Miracles II – Fragment n° 2 / 15 – Papier original : RO 113-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 441 / C2 : p. 237-238
Un § a été ajouté dans l’édition de 1678 : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1678 n° 23 p. 239-240
Éditions savantes : Faugère II, 264, XXXIII ; I, 283, XLIX / Havet XXIV.18 / Brunschvicg 564 et 855 / Tourneur p. 145 / Le Guern 682 / Lafuma 835 et 836 (série XXXIII, notée XXXII par erreur) / Sellier 423
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Bibliographie ✍
Voir les dossiers thématiques sur le cœur et la foi selon Pascal. SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977. |
✧ Éclaircissements
Les prophéties, les miracles mêmes et les preuves de notre religion ne sont pas de telle nature qu’on puisse dire qu’ils sont absolument convaincants, mais ils le sont aussi de telle sorte qu’on ne peut dire que ce soit être sans raison que de les croire.
Le fragment Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), Infini rien, propose un raisonnement de structure analogue. Les preuves de notre religion, dit ici Pascal, ne sont pas absolument convaincantes, ce qui se comprend dès lors que l’on admet que par raison on ne peut savoir ni si Dieu est, ni s’il n’est pas. Mais on ne peut pas dire que ce soit être sans raison que de les croire, parce que l’on ne peut pas blâmer les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison : [...] c’est en manquant de preuve qu’ils ne manquent pas de sens.
Mais la différence est visible : le raisonnement d’Infini rien s’adresse d’abord aux incrédules qui refusent de chercher et se contentent de leur condition présente. Dans le présent fragment au contraire, Pascal s’adresse à des lecteurs censés se poser le problème des preuves de la religion chrétienne, ce qui est déjà une forme de recherche.
Miracles II (Laf. 840, Sel. 425). Les preuves que Jésus-Christ et les apôtres tirent de l’Écriture ne sont pas démonstratives, car ils disent seulement que Moïse a dit qu’un prophète viendrait, mais ils ne prouvent pas par là que ce soit celui-là, et c’était toute la question. Ces passages ne servent donc qu’à montrer qu’on n’est pas contraire à l’Écriture et qu’il n’y paraît point de répugnance, mais non pas qu’il y ait accord. Or cela suffit : exclusion de répugnance avec miracles.
Ainsi il y a de l’évidence et de l’obscurité pour éclairer les uns et obscurcir les autres.
Thème qui se retrouve dans de nombreux fragments des Pensées. Voir le dossier thématique sur le Dieu caché.
Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres. Voir dans le commentaire de ce fragment le rapport de l’aveuglement et de l’endurcissement.
Fondement 12 (Laf. 235, Sel. 267). Jésus-Christ est venu aveugler ceux qui voient clair et donner la vue aux aveugles, guérir les malades, et laisser mourir les sains, appeler à pénitence et justifier les pécheurs, et laisser les justes dans leurs péchés, remplir les indigents et laisser les riches vides.
Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Aveugler, éclaircir. [...] Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.
Prophéties 16 (Laf. 337, Sel. 369). Pour faire qu’en voyant ils ne voient point et qu’en entendant ils n’entendent point rien ne pouvait être mieux fait.
Prophéties 23 (Laf. 344, Sel. 376). Que peut-on avoir sinon de la vénération d’un homme qui prédit clairement des choses qui arrivent et qui déclare son dessein et d’aveugler et d’éclaircir et qui mêle des obscurités parmi des choses claires qui arrivent ?
Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 173. Explication fondamentale de la résistance des hommes aux miracles : le manque de charité et la concupiscence sont les causes de l’incrédulité à l’égard des miracles, des prophéties et des preuves de la religion en général.
Mais c’est le point de départ d’une généralisation : le même raisonnement servira contre les Juifs qui refusent de comprendre les prophéties en leur sens spirituel, et les incrédules en général à l’égard de la religion chrétienne.
Mais l’évidence est telle qu’elle surpasse ou égale pour le moins l’évidence du contraire, de sorte que ce n’est pas la raison qui puisse déterminer à ne la pas suivre. Et ainsi ce ne peut être que la concupiscence et la malice du cœur. Et par ce moyen il y a assez d’évidence pour condamner et non assez pour convaincre, afin qu’il paraisse qu’en ceux qui la suivent c’est la grâce et non la raison qui fait suivre, et qu’en ceux qui la fuient c’est la concupiscence et non la raison qui fait fuir.
Pascal entame ici une comparaison originale des évidences de la religion chrétienne et de son rejet par les incrédules.
Il fait un pas dans une direction que l’on trouve dans Infini rien : dans ce dernier fragment, il écrit que Dieu est, ou il n’est pas. Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer [...]. Par raison vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre, par raison vous ne pouvez défendre nul des deux. Dans ce passage, les deux hypothèses sont considérées pour ainsi dire à égalité de probabilité.
Dans le présent fragment, Pascal soutient que l’évidence des preuves de la religion est supérieure ou au moins égale à l’évidence contraire. Il ne précise pas clairement en quoi ni pourquoi.
En revanche, il en tire les conséquences :
1. Ce n’est pas la raison qui puisse déterminer à ne la pas suivre, c’est-à-dire que la raison ne peut s’opposer à la créance de la religion ; dans l’opuscule De l’esprit géométrique, Pascal dirait les principes de la raison.
2. Il faut donc que ce soit un autre principe ; or il n’y en a que deux, les principes de la raison et les principes du plaisir ; voir sur ce point De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 2, OC III, éd. J. Mesnard, p. 413 : « il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme, qui sont ses deux principales puissances, l’entendement et la volonté », cette dernière étant animée par des « caprices téméraires « (§ 5, p. 414).
3. C’est donc le principe du plaisir qui effectue le choix : ce ne peut être que la concupiscence et la malice du cœur.
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Vere discipuli ; Vere Israelita ; Vere liberi ; Vere cibus.
Vere discipuli, Vere Israelita, Vere liberi, Vere cibus : « Vraiment des disciples ; Vraiment un Israëlite ; Vraiment libres ; Vrai pain » : voir Jean, I, 47 et VIII, 36 ; Jean, VI, 31.
Voir la liasse Loi figurative ainsi que les fragments (Laf. 807, Sel. 654) et Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285).
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Je suppose qu’on croit les miracles.
Fragment ambigu. On peut hésiter entre croit et croie.
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Vous corrompez la religion, ou en faveur de vos amis ou contre vos ennemis. Vous en disposez à votre gré.
Cette phrase s’adresse aux jésuites. Elle ne vise pas précisément les casuistes en tant que tels : ceux-ci contribuent à la corruption de la morale chrétienne par les décisions laxistes qui remplissent leurs ouvrages, et en ce sens il est exact qu’ils disposent à leur gré de la morale. Mais il ne semble pas qu’on puisse leur reprocher de favoriser leurs amis et d’agir contre leurs ennemis. En revanche, les Provinciales XV et XVII montrent clairement comment les jésuites se servent efficacement des maximes des casuistes pour nuire à leurs ennemis, surtout s’ils sont amis de Port-Royal. Voir notamment l’affaire de M. Puys, dans la quinzième lettre, éd. Cognet, Garnier, p. 282 sq.
L’idée qu’ils disposent à leur gré de la religion est indiquée dès la Ve Provinciale, à propos des opinions probables : « Une opinion est appelée probable, lorsqu'elle est fondée sur des raisons de quelque considération. D'où il arrive quelquefois qu'un seul docteur fort grave peut rendre une opinion probable. Et en voici la raison : car un homme adonné particulièrement à l'étude ne s'attacherait pas à une opinion, s'il n'y était attiré par une raison bonne et suffisante. Et ainsi, lui dis-je, un seul docteur peut tourner les consciences et les bouleverser à son gré, et toujours en sûreté. Il n'en faut pas rire, me dit-il, ni penser combattre cette doctrine. Quand les jansénistes l'ont voulu faire, ils ont perdu leur temps. Elle est trop bien établie. » Pascal use là d’un style ironique. Il en ira tout autrement dans les dernières Provinciales.