Fragment Fausseté des autres religions n° 3 / 18 – Papier original : RO 457-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fausseté n° 264 p. 105 / C2 : p. 130
Éditions de Port-Royal : Chapitre III - Véritable Religion prouvée par les contrariétés... : 1669
et janv. 1670 p. 30-31 / 1678 n° 1 p. 33-34
Éditions savantes : Faugère II, 144, VIII / Havet XII.6 / Brunschvicg 489 / Tourneur p. 246-1 / Le Guern 191 / Lafuma 205 / Sellier 237
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Bibliographie ✍
ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 295 sq. HASEKURA Takaharu, “Commentaire des Pensées de Pascal, L. 205”, The proceedings of the department of foreign languages and literatures, College of arts and sciences, University of Tokyo, vol. XXXVII, n° 2, 1989, p. 21-46. MESNARD Jean, “L’incipit dans les fragments des Pensées”, Littératures, 29, automne 1993 p. 31. |
✧ Éclaircissements
S’il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout. Tout par lui, tout pour lui.
Grandeur 5 v (Laf. 109). [la moin]dre chose est de cette nature Dieu est le commencement et la fin. Eccl. Eccli.
2e ms Guerrier (Laf. 988, Sel. 808). Mais il est impossible que Dieu soit jamais la fin, s’il n’est le principe. On dirige sa vue en haut, mais on s’appuie sur le sable : et la terre fondra, et on tombera en regardant le ciel.
La première phrase doit sans doute être entendue au sens de s’il y a un seul principe de tout, il y a une seule fin de tout.
Tout par lui concerne le principe.
Tout pour lui concerne la fin.
Apocalypse, I, 8. « Je suis l’Alpha et l’Omega, le commencement et la fin, dit le Seigneur Dieu, qui est, qui était et qui doit venir, le Tout-puissant ». Commentaire de la traduction de l’Apocalypse par Sacy : « L’Apôtre fait ensuite parler Jésus-Christ lui-même, pour donner plus de poids et d’autorité à ce qu’il a à dire : Je suis dit-il, l’Alpha et l’Omega : on sait assez que ces deux lettres sont la première et la dernière de l’alphabet grec, qui signifient dans l’usage et par manière de proverbe, le commencement et la fin : ainsi Jésus-Christ marque par là que c’est lui par qui tout commence, et à qui tout se termine ; qu’il est la cause et la fin de toutes choses. Saint Jean l’appelle dans les paroles suivantes : Le Seigneur qui est, qui était, et qui sera, le Tout-puissant, et découvre par là deux autres excellentes propriétés de sa divinité, savoir son éternité et sa toute-puissance ; d’autres néanmoins rapportent ceci à Dieu, et non à Jésus-Christ seulement ».
Saint Paul, Épîtres aux Romains, XI, 36. « Tout est en lui, tout est par lui, tout est en lui. »
Saint Paul, Lettre aux Colossiens, I, 16. « Car tout a été créé par lui dans le ciel, et dans la terre, les choses visibles et les invisibles, soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit les puissances, tout a été créé par lui et pour lui ».
Jean, I, 3. « Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui ».
Voir Ecclésiastique I, 1, qui est entièrement consacré à l’idée que Dieu est le principe et la fin.
Verset 1 : « Toute sagesse vient de Dieu le souverain seigneur ; elle a toujours été avec lui, et elle y est avant tous les siècles. »
Verset 4 : « La sagesse a été créée avant tout, et la lumière de l’intelligence est dès le commencement ».
Versets 11-13 : « La crainte du Seigneur est la véritable gloire et un sujet de se glorifier ; c’est une source de joie et une couronne d’allégresse. La crainte du Seigneur réjouira le cœur ; elle donnera la joie, l’allégresse et la longue vie. Celui qui craint le Seigneur se trouvera heureux à la fin de sa vie, et il sera béni au jour de sa mort. »
Verset 16-17 : « La crainte du Seigneur est le commencement de la Sagesse ; elle est créée avec les hommes fidèles dès le sein de leur mère ; elle accompagne les femmes choisies ; elle se fait remarquer dans les justes et dans les fidèles. La crainte du Seigneur est la sanctification de la science. »
Verset 20 : « La crainte de Dieu est la plénitude de la sagesse ; et elle rassasie ceux qu’elle possède de l’abondance de ses fruits. Elle comble toute leur maison des biens qu’elle produit, et leurs celliers de ses trésors. La crainte de Dieu est la couronne de la sagesse, elle donne la plénitude de la paix et les fruits du salut. »
Commentaire de Sacy sur ces premiers versets :
Verset 1 : « L’auteur de ce livre commence par relever la sagesse en marquant son émanation de Dieu, son unité avec lui, son éternité, et il nous excite ainsi à l’adorer avec le respect qui lui est dû, et à reconnaître avec une profonde humilité que Dieu en nous la donnant nous fait le plus grand don qu’il nous puisse faire, puisque c’est un don égal à lui-même. »
Versets 11-15 : « La crainte du Seigneur est l’effet de cette sagesse dont il vient de parler. Elle en est le commencement, parce qu’elle nous apprend d’abord à fuir tout ce qui déplaît à Dieu, et à rechercher tout ce qui lui plaît. Elle est une gloire, parce qu’au lieu que la crainte humaine est pleine de honte, celle-ci au contraire est glorieuse. C’est un sujet de se glorifier, puisqu’elle rend les hommes semblables aux anges ; mais en Dieu seulement puisque c’est lui seul qui la donne et la conserve. [...]. Elle est une couronne d’allégresse, parce que cette crainte n’est pas seulement le commencement, mais aussi le comble de la sagesse, et qu’ainsi elle établit peu à peu dans l’âme, le commencement, le progrès et la perfection aussi bien de la vertu que de la joie [...]. »
L’incipit en si : voir Mesnard Jean, “L’incipit dans les fragments des Pensées”, Littératures, 29, automne 1993 p. 31. Tournure syntaxique familière à Pascal. La conjonction si introduit une constatation ou une hypothèse, dont la principale tire les conséquences. Le verbe est toujours au présent. Le conditionnel n’apparaît que lorsque la condition est niée. La tournure contribue à mettre l’esprit du lecteur en suspens, à le faire participer à l’enquête. Elle permet aussi de montrer de manière frappante quelles sont les conséquences qui découlent inévitablement de principes que l’on ne peut pas contester.
Il faut donc que la vraie religion nous enseigne à n’adorer que lui et à n’aimer que lui.
Retour à ce qui a été dit dans A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Il faut que pour rendre l’homme heureux elle lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui et notre unique mal d’être séparé de lui.
Philosophes 4 (Laf. 142, Sel. 175). Philosophes. Ils croient que Dieu est seul digne d’être aimé et d’être admiré, et ont désiré d’être aimés et admirés des hommes. Et ils ne connaissent pas leur corruption.
Mais comme nous nous trouvons dans l’impuissance d’adorer ce que nous ne connaissons pas et d’aimer autre chose que nous il faut que la religion qui instruit de ces devoirs nous instruise aussi de ces impuissances et qu’elle nous apprenne aussi les remèdes.
Retour à ce qui a été dit dans A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Il faut que pour rendre l’homme heureux elle lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui et notre unique mal d’être séparé de lui, qu’elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant, nous sommes pleins d’injustice. Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes. Qu’on examine sur cela toutes les religions du monde, et qu’on voie s’il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.
Nous nous trouvons dans l’impuissance d’adorer ce que nous ne connaissons pas : écho de la formule d’Ovide, L’art d’aimer, ignoti nulla cupido. Mais il y a une différence essentielle entre désirer et adorer. D’autre part, cette formule appelle celle de Conclusion 1 (Laf. 377, Sel. 409), Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer.
Fausseté des autres religions 12 (Laf. 214, Sel. 247). La vraie religion doit avoir pour marque d’obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste et cependant aucune ne l’a ordonné, la nôtre l’a fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l’impuissance, la nôtre l’a fait. Elle doit y avoir apporté les remèdes, l’un est la prière. Nulle religion n’a demandé à Dieu de l’aimer et de le suivre.
La solution est donnée dans le fragment Dossier de travail (Laf. 407, Sel. 26) : les philosophes proposent des solutions insatisfaisantes, les stoïques disent : Rentrez au-dedans de vous-même c’est là où vous trouverez votre repos. Et cela n’est pas vrai ; les autres, c’est-à-dire les épicuriens, disent : Sortez dehors et cherchez le bonheur en un divertissement, ce qui n’est pas non plus recevable. Le bonheur n’est ni hors de nous ni dans nous ; il est en Dieu et hors et dans nous, ce qui permet de dépasser la difficulté.
Elle nous apprend que par un homme tout a été perdu et la liaison rompue entre Dieu et nous, et que par un homme la liaison est réparée.
Adam, par le péché originel, et Jésus-Christ, pour la rédemption. Jésus-Christ, comme sauveur de l’humanité corrompue par le péché d’Adam, est souvent appelé le second Adam.
Saint Paul, Première lettre aux Corinthiens, XV, 22 : « Car comme tous meurent en Adam, tous revivront aussi en Jésus-Christ ».
Nous naissons si contraires à cet amour de Dieu et il est si nécessaire qu’il faut que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste.
Qu’il faut que nous naissions coupables n’est pas le complément de il est si nécessaire. Le raisonnement repose sur un dilemme. Il faut entendre : nous naissons tellement contraires à l’amour de Dieu, et cet amour est tellement nécessaire, que deux explications seulement sont possibles : ou bien nous sommes coupables (par le péché originel), ou bien Dieu est injuste et mauvais. Or la seconde hypothèse est irrecevable (elle est évidemment contraire à l’idée que Dieu mérite d’être aimé).
Note de l’éd. Sellier, Garnier, p. 271 : c’est une affirmation fondamentale de l’augustinisme que l’état présent de l’homme est si misérable qu’il serait blasphématoire de soutenir que Dieu a créé une si dérisoire créature. Ce monde d’aveuglement, de haine et de mort ne saurait être la création d’un Dieu bon. À moins d’imaginer un Dieu méchant et injuste, il faut que l’état présent de l’homme soit dû à la corruption consécutive à une faute originelle. Il faut que nous naissions coupables, autrement dit il faut admettre le péché originel. Sur ce point, voir le Traité de la prédestination et de la grâce, III, OC III, éd. J. Mesnard, p. 792 sq.
Saint Augustin raisonne à peu près de même à propos des enfants dans le Contra Julianum pelagianum, lib. IV, XVI, 83 ; voir ce qu’en écrivent Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique ou l’art de penser, III, XV (éd. de 1664), éd. D. Descotes, p. 414-415.