Pensées diverses IV – Fragment n° 12 / 23 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 162 p. 394 / C2 : p. 365
Éditions savantes : Faugère II, 384, LII / Havet XXV.198 / Brunschvicg 179 / Le Guern 633 / Lafuma 753 (série XXVI) / Sellier 623
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Bibliographie ✍
BOUCHER Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, contenant les résolutions de trois cent soixante et dix questions sur le sujet de la foi, de l’Écriture sainte, de la création du monde, de la rédemption du genre humain, de la divine providence, et de l’immortalité de l’âme, proposées par Typhon, maître des impies et libertins de ce temps et répondues par Dulithée, Paris, Charles Roulliard, 1628. FERREYROLLES Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 1, janv.-mars 2002, p. 21-40. GROTIUS Hugo, Operum theologicorum tomus secundus, continens annotationes in quatuor Evangelia et Acta apostolorum, Basileae, Thurnisios fratres, 1732. MACROBE, Saturnales, in MACROBE, VARRON et POMPONIUS MELA, [Œuvres complètes], éd. D. Nisard (dir.), Paris, Didot, 1863. |
✧ Éclaircissements
Quand Auguste eut appris qu’entre les enfants qu’Hérode avait fait mourir au‑dessous de l’âge de deux ans était son propre fils, il dit qu’il était meilleur d’être le pourceau d’Hérode que son fils. Macrobe, livre II, Saturnales, chap. IV.
Macrobe : Flavius Macrobius Ambrosius Theodosius, auteur latin né en Numidie (c. 370- ?) auteur des Saturnales. Voir cet ouvrage, Livre II, ch. 4, in [Œuvres complètes], éd. D. Nisard (dir.), p. 228. « Cum audisset, inter pueros, quos in Syria Herodes rex Judaeorum intra binatum jussit interfici, filium quoque ejus occisum, ait : Melius est Herodis porcum esse, quam filium. » « Ayant appris que, parmi les enfants de deux ans et au-dessous qu’Hérode, roi des Juifs, avait fait massacrer en Syrie, était compris le propre fils de ce roi, il (Auguste) dit : Il vaut mieux être le porc d’Hérode que son fils ».
Écho de ce passage de l’Évangile de Matthieu, II, 16-18, qui fait allusion au massacre des innocents. « Hérode voyant que les mages s’étaient moqués de lui, entra dans une grande colère ; et il envoya tuer dans Bethléem, et dans tout le pays d’alentour, tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps dont il s’était enquis exactement des mages. 17. On vit alors s’accomplir ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : 18. Un grand bruit a été entendu dans Rama ; on y a entendu des plaintes et des cris lamentables : Rachel pleurant ses enfants, et ne voulant point recevoir de consolation, parce qu’ils ne sont plus. » Voir Jérémie, XXXI, 15.
Fontaine Nicolas, L’histoire du Vieux et du Nouveau Testament, Figure XII, Fuite en Égypte, éd. De Bruxelles, 1747, p. 392. « Jésus se trouvant en sûreté réfugié en Égypte, Dieu laissa ensuite agir Hérode dans toute l’étendue de sa fureur. Et ce prince par une cruauté dont les peuples les plus barbares auraient eu horreur, fit mourir tous les petits enfants de Bethléem et des lieux voisins, qui étaient au-dessous de deux ans, afin d’envelopper dans cette ruine commune celui qui sans qu’il le connut lui donnait déjà tant de frayeur. C’est à quoi se réduisit la malheureuse politique de ce prince, qui passait alors pour le plus grand esprit de son temps. Un enfant pauvre le fit trembler, et il employa inutilement pour le perdre toute son adresse et toute sa violence. L’entreprise qu’il fit contre cet enfant le rendit vraiment déicide, et il devint l’image de ceux qui veulent étouffer Jésus-Christ dans les âmes pour se conserver une vaine gloire parmi les hommes. Mais c’est dans ces grandes passions que Dieu d’ordinaire exerce ses grands jugements, et qu’il punit divinement ceux qui le combattent, et qui se déclarent ouvertement contre lui. C’est ainsi qu’il se rit en cette rencontre de la cruauté d’Hérode. Il s’en sert pour rendre éternellement heureux ceux que ce tyran voulait perdre : et parmi ce meurtre de tant d’enfants celui qu’on cherchait seul dans ce grand carnage se sauve tout seul. On ne vit jamais mieux que les méchants ne font du mal aux bons qu’autant qu’il plaît à Dieu de leur en donner le pouvoir. Et les chrétiens doivent apprendre de ces exemples à ne regarder que Dieu dans les hommes, et à considérer leur haine ou leur amour comme des moyens dont il se sert pour l’exécution de ses ordres. Tout le monde ensemble ne peut rien contre ce qu’il a résolu de faire. Quand on est assez heureux pour connaître sa volonté, on n’a qu’à la suivre sans rien craindre ; et s’il permet qu’il en arrive du mal, ce mal deviendra notre plus grand bien, comme la cruauté d’Hérode est devenue si avantageuse pour ces petits innocents, quoiqu’en tuant leurs corps il a sanctifié leurs âmes, et a consacré leur mémoire dans la suite de tous les âges. »
Ce texte est cité par Jean Boucher, Les Triomphes de la religion chrétienne, IV, XXXV, p. 456, qui suit Macrobe en associant le meurtre du fils d’Hérode et le massacre des innocents : « Ce qui a été expressément remarqué par cet ethnique et païen Macrobe, disant : l’empereur Auguste ayant appris qu’Hérode roi des Juifs, n’avait pas pardonné à son propre fils, l’ayant fait tuer avec tous les enfants de Syrie nés depuis deux ans qu’il avait commandé d’être égorgés, dit qu’il vaudrait mieux être le porc que le fils d’Hérode ». Le texte latin figure en marge. Voir l’éd. Le Guern, Pléiade, II, p. 1432.
De même, plus tard, Huet a employé le texte de Macrobe dans sa Demonstratio evangelica (1679), Propositio IX, cap. XV, avec ces mots d’introduction : « Memorabile est, et ad fidem Evangelicae Historiae conciliandam peropportunum Augusti dictum de Herodis saevitia in judaeorum infantes, ipsumque adeo ejus filium, quod refertur a Macrobio... »
Huet remarque, après avoir rapporté le propos d’Auguste, que les historiens discutent sur l’identité du fils que Hérode aurait fait exécuter. La chronologie de l’Histoire du Vieux et du Nouveau Testaments donne en effet l’indication suivante : en 3 993 de l’histoire du monde, « Hérode va à Rome avec ses deux enfants Alexandre et Aristobule, pour les accuser devant Auguste et les faire mourir. Mais Auguste le réconcilie avec ses enfants ». En 3 999, « Hérode en ayant reçu le pouvoir d’Auguste, fait étrangler ses deux enfants Alexandre et Aristobule. Ce fut cette année que l’empereur Auguste ayant fait un édit pour faire la description de tout l’empire romain, saint Joseph alla avec la sainte Vierge de Galilée à Bethléem ». Noter qu’Auguste ratifia les sentences de mort portées par Hérode contre ses fils.
Mais il semble que Macrobe contamine en l’occurrence des événements distincts, l’exécution d’un des fils d’Hérode et le massacre des innocents.
Hugo Grotius, dans son commentaire sur l’Évangile de Matthieu, II, 16, Operum theologicorum tomus secundus, continens annotationes in quatuor Evangelia et Acta apostolorum, Basileae, Thurnisios fratres, 1732, p. 19-20, constate le peu de vraisemblance qu’il y a à supposer qu’Antipater, fils d’Hérode déjà d’un âge avancé, et qui n’avait jamais été à Bethléem, ait été tué parmi les enfants de Bethléem. Le massacre des innocents semble n’être pas parvenu aux oreilles d’Auguste. Josèphe n’en dit rien. Il ne peut avoir inspiré à Auguste la phrase qu’il était meilleur d’être le pourceau d’Hérode que son fils. Grotius conclut que Macrobe a commis une confusion entre deux histoires différentes.
Pascal accepte l’identification des deux événements.
Ferreyrolles Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, in Pascal. Religion, Philosophie, Psychanalyse, Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 1, janv.-mars 2002, p. 21-40.
Le texte de Matthieu explique l’intérêt de Pascal pour cet épisode, comme preuve de Jésus-Christ : le massacre des saints innocents réalisait une ancienne prophétie de Jérémie, XXXI, 15. L’assassinat de son fils par Hérode accentue le caractère horrible de l’événement.
Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Qu’il est beau de voir par les yeux de la foi, Darius et Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode, agir sans le savoir pour la gloire de l’Évangile.
Prophéties VIII, (Laf. 500, Sel. 737). Beau de voir des yeux de la foi l’histoire d’Hérode, de César.
L’anecdote est peut-être forgée sur un modèle convenu. Voir GEF XIII, p. 94, signale que l’on trouve un passage analogue dans la vie de Diogène le Cynique, de Diogène Laërce, VI, 41, éd. Goulet-Cazé, p. 718 : « À Mégare, il vit les moutons protégés par des peaux de cuir, tandis que les enfants des gens de Mégare étaient nus. Il est plus avantageux, dit-il, d’être le bélier d’un habitant de Mégare, que son fils ».