu’ils ont acquis : p. 569. Le simoniaque est de droit et de fait excommunié : p. 570.
Nouët Jacques, Imposture II, in Nouët Jacques, Réponses aux Lettres Provinciales publiées par le Secrétaire du Port-Royal contre les PP. de la Compagnie de Jésus sur le sujet de la morale desdits Pères, chez Mathias Hovius (à l’enseigne du paradis terrestre), 1658, p. 98. Réponse aux allégations de Pascal sur la simonie.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 273 sq. Théorie de la simonie selon le P. Maynard.
Cariou Pierre, Les idéalités casuistiques. Aux origines de la psychanalyse, p. 187 sq. Le casuiste augustinien Jacques de Sainte-Beuve sur la simonie. Définition de la confidence comme « pacte exprès ou tacite que deux ecclésiastiques font ensemble, et dans lequel l’un d’eux accepte un bénéfice pour le donner à l’autre, ce qu’on nomme simonie confidentielle » : p. 188. Comparer les décisions de Sainte-Beuve à celles des casuistes mentionnés par Pascal peut être un exercice intéressant de mise en perspective...
Et la vengeance, mais non...
La vengeance est interdite par l’enseignement du Christ. Voir
Matthieu, V, 39. « Et moi je vous dis de ne point résister au mal que l’on veut vous faire : mais si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre » (tr. de Port-Royal).
Luc, VI, 29. « Si un homme vous frappe sur une joue, tendez-lui même l’autre. Et si quelqu’un vous prend votre manteau, ne l’empêchez point de prendre aussi votre robe » (tr. de Port-Royal).
Mais dans les Provinciales, Pascal montre que les casuistes ont trouvé des moyens de l’autoriser, jusqu’à permette de tirer vengeance par la mort des ennemis.
La question est abordée dans Escobar, Theologia moralis, Tr. I, Ex. VII, n. 47, p. 120. « An liceat post impactam alapam percutientem insequi, et interimere ? ». Lessius est cité.
Provinciale VII, éd. Cognet, p. 118.
« Voyez-vous comment ils ont soin de défendre d’avoir l’intention de rendre le mal pour le mal, parce que l’Écriture le condamne ? Ils ne l’ont jamais souffert ; Voyez Lessius, De Just. Lib. 2, c. IX, d. 12, n. 79. Celui qui a reçu un soufflet, ne peut pas avoir l’intention de s’en venger ; mais il peut bien avoir celle d’éviter l’infamie, et pour cela de repousser à l’instant cette injure, et même à coups d’épée, etiam cum gladio. Nous sommes si éloignés de souffrir qu’on ait le dessein de se venger de ses ennemis, que nos pères ne veulent pas seulement, qu’on leur souhaite la mort par un mouvement de haine. Voyez notre père Escobar, Tr. 5, Ex. 5, n. 145. Si votre ennemi est disposé à vous nuire, vous ne devez pas souhaiter sa mort par un mouvement de haine, mais vous le pouvez bien faire pour éviter votre dommage. Car cela est tellement légitime avec cette intention, que notre grand Hurtado de Mendoza dit : Qu’on peut prier Dieu de faire promptement mourir ceux qui se disposent à nous persécuter, si on ne le peut éviter autrement. C’est au livre De spe, vol. 2, di. 15, 3. sect. 4, 55. 48. »
Cette maxime du De justitia et jure de Lessius, II, ch. IX, dub. 12, n° 79, est reproduite dans GEF V, p. 64.
Provinciale VII, éd. Cognet, p. 123-124.
« Mon père, lui dis-je, j’entends maintenant assez bien votre principe de la direction d’intention ; mais j’en veux bien entendre aussi les conséquences, et tous les cas où cette méthode donne le pouvoir de tuer. Reprenons donc ceux que vous m’avez dits, de peur de méprise. Car l’équivoque serait ici dangereuse. Il ne faut tuer que bien à propos, et sur bonne opinion probable. Vous m’avez donc assuré qu’en dirigeant bien son intention, on peut selon vos pères, pour conserver son honneur, et même son bien, accepter un duel, l’offrir quelquefois, tuer en cachette un faux accusateur, et ses témoins avec lui, et encore le juge corrompu qui les favorise ; et vous m’avez dit aussi, que celui qui a reçu un soufflet peut, sans se venger le réparer à coups d’épée. Mais, mon père, vous ne m’avez pas dit avec quelle mesure. On ne s’y peut guère tromper, dit le Père, car on peut aller jusqu’à le tuer. C’est ce que prouve fort bien notre savant Henriquez, l. 14, c. 10, n. 3, et d’autres de nos pères rapportés par Escobar, tr. I, Ex. 7, n. 48, en ces mots. « On peut tuer celui qui a donné un soufflet, quoiqu’il s’enfuie, pourvu qu’on évite de le faire par haine ou par vengeance, et que par là, on ne donne pas lieu à des meurtres excessifs et nuisibles à l’État. Et la raison en est qu’on peut ainsi courir après son honneur, comme après du bien dérobé. Car encore que votre honneur ne soit pas entre les mains de votre ennemi comme seraient des hardes qu’il vous aurait volées ; on peut néanmoins le recouvrer en la même manière, en donnant des marques de grandeur et d’autorité, et s’acquérant par là l’estime des hommes. Et en effet n’est-il pas véritable que celui qui a reçu un soufflet, est réputé sans honneur, jusqu’à ce qu’il ait tué son ennemi ». Cela me parut si horrible que j’eus peine à me retenir ; mais pour savoir le reste je le laissai continuer ainsi. Et même, dit-il, on peut, pour prévenir un soufflet tuer celui qui le veut donner, s’il n’y a que ce moyen de l’éviter. Cela est commun dans nos pères. Par exemple Azor, Inst. mor., part. 3, p. 105. (C’est encore l’un des vingt-quatre v[ieillards]). « Est-il permis à un homme d’honneur, de tuer celui qui lui veut donner un soufflet, ou un coup de bâton ? Les uns disent que non ; et leur raison est que la vie du prochain, est plus précieuse que notre honneur ; outre qu’il y a de la cruauté à tuer un homme pour éviter seulement un soufflet. Mais les autres disent que cela est permis ; et certainement je le trouve probable, quand on ne peut l’éviter autrement. Car sans cela l’honneur des innocents serait sans cesse exposé à la malice des insolents ». Notre grand Filiutius de même t. 2, tr. 29, c. 3, n. 50. Et le p. Héreau dans ses Écrits de l’homicide, Hurtado de Mendoza, in 2, 2, disp. 170, sect. 16, § 137. Et Bécan somm., t. I, q. 64, de Homicid. Et nos Pères Flahaut, et le Court, dans leurs écrits que l’Université dans sa 3e Requête a rapportés tout au long pour les décrier, mais elle n’y a pas réussi, et Escobar au même lieu n. 48, disent tous les mêmes choses. Enfin cela est si généralement soutenu que Lessius l. 2, c. 9, d. 12, n. 77 en parle comme d’une chose autorisée par le consentement universel de tous les casuistes. Il est permis, dit-il, selon le consentement de tous les casuistes, ex sententia omnium, de tuer celui qui veut donner un soufflet ou un coup de bâton, quand on ne le peut éviter autrement. En voulez-vous davantage ? »
On retrouve le même thème de la vengeance dans la Provinciale XIV, 26, éd. Cognet, p. 272, qui sert à montrer que les maximes des casuistes ne sont pas marquées par le langage de l’Église, mais par celui du diable :
« Jésus-Christ a dit à ceux qui reçoivent un soufflet, de tendre l’autre joue ; et le diable a dit à ceux à qui on veut donner un soufflet, de tuer ceux qui leur voudront faire cette injure. Jésus-Christ déclare heureux ceux qui participent à son ignominie, et le diable déclare malheureux ceux qui sont dans l’ignominie. Jésus-Christ dit : Malheur à vous, quand les hommes diront du bien de vous ! et le diable dit : Malheur à ceux dont le monde ne parle pas avec estime !
Voyez donc maintenant, mes Pères, duquel de ces deux royaumes vous êtes. Vous avez ouï le langage de la ville de paix, qui s’appelle la Jérusalem mystique, et vous avez ouï le langage de la ville de trouble, que l’Écriture appelle la spirituelle Sodome : lequel de ces deux langages entendez-vous ? lequel parlez-vous ? Ceux qui sont à Jésus-Christ ont les mêmes sentiments que Jésus-Christ, selon saint Paul ; et ceux qui sont enfants du diable, ex patre diabolo, qui a été homicide dès le commencement du monde, suivent les maximes du diable, selon la parole de Jésus-Christ. Ecoutons donc le langage de votre École, et demandons à vos auteurs : Quand on nous donne un soufflet, doit-on l’endurer plutôt que de tuer celui qui le veut donner ? ou bien est-il permis de tuer pour éviter cet affront ? Il est permis, disent Lessius, Molina, Escobar, Reginaldus, Filiutius, Baldellus, et autres Jésuites, de tuer celui qui nous veut donner un soufflet. Est-ce là le langage de Jésus-Christ ? Répondez-nous encore. Serait-on sans honneur en souffrant un soufflet, sans tuer celui qui l’a donné ? N’est-il pas véritable, dit Escobar, que, tandis qu’un homme laisse vivre celui qui lui a donné un soufflet, il demeure sans honneur ? Oui, mes Pères, sans cet honneur que le diable a transmis de son esprit superbe en celui de ses superbes enfants. C’est cet honneur qui a toujours été l’idole des hommes possédés par l’esprit du monde. C’est pour se conserver cette gloire, dont le démon est le véritable distributeur, qu’ils lui sacrifient leur vie par la fureur des duels à laquelle ils s’abandonnent, leur honneur par l’ignominie des supplices auxquels ils s’exposent, et leur salut par le péril de la damnation auquel ils s’engagent, et qui les fait priver de la sépulture même par les Canons ecclésiastiques. »
Pascal revient sur ce texte dans la Provinciale XIII, 3, éd. Cognet, p. 237.
« Votre quatrième imposture est sur une maxime touchant le meurtre, que vous prétendez que j’ai faussement attribuée à Lessius. C’est celle-ci : Celui qui a reçu un soufflet peut poursuivre à l’heure même son ennemi, et même à coups d’épée, non pas pour se venger, mais pour réparer son honneur. Sur quoi vous dites que cette opinion-là est du casuiste Victoria. Et ce n’est pas encore là le sujet de la dispute, car il n’y a point de répugnance à dire qu’elle soit tout ensemble de Victoria et de Lessius, puisque Lessius dit lui-même qu’elle est aussi de Navarre et de votre Père Henriquez, qui enseignent que celui qui a reçu un soufflet peut à l’heure même poursuivre son homme, et lui donner autant de coups qu’il jugera nécessaire pour réparer son honneur. Il est donc seulement question de savoir si Lessius est du sentiment de ces auteurs, aussi bien que son confrère. Et c’est pourquoi vous ajoutez : Que Lessius ne rapporte cette opinion que pour la réfuter ; et qu’ainsi je lui attribue un sentiment qu’il n’allègue que pour le combattre, qui est l’action du monde la plus lâche et la plus honteuse à un écrivain. Or je soutiens, mes Pères, qu’il ne la rapporte que pour la suivre. C’est une question de fait qu’il sera bien facile de décider. Voyons donc comment vous prouvez ce que vous dites, et vous verrez ensuite comment je prouve ce que je dis. »
Pascal poursuit en taxant le p. Nouët d’imposture dans sa réponse.
Le rapport avec la question du duel est immédiat.
Grotius Hugo, Le droit de la guerre et de la paix, II, ch. I, X, 1, Paris, P. U. F., 1999, p. 170 sq. « Il y a des auteurs qui pensent que celui qui se trouve menacé de recevoir un soufflet, ou une semblable insulte, a aussi le droit de repousser cet outrage en tuant son ennemi (Soto, dicto loco ; Navarr., cap. XV, n. 3 ; Syslvest., in verbo Homicidium, 1, quaest. 5 ; Lud. Lopez, cap. LXII) ». Voir § 2, p. 171 : Grotius s’étonne que des théologiens chrétiens le permettent. § 3, p. 171 : il est faux que la défense accompagnée de meurtre soit licite en vertu du droit divin : p. 171.
Et les sodomites, mais non...
Pascal se contente d’une indication très brève à cette question scabreuse dans la Provinciale VI, éd. Cognet, Garnier, p. 98-99.
« Et n’avez-vous point ouï parler, continua-t-il, comment on répondit à la première bulle Contra sollicitantes ? Et de quelle sorte nos 24, dans un chapitre aussi de la pratique de l’école de notre Société expliquent la bulle de Pie V, Contra clericos, etc. Je ne sais ce que c’est que tout cela lui dis-je. Vous ne lisez donc guère Escobar, me dit-il. Je ne l’ai que d’hier, mon père, et même j’eus de la peine à le trouver. Je ne sais ce qui est arrivé depuis peu qui fait que tout le monde le cherche. Ce que je vous disais, repartit le père, est en la p. 117. Voyez-le en votre particulier, vous y trouverez un bel exemple de la manière d’interpréter favorablement les bulles. Je le vis en effet, dès le soir même ; mais je n’ose vous le rapporter ; car c’est une chose effroyable. »
Provinciales, éd. Cognet, p. 98-99. La constitution Horrendum de Pie V, 30 août 1568, concerne les clercs sodomites. Nicole en a reproduit un long passage dans une note de Wendrock.
La référence à la p. 117 convient à l’édition de 1647 d’Escobar. Au lieu de en la p. 117, l’édition de 1659 donne la référence au tr. I, ex. 8, n. 102, reprise par Wendrock. Voir Escobar, Liber theologiae moralis, p. 151, sur cette Constitution de Pie V, 30 août 1658. « Num bulla Pii V contra clericos sodomitas obliget in foro conscientiae ? Henriquez sentit usu non esse receptam probabiliter, nec in conscentiae foro obligare. Quod si usu recepta sit, clericus foeminam in indebito subigens vasi, non committit proprie sodomiam ; quia licet non servet debitum vas, servat tamen sexum. Nec incurrit ex Suario poenas bullae intra vas masculi semen non immitens, quia delicutm non est consummatum. Nec ex eodem qui non nisi bis, aut ter in sodomiam sunt lapsi, quia pontifex has poenas clericis exercentibus sodomiam infligit. Nec (adhuc ex Suario) ante sententia judicis declaratoriam poenas bullae in foro conscientiae incurrunt ; quia nulla lex poenalis obligat homines ad se prodendum. Colligo clericum exercentem sodimiam, si sit contritus, etiam retento beneficio, officio et dignitate, omnino esse absolvendum ». Cognet écrit que le passage est « peu traduisible en français » ; mais c’est vrai aussi en d’autres langues ; voir cependant, pour savoir tout et en bon français, l’éd. Le Guern, Œuvres, I, p. 1178-1179 : « Est-ce que la bulle de Pie V contre les clercs sodomites obligerait en conscience ? Henriquez est d’avis, d’une manière probable, qu’elle n’a pas été reçue par l’usage, et quelle n’oblige pas en conscience. À supposer qu’elle ait été reçue par l’usage, un clerc qui pénètre une femme par le réceptacle indu ne commet pas à proprement parler une sodomie, parce que, bien qu’il ne conserve pas le réceptacle approprié, il conserve néanmoins le sexe approprié. Et il n’encourt pas d’après Suarez les peines de la bulle s’il n’émet pas sa semence dans le réceptacle d’un homme, parce que le délit n’a pas été consommé. Ni non plus, d’après le même, ceux qui n’ont glissé dans la sodomie que deux ou trois fois, parce que le pontife a infligé ces peines aux clercs qui exercent la sodomie. Et (encore d’après Suarez) ils n’encourent pas en conscience les peines de la bulle avant la sentence du juge, parce qu’aucune loi pénale n’oblige les hommes à se livrer. Je conclus qu’un clerc qui exerce la sodomie, s’il est contrit, doit être absous totalement, même s’il retient son bénéfice, son emploi et sa dignité. »
GEF V, p. 33 indique que dès 1643, Hermant a signalé avec indignation les obscénités des casuistes dans ses Vérités académiques, p. 116.
Wendrock, Provinciales, tr. Joncoux, I, p. 358. Doctrine abominable d’Escobar. Nicole insiste sur la sévérité des sanctions ecclésiastiques prévues dans ces cas : p. 358-359. Texte de la constitution de Pie V : p. 359 sq. Escobar demande si cette constitution oblige : p. 360.
Dans les Resolutiones morales de Diana, un chapitre entier porte sur ce sujet, Pars IV, tr. V, « De confessariis sollicitantibus », Lyon, Prost, 1636, p. 276 sq.
Daniel Gabriel, Réponse aux Provinciales de L. de Montalte, ou Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, chez Donato Donati, Amsterdam, 1697, p. 250 sq., tente de défendre la cause des jésuites et des casuistes sur cette chose effroyable.
« La chose est effectivement effroyable, me dit mon canoniste, si Pascal parle de la matière : car le crime dont il s’agit là est presque le plus infâme qui se puise commettre. Le détail aussi où descend Escobar a quelque chose qui fait de la peine à lire. Mais serait-ce la faute d’un docteur en médecine d’être obligé de faire à ses écoliers l’exposition de certains maux sur lesquels ils peuvent être un jour consultés ? La prudence oblige à ne mettre le cas de conscience qu’en une langue qui n’est pas entendue de tout le monde, et dans des livres qui ne sont lus communément que par les gens qui doivent être occupés au confessionnal, qui en entendent tous les jours de bien pires encore. Si quelqu’un est coupable en cette matière, n’est-ce pas Pascal, lui qui donne envie de voir ce que c’est à ceux qui n’en ont que faire ?
Que si en disant que c’est une chose effroyable, il parle de la décision d’Escobar, il se montre encore ici ou fort ignorant, ou fort malin. Car voici à quoi se réduit tout ce que dit Escobar sur ce sujet. Il apporte le sentiment d’un autre théologien espagnol, qui est que cette bulle probablement n’est point en usage et que par conséquent elle n’oblige point en conscience à subir toutes les peines qu’elle impose. C’est un fait tout pur, qu’Escobar ne garantit point, et d’ailleurs il n’est pas plus surprenant que cette bulle ne soit point reçue ni pratiquée en Espagne, qu’il n’est surprenant qu’elle ne soit ni reçue ni pratiquée en France, où en effet elle ne l’a jamais été.
En second lieu, supposé qu’elle fût reçue, Escobar explique en quelles circonstances elle oblige ou n’oblige pas, à subir ces peines ; et cela par un principe du droit indubitable, selon lequel les papes savent bien qu’on entend toujours leurs décrets : savoir que quand ils parlent de quelque péché, c’est d’un péché consommé en son espèce, à moins que le contraire ne soit expressément marqué.
3e. Escobar ajoute qu’avant la sentence déclaratoire du juge, les criminels n’écoutent point au for de la conscience les peines de cette bulle ; et ces peines sont d’être privés de leurs bénéfices ou de leurs charges s’ils en ont ; d’être dégradés et livrés au bras séculier pour être punis comme les laïques, c’est-à-dire, du supplice du feu. Ce que dit Escobar est incontestable par le principe qu’il pose, que nulle loi pénale n’oblige les coupables à se déférer eux-mêmes, et certainement ce serait ici en particulier une grande extravagance de dire qu’un misérable, après avoir commis ce péché, fût obligé en conscience d’aller se déceler, afin qu’on le dégradât, et qu’on le brûlât tout vif. »
Dans Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot 1851, p. 265 sq., l’abbé Maynard tente aussi une justification, mais moins convaincante.
Et le quam primum, mais non...
Voir la note de l’éd. Sellier : le concile de Trente ordonne à un prêtre qui, en état de péché, doit néanmoins célébrer la messe, de se confesser quam primum, c’est-à-dire le plus tôt possible.
Laf. 969, Sel. 801. Mascarenhas, Concile de Trente pour les prêtres en péché mortel. Quam primum.
GEF XIV, p. 362, renvoie au Concile de Trente, Sess. XIV, de Paenitentia, canon X : « Si quis dixerit sacerdotes qui in peccati mortui sunt, potestatem ligandi et solvendi non habere, anathema sit ». Référence irrecevable : la formule quam primum n’y figure pas, et l’idée est toute différente.
La bonne référence est fournie par le jésuite portugais Emmanuel Mascarenhas (1604-1654), Tractatus IV de sacrosancto eucharistiae Sacramento, disp. 5, ch. VI, § 269, Paris, Cramoisy, 1656, p. 236 (voir éd. Le Guern, Pléiade, II, p. 1521). « Utrum sacerdos qui ex urgente necessitate deficiente confessore celebravit cum conscientia peccati mortalis, teneatur postea quamprimum confiteri ? Cur Ecclesia imposuit hanc obligationem sacerdotibus, ibidem. Hoc etiam intelligendum est de eo, qui ex justa causa aliquod peccatum in confessione occultavit, ibidem. » Il renvoie au Concile de Trente, Sessio XVIII, cap. 7 : voir in Conciliorum oecumenicorum decreta, éd. G. Alberigo et alii, Bologne Edizioni Dehoniane,1996, p. 696 : « Ubi sic : Sacerdos si necessitate urgente absque praevia confessione celebravit, quamprimum confiteatur ». « Ecclesiastica autem consuetudo declarat eam probationem necessariam esse, ut nullus sibi conscius peccati mortalis, quantumvis sibi contritus videatur, absque praemissa sacramentali confessione, ad sacram eucharistiam accedere debeat. Quod a christianis omnibus, etiam ab iis sacerdotibus, quibus ex officio incubuerit celebrare, haec sancta synodus perpetuo servandum esse decrevit, modo non desit illis copia confessoris. Quod si necessitate urgente sacerdos absque praevia confessione celebravit, quam primum confiteatur ».
L. Cognet indique que Pascal connaîtrait ce texte par l’extrait que les curés de Paris ont présenté à l’Assemblée du clergé le 14 novembre 1656. Voir Remontrance des curés de Paris à l’Assemblée générale du clergé du 24 novembre 1656. Le 24 novembre 1656, les curés de Paris remettent à l’Assemblée du clergé leur Second avis ou Lettre de Messieurs les Curés de Paris à Messieurs les Curés des autres diocèses de France du 26 octobre. Voir GEF VI, p. 167. On trouve un résumé de l’ouvrage dans Arnauld Antoine, Œuvres, XXX, p. XVII : il contient des attaques contre les casuistes et la probabilité. Les curés ont adjoint trois cahiers d’Extraits (tirés de Caramuel, Mascarenhas, Escobar principalement). L’Assemblée nomme des députés pour l’examen des propositions dénoncées, dont Pierre de Marca : p. XVIII. Sur les suites : p. XVIII. Voir sur ce point GEF VIII, p. 89, le passage du Septième écrit des curés de Paris relatif à cette démarche.
Pascal a abordé cette question dans la Provinciale VI, éd. Cognet, p. 106-107.
« Le P. Bauny y excelle. Il y a du plaisir de voir ce savant casuiste pénétrer dans le pour et le contre d’une même question qui regarde encore les prêtres, et trouver raison partout, tant il est ingénieux et subtil.
Il dit en un endroit, c’est dans le traité X, p. 474 : On ne peut pas faire une loi qui obligeât les curés à dire la messe tous les jours, parce qu’une telle loi les exposerait indubitablement, haud dubie, au péril de la dire quelquefois en péché mortel. Et néanmoins dans le même Traité X, p. 441, il dit que les prêtres qui ont reçu de l’argent pour dire la messe tous les jours la doivent dire tous les jours et qu’ils ne peuvent pas s’excuser sur ce qu’ils ne sont pas toujours assez bien préparés pour la dire, parce qu’on peut toujours faire l’acte de contrition ; et que s’ils y manquent, c’est leur faute et non pas celle de celui qui leur fait dire la messe. Et pour lever les plus grandes difficultés qui pourraient les en empêcher, il résout ainsi cette question dans le même traité, q. 32, page 457 : Un prêtre peut-il dire la messe le même jour qu’il a commis un péché mortel, et des plus criminels, en se confessant auparavant ? Non, dit Villabos, à cause de son impureté. Mais Sanctius dit que oui, et sans aucun péché, et je tiens son opinion sûre, et qu’elle doit être suivie dans la pratique : et tuta et sequenda in praxi. Quoi ! mon Père, lui dis-je, on doit suivre cette opinion dans la pratique ? Un prêtre qui serait tombé dans un tel désordre oserait-il s’approcher le même jour de l’autel, sur la parole du P. Bauny ? Et ne devrait-il pas déférer aux anciennes lois de l’Église, qui excluaient pour jamais du sacrifice, ou au moins pour un long temps, les prêtres qui avaient commis des péchés de cette sorte, plutôt que de s’arrêter aux nouvelles opinions des casuistes, qui les y admettent le jour même qu’ils y sont tombés ? Vous n’avez point de mémoire, dit le Père ; ne vous appris-je pas l’autre fois que, selon nos Pères Cellot et Reginaldus, l’on ne doit pas suivre, dans la morale, les anciens Pères, mais les nouveaux casuistes ? Je m’en souviens bien, lui répondis-je ; mais il y a plus ici, car il y a des lois de l’Église. Vous avez raison, me dit-il ; mais c’est que vous ne savez pas encore cette belle maxime de nos Pères : que les lois de l’Église perdent leur force quand on ne les observe plus, cum jam desuetudine abierunt, comme dit Filiutius, tom. II, tr. 25, n. 33. Nous voyons mieux que les anciens les nécessités présentes de l’Église. Si on était si sévère à exclure les prêtres de l’autel, vous comprenez bien qu’il n’y aurait pas un si grand nombre de messes. Or la pluralité des messes apporte tant de gloire à Dieu, et tant d’utilité aux âmes, que j’oserais dire, avec notre Père Cellot, dans son livre de la Hiérarchie, p. 611 de l’impression de Rouen, qu’il n’y aurait pas trop de prêtres, quand non seulement tous les hommes et les femmes, si cela se pouvait, mais que les corps insensibles, et les bêtes brutes même, bruta animalia, seraient changés en prêtres pour célébrer la messe. »
Il y revient dans la Provinciale XVI, éd. Cognet, p. 309-310.
« Il vaut bien mieux pour vous qu’on suive la pratique de votre Société, que votre P. Mascarenhas rapporte dans un livre approuvé par vos docteurs, et même par votre R. P. Général, qui est : Que toutes sortes de personnes, et même les prêtres, peuvent recevoir le Corps de Jésus-Christ le jour même qu’ils se sont souillés par des péchés abominables ; que, bien loin qu’il y ait de l’irrévérence en ces communions, on est louable au contraire d’en user de la sorte ; que les confesseurs ne les en doivent point détourner, et qu’ils doivent au contraire conseiller à ceux qui viennent de commettre ces crimes de communier à l’heure même, parce que encore que l’Église l’ait défendu, cette défense est abolie par la pratique universelle de toute la terre. Mascar. tr. 4, disp. 5, n. 284. Voilà ce que c’est, mes Pères, d’avoir des Jésuites par toute la terre. Voilà la pratique universelle que vous y avez introduite et que vous y voulez maintenir. Il n’importe que les tables de Jésus-Christ soient remplies d’abominations, pourvu que vos églises soient pleines de monde. »
Les notes de Wendrock sur la VIe Provinciale traitent aussi le point en question. Voir la Note I, Ou dissertation théologique sur l’autorité constante des canons…, Section troisième, Troisième exemple qui est celui que Montalte rapporte de Bauny, et à l’occasion duquel nous ferons voir quelle était l’ancienne discipline de l’Église à l’égard des prêtres tombés dans le crime. Et comment on s’est relâché sur ce point de discipline, § I, Doctrine infâme de Bauny et de Mascarenhas jésuites.
« Nous n’examinerons dans ce troisième exemple que le passage de Bauny d’où Montalte prend occasion de rapporter l’opinion de Filiutius sur l’autorité des lois de l’Église dont nous venons de parler dans l’article précédent. Mais comme cet exemple renferme plusieurs choses qu’il est important de remarquer nous l’examinerons avec plus d’exactitude et avec plus d’étendue. Voici les paroles de Bauny (Tr. 10. q. 32. p. 457.). « Un prêtre peut-il sans péché véniel dire la messe le même jour qu’il a commis des crimes infâmes : post habitam eo die copulam carnalem cum foemina, aut pollutionem volontariam, en s’en confessant auparavant ? Non dit Villabos : Mais Sanchez dit qu’oui, et je tiens son opinion sûre, et qu’elle doit être suivie dans la pratique ».
Mascarenhas enseigne la même chose, et craignant que rien n’échappât à l’indulgence criminelle qu’il a pour les prêtres, et pour les laïques impudiques, il assure que cela a lieu non seulement à l’égard de la fornication, mais généralement à l’égard de tous les autres crimes de cette nature dont il fait un détail honteux : Sed generatim, dit-il, in qualicumque pollutione mortaliter peccaminosâ, seu habita secum vel cum complice ; et hoc sive habeatur per fornicationem, sive per abulterium, sive peccatum contra naturam, seu quocunque alio modo. À quoi il ajoute (Tr. 4. disp. 5. n. 385) : « Et quoique le P. Vasquez croie qu’il y a eu autrefois quelque loi ou générale dans toute l’Église, ou particulière dans quelque Province, selon laquelle il est défendu à ceux qui se sont ainsi souillés d’approcher de la communion, au moins qu’après quelques heures, comme cela paraît par les passages que nous avons rapportés, on doit dire néanmoins que cela est présentement abrogé par la coutume commune de tout l’univers ».
Il faut remarquer que Mascarenhas de même que Bauny parle ici tant des prêtres que des laïques, et qu’il faut entendre des uns et des autres ce qu’il dit ; qu’il y a eu autrefois quelque loi qui ordonnait à ceux qui étaient coupables de ces crimes, de s’abstenir du sacrifice ou de la communion au moins pendant quelques heures ; mais que cette loi est abrogée par une coutume contraire. »
Gay Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), p. 207. Attaques contre Mascarenhas et son Tractatus de sacramentis in genere baptismo, confirmatione, eucharistia, necnon de sacrificio missae, Paris, 1656.