Pensées diverses IV – Fragment n° 5 / 23 – Papier original : RO 193-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 154 p. 389-389 v° / C2 : p. 355-355 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janvier 1670 p. 233-234 /

1678 n° 16 p. 225-226

Éditions savantes : Faugère II, 236, XXXI / Michaut 422 / Brunschvicg 818 / Tourneur p. 115-1 / Le Guern 626 / Lafuma 735 (série XXVI) / Sellier 616

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Bibliographie

 

 

ERNST Pol, “Les autographes de Gilberte dans l’original des Pensées”, Chroniques de Port-Royal, 31, 1982, p. 69-92.

MESNARD Jean, “Les demeures de Pascal à Paris, étude topographique”, Mémoires de la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile de France, t. V, 1955, p. 21-61.

MESNARD Jean, “La maison où Pascal écrivit le Mémorial”, Revue d’Histoire Littéraire de la France, n° 1, janvier-mars 1955, p. 51-55.

MESNARD Jean, “Les logis parisiens de Pascal”, La Montagne Sainte-Geneviève, n° 2, mars 1955, p. 2-6.

MESNARD Jean, “Pascal rue des Francs-Bourgeois”, Bulletin de la Société des amis de Port-Royal, n° 8, 1957, p. 107-113.

 

Voir pour la bibliographie du texte celle du fragment précédent.

 

 

Éclaircissements

 

Ce texte est manifestement une première rédaction du fragment précédent (Laf. 734, Sel. 615). Pour le commentaire de fond, voir ce fragment n° 4.

Écriture de Gilberte, d’après Ernst Pol, “Les autographes de Gilberte dans l’original des Pensées”, Chroniques de Port-Royal, 31, p. 70. Même identification dans Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 47. Au temps de la composition des Pensées, Pascal et Gilberte n’ont vécu ensemble qu’à trois reprises : de décembre 1658 à mars 1659 à Paris, de mai à août 1660 à Clermont, et à partir du printemps 1661 à Paris. La dernière date est seule à retenir, selon J. Mesnard.

Sur l’adresse portée au dos du papier, voir la description du papier original. Ce texte a été écrit au verso d’une lettre qui avait été envoyée à Pascal à son domicile parisien et datée du 19 février 1660.

 

Ayant considéré d’où vient qu’il y a tant de faux miracles, de fausses révélations, sortilèges, etc., il m’a paru que la véritable cause est qu’il [y] en a de vrais.

 

Écrit en petits caractères en haut du papier. Voir la transcription diplomatique.

 

Car il ne serait pas possible qu’il y eût tant de faux miracles s’il n’y en avait de vrais, ni tant de fausses révélations s’il n’y en avait de vraies, ni tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable. Car s’il n’y avait jamais eu de tout cela, il est comme impossible que les hommes se le fussent imaginé, et encore plus impossible que tant d’autres l’eussent cru. Mais comme il y a eu de très grandes choses véritables et qu’ainsi elles ont été crues par de grands hommes, cette impression a été cause que le peuple presque tout le monde s’est rendu capable de croire aussi les fausses. Et ainsi, au lieu de conclure qu’il n’y a point de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, il faut dire au contraire qu’il y a de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, et qu’il n’y en a de faux que par cette raison qu’il y en a de vrais, et qu’il n’y a de même de fausses religions que parce qu’il y en a une vraie. L’objection à cela : que les sauvages ont une religion. Mais c’est qu’ils ont ouï parler de la véritable, comme il paraît par la croix de saint André, le Déluge, la circoncision, etc. Cela vient de ce que l’esprit de l’homme, se trouvant plié de ce côté‑là par la vérité, devient susceptible par là de toutes les faussetés de cette...

 

Mais comme il y a eu de très grandes choses véritables et qu’ainsi elles ont été crues par de grands hommes, cette impression a été cause que presque tout le monde s’est rendu capable de croire aussi les fausses : cet argument est l’un des seuls originaux par rapport au fragment n° 4 (Laf. 734, Sel. 615). Pascal y insiste sur le fait que le prestige de certains grands hommes a eu assez d’autorité pour que les esprits moins puissants se croient en droit de les suivre. Il reste un relief de cette allusion au prestige de l’autorité dans la version définitive, mais Pascal semble en avoir diminué l’importance.

Noter que Presque tout le monde remplace le peuple. Comme le peuple a été biffé, le mot disparaît de cette première rédaction, avec toutes les riches notions annexes que Pascal y attache ordinairement. Le peuple reviendra dans la deuxième rédaction.

L’objection à cela que les sauvages ont une religion : le fragment n° 4 montre que Pascal a omis ici le mot c’est. On peut se tenir près du présent texte, quoiqu’il soit sans doute fautif, en insérant deux points.

Après le mot final cette, on peut conjecturer que venait le mot nature, ou peut-être espèce.

On mesure le progrès de la réflexion de Pascal entre le fragment précédent et le fragment présent en relevant les notions qui ne figurent pas ici.

Pascal ne semble pas encore avoir trouvé ici l’interrogation initiale du fragment n° 4 : D’où vient qu’on croit tant de menteurs qui disent qu’ils ont vu des miracles et qu’on ne croit aucun de ceux qui disent qu’ils ont des secrets pour rendre l’homme immortel ou pour rajeunir. Il part ici d’une considération beaucoup moins complexe : Ayant considéré d’où vient qu’il y a tant de faux miracles, de fausses révélations, sortilèges... Il n’a donc pas encore saisi que son développement gagnait à partir du fait que le peuple croyait à certains récits extraordinaires, et non à d’autres, ce qui le point de départ du fragment précédent.

Les prophéties, les révélations par songes, les remèdes ne sont pas mises en cause dans ce fragment.

L’exemple des influences de la lune n’a pas encore été trouvé pour illustrer le cas des faits vrais qui sont le point de départ des erreurs populaires.

C’est qu’ils ont ouï parler de la véritable, comme il paraît par la croix de saint André, le Déluge, la circoncision, etc. : cet argument montre que Pascal est loin d’avoir achevé son travail de mise au net de ses idées. Ces exemples ont été empruntés à Montaigne (voir l’étude détaillée du fragment n° 4). Mais il reste à Pascal de préciser ces allusions, et à les appuyer sur des références plus solides.

Le Déluge est en addition dans l’interligne. Nous donnons ci-dessous des indications sur les exemples du Déluge et de la circoncision ; mais si Pascal en retrace en plusieurs endroits des Pensées le sens et le rapport avec l’histoire des Juifs, il lui resterait beaucoup à chercher pour montrer que l’une et l’autre ont été connus et admis parmi les sauvages.

Voir Preuves de Moïse 3 (Laf. 292, Sel. 324), sur le Déluge. Voir sur ce sujet Poulouin Claudine, Le temps des origines. L’Éden, le Déluge et les « temps reculés » de Pascal à l’Encyclopédie, Paris, Champion, 1998.

Voir Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693), sur la circoncision chez les Juifs.

Sur la croix de Saint-André, un supplément d’information serait visiblement très nécessaire.

Il est donc probable que Pascal aurait par la suite procédé à une nouvelle élaboration de son argumentation.

Cela vient de ce que l’esprit de l’homme se trouvant plié de ce côté-là par la vérité devient susceptible par là de toutes les faussetés de cette... : cet argument n’a pas conservé d’écho dans le fragment n° 4. Mais il demeure inachevé : on peut se demander si Pascal ne l’avait pas entièrement examiné ou s’il savait trop bien ce qu’il voulait dire qu’il n’a pas jugé bon de le noter jusqu’au bout. Comme le manuscrit est de la main de Gilberte, il est plus probable qu’il s’agit d’un papier manquant. Peut-être une suite a-t-elle été détruite.

En revanche, ces derniers mots témoignent que dans l’esprit de Pascal, le texte devait porter sur l’une des manières dont l’esprit de l’homme se laisse tromper. Et les dernières lignes indiquent que paradoxalement, la vérité elle-même peut contribuer à engendrer des erreurs : en d’autres termes, l’esprit humain est si dépravé que la machine parvient presque à faire de la vérité une puissance trompeuse.