Pensées diverses IV – Fragment n° 19 / 23 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 166 p. 395 v° / C2 : p. 369 à 371

Éditions savantes : Faugère I, 229, CLXIX / Havet XXIV.64 / Michaut 956 / Brunschvicg 11 / Le Guern 640 / Lafuma 764 (série XXVI) / Sellier 630

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Bibliographie

 

 

ADAM Antoine, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Paris, Domat, 1948-1956.

ARNAULD et NICOLE, La logique ou l’art de penser, I, XIII (éd. de 1664), éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2014.

BLOCKER Déborah, Instituer un « art ». Politiques du théâtre dans la France du premier XVIIe siècle, Paris, Champion, 2009.

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FUMAROLI Marc, “La querelle de la moralité du théâtre avant Nicole et Bossuet”, Revue d’Histoire Littéraire de la France, novembre-décembre 1970, p. 1007-1030.

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MESNARD Jean, “Amitiés précieuses autour de Port-Royal”, in LONG Marceau (dir.), La galerie des femmes illustres au Grand Siècle, Paris, Éditions de la bouteille à la mer, 2006, p. 137-166.

NICOLE Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. L. Thirouin, Paris, Champion, 1998.

NICOLE Pierre, Traité de la comédie, éd. G. Couton, Paris, Les Belles Lettres, 1961.

PASCAL Blaise, Œuvres complètes, éd. J. Mesnard, I, Paris, Desclée de Brouwer, 1964, p. 48-53.

PONTAS Jean, Article Comédie, Comédiens, in Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 365-366. Art. Comédie, Comédiens.

SAINTE-BEUVE, Port-Royal, III, éd. Pléiade, t. 2, éd. Le Roy, Pléiade, Paris, Gallimard, 1954.

TALLEMANT DES RÉAUX Gédéon, Historiettes, éd. A. Adam, Pléiade, Paris, Gallimard, 1960, 2 vol.

THIROUIN Laurent, L’aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique, Champion, Paris, 1997 ; 2e éd., Paris, Champion, 2007.

 

La bibliographie relative à la controverse sur la moralité du théâtre est trop importante pour être intégralement citée ici. Le lecteur doit se reporter aux deux ouvrages de L. Thirouin cités ci-dessus. Voir cependant les indications de la note ci-dessous.

 

 

Éclaircissements

 

De qui est le fragment sur la comédie reproduit dans les Copies ?

Les commentateurs sont divisés sur ce point, comme en témoignent les études des copies et des éditions. Voir un état des opinions dans l’article de Lafuma Louis, “Madame de Sablé et les dangers de la comédie”, in Écrits sur Pascal, Éd. du Luxembourg, Paris, 1959, p. 117-124.

Voir ce qu’en écrit Sainte-Beuve dans son Port-Royal, Livre III, ch. IX, éd. M. Leroy, t. 2, Pléiade, Paris, Gallimard, 1954, p. 127, note, qui permet de saisir sur quels fondements l’attribution du texte peut parfois reposer.

« Cette Pensée de Pascal se trouve identiquement dans le petit volume des Maximes de Mme de Sablé, publié aussitôt après la mort de cette dame (1678) ; c’est la LXXXIe et dernière. Est-ce une raison pour la retirer à Pascal, comme le fait M. Cousin (Voir Madame de Sablé, 1854, p. 84) ? Mme de Sablé avait fait, il est vrai un Écrit contre la comédie ; mais cette Pensée d’une seule page est-elle la même chose que cet Écrit ? Une Pensée de Pascal, relative à ce même sujet qu’elle traitait, n’a-t-elle pu se rencontrer parmi les papiers de Mme de Sablé, où on l’aura prise pour une des siennes ? Laquelle des deux choses est la plus probable, qu’on ait trouvé dans les papiers de Pascal une Pensée de Mme de Sablé, ou dans les papiers de Mme de Sablé (qui était une grande curieuse, comme on sait), une Pensée de Pascal ? Cette réflexion sur la comédie n’est point dans le manuscrit autographe de Pascal, mais elle est dans la Copie faite d’après les papiers trouvés dans son cabinet. Enfin, de ce qu’elle n’est point, et ne m’a point paru à moi-même, du ton habituel de Pascal, est-ce une preuve qu’elle n’est pas de lui ? – Dans le doute, je m’en tiens encore à la tradition ».

NB : la deuxième partie de cette note date de la seconde édition de Port-Royal, soit de 1860 ; voir l’éd. Leroy, p. 1083. Sainte-Beuve laisse alors aller son imagination : « En écrivant cette page tendre, la plus tendre qu’il ait écrite (j’en excepte à peine celle du Discours de l’amour), Pascal se souvenait-il d’avoir vu Chimène ? se reprochait-il, comme saint Augustin, les pleurs qu’il avait versés ? S’il m’est échappé de dire que Corneille n’avait pas eu de prise sur lui, je me rétracte : voici le point où son atteinte secrète se découvre » : loc. cit., p. 127. Louis Lafuma, qui cite dans son article sur ce fragment le passage de Sainte-Beuve, mais conclut contre lui, écrit qu’il « s’agit là d’une littérature de salon qui [...] est absolument étrangère à Pascal » (p. 123).

Havet, dans son édition des Pensées de 1866, II, p. 140, rejoint en un sens Sainte-Beuve lorsqu’il note que cette pensée est « évidemment inspirée par Corneille, que Pascal cite encore ailleurs au sujet de l’amour ». Voir dans les commentaires sur les manuscrits et les éditions les différentes opinions des éditeurs et des critiques.

Il faut comparer ce texte avec la version initiale, à la fin des maximes de Mme de Sablé, dans l’éd. Jouaust, Paris, Librairie des bibliophiles, 1870, n° LXXXI, p. 46-47, ou dans les Maximes de Mme de Sablé, 81, in La Rochefoucauld, Maximes, éd. Lafond, Folio, p. 247. D’autre part, on trouve les maximes de Mme de Sablé suivies de celles de l’abbé d’Ailly dans l’édition de J. Lafond, Moralistes du XVIIe siècle, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 243 sq. et p. 259 sq. Voir les études des copies et des éditions de ce texte.

Plusieurs indices conduisent à attribuer le texte primitif à la marquise, notamment une lettre d’Arnauld d’Andilly mentionnant un écrit « sur le sujet de la comédie ». Voir Nicole Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. Thirouin, p. 133-134. L. Thirouin allègue aussi un billet de Mme de Guéméné à Mme de Sablé, où on lit : « Je serais persuadée de tout ce que vous m’avez envoyé sur les comédies, quand il ne serait pas si convaincant et si bien écrit qu’il est ». L’hypothèse d’une copie enrichie de corrections de Pascal semble aujourd’hui s’imposer.

 

La querelle de la moralité du théâtre et les ouvrages contre le théâtre

 

Fumaroli Marc, “La querelle de la moralité du théâtre au XVIIe siècle”, Bulletin de la société française de philosophie, Paris, Colin, juillet-septembre 1990, p. 65-97.

Fumaroli Marc, “La querelle de la moralité du théâtre avant Nicole et Bossuet”, Revue d’Histoire d Littéraire de la France, novembre-décembre 1970, p. 1007-1030.

Dubu Jean, Les églises chrétiennes et le théâtre (1550-1684), Paris, Presses Universitaires de Grenoble, 1997.

Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 14 sq. Ouvrage essentiel sur le sujet. Les laïcs ennemis du théâtre : p. 13 sq.

Lamy Bernard, Nouvelles réflexions sur l’art poétique, éd. T. Gheeraert, Paris, Champion, 1998, p. 41 sq. Les religieux ennemis du théâtre.

Goyet Thérèse, “La condamnation du théâtre à Port-Royal. Sa situation dans la tradition rigoriste”, in Pascal, Port-Royal, Orient, Occident, Paris, Klincksieck, 1991, p. 167-181.

Lafuma Louis, “Madame de Sablé et les dangers de la comédie”, in Écrits sur Pascal, Éd. du Luxembourg, Paris, 1959, p. 117-124.

Nicole Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. L. Thirouin, Paris, Champion, 1998.

Un recueil des principaux textes contre le théâtre est fourni par le recueil publié par Laurent Thirouin sous le titre, Nicole Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. L. Thirouin, Paris, Champion, 1998. La Maxime 81 de Mme de Sablé y figure p. 131-138.

Autres ouvrages sur le même sujet dans le même recueil :

Godeau Antoine, sonnet sur la comédie, p. 121 sq.

Singlin Antoine, Lettre à la duchesse de Longueville, p. 125 sq.

Senault Jean-François, Le monarque ou les devoirs du souverain, p. 139 sq.

Rochemont, Observations sur une comédie de Molière intitulée Le festin de pierre, p. 145 sq.

Conti Armand de Bourbon, prince de, Traité de la comédie et des spectacles, 1666, p. 185 sq.

La querelle des Imaginaires et l’Avis au lecteur d’Attila de Corneille figurent dans le même recueil.

 

Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne, mais entre tous ceux que le monde a inventés il n’y en a point qui soit plus à craindre que la comédie,

 

Comédie désigne ici le théâtre en général, comédie comprise.

Divertissement est ici entendu par Mme de Sablé dans son sens ordinaire ; mais il est clair que, pour Pascal, il faut aussi l’entendre au sens plus large de la liasse Divertissement. Le mot change ainsi de signification profonde selon ceux qui l’emploient.

Pascal classe la comédie parmi les autres grands divertissements dans le fragment Laf. 628, Sel. 521. Vanité, jeu, chasse, visite, comédies, fausse perpétuité de nom.

Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 223 sq. Réponse de Nicole à l’argument selon lequel le divertissement est nécessaire : ceux qui vont au théâtre sont justement ceux qui n’ont pas besoin de divertissement, parce qu’ils ne font rien, particulièrement les femmes : p. 227.

Nicole Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. Thirouin, p. 78. La plupart de ceux qui assistent à la comédie le font sans aucune nécessité de se délasser l’esprit. Le besoin qu’on a de se délasser ne peut servir de prétexte ni d’excuse pour aller à la comédie : p. 84 sq.

Le problème de l’efficacité de la représentation théâtrale est envisagé ici sous l’aspect de son caractère dangereux, et dangereux pour la vie chrétienne.

 

Paradoxe de Senault

 

On désigne actuellement sous le nom de paradoxe de Senault, auteur d’un Le monarque ou les devoirs du souverain (1661, voir Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 139 sq.), l’idée qu’un divertissement comme la comédie est d’autant plus dangereux pour l’âme qu’il revêt un aspect plus honnête et qu’il exclut les « saletés » dont il avait fallu débarrasser la scène parisienne, car cette honnêteté apparente ôte aux spectateurs tout méfiance, et permet au spectacle d’exciter d’autant plus facilement par contagion le désir des passions dans les cœurs. Le paradoxe consiste en ce que plus le théâtre semble honnête, plus il est corrupteur, autant et plus qu’un théâtre rempli d’infamie, d’atrocités et de passions corrompues.

Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 73 sq. Apparence superficielle de répression : p. 74. Mais les peines sont très limitées et ne dépassent pas l’amende et le bannissement. Le texte prend parti en faveur du caractère bénéfique du théâtre : p. 74. Il vise à protéger des rigueurs de la loi les comédiens qui se montrent respectables qui font œuvre utile : p. 75.

La campagne que Richelieu a entreprise pour épurer la scène dramatique ne rencontre donc pas l’approbation des ennemis du théâtre : ceux-ci discernent, sous l’apparence de répression que revêt l’édit de Louis XIII du 16 avril 1641 un danger sournois, qui rend la scène encore plus dangereuse quand elle affecte une honnête pudeur que quand elle présente les passions dans toute leur violence.

Voir Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 40 sq. Plus la comédie est charmante et semble honnête, plus elle est dangereuse et plus elle doit être tenue criminelle : p. 42. Ce paradoxe sera repris par Conti et par Rousseau : p. 42.

 

c’est une représentation si naturelle et si délicate des passions qu’elle les émeut et les fait naître dans notre cœur

 

Le mot représentation remplace le mot peinture, qui se trouve dans le texte de Mme de Sablé. Représentation enferme l’idée de mouvement, ce qui n’est pas vraiment le cas pour le mot peinture. Il doit être entendu au sens théâtral, mais le recueil de Louis Marin, Pascal et Port-Royal, en souligne les implications profondes.

Nicole Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. Thirouin, p. 64. Les vertus chrétiennes ne sont pas propres à paraître sur le théâtre. Le but de la comédie engage les poètes à ne représenter que des passions vicieuses : p. 66. La comédie inspire des désirs de vengeance : p. 72.

Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 86 sq. Incompatibilité des vertus du héros théâtral avec la nature du héros théâtral. Les vertus chrétiennes sont non spectaculaires : p. 87. Humilité, vertu imperceptible : p. 87. Corneille même écrit que « une vierge et martyre sur un théâtre, n’est autre chose qu’un terme qui n’a ni jambes ni bras, et par conséquent point d’action » : p. 92. Varet : « une vierge véritable fait un très méchant personnage sur un théâtre », manquant de galanterie entre autres : p. 92-93.

 

et surtout celle de l’amour,

 

Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 195 sq. Caractère toujours vicieux et illégitime de l’amour d’une créature mortelle, lorsqu’il ne naît pas de l’amour de Dieu : p. 199.

Nicole Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. L. Thirouin, p. 58 sq. Le théâtre apprend le langage des passions.

Voir l’édition des Pensées de Havet, 1866, II, p. 140, qui reconnaît dans la violence dans une passion honnête et chaste, la marque de Corneille sur Pascal. Havet estime que c’est par erreur que l’on attribue le texte à Mme de Sablé, en quoi il se trompe certainement ; mais son commentaire insiste sur la violence des passions et la force de l’amour propre, en quoi il est sans doute inspiré par la phrase qui commence par ces mots, qui peut être attribuée à Pascal.

Dossier de travail (Laf. 413, Sel. 32). Qui voudra connaître à plein la vanité de l’homme n’a qu’à considérer les causes et les effets de l’amour. La cause en est un je ne sais quoi. Corneille. Et les effets en sont effroyables. Ce je ne sais quoi, si peu de chose qu’on ne peut le reconnaître remue toute la terre, les princes, les armées, le monde entier. Le nez de Cléopâtre s’il eût été plus court toute la face de la terre aurait changé.

 

principalement lorsqu’on le représente fort chaste et fort honnête, car plus il paraît innocent aux âmes innocentes, plus elles sont capables d’en être touchées ;

 

Application originale du principe scolastique Quicquid recipitur ad modum recipientis recipitur. Voir Gilson Étienne, Le thomisme, Introduction à la philosophie de saint Thomas d’Aquin, 6e éd., Paris, Vrin, 1997, p. 267 et p. 287. Quod recipitur in aliquo recipitur in eo secundum modum recipientis. Dès lors que l’acte de connaissance est entièrement immanent à la pensée, il faudra que l’objet s’accommode de la manière d’être de la pensée. L’objet prend en elle un être du même ordre que les siens. Pour que l’arbre soit dans la pensée en tant que connu, il doit y être sans sa matière, par sa forme seule, c’est-à-dire selon un mode d’être spirituel.

Les âmes innocentes sont exposées à ne voir dans la comédie que son aspect innocent, et ne pas se méfier des passions qui s’insinuent à la faveur de cette belle apparence.

 

 sa violence plaît à notre amour‑propre qui forme aussitôt un désir de causer les mêmes effets que l’on voit si bien représentés,

 

Ces mots ouvrent une phrase absente dans la rédaction originelle. Ils sont certainement dus à Pascal.

Voir le commentaire dont L. Thirouin accompagne ce passage, in Nicole, Traité de la comédie…, p. 135 sq.

L’apparition de la notion d’amour propre et l’idée qu’il engendre un désir de causer les mêmes effets, que l’on voit si bien représentés sont des points clés du texte, qui apparaissent seulement dans les additions. Dans la version initiale, la raison pour laquelle les spectateurs se retrouvent tout préparés à recevoir les impressions de l’amour n’est pas explicitée, de sorte que la raison des effets n’est pas bien clairement formulée. Cette addition introduit donc dans le fragment les idées clés qui n’étaient pas apparues dans la rédaction initiale.

La notion de l’amour propre est, comme chacun sait, un point essentiel de la pensée de Pascal. Il ne s’agit pas d’une addition insignifiante : c’est au contraire un paradoxe que la violence plaise à l’amour propre. Le mot violence suppose qu’en l’occurrence une force injuste s’exerce sur l’esprit des spectateurs (voir le dossier thématique sur la tyrannie). La seule notion de disproportion entre les causes et les effets (voir Vanité 32 (Laf. 46, Sel. 79), Vanité. La cause et les effets de l’amour. Cléopâtre.) n’est pas ici tout à fait suffisante. Il faut ajouter que l’impression exercée sur l’âme se fait contre la volonté consciente du spectateur, par une sorte de contagion inconsciente.

Qui forme aussitôt un désir de causer les mêmes effets, que l’on voit si bien représentés : le théâtre engendre chez le spectateur un effet de mimétisme des passions. Ce désir d’imitation fait l’objet d’une analyse très originale de L. Thirouin, L’aveuglement salutaire, ch. IV, p. 121 sq. Sur la contagion du théâtre, voir p. 122 sq. Une femme venue pudique au théâtre en repart impudique : p. 125. La miserabilis insania de saint Augustin : p. 127. Il n’est pas d’état neutre dans lequel le spectateur suive une scène sans en être contaminé : p. 139. L’homme étant perverti par le péché originel, les mauvais exemples lui plaisent plus que les bons, et le cœur ne s’intéresse point aux passions qui lui sont étrangères : p. 142-143. Les seuls sentiments que la pièce nourrisse sont ceux qui rejoignent le désir corrompu du public : p. 145. La comédie, selon saint Augustin, est à la fois reflet de la corruption et aliment de cette corruption : p. 146. Développement de germes pervers préexistants : p. 147. L’exemple d’Alypius selon saint Augustin, Confessions, VI, 8 : « il n’eut pas plutôt vu couler ce sang qu’il devint cruel et sanguinaire ».

Le désir d’imiter les passions représentées sur scène n’est, chez le spectateur, qu’un reflet de ce qui se passe chez le comédien lui-même. Sur la manière dont un comédien produit volontairement en lui-même les mouvements de la passion, que le spectateur reçoit et reproduit passivement, voir p. 41-42, ch. II, éd. Thirouin, p. 36-37. Sur le goût qu’on prend à être aimé et recevoir des cajoleries, voir ch. V, p. 49-50. Le mot cajolerie implique l’idée d’amour propre. Sur la transformation que subit le spectateur, ch. VI, p. 52.

Nicole Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. Thirouin, p. 38. La comédie accoutume insensiblement l’esprit à regarder la passion d’amour sans horreur.

Comme l’écrit Boileau, Satire X, « Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue ». Et la nature suit son cours...

Laurent Thirouin a fait le rapprochement entre ces idées et celles d’Antonin Artaud sur la contagion engendrée par la représentation théâtrale.

L’analyse des réactions du spectateur au discours théâtral rejoint celle d’Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique ou l’art de penser, I, XIII (éd. de 1664), éd. D. Descotes, 2e éd., 2014, p. 204 sq., sur la manière dont les figures rhétoriques et poétiques engendrent des mouvements de l’âme.

 

et l’on se fait au même temps une conscience fondée sur l’honnêteté des sentiments qu’on y voit, qui ôtent la crainte des âmes pures, qui s’imaginent que ce n’est pas blesser la pureté d’aimer d’un amour qui leur semble si sage.

 

Des sentiments qu’on y voit, qui ôtent la crainte des âmes pures, qui s’imaginent : ce passage doit être attribué à Pascal.

La comédie nous imprime une idée agréable de la concupiscence : voir Nicole Pierre, Traité de la comédie et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. Thirouin, p. 40. Voir p. 74 : on y déguise les passions les plus horribles sous une apparence qui attire l’affection des spectateurs. « Le remède y plaît moins que ne fait le poison » : p. 205, Conti citant Godeau.

Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, 2e éd., p. 209 sq. Le théâtre sécrète sa bonne conscience en étouffant les scrupules moraux.

Il y a là une sorte d’autocasuistique intérieure et secrète : on se fait une bonne conscience en jouant sur l’objet pour rejeter les scrupules que devrait susciter d’éventuelles blessures à la pureté. Le rapprochement avec les Provinciales relatives à la casuistique s’impose.

 

Ainsi l’on s’en va de la comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l’amour, et l’âme et l’esprit si persuadés de son innocence

 

Sur l’harmonie de la poésie et la beauté du langage, et leurs effets, voir Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 160 sq.

Pascal analyse aussi les effets de la comédie pendant la représentation dans le fragment Laf. 773, Sel. 637. Rien ne nous plaît que le combat mais non pas la victoire. On aime à voir les combats des animaux, non le vainqueur acharné sur le vaincu. Que voulait-on voir sinon la fin de la victoire et dès qu’elle est arrive on en est saoul. Ainsi dans le jeu, ainsi dans la recherche de la vérité. On aime à voir dans les disputes le combat des opinions mais de contempler la vérité trouvée ? point du tout. Pour la faire remarquer avec plaisir il faut la faire voir naître de la dispute. De même dans les passions il y a du plaisir à voir deux contraires se heurter, mais quand l’une est maîtresse ce n’est plus que brutalité. Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses. Ainsi dans les comédies les scènes contentes, sans crainte, ne valent rien, ni les extrêmes misères sans espérance, ni les amours brutaux, ni les sévérités âpres.

 

qu’on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l’occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu’un pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l’on a vus si bien dépeints dans la comédie.

 

Impression : marque qui demeure sur quelque chose pressée par une autre plus forte. L’impression d’un sceau sur la cire y marque la figure. Se dit aussi des qualités qu’une chose communique à une autre, quand elle agit sur elle : les astres font des impressions sur les corps sublunaires par leurs influences (Furetière). Voir les remarques de Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 169 sq.

Voir Nicole, Traité de la comédie, éd. Thirouin, p. 7 ch. V, p. 49-50. Sur la transformation que subit le spectateur, ch. VII-VIII, p. 46 sq.

 

Mme de Sablé

 

Voir l’article sur Mme de Sablé dans le Dictionnaire de Port-Royal.

Tallemant des Réaux Gédéon, Historiettes, éd. A. Adam, Pléiade, Paris, Gallimard, 1960, p. 514-521, sur Mme de Sablé.

Cousin Victor, Madame de Sablé, 2e éd., Paris, Didier, 1859.

Gazier Cécile, Les belles amies de Port-Royal, Perrin, Paris, 1930.

Ivanoff Nicolas, La marquise de Sablé et son salon, Paris, 1927.

Lafond Jean, “La marquise de Sablé et son salon”, in Images de La Rochefoucauld. Actes du tricentenaire, 1680-1980, Paris, P. U. F., 1984, p. 201-216.

Lafuma Louis, “Madame de Sablé et les dangers de la comédie”, in Écrits sur Pascal, Éd. du Luxembourg, Paris, 1959, p. 117-124.

Lesaulnier Jean, “Petite galerie des personnalités familières de Port-Royal”, Un lieu de mémoire : Port-Royal de Paris, Chroniques de Port-Royal, 40, 1991, p. 137-183.

Mesnard Jean, “Amitiés précieuses autour de Port-Royal”, in Long Marceau (dir.), La galerie des femmes illustres au Grand Siècle, Paris, Éditions de la bouteille à la mer, 2006, p. 137-166.

Scudéry Madeleine de, Clélie. Histoire romaine, Troisième partie, 1657, éd. Chantal Morlet-Chantalat, Paris, Champion, 2003, p. 238-239. Portrait de Mme de Sablé sous le nom de Flavie. Elle est caractérisée par la peur de la mort.

Sur les relations entre Pascal et Mme de Sablé, voir Mesnard Jean, Pascal et les Roannez, Desclée de Brouwer, Paris, 1965, 2 vol., p. 723-729. Amitié attestée dans les années 1660-1662. Le mot de remerciement à Mme de Sablé pour avoir procuré à Pascal la connaissance de Menjot : p. 723. Douleur de Mme de Sablé à la mort de Pascal : p. 724. Ce que révèle la lettre de consolation de la Mère Agnès : p. 724.

 

Nicolas d’Ailly

 

Chanoine et trésorier de Lisieux, abbé de Notre-Dame d’Olivet.

Dictionnaire des lettres françaises. Le XVIIe siècle, Pochothèque, art. Ailly, p. 29. Il est lié à Mme de Sablé, dont il semble avoir provoqué la publication des Mémoires, qu’il fit suivre de ses propres maximes sous le titre de Pensées diverses. Il a ensuite séparé ses maximes de celles de Mme de Sablé et les a mises en vers, sous le titre de Sentiments et maximes sur ce qui se passe dans la société civile, 1697.

Moralistes français du XVIIe siècle. De Pibrac à Dufresny, éd. J. Lafond, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 259 sq. D’Ailly a sans doute été élève des jésuites. Il a été avec Bouhours le précepteur des deux fils de M. de Longueville. Mme de Longueville tente de le concilier avec Port-Royal. Il entre dans le cercle des habitués du salon de Mme de Sablé, dont il publiera les Maximes après sa mort. Il publiera les siennes à part en 1697, et les dédiera à Mme de Maintenon. On ignore la date de sa mort, antérieure à 1712. Singlin haïssait cet abbé mondain qui compte parmi ceux « qui vivent en laïques et qui ne satisfont à aucun de leurs devoirs ». Sur ses idées en matière de morale, voir p. 259-260.

Ivanoff Nicolas, La marquise de Sablé et son salon, Paris, 1927, p. 192-195.

 

Valentin Conrart

 

Tallemant des Réaux Gédéon, art. Conrart dans les Historiettes, éd. A. Adam, Pléiade, Paris, Gallimard, 1960, p. 577-584 sur Valentin Conrart.

Bluche François (dir.), art. Conrart, Dictionnaire du grand siècle, Paris, Fayard, 1990, p. 389.

Schapira Nicolas, Un professionnel des lettres au XVIIe siècle. Valentin Conrart : une histoire sociale, Champ Vallon, 2003.

Mongrédien Georges, La vie littéraire au XVIIe siècle, Paris, Tallandier, 1947, p. 60 sq.

Adam Antoine, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, I, p. 239-241, et II, p. 162-163.

 

Postérité de ce texte

 

Les échos que trouve ce texte dans l’œuvre d’Antonin Artaud, notamment sur les phénomènes de contagion engendrés par la représentation théâtrale, ont été bien soulignés par L. Thirouin dans l’ouvrage mentionné ci-dessus.