Pensées diverses IV – Fragment n° 10 / 23 – Papier original : RO 235-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 160 p. 393 / C2 : p. 363
Éditions de Port-Royal : Chap. VII - Qu’il est plus avantageux de croire que de ne pas croire : 1669 et janvier 1670 p. 58 / 1678 n° 2 p. 60
Éditions savantes : Faugère II, 174, II / Havet X.2 / Brunschvicg 239 / Tourneur p. 117-2 / Le Guern 631 / Lafuma 748 (série XXVI) / Sellier 621
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Bibliographie ✍
BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, Mulhouse, Salvator, 1941. DELUMEAU Jean, Le péché et la peur. La culpabilisation de l’Occident, XIIIe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1983. Encyclopédie saint Augustin, art. enfer, damnation, Paris, Cerf, 2005, p. 527-529. FRIES H. (dir.), Encyclopédie de la foi, Paris, Cerf, 1965. HURTER H., Theologia generalis complectens tractatus quatuor, Oeniponte, Libraria academica wagneriana, 1896, 3 vol. LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, I, Les vérités de la grâce, Paris, Presses Universitaires de France, 1923. MERSENNE Marin, L’impiété des déistes, éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2005. MIGNE, Encyclopédie théologique, Dictionnaire de théologie dogmatique, article enfer, Paris, Migne, 1850, p. t. 34, col. 541 sq. Saint AUGUSTIN, Premières réactions antipélagiennes. La grâce de la nouvelle alliance, éd. Pierre Descotes, Œuvres de saint Augustin, 20/B, Paris, Institut d’études augustiniennes, 2016. |
✧ Éclaircissements
Obj[ection] :
Ce type d’indication est employé par Pascal lui-même dans les recueils de citations qu’il a composés pour préparer la rédaction des Écrits sur la grâce, notamment le Discours sur la possibilité des commandements (voir D 3, OC III, éd. J. Mesnard, p. 737-745). La mention – Rép. – (pour Réponse) y voisine avec – Object – ou – Obj – (pour Objection). Il s’agit d’une technique commode pour indiquer la place que les arguments respectifs devaient prendre dans la discussion.
Voir plus bas pour la mention Resp.
♦ Enfer
Boulenger A., La doctrine catholique, I, § 150, p. 241 sq. L’existence de l’enfer est un dogme, à l’appui duquel on invoque des textes de l’Ancien et du Nouveau Testaments et de la tradition ; voir sur ce point Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, Livre IV, L’eschatologie, ch. I, § 213, L’enfer, p. 517 sq.
Encyclopédie saint Augustin, article enfer, damnation, Paris, Cerf, 2005, p. 527 sq.
L’existence de l’enfer n’est pas demeurée indiscutée. Rejettent l’existence de l’enfer les athées et les incrédules en général.
Sur l’absurdité du châtiment éternel, voir Adam Antoine, Les libertins au XVIIe siècle, Paris, Buchet/Chastel, 1964, p. 101. Quatrains du déiste, n° 66 sq., 69, 70-71 et 73-74. Dieu nous a créés pour une fin ; cette fin peut-elle être la misère éternelle ? Le P. Mersenne, dans L’impiété des déistes, a dû s’opposer aux objections d’un déiste qui estime l’enfer impossible, car, comme le disent les Quatrains du déiste, il n’est pas concevable que des péchés temporels puissent valoir un châtiment infini et éternel.
La nature de l’enfer, selon les théologiens, comporte deux genres de peine, la peine du dam, qui consiste dans la privation de la vision béatifique de Dieu, et la peine du sens qui châtie l’attache mauvaise des pécheurs aux biens illégitimes de ce monde par des agents sensibles. Voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, Livre IV, L’eschatologie, ch. I, § 213, L’enfer, p. 521 sq.
Boulenger A., La doctrine catholique, I, § 151, p. 244 sq.
Hurter H., Theologia dogmatica, III, p. 577 sq. « Transgressiones legis divinae in praesenti vita non remissae in altera a Deo puniuntur. Inter poenas sensus, quibus puniuntur impii, est etiam ignis isque non metaphoricus, sed verus propriusque » : p. 580. « Poena damni et poena sensus » : p. 581.
Sur l’éternité de l’enfer, voir Boulenger A., La doctrine catholique, I, § 152, p. 246 sq. L’éternité de l’enfer n’est pas démontrable par raison, mais elle n’est pas contraire à la raison, a parte hominis comme a parte Dei. Voir Hurter H., Theologia dogmatica, III, p. 577 sq. : « Dogma de poenarum aeternitate sanae rationi non adversatur » : p. 590 sq.
La peine doit en justice être proportionnée à la faute ; la malice des péchés, comme fautes contre Dieu, est en un sens infinie ; c’est pourquoi les peines de l’enfer sont toutes égales en durée, puisqu’elles sont éternelles : voir Hurter H., Theologia dogmatica, III, p. 587 sq., « Poenae damnatorum sunt infinitae » : p. 587. Mais elles sont inégales en intensité, car elles sont proportionnées aux œuvres dans la vie sur terre. Voir Boulenger A., La doctrine catholique, I, § 151, p. 245 sq. ; et Hurter H., Theologia dogmatica, III, p. 577 sq., De poenarum inaequalitate : p. 586.
Mersenne Marin, L’impiété des déistes, I, contient de nombreuses objections des libertins contre l’enfer, avec les réponses du P. Mersenne.
Cependant, le présent fragment ne prétend apporter aucune information sur la doctrine de l’enfer : il ne traite ni le problème théologique de l’existence réelle de l’enfer, ni celui de la nature de l’enfer et de la menace de la damnation. Il a pour cadre une discussion par objection et réponse entre deux personnes dont l’une est chrétienne et l’autre incrédule (sans que soit précisé s’il s’agit d’un athée, d’un sceptique ou même d’un disciple d’une religion qui exclut l’existence de l’enfer).
L’existence de l’enfer y est envisagée strictement du point de vue hypothétique. Seul le fait que l’enfer soit à craindre s’il existe est ici postulé et admis de part et d’autre. Le fragment porte seulement sur la crainte de l’enfer que peut ressentir l’homme, croyant ou non. La question posée est : qui a le plus à craindre l’enfer, du chrétien ou de l’incrédule ? Il ne s’agit donc, comme dans l’argument du pari, Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), que d’une comparaison entre les avantages pratiques qui sont ceux du chrétien d’une part, et de l’incroyant d’autre part. Pascal conclut que paradoxalement, la position de celui qui ne croit pas à l’enfer est moins confortable que celle du croyant.
Nota bene : l’édition de Port-Royal 1678 souligne la parenté avec ce fragment avec le texte Infini rien sur le pari.
Que signifie, de part et d’autre, la crainte de l’enfer ?
Pour l’esprit fort, la crainte que l’Église veut entretenir à l’égard de l’enfer a une fonction d’ordre politique, qui consiste à maintenir le peuple dans les bornes étroites que lui impose l’ordre social. L’enfer et le Ciel sont des inventions destinées à dominer le peuple : voir Charles-Daubert Françoise, Les libertins érudits en France au XVIIe siècle, Paris, P. U. F., p. 25. La religion est un mors pour « emboucher le sot peuple », selon La Mothe le Vayer : p. 56. Le philosophe n’est pas dupe de l’imposture politico-religieuse : p. 36 sq.
Voir comment le P. François Garasse présente les choses dans La doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, Livre 3, Section 19, Huitième proposition très sotte des bons esprits prétendus, qu’un bon esprit ne croit pas aisément ce qui se raconte du Paradis et de l’enfer : « Tel est le commun langage des nouveaux cabalistes, ainsi qu’il se peut voir en termes exprès dans la préface, que le malheureux Lucilio Vanino a attachée à son amphithéâtre de la providence, en laquelle ce maudit hypocrite, qui leva le masque de son athéisme dans Tholose, peu devant sa mort, fait semblant de se plaindre que cette méchante persuasion comme une gangrène pernicieuse a gagné et ravagé quasi tous les esprits du monde, qui étaient, dit-il, [...]. Que tout ce qui se raconte parmi nous de l’enfer et du paradis ne sert pour autre chose que pour contenir la populace en son devoir, et en une crainte mécanique, et que tous les beaux esprits en sont là logés, qu’ils ne croient non plus ces choses que ce qui se raconte des Champs Elyziens, et de l’Achéron : que néanmoins c’est une bonne finesse politique pour avancer les affaires d’État, d’autant que les sots se prennent par là comme des enfants à la vue d’une pomme ou d’une image, et les larrons à la présence d’un gibet, mais que pour eux, ils ont grâces à Dieu trop bon esprit pour se persuader ces choses. » La thèse se trouve dans les Quatrains du déiste : voir Adam Antoine, Les libertins au XVIIe siècle, p. 99, Quatrains du déiste, 52. Utile invention pour brider les esprits des hommes insolents. Voir n° 72, p. 102 : l’enfer est un masque par lequel les religions maintiennent leur empire. Cette thèse est celle des machiavélistes comme Naudé ; voir Pintard René, Le libertinage érudit dans la première moitié du dix-septième siècle, Paris, Boivin, 1943, p. 469 sq. : « le plus suffisant moyen pour s’acquérir l’autorité envers les peuples et se maintenir en icelle », est de les assujettir par la religion.
Le P. Mersenne mentionne le livre Des trois imposteurs, qui range Moïse, le Christ et Mahomet parmi les prophètes politiques qui ont tenté de gagner et d’affermir leur pouvoir à l’aide de la religion. Voir Mersenne Marin, Correspondance, I, p. 48.
D’autre part, la crainte de l’enfer a l’inconvénient majeur de troubler la tranquillité et le bonheur dans la vie sur terre. L’argument remonte à Épicure et à Lucrèce.
En revanche, du côté des chrétiens, la crainte de l’enfer est considérée sous un angle différent, qui s’inscrit dans la théologie de la grâce.
Ceux qui espèrent leur salut sont heureux en cela, mais ils ont pour contrepoids la crainte de l’enfer.
C’est ici un incrédule qui propose une objection à un chrétien. Il comprend bien que l’espérance du salut est source de bonheur. Mais l’affirmation n’est pas entendue au même sens par le chrétien et par l’incrédule. Ce dernier entend que l’espoir d’être sauvé apporte l’attente d’une condition heureuse, à peu près comme la perspective de l’affranchissement réjouit l’esclave ou l’homme enchaîné. Le chrétien en revanche entend par le mot espérance la vertu théologale d’espérance.
Il faut donc considérer deux sortes de crainte de l’enfer. La première prend la forme de l’attrition, qui consiste dans le regret des péchés par crainte de l’enfer. C’est un sentiment purement humain. La seconde est la vertu d’espérance, vertu surnaturelle par laquelle l’homme a la ferme confiance d’obtenir la béatitude éternelle et les moyens d’y parvenir : confiance qui est fondée sur la puissance, sur la bonté et sur la fidélité de Dieu à ses promesses, mais qui, comme toute vertu, ne peut être le fruit que de sa grâce. La crainte prend la forme de la contrition, regret des péchés par amour de Dieu, et non par crainte de l’enfer : elle consiste surtout dans la crainte de se trouver séparé de Dieu. Sur la vertu d’espérance, voir les synthèses de Boulenger A., La doctrine catholique, Première partie, Le dogme, § 150 sq. ; Encyclopédie saint Augustin, art. Espérance, p. 538 sq. ; ou pour approfondir, l’article Espérance de Fries H. (dir.), Encyclopédie de la foi, II, Paris, Cerf, 1967, p. 9-18. Le Dictionnaire théologique de L. Bouyer, p. 238-240, donne aussi des explications claires et accessibles sur l’idée de l’espérance.
La question est de savoir si, pour être sauvé, il suffit de regretter ses fautes parce que l’on en craint le châtiment post mortem, ou s’il faut, pour être sauvé, regretter ces fautes parce qu’elles déplaisent à Dieu ?
Les molinistes, sensibles au danger que présente l’hérésie protestante, dont les dogmes semblent dispenser les hommes de la crainte du châtiment infernal, pourvu qu’ils aient la foi, insistent sur la nécessité et la suffisance de l’attrition pour le salut.
Port-Royal, de son côté, voit bien que la doctrine des protestants conduit à supprimer la crainte de l’enfer, pour ceux qui ont la foi. Voir sur ce point Arnauld Antoine, Le renversement de la morale de Jésus-Christ…, Livre IX, p. 724 sq. Que la doctrine des calvinistes est très préjudiciable à la piété, en ce qu’elle porte le commun des fidèles à ne craindre ni d’être damnés, ni même de tomber en la disgrâce de Dieu, quelques péchés qu’ils commettent contre la première ou la seconde table de la loi.
Mais les « jansénistes » pensent que les molinistes et les casuistes, en favorisant l’attrition, n’en commettent pas moins un excès tout aussi dangereux. Ils considèrent l’attrition et la crainte de l’enfer comme une expression de l’amour propre qui n’enferme pas de véritable amour de Dieu. Ils soutiennent la nécessité de la contrition. En elle-même, la crainte de l’enfer par peur du châtiment n’a pas de valeur morale pour le salut.
Bourzeis Amable, Lettre d’un abbé à un abbé, sur la conformité de saint Augustin avec le concile de Trente, touchant la possibilité des commandements, Au lecteur, 1649 (non paginé, voir p. 3e et 4e). Il y a deux craintes, celle qui mène à Dieu, et celle qui n’y mène pas, car aimer Dieu par crainte fait demeurer dans l’esclavage.
Cependant Port-Royal s’inscrit bien dans le fil des réflexions de saint Augustin sur ce sujet. Comme le dit Bourzeis dans l’ouvrage mentionné ci-dessus, la crainte est aussi la voie de l’amour : Dieu élève à la charité par la crainte.
Voir Saint Augustin, Premières réactions antipélagiennes. La grâce de la nouvelle alliance, éd. Pierre Descotes, Note, p. 481-488. Sur le rôle de la crainte dans la vie chrétienne. Selon saint Augustin, le pécheur est évidemment incapable d’éprouver un amour désintéressé, qui n’est donné que par l’Esprit Saint. La crainte des châtiments est insuffisante, mais elle est tout de même utile, voire nécessaire. La crainte servile est le symptôme d’une disposition intérieure qui engage à chercher le plaisir et non le bien, et à redouter la souffrance et non le mal. « S’il n’y a aucune crainte, il n’y a pas de passage par où puisse passer la charité » : p. 482. Mais dans le processus de la justification elle incite l’homme à accueillir la charité : « la crainte prépare, pour ainsi dire, une place à la charité. Mais lorsque la charité a commencé à habiter l’âme, elle chasse la crainte qui lui a préparé la place ». De sorte que « plus grande est la charité, plus faible est la crainte ; plus faible est la charité, plus grande est la crainte ». La crainte servile, quoiqu’elle soit le symptôme d’une disposition intérieure corrompue, constitue une première étape qui doit mener à la charité parfaite : Augustin écrit : « Agis au moins par crainte de la peine, si tu ne le peux pas encore par amour de la justice : la maîtresse viendra et l’esclave se retirera ». La crainte chrétienne, selon Augustin, ne consiste pas seulement à redouter les châtiments, « mais également à savoir que la justice n’est jamais atteinte par les seules forces de la nature, mais est une grâce dont on ne peut jamais assurer qu’elle ne viendra pas à manquer » : p. 485. La crainte de l’enfer n’est donc pas une crainte radicalement servile : elle peut être une voie étroite vers la crainte spirituelle, qui n’est au fond qu’une forme de l’humilité. Voir p. 488 la bibliographie relative à ce sujet.
On retrouve des indications analogues sur la place de la crainte dans la vie chrétienne chez Arnauld, par exemple. Voir Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La morale, II, p. 54 sq. Dieu, pour guérir la corruption, utilise nos faiblesses mêmes ; mais il les transfigure et les élève : utilisant la crainte du châtiment, il en modifie l’objet et le caractère. La crainte de l’enfer n’a qu’une valeur relative, p. 55 ; elle est bonne matériellement, ou secundum officium ; pour que cette crainte ait une valeur absolue, il faut la rapporter à Dieu et en faire un moyen en vue de la vraie charité : p. 55. La crainte servile « craint le mal de la peine que Dieu peut nous faire souffrir » ; la crainte chaste ne craint la damnation que parce qu’elle implique la séparation de Dieu » ; entre les deux, la crainte initiale, qui « craint la peine, mais qui craint aussi le péché et la séparation de Dieu » ; saint Thomas, cité in Arnauld, Réflexions sur un décret de l’Inquisition, Œuvres, XVII, p. 751. La crainte est utile comme germe de la charité : p. 55.
Bourzeis Amable, Lettre d’un abbé à un président sur la conformité de saint Augustin avec le concile de Trente, touchant la manière dont les justes peuvent délaisser Dieu, et être ensuite délaissés de lui, 1649, p. 8 sq., cite saint Augustin, De natura et gratia, XXVII-XXVIII, t. 21, p. 300-302, et XXXII, p. 310 sq.
L’espérance prise en ce sens n’est à vrai dire pas une possibilité, mais un devoir : voir sur ce point dans les Écrits sur la grâce, le Traité de la prédestination, 2, § 36, OC III, éd. J. Mesnard, p. 789. « Que tous les hommes du monde sont obligés, sur peine de damnation éternelle et de péché contre le Saint-Esprit irrémissible en ce monde et en l’autre, de croire qu’ils sont de ce petit nombre d’élus pour le salut desquels Jésus-Christ est mort, et d’avoir la même pensée de chacun des hommes qui vivent sur la terre, quelque méchants et impies qu’ils soient, tant qu’il leur reste un moment de vie, qu’ils ne sont pas du nombre des prédestinés, laissant dans le secret impénétrable de Dieu le discernement des élus d’avec les réprouvés ». Voir sur ce sujet dans OC III, éd. J. Mesnard, p. 611, l’analyse de l’obligation pour tous les hommes de croire qu’ils sont du petit nombre d’élus pour le salut desquels Jésus-Christ est mort, et d’avoir la même pensée pour chacun des hommes qui vivent sur la terre.
Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, Paris, Vrin, 1962, p. 92 sq. Crainte et tremblement, confiance et tranquillité : p. 94. Place de la crainte servile dans le processus de justification : p. 115. Un pénitent doit craindre d’être abandonné par Dieu : p. 299.
Pontas, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 503-504. La crainte.
Le problème de la différence entre l’attrition comme crainte du châtiment et de la contrition est abordé par Pascal dans la dixième Provinciale.
Sellier Philippe, “Qu’est-ce que le jansénisme ?”, in Port-Royal et la littérature, II, Le siècle de saint Augustin, La Rochefoucauld, Mme de Lafayette, Mme de Sévigné, Sacy, Racine, 2e éd., Paris, Champion, 2012, p. 55-99. Voir p. 62 sq. Le jansénisme peut-il être défini par la crainte et le tremblement dans la recherche du salut ?
— Rép[onse] : Qui a plus de sujet de craindre l’enfer ? Ou celui qui est dans l’ignorance s’il y a un enfer, et dans la certitude de la damnation s’il y en a ;
Resp. : pour réponse.
L’originalité de cette réponse est qu’elle n’entre pas dans les considérations théologiques que nous avons exposées ci-dessus : Pascal se proportionne au lecteur incrédule, en lui proposant une comparaison (sinon un calcul) des craintes qui n’est pas d’ordre religieux.
Il va de soi que si Pascal parlait ici en chrétien, il répondrait que la crainte servile ne sert que fort peu pour la conversion et le salut. Il va de soi aussi que l’argument ne saurait viser à susciter dans l’âme de l’incrédule la vertu d’espérance, qui est toujours un don de Dieu. Pas plus que l’argument du pari, le but de cette réponse ne peut être de susciter un changement dans l’âme de l’incrédule : nul n’est libre de craindre ou de ne pas craindre l’enfer.
Pascal envisage ici la crainte de l’enfer telle que la conçoit l’incrédule, du strict point de vue des avantages et des désavantages de leurs conditions respectives, dans l’incertitude où la raison les place sur l’existence de l’enfer. L’existence de l’enfer est ici envisagée strictement du point de vue hypothétique. Le seul point sur lequel les interlocuteurs sont d’accord est le postulat que l’enfer s’il existe est à craindre.
La question posée est : qui, du chrétien ou de l’incrédule, a le plus à craindre l’enfer ? Il s’agit de faire comprendre à l’incrédule qu’il évalue mal les risques de sa condition, dans le doute où l’on est de savoir par raison si oui ou non l’enfer existe. On se trouve bien dans une situation de parti, savoir de déterminer quelle est, entre deux positions, la plus désavantageuse.
Pascal répond en déplaçant le problème, en portant l’argumentation non sur le caractère effrayant de l’enfer lui-même, mais sur la conséquence qu’implique le fait d’y croire ou non.
Il est préférable d’être chrétien ; car le chrétien est persuadé que l’enfer existe, mais pas forcément qu’il soit destiné à tomber dans cet enfer, car il a l’espoir d’être sauvé. En revanche, l’incrédule qui ignore ou récuse la possibilité que l’enfer existe se trouve dans une condition moins favorable : quoique l’existence de l’enfer soit incertaine pour lui, s’il meurt dans l’impiété et si l’enfer existe, la conséquence directe est qu’il est quasi certain d’être damné.
Pascal le dit dans d’autres passages :
Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir ; mais ce que j’ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter. Comme je ne sais d’où je viens, aussi je ne sais où je vais ; et je sais seulement qu’en sortant de ce monde je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d’un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage. Voilà mon état, plein de faiblesse et d’incertitude.
Commencement 8 (Laf. 158, Sel. 190). Par les partis vous devez vous mettre en peine de rechercher la vérité, car si vous mourez sans adorer le vrai principe vous êtes perdu. Mais dites-vous, s’il avait voulu que je l’adorasse, il m’aurait laissé des signes de sa volonté. Aussi a-t-il fait, mais vous les négligez, cherchez-les donc, cela le vaut bien.
Cette perspective est propre à susciter le désespoir.
On aboutit au paradoxe suivant : c’est celui qui ne croit pas à l’enfer qui a le plus de raisons d’en avoir peur. En d’autres termes : ne pas croire à l’enfer est une excellente raison d’en avoir peur.
ou celui qui est dans une certaine persuasion qu’il y a un enfer, et dans l’espérance d’être sauvé s’il est ?
Une certaine persuasion : comme l’indique Havet, éd. des Pensées, 1866, p. 153, il faut entendre une persuasion certaine.
Celui qui croit à l’existence de l’enfer n’est pas assuré d’y être condamné : l’espérance doit subsister en lui de gagner le salut. Voir ce qui a été dit plus haut sur la vertu d’espérance, et sur le devoir de croire de soi et d’autrui que l’on fait partie des élus (Écrits sur la grâce, le Traité de la prédestination, 2, § 36, OC III, éd. J. Mesnard, p. 789).