Fragment Divertissement n° 1 / 7 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Divertissement n° 183 p. 53 / C2 : p. 75

Éditions de Port-Royal : Chap. XXIX - Pensées morales : 1669 et janv. 1670 p. 279 / 1678 n° 18 p. 275

Éditions savantes : Faugère II, 40, VI / Havet VI.13 / Michaut 886 / Brunschvicg 170 / Le Guern 123 / Lafuma 132 / Sellier 165

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Bibliographie

 

 

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 159-160.

HORINO M., “De la misère de l’homme au divertissement”, Bulletin de la Section française de la Faculté des Lettres de l’Université de Kyoto, n° 8, 1979, p. 41-73.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 220 sq.

THIROUIN Laurent, “Le cycle du divertissement”, in Le Pensées di Pascal : dal disegno all’edizione, Studi francesi, Rosenberg e Sellier, 143, anno XVIII, fasc. II, mai-août 2004, Rosenberg e Sellier, p. 260-272.

THIROUIN Laurent, “Se divertir, se convertir”, in DESCOTES D. (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 299-322.

 

 

Éclaircissements

 

Si l’homme était heureux, il le serait d’autant plus qu’il serait moins diverti, comme les saints et Dieu.

 

L’incipit en si : voir Mesnard Jean, “L’incipit dans les fragments des Pensées”, Littératures, n° 29, automne 1993 p. 31. Tournure syntaxique familière à Pascal. La conjonction si introduit une constatation ou une hypothèse, dont la principale tire les conséquences. Le verbe est toujours au présent. Le conditionnel n’apparaît que lorsque la condition est niée. La tournure contribue à mettre l’esprit du lecteur en suspens, à le faire participer à l’enquête. On en trouve un exemple proche dans Misère 19 (Laf. 70, Sel. 104) : Si notre condition était véritablement heureuse il ne faudrait pas nous divertir d’y penser.

Plus, moins : c’est la définition d’une fonction inverse, énoncée de manière très concrète. Par rapport au fragment Misère 19 (Laf. 70, Sel. 104) cette idée constitue une addition : bonheur et divertissement sont en proportion inverse l’un de l’autre.

Les saints et Dieu représentent le degré zéro de divertissement et le maximum de bonheur. L’autre extrémité de la variation n’est pas précisé, mais on comprend qu’il s’agit du malheur de l’homme.

Comme les saints et Dieu : Dieu se suffit à lui-même, et la vue de Dieu suffit pour donner aux saints une béatitude constante, puisqu’elle dépend de Dieu, qui n’est lui-même pas sujet à l’inconstance, ce qui retire toute raison d’être au divertissement. Cette clause comme les saints et Dieu trouvera un écho dans le fragment Divertissement 5 (Laf. 137, Sel. 169), dans la personne du roi, dont la dignité devrait être assez grande d’elle-même, pour celui qui la possède, pour le rendre heureux par la seule vue de ce qu’il est : dans l’idéal, le souverain devrait être la figure de Dieu, et trouver sa satisfaction dans la contemplation en repos de la gloire majestueuse qui l’environne. Mais tel n’est naturellement pas le cas, et l’expérience prouve qu’un roi a plus qu’aucun autre besoin de divertissement, puisqu’un roi sans divertissement n’est qu’un homme plein de misères.

 

- Oui, mais n’est-ce pas être heureux que de pouvoir être réjoui par le divertissement ? Non, car il vient d’ailleurs et de dehors et ainsi il est dépendant et partant sujet à être troublé par mille accidents qui font les afflictions inévitables.

 

La distinction de ce qui dépend de l’homme et de ce qui, venant de l’extérieur, ne dépend pas de lui est d’origine stoïcienne. Sur cette doctrine, voir notre commentaire sur le fragment Raisons des effets 18 (Laf. 100, Sel. 133) : Épictète croyait démontrer sa morale en disant : Ou en notre puissance, ou non. Mais il ne s’apercevait pas qu’il n’est pas en notre pouvoir de régler le cœur, et il avait tort de le conclure de ce qu’il y avait des chrétiens. Selon les stoïciens, l’homme ne peut être heureux que lorsqu’il ne s’attache qu’à ce qui dépend de lui, alors que, lorsqu’il dépend des choses extérieures, leur disparition suffit à le rendre malheureux. Ce principe soutient l’exposé de Pascal sur Épictète dans L’entretien avec M. de Sacy.

Voir ci-dessus les remarques de Jean Mesnard sur l’usage du si pour engendrer une réflexion du lecteur. Cette réflexion commence ici sous forme de dialogue. Pascal répond à une objection ; mais c’est lui-même qui en a formulé la thèse. L’articulation en oui / non, caractéristique du renversement du pour au contre, crée une structure dialoguée, qui se retrouve dans plusieurs fragments de la liasse Divertissement. Elle correspond à un mouvement argumentatif du modèle raisons des effets. Voir Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168).