Fragment Raisons des effets n° 18 / 21 – Papier original : RO 161-4
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Raisons des effets n° 133 p. 37 / C2 : p. 54-55
Éditions savantes : Faugère I, 216, CXXVII / Brunschvicg 467 / Tourneur p. 191-1 / Le Guern 92 / Lafuma 100 / Sellier 133
Raison des effets.
Épictète, ceux qui disent : Vous [avez] mal à la tête. Ce n’est pas de même. On est assuré de la santé, et non pas de la justice. Et en effet la sienne était une niaiserie. Et cependant il la croyait démontrer en disant : Ou en notre puissance, ou non. Mais il ne s’apercevait pas qu’il n’est pas en notre pouvoir de régler le cœur, et il avait tort de le conclure de ce qu’il y avait des chrétiens.
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Le fragment Raisons des effets 18 ne redouble pas le fragment précédent, Raisons des effets 17 (Laf. 98-99, Sel. 123). Il semble correspondre à un état antérieur de la réflexion, qui sera développé et amplifié dans Raisons des effets 17.
Le paragraphe Épictète. Ceux qui disent : vous avez mal à la tête, ce n’est pas de même trouve son écho dans le deuxième paragraphe de Raisons des effets 17 : Epictète demande bien plus fortement : Pourquoi ne nous fâchons‑nous pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu’on dit que nous raisonnons mal ou que nous choisissons mal ?
La proposition On est assuré de la santé, et non pas de la justice est développée par : Ce qui cause cela est que nous sommes bien certains que nous n’avons pas mal à la tête, et que nous ne sommes pas boiteux, mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissons le vrai. De sorte que, n’en ayant d’assurance qu’à cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous étonne.
Dans le dernier mouvement de Raisons des effet 18, Pascal s’oriente vers la critique de la doctrine morale d’Épictète. Mais la suite de Raisons des effets 17 suit ensuite une autre voie, à partir de l’idée que, dans la situation où mille autres se moquent de notre choix, et où il faut préférer nos lumières à celles de tant d’autres.
Fragments connexes
Voir les fragments cités dans Raisons des effets 17 (Laf. 98-99, Sel. 132). D'où vient qu'un boiteux ne nous irrite pas et un esprit boiteux nous irrite? A cause qu'un boiteux reconnaît que nous allons droit et qu'un esprit boiteux dit que c'est nous qui boitons, sans cela nous en aurions pitié et non colère.
Épictète demande bien plus fortement: pourquoi ne nous fâchons-nous pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu'on dit que nous raisonnons mal ou que nous choisissons mal ?
Ce qui cause cela est que nous sommes bien certains que nous n'avons pas mal à la tête et que nous ne sommes pas boiteux, mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissons le vrai, de sorte que, n'en ayant d'assurance qu'à cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous étonne, et encore plus quand mille autres se moquent de notre choix, car il faut préférer nos lumières à celles de tant d'autres, et cela est hardi et difficile. Il n'y a jamais cette contradiction dans les sens touchant un boiteux.
L'homme est ainsi fait qu'à force de lui dire qu'il est un sot il le croit, et à force de se le dire à soi-même on se le fait croire, car l'homme fait lui seul une conversation intérieure, qu'il importe de bien régler. Corrumpunt bonos mores colloquia prava. Il faut se tenir en silence autant qu'on peut, et ne s'entretenir que de Dieu qu'on sait être la vérité, et ainsi on se la persuade à soi-même.
Preuves de Jésus-Christ 1 (Laf. 298, Sel. 329). L'ordre.
Contre l'objection que l'Écriture n'a pas d'ordre.
Le cœur a son ordre, l'esprit a le sien qui est par principe et démonstration. Le cœur en a un autre, on ne prouve pas qu'on doit être aimé en exposant d'ordre les causes de l'amour, cela serait ridicule.
J.-C., saint Paul ont l'ordre de la charité, non de l'esprit, car ils voulaient échauffer, non instruire.
Saint Augustin de même, cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qui a rapport à la fin pour la montrer toujours.
Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412). Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement. Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux‑mêmes. Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais, d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dès qu’il l’inclinera.
Et c’est ce que David connaissait bien. Inclina cor meum deus in etc.
Preuves par discours I (Laf. 418-426, Sel. 680). Notre âme est jetée dans le corps où elle trouve nombre, temps, dimensions, elle raisonne là-dessus et appelle cela nature, nécessité, et ne peut croire autre chose.
[...] Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses.
Je dis que le cœur aime l’être universel naturellement et soi‑même naturellement, selon qu’il s’y adonne, et il se durcit contre l’un ou l’autre à son choix. Vous avez rejeté l’un et conservé l’autre ; est-ce par raison que vous vous aimez ?
Mots-clés : Chrétien – Cœur – Épictète – Justice – Niaiserie – Puissance – Raison des effets – Santé.