Pensées diverses VIII – Fragment n° 3 / 6 – Papier original : RO 159-3
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 189 p. 427 v° / C2 : p. 399-399 v° (copie de Pierre Guerrier)
Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 271 / 1678 n° 72 p. 264
Éditions savantes : Faugère II, 190, VI / Havet XXIV.46 / Brunschvicg 593 / Tourneur p. 136-1 / Le Guern 672 / Lafuma 822 (série XXX) / Sellier 663
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
BLUCHE François (dir.), Dictionnaire de Grand Siècle, art. Chine, Paris, Fayard, 1990, p. 321-322. BOULLIER David Renaud, Apologie de la métaphysique, à l’occasion du Discours préliminaire de l’Encyclopédie, avec les Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. de Voltaire, suivis de trois lettres relatives à la philosophie de ce poète, Amsterdam, Jean Catuffe, 1753. GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, Paris, Vrin, 1971. HELLER Lane M., “Pascal et la Chine”, in GOYET Thérèse et alii, Pascal, Port-Royal, Orient, Occident, Paris, Klincksieck, 1991, p. 53-59. MARTINI Martino, Sinicae historiae decas prima, Res a gentis origine ad Christum natum in extrema Asia, sive Magno Sinarum Imperio gestas complexa, Monachii, Lucae Straubii, Impensis Joannis Wagneri Civis, 1658. MARTINI Martino, Histoire de la Chine, traduite du latin par l’abbé Le Peletier, Paris, C. Barbier et A. Seneuze, 1692, 2 vol. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993. MESNARD Jean, GOYET Thérèse, SELLIER Philippe, DESCOTES Dominique (dir.), Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979. PILLORGET René et Suzanne, France baroque, France classique, 1589-1715, II, Dictionnaire, art. Chine et Occident, Paris, Robert Laffont, 1995, p. 244-246. POULOUIN Claudine, Le temps des origines. L’Éden, le Déluge et les “temps reculés” de Pascal à l’Encyclopédie, Champion, Paris, 1998. VOLTAIRE, Lettres philosophiques, XXV, § XXXIII, éd. Ferret et McKenna, Garnier, 2010. |
✧ Éclaircissements
Histoire de la Chine.
Quelles peuvent être les sources de Pascal sur la Chine ?
Mesnard Jean, Goyet Thérèse, Sellier Philippe, Descotes Dominique (dir.), Méthodes chez Pascal, p. 163, intervention de J. Mesnard. Les remarques sur l’histoire de la Chine n’apparaissent qu’à l’extérieur des 27 liasses, de sorte qu’au moment où Pascal a composé les liasses en question, il n’avait pas encore abordé ce problème.
Sur le caractère assez sommaire des réponses que Pascal allègue contre les objections érudites opposées à la religion chrétienne, parmi lesquelles figurent les chronologies chinoises, voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 129. On peut cependant remarquer que ces objections ne sont souvent évoquées que dans des fragments qui sont des aide-mémoire, probablement en attente de développement.
Sur la nécessité d’une recherche approfondie sur les publications relatives à la Chine au début du XVIIe siècle, voir la discussion de l’exposé de Heller Lane M., “Pascal et la Chine”, in Goyet Thérèse et alii, Pascal, Port-Royal, Orient, Occident, p. 59.
Juan Gonzalez de Mendoza, Histoire du grand royaume de la Chine, contenant la situation, antiquité, fertilité, religion, mœurs, etc., ch. V, sl, sn, 1606, indique que l’on « estime que les premiers qui le peuplèrent ce furent les neveux et petits-fils de Noé ».
L’ouvrage de Trigault Nicolas, Histoire de l’expédition chrétienne au royaume de la Chine, tirée des commentaires du P. Riccius, par Trigault et tr. par Riquebourg-Trigault, Lyon, 1611, n’aborde que les états contemporains de la Chine.
La lettre de Mersenne à Constantin Huygens, in Huygens Christian, Œuvres, I, p. 87, mentionne une Histoire universelle du Grand Royaume de la Chine, par le P. Alvarez Semedo, jésuite portugais, traduite de l’italien en français par Louis Coulon, publié chez Cramoisy en 1645. Mais cet ouvrage ne contient rien de ce qui touche les questions évoquées dans le présent fragment.
Poulouin Claudine, Le temps des origines. L’Éden, le Déluge et les “temps reculés” de Pascal à l’Encyclopédie, p. 459. Le P. Petau est très opposé à l’hypothèse d’une histoire qui remonterait au-delà des dates du Déluge et de la Création. Il s’oppose à la thèse de Scaliger sur les « temps proleptiques ». Voir l’Opus de doctrina temporum, IIe partie, Livre 9, ch. XV, Cramoisy, 1627. Petau ne mentionne pas la Chine, mais seulement l’Égypte.
À moins que d’autres sources soient découvertes, on peut considérer que Pascal pense à l’ouvrage du P. Martino Martini, Sinicae historiae decas prima, Res a gentis origine ad Christum natum in extrema Asia, sive Magno Sinarum Imperio gestas complexa, Monachii, Lucae Straubii, Impensis Joannis Wagneri Civis, 1658, qu’il a pu lire en latin. La traduction française n’a été réalisée et publiée que beaucoup plus tard : Martini Martino, Histoire de la Chine, traduite du latin par l’abbé Le Peletier, Paris, C. Barbier et A. Seneuze, 1692, 2 vol. Ce livre aborde de front la question brûlante des chronologies chinoises. Le problème de la Chine devient en effet d’actualité vers fin 1658-début 1659. Voir Méthodes chez Pascal, p. 163.
Heller Lane M., “Pascal et la Chine”, in Goyet Thérèse et alii, Pascal, Port-Royal, Orient, Occident, p. 53-59. Voir p. 55 : la révélation surprenante du P. Martini, c’est que la Chine était peuplée avant le Déluge. La chronologie officielle date le Déluge vers 2348 avant le Christ, mais l’empereur Fo-Hi est censé avoir régné dès 2952 : il fallait aux chronologistes chrétiens placer cet empereur après le Déluge, ou admettre la fausseté de la chronologie biblique selon la Vulgate : p. 55.
L’importance de cette question est soulignée dans l’ouvrage de Poulouin Claudine, Le temps des origines. L’Éden, le Déluge et les “temps reculés” de Pascal à l’Encyclopédie, p. 474 sq. Le problème de l’antiquité de la chronologie chinoise fournit depuis le début du siècle une machine de guerre contre les chronologies bibliques. En faisant remonter le règne de Fo-Hi à 2952 avant Jésus-Christ, les chronologistes chinois forcent les cadres de la version des Septante elle-même. Martini montre que ces chronologies remontent à une période à laquelle la Bible fixe le déluge ; la Chine était donc peuplée, et fort civilisée, bien avant le déluge. Martini n’élude pas les conséquences de sa découverte, et déclare qu’il ne lui appartient pas d’expliquer comment a pu se conserver le souvenir de faits antédiluviens, s’il est vrai que toute la race humaine a été détruite par le Déluge, à l’exception de la famille de Noé : p. 476.
Martini Martino, Sinicae historiae… decas prima, p. 4. Les Chinois pensent être plus anciens que les Égyptiens et les Chaldéens. « Neque desunt qui dicant, ab orbe condito ad Confucium philosophum annos ter millies ducenties sexagies septies mille fluxisse. Qua opinione superarint etiam calculum eorum qui Orientem accolunt mundi finem post annos a primordio spetingenties mille, nescio qua authoritate decernentium. » Le jésuite confirme en disant que « si enim fidem illorum scriptoribus haberemus, aetas orbis universi multis annorum millibus ante diluvium extenderetur ». Voir p. 9 : « Et sane multa insunt ridicula Sinicis annalibus sive hominum aetatem consideres, sive annos regnantium ». Ce que l’auteur confirme en disant que « si enim fidem illorum scriptoribus haberemus, aetas orbis universi multis annorum millibus ante diluvium extenderetur ». Mais au même endroit, le P. Martini remarque que l’on trouve en peu de peuples des chronologistes aussi soigneux que les Chinois.
On trouvera un bon résumé des affirmations du P. Martini sous la plume de Havet, Pascal, Pensées, II, p. 137. Article XXIV, n° 46. Les Chinois prétendaient remonter, par une chronologie suivie, jusqu’à l’empereur Fo-Hi, dont le règne, selon Martini, date de 2952 avant notre ère. Mais avant cette date limite de la certitude historique, la tradition chinoise plaçait une longue suite de souverains. Selon les auteurs, dit Martini, il faut reporter la naissance du monde jusqu’à plusieurs milliers d’années avant le déluge universel. Les chronologistes européens plaçaient la création en 4004 avant Jésus-Christ, selon la Vulgate et l’hébraïque, et le déluge en 2348. Mais il fallait bien, pour ne pas infirmer la chronologie biblique, ne placer Fo-Hi et le commencement des temps historiques de la Chine qu’après le Déluge. Le P. Martini fait remarquer que cette difficulté est levée si l’on adopte une autre chronologie autorisée (les Septante font remonter le Déluge en 2954 ; et ensuite L’art de vérifier les dates, d’après une combinaison du texte hébreu et samaritain, l’a reporté jusqu’en 3308). Quant aux temps antérieurs à Fo-Hi, Martini tente de préserver les historiens chinois en resserrant le temps par le principe des dynasties de royautés simultanées. Mais comme cette antiquité reste toujours antédiluvienne, il suppose qu’il a pu rester dans la haute Asie, même après le déluge, quelque tradition obscure des événements et des personnages qui l’ont précédé. Martini ne s’en inquiète pas, car la foi ne lui semble pas en cause. Mais d’autres, voyant reconnaître l’autorité de la chronologie chinoise jusqu’à Fo-Hi, et placer ce personnage plus de 600 ans avant l’époque où l’on plaçait alors généralement la dispersion des langues et le repeuplement du monde, et admettre encore une antiquité au-delà, opposaient cette histoire à celle des Juifs. Pascal a moins de complaisance que Martini pour les Chinois.
Hazard Paul, La crise de la conscience européenne, I, et Poulouin Claudine, Le temps des origines. L’Éden, le Déluge et les “temps reculés” de Pascal à l’Encyclopédie, traitent les étapes ultérieures de la controverse.
Sur l’empereur Fohius (Fo-Hi), voir Martini Martino, Sinicae historiae… decas prima, p. 11 sq. Primus Imperato Fohius (en marge : ante vulgarem Christi Epocham 2952). Voir le texte français, p. 26. Il est censé avoir régné 115 ans. Sur les empereurs Hoangtius, Xinnungus, Xaohauus, et Yaous, qui ont succédé à Fo-Hi, voir les Sinicae historiae… decas prima, p. 13-24 sq.
La reconstitution du feuillet effectuée par Pol Ernst montre dans quel contexte de travail ce fragment a été écrit.
Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688). Antiquité des Juifs. Qu’il y a de différence d’un livre à un autre, je ne m’étonne pas de ce que les Grecs ont fait l’Iliade, ni les Égyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que voir comment cela est né, ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman, qu’il donne pour tel, et qui est reçu pour tel, car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n’avaient non plus été que la pomme d’or. Il ne pensait pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement, il est le seul qui écrit de son temps, la beauté de l’ouvrage fait durer la chose, tout le monde l’apprend et en parle, il la faut savoir, chacun la sait par cœur, quatre cents ans après les témoins des choses ne sont plus vivants, personne ne sait plus par sa connaissance si c’est une fable ou une histoire, on l’a seulement appris de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai. Toute histoire qui n’est pas contemporaine est suspecte, ainsi les livres des Sibylles et de Trismégiste, et tant d’autres qui ont eu crédit au monde sont faux et se trouvent faux à la suite des temps, il n’en est pas ainsi des auteurs contemporains. Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple et un livre qui fait lui-même un peuple, on ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.
♦ Le livre du P. Martini
Martini Martino, Martini Martinii Tridentini e Societate Jesu Sinicae Historiae Decas prima. Res a gentis origine ad Christum natum in extrema Asia, sive Magno Sinarum Imperio gestas complexa. Monachii. Typis Lucae Straubii. Impensis Joannis Wagneri Civis. Anno MDCLVIII.
Ad Lectorem (p. A). « Extrema Asiae sive Magni Sinarum Imperii compendio et annorum ordine comprehensam Historiam, Europaeis adhuc ingotam, tibi repraesento, amice Lector. Vetustiorem, si sacram excipias, et, si credendum Sinis, certiorem orbis non habet ; id quod legenti luce meridiana clarius patebit. Tradit enim a gentis origine ad Christum natum non modo magna temporum intervalla et Sinensium Imperatorum seriem ; sed in quovis insuper temporum cyclo (quem Sinae jam inde a primis retro initiis annorum sexaginta cursu definierunt) ostendit, quo anno Cycli tunc labentis Regum quilibet imperium adierit, quove anno res in omnem partem memorabiles gessetit. Accedent siderum observationes ab orbe condito antiquissimae non paucae, Dionysio, Eratosthene, Hipparcho priores ; quae in omni Chronologia pro temporum normâ semper habitae, quippe bases & characteres temporum naturales, ideoque certae. Ex quibus omnibus haud dubia annorum series contexitur. Et Sinicae quidem Chronologiae fides tanto est integrior, quod Sinae sibi solis ac sua tantum scripserint, exterarum gentium aut ignari aut contemptores. Utcumque est, postquam nec externis placere, nec sese jactare studium fuit ; mentiendi causas procul habuere. Idque tantominus, quod a vetustate vel sanguinis vel temporis nulla sit apud hanc gentem nobilitas. Pauperrimo cuique per literas patet iter ad summa. Hinc nullae circa Sinensium historiam inter ipsos controversiae nulla de regiarum familiarum annorumque serie desidia, quae tamen apud nos ita fervent, ut Chronologorum fere quilibet a quovis dissentiat. »
Les historiens chinois sont nombreux, « alios aliis antiquiores », qui ont composé leurs histoires par ordre.
Liber primus, p. 2. Les Chinois sur la Création : ceux de la principale secte philosophique pensent que c’est le fait du hasard ; d’autres croient le monde éternel. « De summo ac primo rerum authore mirum apud omnes silentium. Quippe in tam copiosa lingua ne nomen quidem Deus habet ». Ils disent Xangti, « qua summum caeli terraeque gubernatorem indigetant ». Ils ont des anges bons et mauvais (Chin hoong).
P. 3. « De Diluvio multa est apud Sinicos scriptores mentio : de illius origine causaeque, nulla ». Leur histoire du Déluge est assez proche de celle de Noé ; « quippe quae ter mille circiter annis vulgarem Christi epocham praegreditur ». Avant l’empereur Fohius, les débuts des annales ne sont pas pris au sérieux par les Chinois mêmes ; mais « ab illo tamen tempore certissima Sinis habentur, ea maxime, quae ad annorum supputandam rationem spectant : qua in re mirabile Sinarum semper studium emicuit. Hinc est illa continua temporum et fide optima deducta series, et jam ante, quam annorum cyclo utebantur ». L’auteur suit donc « epocham annorum ». « Cyclorum enim epocham tum ordiar, cum ad eum Imperatorem, sub quo illius est epochae usus, me historia deducit. Unde patebit, annis ante vulgarem Christi epocham tres mille admodum exstitisse Fohium ; id quod e Sinicis historiis mihi promptum, ostendere. At enim fides penes illas esto ; ego in re tanti momenti esse arbiter nolim, qui cum his Chronologorum nostrorum opinionem pugnare sciam, lapsum a Noëtica eluvie tempus haud paulo arctiori spatio definientium. Tametsi nec sinensium videtur usquequaque repudiandia sententia. Favent ei ex Europâ Chronologi non omnino nulli ; favent septuaginta interpretes, Samosatenus alii ; nec Romanum Martyrologium aut computatio Graecorum longe dissentiunt. »
Traduction française de l’abbé Le Peletier, p. 6 sq. : « Leurs historiens parlent beaucoup du Déluge ; mais ils n’en rendent aucune raison, et l’on ne sait pas si c’est celui de Noé, ou de quelqu’autre qui ait seulement inondé ces provinces, comme autrefois le furent la Thessalie et le pays Attique sous Deucalion et Ogiges. Ce que l’on trouve de constant là-dessus, c’est que l’histoire en est rapportée environ trois mil ans avant l’époque vulgaire de Jésus-Christ, auquel temps se rencontre à peu près celui du Déluge universel. Ils tiennent même pour suspect tout ce qui est contenu dans leurs Annales avant le règne de leur premier souverain Fohius, et le traitent de faux et ridicule ; et en effet ils n’avaient encore alors aucun usage de l’écriture, ni de lois pour régler la société civile, et pour instruire les hommes qui vivaient comme des brutes. Il est vrai qu’ils ont acquis des connaissances très certaines et particulièrement dans la chronologie, à l’étude de laquelle ils ont travaillé avec une merveilleuse application. Ces supputations chronologiques sont très fidèlement suivies dès avant même qu’ils eussent trouvé l’usage du Cycle : c’est pourquoi l’on a cru devoir s’en rapporter jusqu’au règne de Fohius à l’époque suivie par les chrétiens avant celle de Jésus-Christ, et de reprendre leur Cycle à ce prince sous lequel il fut inventé. L’on connaîtra par le rapport de ces deux supputations qu’il vivait trois mil ans avant la naissance du Sauveur du monde : c’est ce que l’on peut croire là-dessus de plus vraisemblable, sans néanmoins l’établir pour constant, contre l’opinion de nos chronologistes, qui mettent beaucoup plus d’intervalle entre Fohius et Noé. La première opinion est en quelque façon soutenable puisqu’elle a du rapport avec celles de la plupart des chronologistes de l’Europe, et que les Septante, le Samothéen, le Martyrologe romain, la Supputation des Grecs et plusieurs autres n’en sont pas fort éloignés ».
Martini Martino, Sinicae historiae… decas prima, p. 4. Les Chinois pensent être plus anciens que les Égyptiens et les Chaldéens. « Neque desunt qui dicant, ab orbe condito ad Confucium philosophum annos ter millies ducenties sexagies septies mille fluxisse. Qua opinione superarint etiam calculum eorum qui Orientem accolunt mundi finem post annos a primordio spetingenties mille, nescio qua authoritate decernentium. » Voir p. 9 : « Et sane multa insunt ridicula Sinicis annalibus sive hominum aetatem consideres, sive annos regnantium ». Ce que l’auteur confirme en disant que « si enim fidem illorum scriptoribus haberemus, aetas orbis universi multis annorum millibus ante diluvium extenderetur ».
Martini écrit aussi, p. 10 : « Hanc enim, qua de scribo, extremam Asiam ante diluvium habitatam fuisse pro certo habeo. Verum quo pacto fuerit rerum servata memoria, humano genere omni, si a Noëtica familia discesseris, penitus deleto ; mihi non liquet. Nisi forte de rebus diluvio antiquioribus obscura in posteris fama, per manus tradita remansit, quam scriptores deinceps ignoratione veri conjecturisve magis obscurarent ; aut suae gentis amore, studioque illius initia ad ignotam originem revocandi, commentis ac fabulis corrumperent. Sed haec in lectorum arbitrio sunto ; nos certiora sequamur ».
Nous citons un peu plus largement la traduction de Le Peletier, p. 23 sq. : « On n’a point encore parlé de leur manière de supputer les temps, et les années, parce qu’ils doutent eux-mêmes de tout ce qui se dit de ces premiers siècles : en effet leurs Annales sont remplies de grandes absurdités, tant à l’égard du long âge des hommes, que de la durée des règnes de leurs souverains ; et si l’on ajoutait foi à leurs historiens, il faudrait nécessairement croire que la naissance du monde a précédé le Déluge de plusieurs milliers d’années, comme on l’a déjà remarqué. Il est vrai qu’ils tiennent pour indubitable la suite de leur chronologie, depuis le règne de leur premier empereur, et qu’il n’y a point de nation sur la terre qui se soit autant appliquée que les Chinois, et qui soit si bien instruite dans la connaissance des temps : ils en sont redevables aux soins que leurs souverains ont toujours eus, et qu’ils ont encore, de choisir les plus savants d’entre leurs philosophes pour faire l’histoire de leurs prédécesseurs ; ce travail est brigué par les plus habiles de l’État comme un emploi très honorable. Chaque empereur nomme celui qui doit écrire tout ce qui s’est passé sous le dernier règne ; et lui défend la dissimulation et la flatterie ; c’est par ce moyen que leur histoire est écrite d’un style tellement uniforme qu’on la croirait composée par un seul auteur. »
Ibid., p. 25. « On peut croire avec assez d’apparence que tout ce qu’on vient de voir est arrivé auparavant le Déluge, et d’autant plus que les Chinois en parlent eux-mêmes de ces choses qu’avec beaucoup d’incertitude. Il est constant que leur pays était peuplé avant que toute la terre eût été inondée. Il est bien difficile de savoir comment ils ont conservé la mémoire du passé, à moins que quelqu’un des descendants de Noé ne les en eût instruits, ou qu’une idée confuse ne leur en fût restée par tradition, à laquelle les historiens trop passionnés pour leur pays, ont ajouté ou diminué suivant de fausses conjectures, pour donner plus de relief à l’origine de la nation jusqu’alors inconnue. Chacun suivra librement là-dessus ce qui lui paraîtra ce plus vraisemblable ».
On voit que la documentation dont il disposait permettait à Pascal de soutenir que si les chronologies chinoises conduisaient à la conclusion qu’avant que Dieu créât le monde, les Chinois étaient déjà là, il n’était pas nécessaire de leur accorder un caractère historique, puisqu’eux-mêmes considéraient les temps antérieurs à Fo-Hi comme purement légendaires. Reste qu’il n’en est demeuré qu’à une première étude, et que si sa santé le lui avait permis, il aurait dû entrer dans l’étude d’un problème difficile, pour lequel la documentation nécessaire n’était pas encore vraiment disponible de son temps.
L’insistance du P. Martini sur le soin que les Chinois ont toujours apporté à leurs chronologies (voir p. 54 de la traduction de Le Peletier), et sur la manière dont le calendrier est solennellement établi, a servi d’argument à Voltaire pour remettre en cause la chronologie de la Bible. Voir Voltaire, Essai sur les mœurs, éd. Pomeau, I, Garnier, p. 66. Le sérieux des histoires chinoises tient au fait qu’ils n’ont qu’une seule manière de compter les années ; il n’y a pas de contradictions dans leurs chronologies : p. 67. Leur histoire n’est que celle des temps historiques ; elles ne comportent pas de genèse : p. 67. Il a fallu beaucoup de temps pour parvenir au point de civilisation qui est impliqué par les arts et les histoires, et cela même avant Fo-Hi : p. 68. Ancienneté, continuité et précision des annales chinoises : p. 186. Le premier roi, Fo-Hi, et l’état déjà très avancé de la civilisation chinoise en son temps : p. 205 sq.
Pascal a abordé dans les Provinciales un autre sujet relatif à la Chine, qui a suscité des controverses dramatiques, la querelle des rites chinois. Voir dans les Provinciales, la Ve lettre, éd. Cognet, p. 76-78.
Etiemble, Les Jésuites en Chine. La querelle des rites (1552-1773), Paris, Julliard, 1966.
Delumeau Jean et Cottret Monique, Le catholicisme entre Luther et Voltaire, Paris, P. U. F., Paris, 1971, p. 178-183.
Tüchel Hermann, Bouman C. et Le Brun Jacques, Nouvelle histoire de l’Église, 3, Réforme et contre-réforme, Paris, Seuil, 1968, p. 345 sq. sur la querelle des rites chinois.
Mayeur J.-M., Pietri Ch. et L., Vauchez A. et Venard M. (dir.), Histoire du christianisme, IX, L’âge de raison (1620-1750), Paris, Desclée, 1997, p. 774 sq.
Je ne crois que les histoires dont les témoins se feraient égorger.
Pascal ne veut pas dire qu’il ne croit une personne que si elle se fait égorger.
Pascal, Pensées éd. Havet, II, at. XXIV, n° 46. Sur le conditionnel se feraient égorger : Pascal pense aux récits de l’Ancien Testament, pour la vérité desquels il n’y a pas eu de martyrs. Mais Moïse au besoin, Pascal n’en doute pas, aurait eu ses témoins comme Jésus-Christ.
Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, p. 228 sq. Explication de la formule, et de son application à la Chine. Voir p. 228. L’accent est sur témoins : il y a des gens qui rapportent ce qu’ils ont vu : Pascal dit qu’il les croit s’il les juge capables de se faire égorger pour maintenir ce qu’ils prétendent ; si la peur du danger les fait reculer, on a le droit de se demander ce que vaut leur témoignage. Il s’agit de la véracité des personnes et non de la vérité des faits. D’autre part, Pascal ne dit pas qu’il croit parce que, mais si les témoins se font égorger. Condition diffère de cause. La formule ne signifie pas : je crois toutes les histoires dont les témoins sont prêts à la mort, mais : toutes les histoires que je crois sont de celles dont les témoins se feraient égorger, étant admis que cela peut être pour une illusion qui a abusé leurs sens.
Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, § XXXIII, éd. Ferret et McKenna, p. 181. Noter que Voltaire réagit au texte de l’édition de Port-Royal Je crois volontiers les histoires dont les témoins se font égorger. « La difficulté n’est pas seulement de savoir si on croira des témoins qui meurent pour soutenir leur déposition, comme ont fait tant de fanatiques, mais encore si ces témoins sont effectivement morts pour cela, si on a conservé leurs dépositions, s’ils ont habité les pays où on dit qu’ils sont morts. Pourquoi Josèphe, né dans le temps de la mort du Christ, Josèphe ennemi d’Hérode, Josèphe peu attaché au judaïsme, n’a-t-il pas dit un mot de tout cela ? Voilà ce que M. Pascal eût débrouillé avec succès, comme ont fait depuis tant d’écrivains éloquents ». Voir la note de l’éd. Ferret et McKenna, p. 510-511.
Boullier David Renaud, Sentiments de M*** sur la critique des Pensées de Pascal par M. de Voltaire, p. 89 sq., § XXXII. « Pour rendre ce beau mot inutile à la religion, M. V. allègue 1. Que des fanatiques sont morts pour soutenir leurs dépositions. 2. Qu’on n’est point assuré que les apôtres aient effectivement souffert le martyre. Une bonne raison, selon lui, pour n’en rien croire, c’est que Josèphe n’en dit mot. C’est-à-dire que le silence de cet homme, qui pour plaire aux païens a supprimé ou falsifié dans ses écrits tant de circonstances de l’Histoire sainte, de cet homme, assez courtisan pour détourner sur Vespasien les oracles des Juifs touchant le Messie, de cet homme enfin, malgré son judaïsme, et la secte pharisaïque dont il était, entêté de la philosophie des Grecs, idolâtre de la grandeur de Rome, et fade adulateur des deux nations, que le silence d’un tel personnage sur le martyre des apôtres, doit prévaloir sur le témoignage de toute l’Histoire, et sur le rapport unanime de la plus puissante tradition ! L’autre objection n’a pas plus de solidité. Nombre de fanatiques ont été les martyrs de leurs opinions spéculatives : en connaît-on beaucoup qui aient versé leur sang pour confirmer des faits dont ils se disent faussement les témoins ? D’ailleurs les fanatiques sont des fous, et assurément les apôtres ne l’étaient point ; leur conduite et leurs écrits nous en répondent. Au reste, je m’étonne qu’un aussi bon catholique que M. V., qu’un homme qui croit la religion chrétienne si véritable qu’elle n’a pas besoin de preuves douteuses (Voyez l’art. XV) ait pu tenir un pareil langage. Cela était bon de l’Épître à Uranie. À ce trait si témérairement lancé contre le témoignage des apôtres, joignons l’article XLI. »
Lequel est le plus croyable des deux, Moïse ou la Chine ?
Cette phrase a été barrée horizontalement. Pascal a donc décidé de la supprimer. S’il avait voulu la conserver, il l’aurait barrée verticalement. Le réviseur de C1 la reproduit barrée ; C2 ne la retient pas (voir la comparaison des Copies). Quoiqu’il suive C2, Philippe Sellier a conservé cette question, mise entre parenthèses, sans doute en raison de son intérêt. Lafuma, qui suit C1, procède de même.
Malgré le titre qu’il porte, le sujet de ce fragment n’est pas à proprement parler d’ordre historique. Il ne traite pas essentiellement de l’antiquité des Juifs du point de vue chronologique. Voir sur ce sujet Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691).
Pascal place le problème dans la perspective de l’autorité. Il ne discute pas les faits de l’histoire de la Chine, mais la crédibilité des historiens. Il raisonne en l’occurrence en appliquant les principes de la méthode d’autorité, tels qu’il les expose dans la Préface au traité du vide. Dans ce texte, Pascal énonce ce que l’on peut considérer comme une règle épistémologique, savoir que, par opposition aux matières de raisonnement, soumises à la raison, ou aux sciences d’expérience, soumises aux sens, les matières qui relèvent de la mémoire, (comme l’histoire ou le droit), sont soumises à l’autorité, c’est-à-dire au témoignage ou au rapport des personnes qui ont eu elles-mêmes un contact direct avec les faits qu’elles rapportent. Dans les matières historiques, on ne peut atteindre la certitude que si l’on dispose de témoignages d’auteurs qui ont été les témoins contemporains des faits qu’ils rapportent. De sorte que toute histoire qui n’est pas contemporaine est suspecte.
La question de la confiance que l’on peut accorder aux chronologies chinoises a été discutée à partir des récits rapportés par les jésuites sur leurs séjours en Extrême Orient. Les raisons que Pascal trouve pour mettre en doute les histoires de la Chine sont précisées dans le fragment Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688). Voir plus bas.
Martini Martino, Sinicae historiae… decas prima, p. 9. « Et sane multa insunt ridicula Sinicis annalibus sive hominum aetatem consideres, sive annos regnantium ». Ce que l’auteur confirme en disant que « si enim fidem illorum scriptoribus haberemus, aetas orbis universi multis annorum millibus ante diluvium extenderetur ». Mais au même endroit, le P. Martini remarque que l’on trouve chez peu de peuples des chronologistes aussi soigneux que les Chinois.
Il faut interpréter le présent fragment par le fragment Preuves de Moïse 3 (Laf. 292, Sel. 324). Les dynasties chinoises se suivent, mais sans continuité. Les Juifs sont plus croyables que les autres, parce qu’ils ont la tradition héréditaire.
L’ancienneté du peuple juif n’a de sens, dans l’esprit de Pascal, qu’en relation avec l’autorité et la crédibilité des récits des premiers temps dans la Bible, comparée aux histoires légendaires des peuples païens. Pour établir l’autorité de l’Écriture, il est nécessaire de montrer que le récit contenu dans les premiers livres de l’Ancien Testament n’est pas récusable, parce que Moïse, auteur du Pentateuque, a été un témoin quasi contemporain des faits narrés. Il faut donc montrer que l’antiquité du peuple juif est égale à celle des événements dont la Bible témoigne. L’idée de la tradition héréditaire établit un lien direct entre les commencements et Moïse, l’auteur du Pentateuque. Voir le fragment Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327). Sem qui a vu Lamech qui a vu Adam a vu aussi Jacob qui a vu ceux qui ont vu Moïse : donc le Déluge et la Création sont vrais. Cela conclut entre de certaines gens qui l’entendent bien.
Ces arguments doivent confirmer le programme d’étude de l’histoire d’Israël que Pascal s’est forgé en vue de la rédaction de son apologie de la religion chrétienne.
Il n’est pas question de voir cela en gros. Je vous dis qu’il y a de quoi aveugler et de quoi éclairer.
Certaines éditions donnent éclaircir. Mais le manuscrit impose éclairer.
Voir cela en gros : c’est la négligence que Pascal reproche à ceux qui ne cherchent pas de tout leur cœur dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Qu’ils apprennent au moins quelle est la religion qu’ils combattent avant que de la combattre. [...] Il faudrait, pour la combattre, qu’ils criassent qu’ils ont fait tous leurs efforts pour la chercher partout, et, même dans ce que l’Église propose pour s’en instruire, mais sans aucune satisfaction. S’ils parlaient de la sorte, ils combattraient à la vérité une de ces prétentions. Mais j’espère montrer ici qu’il n’y a personne raisonnable qui puisse parler de la sorte ; et j’ose même dire que jamais personne ne l’a fait. On sait assez de quelle manière agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils croient avoir fait de grands efforts pour s’instruire, lorsqu’ils ont employé quelques heures à la lecture de quelque livre de l’Écriture, et qu’ils ont interrogé quelque ecclésiastique sur les vérités de la foi. Après cela, ils se vantent d’avoir cherché sans succès dans les livres et parmi les hommes. Mais, en vérité, je leur dirais ce que j’ai dit souvent, que cette négligence n’est pas supportable.
Aveugler et éclairer : l’histoire de la Chine devient un des points sur lesquels on peut juger des dispositions du cœur, selon qu’on se fie aux apparences immédiates ou que l’on accepte d’entrer dans un examen approfondi des faits.
Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.
Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.
Prophéties 23 (Laf. 344, Sel. 376). Que peut-on avoir sinon de la vénération d’un homme qui prédit clairement des choses qui arrivent et qui déclare son dessein et d’aveugler et d’éclaircir et qui mêle des obscurités parmi des choses claires qui arrivent ?
Par ce mot seul je ruine tous vos raisonnements : Mais la Chine obscurcit, dites‑vous ; et je réponds : La Chine obscurcit mais il y a clarté à trouver. Cherchez‑la.
Par ce mot seul : quel mot ? Il s’agit du principe il y a de quoi aveugler et de quoi éclaircir. Ce qui obscurcit, dans l’esprit de Pascal, est l’ancienneté des temps auxquels renvoient les chronologies chinoises, dans la mesure où elles remontent à des temps antérieurs à la création telle que la fixe la Genèse.
La clarté provient de ce que Pascal soutient dans le fragment Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688) : les chronologie chinoises peuvent troubler une personne en recherche, mais un examen attentif ne peut manquer de révéler qu’il y a de différence d’un livre à un autre. Les Grecs ont fait l’Iliade, les Égyptiens et les Chinois sont des historiens fabuleux qui n’étaient pas contemporains des choses dont ils écrivent : Homère fait un roman, qu’il donne pour tel, et qui est reçu pour tel, car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n’avaient non plus été que la pomme d’or. Il ne pensait pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement, il est le seul qui écrit de son temps, la beauté de l’ouvrage fait durer la chose, tout le monde l’apprend et en parle, il la faut savoir, chacun la sait par cœur, quatre cents ans après les témoins des choses ne sont plus vivants, personne ne sait plus par sa connaissance si c’est une fable ou une histoire, on l’a seulement appris de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai. Toute histoire qui n’est pas contemporaine est suspecte, ainsi les livres des Sibylles et de Trismégiste, et tant d’autres qui ont eu crédit au monde sont faux et se trouvent faux à la suite des temps, il n’en est pas ainsi des auteurs contemporains.
Un argument subtil sert aussi de preuve à l’authenticité de la Bible, c’est qu’elle a formé le peuple juif comme peuple et comme peuple de Dieu : voir Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688). Antiquité des Juifs. [...] Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. Car dans ce cas, on ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.
On ne doit pas considérer ces notes sur la Chine comme négligeables. Quoique l’argumentation n’ait pas été développée, son sens dépasse largement l’histoire pure, pour tenir sa place dans la recherche que cherche à susciter l’apologétique de Pascal. Voir les analyses de Heller Lane M., “Pascal et la Chine”, in Goyet Thérèse et alii, Pascal, Port-Royal, Orient, Occident, p. 53-59. En quoi consiste la « clarté » dont parle Pascal ? Voir p. 58, le rapprochement des fragments sur la Chine et la liasse Fausseté des autres religions. L’obscurité de la Chine est une pierre d’achoppement (Fondement 5 - Laf. 228, Sel. 260), mais une pierre qui pousse le chercheur vers la clarté : p. 58. La Chine a pour rôle d’obscurcir provisoirement l’esprit pour mieux disposer la volonté : elle constitue un des obstacles par lesquels se fait le discernement entre élus et réprouvés.
Ainsi tout ce que vous dites fait à un des desseins et rien contre l’autre. Ainsi cela sert et ne nuit pas.
On peut considérer l’argument de Pascal sur la Chine comme une forme de rétorsion : contre l’objection que la Chine obscurcit, il oppose la réponse que cette obscurité même est une preuve en faveur de l’authenticité de la Bible.
Ce modèle d’argumentation se trouve par exemple dans le fragment Laf. 746, Sel. 619. Sur ce que Josèphe ni Tacite, et les autres historiens, n’ont point parlé de Jésus-Christ. Tant s’en faut que cela fasse contre, qu’au contraire cela fait pour. Car il est certain que Jésus-Christ a été et que sa religion a fait grand bruit et que ces gens-là ne l’ignoraient pas et qu’ainsi il est visible qu’ils ne l’ont celé qu’à dessein ou bien qu’ils en ont parlé et qu’on l’a supprimé, ou changé.
Voir sur le procédé de la rétorsion Susini Laurent, L’écriture de Pascal. La lumière et le feu. La « vraie éloquence » à l’œuvre dans les Pensées, Paris, Champion, 2008, p. 496 sq.
Il faut donc voir cela en détail. Il faut mettre papiers sur table.
Mettre papiers sur table : l’expression est donnée par Furetière au mot mettre, pour examiner une affaire. Littré indique qu’elle signifie preuve en main, en vue d’un examen dans le détail.