Pensées diverses IV – Fragment n° 23 / 23 – Papier original : RO 221-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 168 p. 397-397 v° / C2 : p. 373

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 269-270 /

1678 n° 67 p. 262-263

Éditions savantes : Faugère I, 265, I / Havet XXIV.41 / Brunschvicg 903 / Tourneur p. 120-2 / Le Guern 644 / Lafuma 769 (série XXVI) / Sellier 634

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Bibliographie

 

 

COHN Lionel, “Pascal et le judaïsme”, in Pascal. Textes du tricentenaire, Chroniques de Port-Royal, 11-14, Fayard, 1963-1965, p. 206-224.

COHN Lionel (Yehuda Arye), Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Age et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, Reprint of Bar Ilan, volume in Humanities and social sciences, Jérusalem, 1969.

FERREYROLLES Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, “Israël : La rencontre de ce peuple m’étonne”, in Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., Paris, Champion, 2012, p. 233-251.

 

 

Éclaircissements

 

State super vias et interrogate de semitis antiquis et ambulate in eis. Et dixerunt : Non ambulabimus, sed post cogitationem nostram ibimus. ils ont dit aux peuples : Venez avec nous, suivons les opinions des nouveaux auteurs ; la raison naturelle sera notre guide ; nous serons comme les autres peuples qui suivent chacun sa lumière naturelle. Les philosophes ont... (Texte barré verticalement)

 

Cette partie a été barrée verticalement par Pascal. Le texte français établi par Pascal de ces deux passages de Jérémie tient plus de l’adaptation que de la traduction à proprement parler.

Jérémie, VI, 16 et XVIII, 12, traduction de Pascal.

Jérémie, VI, 16 : « Haec dicit Dominus : State super vias, et videte, et interrogate de semitis antiquis, quae sit via bona, et ambulate in ea : et invenietis refrigerium animabus Vestris. Et dixerunt : Non ambulabimus ». Traduction de Port-Royal : « Voici ce que dit le Seigneur : Tenez-vous sur les voies, considérez et demandez quels sont les anciens sentiers pour connaître la bonne voie ; et marchez-y, et vous trouverez la paix et le rafraîchissement de vos âmes. Mais ils m’ont répondu : Nous n’y marcherons point ». Pascal recompose quelque peu le texte et la traduction. La phrase sed post cogitationem nostram ibimus est tirée de Jérémie XVIII, 12, cité plus bas.

Commentaire de Port-Royal : « Les faux prophètes et les pasteurs complaisants promettaient la paix au peuple de Dieu au milieu de leurs désordres. Mais le Seigneur parlant à ce peuple par la bouche de Jérémie, lui fait connaître, comment ils pourraient trouver la paix véritable, et le rafraîchissement, c’est-à-dire, la tranquillité et le repos de leurs âmes. Prenez garde, leur dit-il, à demeurer fermes dans les voies que les prophètes mes fidèles serviteurs vous ont enseignées. N’en sortez pas. Et après avoir bien considéré, et vous être exactement informés des anciens sentiers qui vous ont été tracés, afin de connaître la bonne voie, marchez-y fidèlement ; c’est-à-dire, que pour choisir la bonne voie, il faut en juger par les anciennes, que les saints prophètes vous ont marquées dans les Écritures. N’en forgez donc pas de nouvelles sur le caprice des hommes du siècle et des faux prophètes, qui vous tromperont et vous feront égarer toutes les fois qu’ils s’écarteront de ces anciens sentiers, qui doivent être la règle de votre conduite. C’est là la règle assurée de la tradition [en marge : Estius], dont les hérétiques s’étant éloignés, ils en ont tous tracés de nouvelles voies opposées aux anciennes, et n’ont jamais pu trouver eux-mêmes, ni faire trouver à leurs sectateurs cette paix si désirable, et ce rafraîchissement des âmes, que Dieu ne promet qu’à ceux qui se tiennent fermes dans les voies de la vérité, conformes aux anciens sentiers de nos pères ».

Jérémie, XVIII, 12. Texte de Port-Royal : « Qui dixerunt : Desperavimus : post cogitationes enim nostras ibimus : et unusquisque pravitatem cordis sui mali faciemus ». Le texte latin de la Vulgate est identique à celui de Port-Royal. Tr. de Port-Royal : « Et ils m’ont répondu : Nous avons perdu toute espérance, nous nous abandonnerons à nos pensées, et chacun de nous suivra l’égarement et la dépravation de son cœur ».

Suivons les opinions des nouveaux auteurs : cette traduction de Pascal fait visiblement allusion aux casuistes, qui sont autant de « nouveaux auteurs » ; voir Provinciale V, éd. Cognet, Garnier, p. 91. Ils sont du reste nommés explicitement dans la suite du texte : Cette contrainte lasse ces bons Pères.

Les philosophes ont… : cette formule est aussi une modification du texte de Jérémie par laquelle Pascal suggère que les philosophes sont les successeurs des faux prophètes, qui ont poussé le peuple juif à écouter son esprit propre, plutôt que les préceptes de la tradition. Jérémie ne mentionne naturellement pas les philosophes.

 

la raison naturelle sera notre guide ; nous serons comme les autres peuples qui suivent chacun sa lumière naturelle. (rappel du texte barré verticalement)

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Toutes les nations ont suivi religions et les sectes du monde ont eu la raison naturelle pour guide. 

 

Toutes les religions et les sectes du monde : Pascal a d’abord écrit les nations. Les additions précisent la pensée.

Nous serons comme les autres peuples : voir I Rois, VIII, 20. Samuel est contraint de céder au peuple qui réclame d’être gouverné par un roi, en clamant : « Erimus nos quoque sicut omnes gentes ». Tr. de Port-Royal : « Nous serons comme toutes les autres nations ». Le peuple juif, selon la Bible, a été mis à part de tous les autres pour recevoir et répandre la parole de Dieu. Sa nature de peuple prophète le singularise, même lorsqu’il se montre infidèle à sa mission sacrée. Être comme les autres peuples, c’est pour le peuple juif trahir sa mission.

Dossier de travail (Laf. 392, Sel. 11). Dieu voulant se former un peuple saint, qu’il séparerait de toutes les autres nations, qu’il délivrerait de ses ennemis, qu’il mettrait dans un lieu de repos a promis de le faire et a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venue.

Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, où voici ce que je trouve d’effectif [...]. Il est certain que nous voyons en plusieurs endroits du monde, un peuple particulier séparé de tous les autres peuples du monde qui s’appelle le peuple juif. [...] Je trouve donc ce peuple grand et nombreux sorti d’un seul homme, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu’ils disent tenir de sa main ils soutiennent qu’ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères. [...] Que Dieu ne laissera point éternellement les autres peuples dans ces ténèbres, qu’il viendra un libérateur, pour tous, qu’ils sont au monde pour l’annoncer aux hommes, qu’ils sont formés exprès pour être les avant-coureurs et les hérauts de ce grand avènement, et pour appeler tous les peuples à s’unir à eux dans l’attente de ce libérateur. La rencontre de ce peuple m’étonne, et me semble digne de l’attention.

Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696). Ceci est effectif : pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde, déclarent que tout le monde est dans l’erreur, que Dieu leur a révélé la vérité, qu’elle sera toujours sur la terre. En effet toutes les autres sectes cessent ; celle-là dure toujours et depuis quatre mille ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu, mais qu’il a promis de les racheter, que cette doctrine serait toujours sur la terre, que leur loi a double sens.

Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion obligeant ce peuple pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles sur peine de la vie, de sorte que c’est une chose bien étonnante, qu’elle se soit toujours conservée constamment durant tant de siècles, par un peuple rebelle et impatient comme celui-ci pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois quoique tout autrement faciles.

Mais cet épisode a une valeur figurative : les chrétiens mêmes se conduisent dans leur vie comme les Juifs infidèles à l’égard de Dieu. Le commentaire du verset précédent dans la Bible de Port-Royal éclaire bien le sens de celui-ci : « La réponse que fait ce peuple nous doit faire peur. Nous devons craindre ces endurcissements de cœur et cette violence de nos passions secrètes, qui nous font dire à ceux qui nous donnent les plus saints avis de la part de Dieu Nous ne ferons rien de ce que vous dites. Nous aurons un roi qui règnera sur nous ; et ce roi sera notre propre amour. Nous disons à Dieu de bouche : Que votre règne arrive ; mais nous disons effectivement à l’amour de nous-mêmes ; Régnez sur nous : Que votre volonté se fasse, et non pas celle de Dieu. Nous ferons comme toutes les autres nations : nous ferons comme tout le monde fait. C’est ainsi que l’on raisonne, jusqu’à ce que Dieu nous donne un Samuel qui nous instruise, et qui nous fasse entrer dans ce chemin de la vie qui nous mène au ciel ».

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 465 sq., sur le mystère d’Israël. Voir p. 476 sq., sur l’annonce messianique et l’aide qu’apporte Dieu à son peuple dans les épreuves. Voir p. 484 sq., sur la mission apologétique du peuple juif.

Sellier Philippe, “Israël : La rencontre de ce peuple m’étonne”, in Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., 2012, p. 233-251.

Sur le rôle des prophètes, on peut aussi lire

Sellier Philippe, “Le « fondement » prophétique”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 461 sq.

Sellier Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 471-483.

Voir la liasse Prophéties.

 

Les seuls chrétiens ont été astreints à prendre leurs règles hors d’eux‑mêmes et à s’informer de celles que Jésus-Christ a laissées aux anciens pour être transmises aux fidèles.

 

Les obligations religieuses de la loi mosaïque étaient très contraignantes. Voir le Lévitique, le livre des Nombres, et le Deutéronome.

Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, I, XIV. « Legem tot ritibus onerosam ».

Cohn Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, p. 210. Pascal souligne la rigueur singulière de la loi juive.

Cohn Lionel, “Pascal et le judaïsme”, in Pascal. Textes du tricentenaire, Chroniques de Port-Royal, 11-14, Fayard, 1963-1965, p. 206-224.

Pascal a d’abord écrit la seule religion chrétienne a été astreinte à prendre ses règles..., et a corrigé ensuite en les seuls chrétiens ont été astreints à prendre leurs règles... ; mais le mot astreinte est demeuré au féminin singulier. L’expression est plus exacte : ce n’est pas la religion chrétienne qui a subi une astreinte ; c’est au contraire elle qui l’impose aux chrétiens.

Les seuls chrétiens ont été astreints à prendre leurs règles hors d’eux‑mêmes : écho au début du texte A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182), où Pascal fait l’état des principes nouveaux que l’homme doit admettre dans sa recherche de la vérité, une fois qu’il a compris qu’il est incompréhensible par les seules forces de la raison : il faut accepter les principes issus d’une révélation venue de plus haut.

Plus bas, une phrase a été barrée horizontalement : Ainsi les philosophes de toutes les sectes ont suivi librement leurs propres imaginations. Pascal a préféré supprimer cette phrase pour concentrer l’attention sur le cas des jésuites (« ces bons pères ») et les casuistes.

On oppose ordinairement les philosophies aux religions, ce qui conduit à classer les stoïciens, les épicuriens, les cartésiens et les autres d’un côté, et de l’autre les religions chrétienne, catholique et protestante, l’islam, et la religion chinoise.

Pascal bouleverse cette classification et la remplace par une autre : sont mises dans le même sac les doctrines philosophiques et religieuses, parce qu’elles ont en commun de se fonder sur la raison, par opposition à la religion chrétienne, et plus précisément catholique, qui a pour caractère de recevoir ses règles de pensée hors d’elle-même, c’est-à-dire à pratiquer la soumission de la raison à la révélation du Christ. Les hérésies du christianisme (arianisme, calvinisme, pélagianisme, semi-pélagianisme) et comme le montre le présent fragment, certaines doctrines erronées, mais qui n’ont pas fait l’objet d’une condamnation pour hérésie (molinisme, doctrine des opinions probables), se retrouvent dans la première catégorie, jointes aux philosophies.

Seule la religion catholique demeure soumise à l’autorité de la tradition, révélée aux anciens pour être transmises aux fidèles, et pratique un usage de la raison qui se fonde sur les principes prêchés par le Christ. Voir la liasse Soumission et usage de la raison.

L’idée que les religions et les sectes ont, tout comme les philosophies, suivi la raison naturelle, peut surprendre. Elle signifie qu’elles ont en commun de s’appuyer sur des principes que leur impose l’esprit propre, à partir desquels elles tirent des conséquences par raison. C’est ainsi par exemple que Pascal présente dans les Écrits sur la grâce les hérésies contraires des pélagiens et des calvinistes, qui s’appuient les uns sur le sentiment de la corruption humaine, les autres sur l’idée d’une nature humaine peu affectée par le péché originel, pour en tirer chacun des conséquences erronées. Les disciples de saint Augustin au contraire reçoivent le principe des « deux états des hommes devant et après le péché », dont ils tirent « deux sentiments convenables à ces deux états » (Écrits sur la grâce, Traité de la prédestination, 3, OC III, éd. J. Mesnard, p. 792). L’Entretien avec M. de Sacy montre comment, de leur côté, les philosophes Épictète et Montaigne procèdent mutatis mutandis de la même manière.

 

Cette contrainte lasse ces bons Pères, ils veulent avoir comme les autres peuples la liberté de suivre leurs imaginations.

 

Les bons pères en question sont les jésuites engagés dans la casuistique et les probabilités.

Suivre leurs imaginations : suivre les opinions probables qu’ils ont inventées, que Pascal présente dans les Provinciales V à X. Dans ses Petites lettres, Pascal insiste à plusieurs reprises sur le fait que les opinions probables, malgré le sérieux dont les casuistes prétendent les entourer, ne sont autre chose que le produit de leur imagination et de leur fantaisie.

Voir la Provinciale XVI, § 23, éd. Cognet, p. 322, qui reprend les « fantaisies de vos Pères Dicastillus, Gans et Pennalossa ».

C’est un des points sur lesquels Pascal fonde sa défense dans la XIe Provinciale, § 3, éd. Cognet, p. 194-195. « Quoi ! mes Pères, les imaginations de vos auteurs passeront pour les vérités de la foi, et on ne pourra se moquer des passages d'Escobar, et des décisions si fantasques et si peu chrétiennes de vos autres auteurs, sans qu'on soit accusé de rire de la religion ? Est-il possible que vous ayez osé redire si souvent une chose si peu raisonnable ? ».

Provinciale VI, § 17, éd. Cognet, Garnier, p. 107-108. « Si on était si sévère à exclure les prêtres de l'autel, vous comprenez bien qu'il n'y aurait pas un si grand nombre de messes. Or la pluralité des messes apporte tant de gloire à Dieu, et tant d'utilité aux âmes, que j'oserais dire, avec notre Père Cellot, dans son livre de la Hiérarchie, p. 611 de l'impression de Rouen, qu'il n'y aurait pas trop de prêtres, quand non seulement tous les hommes et les femmes, si cela se pouvait, mais que les corps insensibles, et les bêtes brutes même, bruta animalia, seraient changés en prêtres pour célébrer la messe. Je fus si surpris de la bizarrerie de cette imagination, que je ne pus rien dire ».

Voir Pirot Georges, Apologie pour les casuistes, Objection XV, Paris, 1657, 74 sq., et éd. de 1658,  p. 131 sq. Défense de la formule du P. Cellot sur les bêtes susceptibles d’être changées en prêtres pour accroître le nombre des offices destinés à louer Dieu, qui n’est pas, selon le P. Pirot, une fantaisie bizarre, puisque le prophète Daniel invite bien les bêtes à louer Dieu.

La Provinciale VI, éd. Cognet, p. 101-102, et le Factum  pour les curés de Paris (Premier écrit des curés de Paris), in Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 407-409, expliquent comment les opinions probables s’imposent par accumulation suivant l’imagination des casuistes.

Voir sur ce sujet Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995, p. 173 sq.

 

C’est en vain que nous leur crions, comme les prophètes disaient autrefois aux Juifs : Allez au milieu de l’Église, informez‑vous des voies que les anciens lui ont laissées et suivez ces sentiers. Ils ont répondu comme les Juifs : Nous n’y marcherons point mais nous suivrons les pensées de notre cœur. Et ils ont dit : Nous serons comme les autres peuples.

 

Comme les prophètes disaient autrefois aux Juifs : addition qui renforce la comparaison entre les prophètes et les jansénistes. Cette addition semble remplacer une injonction inspirée par le texte latin : arrêtez-vous dans les sen(tiers).

Nous n’y marcherons pas… : Jérémie, VI, 16. « Haec dicit Dominus state super vias et videte et interrogate de semitis antiquis quae sit via bona et ambulate in ea et invenietis refrigerium animabus vestris et dixerunt non ambulabimus ». Tr. de Port-Royal : « Voici ce que dit le Seigneur : Tenez-vous sur les voies, considérez et demandez quels sont les anciens sentiers pour connaître la bonne voie ; et marchez-y, et vous trouverez la paix et le rafraîchissement de vos âmes. Mais ils m’ont répondu : Nous n’y marcherons pas ».

Commentaire de Sacy : « Les faux prophètes et les pasteurs complaisants promettaient la paix au peuple de Dieu au milieu de leurs désordres. Mais le Seigneur parlant à ce peuple par la bouche de Jérémie, lui fait connaître comment ils pourraient trouver la paix véritable, et le rafraîchissement, c’est-à-dire la tranquillité et le repos de leurs âmes. Prenez garde, leur dit-il, à demeurer fermes dans les voies que les prophètes mes fidèles serviteurs vous ont enseignées. N’en sortez pas. Et après avoir bien considéré, et vous être exactement informés des anciens sentiers qui vous ont été tracés, afin de connaître la bonne voie, marchez-y fidèlement : c’est-à-dire, que pour choisir la bonne voie, il faut en juger par les anciennes, que les saints prophètes vous ont marquées dans les Écritures. N’en forgez donc pas de nouvelles sur le caprice des hommes du siècle et des faux prophètes, qui vous tromperont et vous feront égarer toutes les fois qu’ils s’écarteront de ces anciens sentiers, qui doivent être la règle de votre conduite. C’est là la règle assurée de la tradition, dont les hérétiques s’étant éloignés, ils ont tous tracé de nouvelles voies opposées aux anciennes, et n’ont jamais pu trouver eux-mêmes, ni faire trouver à leurs sectateurs cette paix si désirable, et ce rafraîchissement des âmes, que Dieu ne promet qu’à ceux qui se tiennent fermes dans les voies de la vérité, conformes aux anciens sentiers de nos pères ».

Nous suivrons les pensées de notre cœur : l’expression témoigne de la prédominance de l’esprit propre chez les Juifs d’une part, et chez les jésuites et casuistes de l’autre.

Pascal développe cette idée que les jésuites défenseurs des probabilités sont gouvernés par l’esprit propre et rejettent toute soumission à la tradition dans le Cinquième écrit des curés de Paris, § 10-12, in Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 436-438.

« Que feront-ils donc désormais, n'ayant rien à dire contre toute la suite de notre tradition? Diront-ils que l'Église vient de tomber dans ces derniers temps, et de renoncer à ses anciennes vérités pour suivre les nouvelles opinions des casuistes modernes ? En vérité, ils auraient bien de la peine à le persuader à personne en l'état présent des choses. Si nous étions demeurés dans le silence, et que l'Apologie des Casuistes eût été reçue partout sans opposition, c'eût été quelque fondement à leur calomnie, quoiqu'on eût pu encore leur répondre que le silence de l'Église n'est pas toujours une marque de son consentement ; et que cette maxime, qui est encore commune aux Calvinistes et aux Jésuites qui en remplissent tous leurs livres, est très fausse. Car ce silence peut venir de plusieurs autres causes, et ce n'est le plus souvent qu'un effet de la faiblesse des pasteurs. Et on leur eût dit de plus, que l'Église ne s'est point tue sur ces méchantes opinions, et qu'elle a fait paraître l'horreur qu'elle en avait par les témoignages publics des personnes de piété, et par la condamnation formelle du Clergé de France, et des Facultés Catholiques qui les ont censurées plusieurs fois.

Mais que nous sommes forts aujourd'hui sur ce sujet, où toute l'Église est déclarée contre ces corruptions, et où tous les pasteurs des plus considérables villes du royaume s'élèvent plus fortement et plus sincèrement contre ces excès, que les hérétiques ne peuvent faire ! Car y a-t-il quelqu'un qui n'ait entendu notre voix ? N'avons-nous pas publié de toutes parts que les casuistes et les Jésuites sont dans des maximes impies et abominables ? Avons-nous rien omis de ce qui était en notre pouvoir pour avertir nos peuples de s'en garder comme d'un venin mortel ? Et n'avons-nous pas déclaré dans notre Factum, que les curés se rendaient publiquement les dénonciateurs des excès publics de ces Pères, et que ce serait dans nos paroisses qu'on trouverait les maximes évangéliques opposées à celles de leur Société ?

Peut-on dire après cela que l'Église consent à ces erreurs, et ne faut-il pas avoir toute la malice des hérétiques pour l'avancer, sous le seul prétexte qu'un corps qui n'est point de la hiérarchie, demeure opiniâtrement dans quelques sentiments particuliers condamnés par ceux qui ont autorité dans le corps de la hiérarchie ? On a donc sujet de rendre grâces à Dieu de ce qu'il a fait naître en ce temps un si grand nombre de témoignages authentiques de l'aversion que l'Église a pour ces maximes, et de nous avoir donné par là un moyen si facile de la défendre de cette calomnie, et de renverser en même temps les avantages que les Calvinistes et les Jésuites avaient espéré de tirer de leur imposture. Car la prétention des hérétiques est absolument renversée. Ils voulaient justifier leur sortie de l'Église par les erreurs des Jésuites, et ce sont ces mêmes erreurs qui montrent avec le plus d'évidence le crime de leur séparation ; parce que l'égarement de ces Pères, aussi bien que celui des hérétiques, ne venant que d'avoir quitté la doctrine de l'Église pour suivre leur esprit propre, tant s'en faut que les excès où les Jésuites sont tombés pour avoir abandonné la tradition, favorisent le refus que les hérétiques font de se soumettre à cette tradition ; que rien n'en prouve, au contraire, plus fortement la nécessité, et ne fait mieux voir les malheurs qui viennent de s'en écarter. Et la prétention des Jésuites n'est pas moins ruinée. Car l'intention qu'ils avaient, en imputant leurs maximes à l'Église, était de faire croire qu'ils n'en avaient point d'autres que les siennes : et il est arrivé de là, au contraire, que tout le monde a appris qu'elles y sont étrangement opposées ; parce que la hardiesse d'une telle entreprise a excité un scandale si universel, et une opposition si éclatante, qu'il n'y a peut-être aucun lieu en tout le Christianisme où l'on ne connaisse aujourd'hui la contrariété de sentiments qui est entre leur Société et l'Église, qui aurait possible été longtemps ignorée en beaucoup de lieux, si par un aveuglement incroyable ils n'avaient eux-mêmes fait naître la nécessité de la rendre publique par tout le monde. »

Voir le dossier thématique sur la concupiscence.