Preuves par les Juifs I – Papier original : RO 297 r° / v° et RO 341

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 48 p. 233-233 v° / C2 : p. 447 à 449

Éditions de Port-Royal : Chap. VIII - Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu... : 1669 et janvier 1670 p. 67-70  / 1678 n° 1 p. 68-71

Éditions savantes : Faugère II, 186, III  / Havet XIV.4 / Michaut 584 / Brunschvicg 620 / Tourneur p. 316 / Le Guern 421 / Lafuma 451 (série VI) / Sellier 691

 

 

 

Avantages du peuple juif.

 

Dans cette recherche le peuple juif attire d’abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent.

Je vois d’abord que c’est un peuple tout composé de frères, et au lieu que tous les autres sont formés de l’assemblage d’une infinité de familles, celui‑ci, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d’un seul homme, et étant ainsi tous une même chair et membres les uns des autres, composent un puissant État d’une seule famille. Cela est unique.

Cette famille ou ce peuple est le plus ancien qui soit en la connaissance des hommes, ce qui me semble lui attirer une vénération particulière, et principalement dans la recherche que nous faisons, puisque si Dieu s’est de tout temps communiqué aux hommes, c’est à ceux‑ci qu’il faut recourir pour en savoir la tradition.

Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité, mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant. Car au lieu que les peuples de Grèce et d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si longtemps après, soient péris il y a si longtemps, ceux‑ci subsistent toujours, et malgré les entreprises de tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme leurs historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses pendant un si long espace d’années, ils ont toujours été conservés néanmoins,

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et cette conservation a été prédite ;

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et s’étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires.

La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. C’est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion et Philon Juif, en divers lieux où ils font voir qu’elle est si ancienne que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après, en sorte qu’Homère, qui a écrit de l’histoire de tant d’États, ne s’en est jamais servi. Et il est aisé de juger de sa perfection par la simple lecture où l’on voit qu’on a pourvu à toutes choses avec tant de sagesse, tant d’équité et tant de jugement, que les plus anciens législateurs grecs et romains, en ayant eu quelque lumière, en ont emprunté leurs principales lois, ce qui paraît par celle qu’ils appellent des Douze Tables et par les autres preuves que Josèphe en donne.

Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion, obligeant ce peuple, pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles sur peine de la vie, de sorte que c’est une chose bien étonnante qu’elle se soit toujours conservée constamment durant tant de siècles par un peuple rebelle et impatient comme celui‑ci, pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois quoique tout autrement faciles.

Le livre qui contient cette loi, la première de toutes, est lui‑même le plus ancien livre du monde, ceux d’Homère, d’Hésiode et les autres n’étant que six ou sept cents ans depuis.

 

 

Malgré le titre qu’il porte, le sujet de ce fragment n’est pas à proprement parler d’ordre historique. Il ne traite pas essentiellement de l’antiquité des Juifs du point de vue chronologique. Voir sur ce sujet Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694).

Le problème abordé par ce fragment répond à une question posée dans Pensées diverses (Laf. 822, Sel. 663), mais que Pascal a barrée : Lequel est le plus croyable des deux, Moïse ou la Chine.

L’ancienneté du peuple juif n’a de sens, dans l’esprit de Pascal, qu’en relation avec l’autorité des récits de la Bible et de leur crédibilité. Il s’agit en réalité de l’authenticité des récits des premiers temps du peuple juif, comparée aux histoires légendaires des peuples païens.

Dans la Préface au Traité du vide, Pascal énonce ce que l’on peut considérer comme une règle épistémologique, savoir que, par opposition aux matières de raisonnement, qui sont soumises à la raison, ou aux sciences d’expérience, qui sont soumises aux sens, les matières qui relèvent de la mémoire, (comme l’histoire ou le droit), sont soumises à l’autorité, c’est-à-dire au témoignage ou au rapport des personnes qui ont eu elles-mêmes un contact direct avec les faits qu’elles rapportent. De sorte que toute histoire qui n’est pas contemporaine est suspecte (Preuves par discours III - Laf. 436, Sel. 688). Pour établir l’autorité de l’Écriture, il est donc nécessaire de montrer que le récit contenu dans les premiers livres de l’Ancien Testament n’est pas récusable, parce que Moïse, auteur du Pentateuque, a été un témoin quasi contemporain des faits narrés. Il faut donc montrer que l’antiquité du peuple juif est égale à celle des événements dont la Bible témoigne.

Mais Pascal insiste surtout sur le fait que cette ancienneté est associée à une grande constance du peuple juif à l’égard de sa loi, toute contraignante qu’elle soit. Ce paradoxe est censé frapper le lecteur d’étonnement et d’admiration.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Ordre 6 (Laf. 8, Sel. 42). Ordre.

Voir ce qu’il y a de clair dans tout l’état des Juifs et d’incontestable.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Perpétuité 2 (Laf. 280, Sel. 312). Les États périraient si on ne faisait ployer souvent les lois à la nécessité, mais jamais la religion n’a souffert cela et n’en a usé. Aussi il faut ces accommodements ou des miracles.

Il n’est pas étrange qu’on se conserve en ployant, et ce n’est pas proprement se maintenir, et encore périssent-ils enfin entièrement. Il n’y en a point qui ait duré mille ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible, cela est divin.

Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Le zèle des Juifs pour leur loi et leur temple. Josèphe et Philon juif, ad Caium.

Quel autre peuple a un tel zèle, il fallait qu’ils l’eussent.

Prophéties 11 (Laf. 332, Sel. 364). Prophéties.

Quand un seul homme aurait fait un livre des prédictions de Jésus-Christ pour le temps et pour la manière et que Jésus-Christ serait venu conformément à ces prophéties ce serait une force infinie.

Mais il y a bien plus ici. C’est une suite d’hommes durant quatre mille ans qui constamment et sans variations viennent l’un ensuite de l’autre prédire ce même avènement. C’est un peuple tout entier qui l’annonce et qui subsiste depuis quatre mille années pour rendre en corps témoignage des assurances qu’ils en ont, et dont ils ne peuvent être divertis par quelques menaces et persécutions qu’on leur fasse. Ceci est tout autrement considérable.

Dossier de travail (Laf. 392, Sel. 11). Dieu voulant se former un peuple saint, qu’il séparerait de toutes les autres nations, qu’il délivrerait de ses ennemis, qu’il mettrait dans un lieu de repos a promis de le faire et a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venue.

Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688). Antiquité des Juifs.

Qu’il y a de différence d’un livre à un autre, je ne m’étonne pas de ce que les Grecs ont fait l’Iliade, ni les Égyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que voir comment cela est né, ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman, qu’il donne pour tel, et qui est reçu pour tel, car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n’avaient non plus été que la pomme d’or. Il ne pensait pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement, il est le seul qui écrit de son temps, la beauté de l’ouvrage fait durer la chose, tout le monde l’apprend et en parle, il la faut savoir, chacun la sait par cœur, quatre cents ans après les témoins des choses ne sont plus vivants, personne ne sait plus par sa connaissance si c’est une fable ou une histoire, on l’a seulement appris de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai.

Toute histoire qui n’est pas contemporaine est suspecte, ainsi les livres des Sibylles et de Trismégiste, et tant d’autres qui ont eu crédit au monde sont faux et se trouvent faux à la suite des temps, il n’en est pas ainsi des auteurs contemporains.

Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple et un livre qui fait lui-même un peuple, on ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

Preuves par les Juifs II (Laf. 452, Sel. 692). Sincérité des Juifs.

Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, où voici ce que je trouve d’effectif [...]. Il est certain que nous voyons en plusieurs endroits du monde, un peuple particulier séparé de tous les autres peuples du monde qui s’appelle le peuple juif. [...] Je trouve donc ce peuple grand et nombreux sorti d’un seul homme, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu’ils disent tenir de sa main ils soutiennent qu’ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères. [...] Que Dieu ne laissera point éternellement les autres peuples dans ces ténèbres, qu’il viendra un libérateur, pour tous, qu’ils sont au monde pour l’annoncer aux hommes, qu’ils sont formés exprès pour être les avant-coureurs et les hérauts de ce grand avènement, et pour appeler tous les peuples à s’unir à eux dans l’attente de ce libérateur.

La rencontre de ce peuple m’étonne, et me semble digne de l’attention.

Je considère cette loi qu’ils se vantent de tenir de Dieu et je la trouve admirable C’est la première loi de toutes et de telle sorte qu’avant même que le mot de loi fût en usage parmi les Grecs, il y avait près de mille ans qu’ils l’avaient reçue et observée sans interruption. Ainsi je trouve étrange que la première loi du monde se rencontre aussi la plus parfaite en sorte que les plus grands législateurs en ont emprunté les leurs comme il paraît par la loi des douze Tables d’Athènes qui fut ensuite prise par les Romains et comme il serait aisé de le montrer, si Josèphe et d’autres n’avaient assez traité cette matière.

Preuves par les Juifs V (Laf. 456, Sel. 696). Ceci est effectif : pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde, déclarent que tout le monde est dans l’erreur, que Dieu leur a révélé la vérité, qu’elle sera toujours sur la terre. En effet toutes les autres sectes cessent ; celle-là dure toujours et depuis quatre mille ans ils déclarent qu’ils tiennent de leurs ancêtres que l’homme est déchu de la communication avec Dieu dans un entier éloignement de Dieu, mais qu’il a promis de les racheter, que cette doctrine serait toujours sur la terre, que leur loi a double sens.

Pensées diverses (Laf. 793, Sel. 646). Je trouve d’effectif que depuis que la mémoire des hommes dure, voici un peuple qui subsiste plus ancien que tout autre peuple.

Il est annoncé constamment aux hommes qu’ils sont dans une corruption universelle, mais qu’il viendra un Réparateur.

Que ce n’est pas un homme qui le dit, mais une infinité d’hommes, et un peuple entier, prophétisant et fait exprès durant quatre mille ans ; leurs livres dispersés durant quatre cents ans.

Miracles III (Laf. 860, Sel. 439). Toujours ou les hommes ont parlé du vrai Dieu, ou le vrai Dieu a parlé aux hommes.

 

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