Pensées diverses VIII – Fragment n° 5 / 6 – Papier original : RO 409-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 190 p. 427 v° / C2 : p. 399 v° (copie de Pierre Guerrier)

Éditions savantes : Faugère II, 369, XXVII / Havet XXV.51 / Brunschvicg 522 / Tourneur p. 136-3 / Le Guern 674 / Lafuma 824 (série XXX) / Sellier 665

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

COHN Lionel, “Pascal et le judaïsme”, in Pascal. Textes du tricentenaire, Paris, Arthème Fayard, 1963, p. 206-224.

GRASSET Bernard, Les Pensées de Pascal, une interprétation de l’Écriture, Paris, Kimé, 2003.

KOLAKOWSKI Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

La Loi obligeait à ce qu’elle ne donnait pas, la grâce donne ce à quoi elle oblige.

 

Pascal parle le  plus souvent en termes très élogieux de la loi juive.

Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Avantages du peuple juif. Dans cette recherche le peuple juif attire d’abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent. [...] La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble, la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. C’est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion, et Philon juif, en divers lieux où ils font voir qu’elle est si ancienne que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après, en sorte que Homère qui a écrit l’histoire de tant d’États ne s’en est jamais servi. Et il est aisé de juger de sa perfection par la simple lecture, où l’on voit qu’on a pourvu à toutes choses, avec tant de sagesse, tant d’équité et tant de jugement que les plus anciens législateurs grecs et romains en ayant eu quelque lumière en ont emprunté leurs principales lois, ce qui paraît par celle qu’ils appellent des douze Tables, et par les autres preuves que Josèphe en donne. Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion obligeant ce peuple pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles sur peine de la vie, de sorte que c’est une chose bien étonnante, qu’elle se soit toujours conservée constamment durant tant de siècles, par un peuple rebelle et impatient comme celui-ci pendant que tous les autres États ont changé de temps en temps leurs lois quoique tout autrement faciles.

Il est cependant un point sur lequel Pascal insiste toujours, c’est que, malgré sa perfection, la loi de Moïse ne permet pas de remplir réellement les commandements de Dieu. Elle comportait des lois saines et saintes, mais malgré sa sévérité, elle ne permettait pas de les remplir, parce qu’elle ne donnait pas la grâce. Le cœur charnel des Juifs les met hors du pouvoir de l’accomplissement des commandements, au sens spirituel auquel ils doivent être entendus.

Pensée n° 11L (Laf. 925, Sel. 754). La loi n’a pas détruit la nature, mais elle l’a instruite. Elle a instruit le peuple juif parce qu’elle a révélé les fautes suscitées par la concupiscence ; mais elle n’a pas détruit la nature dans la mesure où elle n’enfermait pas la grâce.

Philippe Sellier, Pascal et saint Augustin, p. 445, note que ce fragment est l’un des seuls dans lesquels Pascal s’intéresse à l’impuissance de l’homme par la Torah, et encore, de manière lointaine, contrairement à saint Augustin qui y a consacré de nombreuses pages, parce qu’il connaissait des Juifs qui hésitaient à abandonner les rites et les pratiques de la loi de Moïse. Pascal ne se considère pas dans la même condition, et n’a pas affaire aux mêmes adversaires. Le chapitre VI, sur le mystère d’Israël, donne le contexte de cette maxime de Pascal.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 164. Après l’état de nature, la loi de Moïse définit le statut du peuple juif : sa loi montrait bien la voie qui mène à Dieu, mais ne donnait pas les moyens de la suivre ; c’est en ce sens que cette loi, qui n’est qu’un texte, est une lettre qui tue si elle n’est pas vivifiée par l’esprit (ce qui est le cas des Juifs spirituels, qui étaient des chrétiens avant la date). La grâce de Jésus-Christ, qui est le propre des chrétiens, donne le moyen d’accomplir les commandements de Dieu, non par esprit légaliste, mais par la charité.

La conséquence de ce principe, c’est que la religion juive n’est que la figure de la loi du Christ. Voir sur ce sujet Cohn Lionel, “Pascal et le judaïsme”, in Pascal. Textes du tricentenaire, p. 206-224, et particulièrement les p. 214 et 216-217.

E. Havet renvoie à l’Épître aux Romains, VII, 7, et M. Le Guern, dans son édition des Œuvres de Pascal, II, p. 1538, aux chapitres VII et VIII, dont ce fragment est censé « résume[r] le thème essentiel ». Il y est en effet question de la loi ancienne et de la loi nouvelle. Mais quoique l’esprit paulinien du présent fragment soit visible, la perspective en est plus précise.

Le point de vue de Pascal dans le présent fragment est étroitement lié aux Écrits sur la grâce, et particulièrement à la Lettre sur la possibilité des commandements, qui porte sur la question du pouvoir nécessaire pour accomplir les commandements de Dieu, pouvoir que ne donne réellement que la grâce de Jésus-Christ. Les Écrits sur la grâce établissent que les commandements de la loi chrétienne ne sont possibles qu’avec l’aide de la grâce, dont l’efficacité seule peut triompher de la concupiscence.

Grasset Bernard, Les Pensées de Pascal, une interprétation de l’Écriture, p. 169.

Selon Kolakowski Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, p. 156, ce fragment enferme une reformulation de ce qu’a dit Augustin, Dieu couronne ses propres dons.